Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, conduit de nombreux projets dans son pays à l’aide de fonds européens. Parmi ces projets, une petite ligne de chemin de fer « touristique » qui « va de nulle part à nulle part » et centrée sur Felcsut, le village qui a vu grandir… Viktor Orban !
En quelques années, les 1800 habitants de ce village ont vu un stade de foot démesuré de 4500 places sortir de terre, tandis qu’un chemin de fer était inauguré: 5 km de voie en cul-de-sac qui auront coûté 2 millions d’euros à l’Union Européenne.
Celle-ci a ouvert une enquête sur sa réalisation. Et c’est ici que les choses s’enveniment.
Contrôle parlementaire
Madame Ingeborg Graessle, Députée européenne allemande, démocrate-chrétienne de la CDU (parti d’Angela Merkel) et du PPE (Parti populaire européen), est présidente de la Commission du contrôle budgétaire du Parlement européen.
A ce titre, elle s’intéresse à la bonne utilisation des deniers communautaires. Comme pour de multiples autres pays et projets, elle se rend sur place pour vérifier l’utilisation des crédits accordés aux pays membres de l’Union.
Une mission est donc programmée pour la Hongrie.
Dès l’annonce de sa visite, Janos Lazar, ministre des Services du premier ministre hongrois, accuse la Commission de contrôle budgétaire d’interférence dans le processus des élections hongroises prévues au printemps prochain.
Dans une lettre adressée le 6 septembre à son Président, Antonio Tajani, Madame Graessle écrit qu’à la demande de M. Lazar, le représentant permanent (ambassadeur) hongrois auprès de l’Union européenne lui a demandé le 5 septembre de modifier la liste des projets qu’elle envisage de visiter, ou de postposer sa visite après les élections. Elle ajoute qu’elle a précisé à ce représentant que la Commission de contrôle budgétaire « n’acceptait aucune interférence dans la manière dont elle organise son travail de contrôle de la mise en oeuvre du budget ».
La parlementaire allemande a aussi envoyé copie de son courrier au Président de la Commission européenne, Monsieur Juncker.
« L’erreur est humaine ; la persévérance dans l’erreur diabolique »…
C’est l’an dernier déjà que la Commission du contrôle budgétaire avait prévu cette visite en Hongrie. Le programme en fut accepté le 21 juin. Il appartenait aux autorités hongroises de faciliter cette visite. Le 9 août, Lazar se plaignit que la commission ne suivait pas la proposition hongroise des sites à visiter. Il prétendait que le programme était partisan et qu’il favorisait l’opposition politique hongroise. Il suggérait que la commission visite aussi d’autres projets conduits dans des villages gérés par des responsables politiques de l’opposition.
La Hongrie commence à « taper sur nos nerfs »
A présent, Lazar, prétend toujours qu’il y a d’autres choses plus importantes à voir. Il ajoute que Madame Graessle ne peut être objective puisqu’elle a écrit sur son compte Facebook « qu’Orban commençait à lui taper sur les nerfs » !
Il faut savoir que les relations internes au PPE s’enveniment elles aussi. En effet, la CDU comme le Fidesz (parti de Viktor Orban) sont membres du même Parti populaire européen, premier parti représenté au Parlement européen.
Et les relations entre les institutions européennes, largement dominées par des dirigeants issus du PPE, et la Hongrie d’Orban vivent des relations de plus en plus tendues. Le gouvernement du Fidesz s’est fortement orienté vers une forme d’autoritarisme « illibéral [1]» avec des lois et des modifications constitutionnelles mettant en danger les libertés de la presse et d’expression, définissant la famille comme fondée sur le mariage d’un homme et d’une femme, violant la séparation des pouvoirs, etc. De plus la Hongrie a construit les barrières les plus infranchissables face à l’immigration et aux réfugiés… qu’elle a même voulu se faire rembourser par le budget européen !
Dès lors, la Hongrie fait l’objet, comme la Pologne et la République tchèque, d’une procédure d’infraction pour ses manquements persistants dans l’accueil des réfugiés.
Il nous reste à espérer que les forces démocratiques en Hongrie se renforcent et renvoient, au printemps prochain, Orban et son Fidesz dans l’opposition. La Hongrie retrouverait ainsi au sein de l’Union la place à laquelle a droit toute nation démocratique respectant les valeurs européennes[2].
Robert Polet
[1] « Culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale » selon Pierre Rosanvallon. En 2014, Viktor Orban affirmait dans un discours vouloir construire « un État illibéral, un État non libéral. Il ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté, etc. Mais il ne fait pas de l’idéologie un élément central de l’organisation de l’État. Il applique une approche spécifique et nationale ». Il appelle à « comprendre des systèmes qui ne sont pas occidentaux, qui ne sont pas libéraux, qui ne sont pas des démocraties libérales, peut-être même pas des démocraties. Et qui pourtant font le succès de certaines nations », citant Singapour, la Chine, l’Inde, la Turquie et la Russie. (Source : Wikipedia)
[2] Art.2 du Traité de l’UE: « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »