Une Place Lumumba : un devoir de mémoire

Après plusieurs années de revendications, la figure emblématique de l’indépendance congolaise, Patrice Émery Lumumba, s’introduit dans l’espace public bruxellois avec l’inauguration du « square Lumumba » dans le quartier de Matonge à Bruxelles. Pourtant cette place laisse un goût amer à certains militants. 

« Avec cette plaque, Lumumba a vaincu celui qu’il a en face de lui (statue de Léopold II à quelques centaines de mètres). Lumumba s’est imposé à Bruxelles, pour montrer que la lutte finit toujours pas vaincre l’oppression, c’est mon ressentiment. » (Déclarera un acteur socioculturel interrogé par Radio Panik)

Samedi 30 juin 2018, sous un soleil écrasant, le bourgmestre de la ville de Bruxelles, Philippe Close, accompagné par des membres de l’administration congolaise ainsi que des descendants de Patrice Émery Lumumba, a dévoilé, tout sourire, la plaque commémorant le « Square Lumumba ».

Après plus de treize années de revendications des milieux militants et associatifs belges et congolais, la victoire est avant tout symbolique car elle représente la reconnaissance d’une part des violences liées à la présence coloniale de la Belgique au Congo belge et d’autre part de la participation de la Belgique dans l’assassinat de Patrice Lumumba le 17 janvier 1961.

Deux mois pour écrire l’histoire

Du 24 juin au 14 septembre 1960, exactement 2 mois et 21 jours, c’est le temps que Patrice Lumumba, nommé par le président Joseph Kasa-Vubu, aura occupé à ses fonctions officielles de Premier ministre de la République du Congo. C’est Patrice Lumumba qui crée deux ans plus tôt le Mouvement National Congolais (MNC) qui remporte les premières élections de l’indépendance.

Dès sa nomination, Patrice Lumumba réclame que l’indépendance soit immédiatement respectée et exige de la Belgique coloniale et des sociétés minières belges leur retrait total dans les affaires internes et économiques congolaises. Le conflit est lancé, Patrice Lumumba dérange.

La Belgique défend ses intérêts par l’envoi de troupes militaires dans la région minière du Katanga et en soutenant la sécession de cette région menée par Moïse Kapenda Tshombé. Sous pression, le président congolais tente de révoquer son Premier ministre mais Lumumba ne se laisse pas faire et essaye lui-même de révoquer le président Kasa-Vubu avec l’aide de ses alliés au parlement.

Les colons belges échouent dans leur tentative de mettre Lumumba à l’écart et sortent leur dernière carte avec l’intervention militaire de Joseph Désiré Mobutu. Ce dernier, sous l’influence de l’ambassadeur de Belgique, fait arrêter et assigner à résidence Lumumba.  Le 16 janvier 1961, Lumumba est assassiné au Katanga sous l’oeil attentif de la Belgique et des États-Unis. Quatre ans plus tard, Mobutu renverse le président Kasa-Vubu et réussit son coup d’état en gouvernant le Zaïre jusqu’en 1997.

En 2002, face aux témoignages et aux diverses enquêtes, le gouvernement belge, à travers les mots de Louis Michel, reconnaît officiellement une responsabilité «  morale » dans l’assassinat de Lumumba.

L’espace public : contrôle symbolique et revendication citoyenne

Au total, treize années de négociations des milieux associatifs et militantismes avec les autorités bruxelloises… La place fut initialement prévue derrière l’église Saint-Boniface. Suite au refus de la commune d’Ixelles, c’est finalement  la ville de Bruxelles et Philippe Close qui ont accepté de faire de ce héros de l’indépendance du Congo un espace de mémoire public.

Cependant, cette victoire pose question et peut laisser un goût amer après treize années de luttes. Doit-on considérer l’inauguration de ce square comme une réelle victoire politique, une victoire sur le passé, une reconnaissance des violences faites par les colons belges au peuple congolais ? Est-ce un simple prix de compensation pour apaiser les revendications des militants ? Une simple plaque est-elle suffisante pour réconcilier l’histoire commune de ces deux pays ? La réflexion sur la symbolique des lieux au sein de l’espace public a-t-elle réellement débutée ?

Ces questions, Solange, présidente d’une association et activiste, les pose : «  Dois-je dire la vérité ? Personnellement, j’attendais beaucoup plus, je m’attendais à un monument, un buste,…  J’ai l’impression que l’on dit merci pour très peu …  pour une petite plaque. »

Reportage d’Arnaud Van Puyenbroeck
( POUR et Radio Panik)