
Avant-propos : Lors d’une réunion du G20 tenue au Brésil en février 2024, les pays participants ont discuté du manque d’efficacité de l’imposition des personnes possédant le plus de richesse. Ils ont alors mandaté Gabriel Zucman pour trouver les raisons de cette inefficacité et pour savoir si une plus grande coopération internationale pourrait contribuer à corriger cette situation. Ils lui ont aussi demandé de proposer des options qui seraient plus efficaces. Il rappelle que «le G20 a été un moteur des réformes fiscales internationales au cours de la dernière décennie». Par exemple, c’est à la suite d’une de ses initiatives que 130 pays se sont entendus pour créer en 2021 un impôt minimum commun sur les sociétés pour les grandes multinationales. Cela serait donc possible de faire de même pour créer un impôt minimum pour les milliardaires, ce que ce rapport confirme. Celui-ci se veut un point de départ pour des discussions politiques à ce sujet, pour aider les citoyen·nes de chaque pays à débattre de la question et d’adopter (ou non) un impôt pour les plus riches. L’auteur espère que son travail contribuera à ces débats démocratiques. Il remercie finalement les pays participants à cette réunion du G20 ainsi que la présidence brésilienne de lui avoir donné l’occasion de travailler sur cet impôt.
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1. La progressivité des systèmes fiscaux contemporains
1.1. La baisse des taux d’imposition effectifs au sommet de la distribution des revenus : Les autorités fiscales ne fournissent pas le taux d’imposition effectif des contribuables les plus riches, car elles ne disposent pas de données précises sur la richesse des particuliers. D’autres sources, comme les palmarès de Forbes et de Bloomberg, fournissent des données sur la richesse des plus riches, mais elles n’ont pas accès aux données fiscales individuelles. Cela dit, quelques chercheur·euses, dont l’auteur en collaboration avec Emmanuel Saez, ont développé des méthodes pour estimer ce taux pour les 400 personnes les plus riches des États-Unis en triangulant des données publiques. D’autres économistes d’autres pays ont utilisé leur méthode pour estimer ce taux dans une dizaine de pays européens, mais l’auteur n’en juge que trois assez fiables pour pouvoir les comparer avec les leurs (France, Italie et Pays-Bas). Le graphique qui suit porte sur les taux effectifs d’imposition sur le revenu dans ces quatre pays selon le niveau de revenus. Notons que ce calcul comprend toutes les taxes et tous les impôts payés, aussi bien sur les revenus que sur les achats ou les salaires.

1.2. Pourquoi l’impôt sur le revenu chute-t-il dans le haut de l’échelle? : Pour répondre à cette question, il faut savoir que la majorité des revenus des plus riches ne viennent pas de leur travail comme pour les autres, mais de leur richesse, notamment en raison de la possession d’entreprises. Or, les profits de ces entreprises sont imposés selon l’impôt sur les sociétés, beaucoup moins élevé que l’impôt sur le revenu des particuliers. En plus, il existe de nombreux moyens d’éviter les impôts, même de façon légale (évitement fiscal), moyens que l’auteur présente. Certains vont même jusqu’à emprunter pour leur consommation, éliminant ainsi tout revenu imposable.
1.3. La fiscalité efficace et la dynamique de la richesse mondiale des milliardaires : Non seulement les gouvernements perdent des centaines de milliards $ de revenus en raison de cet évitement, mais il entraîne une hausse constante des inégalités de revenus et de richesse. L’auteur aborde aussi le fait que le taux d’imposition des gains en capital est dans tous ces pays inférieur à celui des revenus d’emploi (et autres) et que ces gains ne sont imposables que lors de la vente de leurs actifs.

2. Proposition d’une norme fiscale minimale coordonnée
2.1. Proposition de base – Un impôt minimum de 2 % sur les milliardaires mondiaux : Cet impôt minimum serait versé pour remplacer l’impôt sur les revenus provenant du capital lorsque cet impôt représente moins de l’équivalent de 2 % de la richesse des milliardaires. L’auteur considère que cet impôt minimal est le meilleur moyen d’améliorer l’efficacité de l’impôt, car cette limite inférieure demeure peu importe les mesures d’évitement prises par ces personnes. En plus, il évite les discussions sur l’assiette fiscale, ce taux étant simplement calculé sur la richesse totale, peu importe sa forme et son origine. L’auteur insiste pour préciser qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur la richesse comme telle, mais d’un outil pour s’assurer un impôt minimal sur les revenus provenant de la richesse. Si l’impôt sur le revenu d’un riche atteint par lui-même cette limite inférieure, il n’aura pas d’impôt supplémentaire à payer.
2.2. Coordination dans le respect de la souveraineté nationale : Les pays qui accepteraient de se joindre aux pays du G20 pourraient adapter cette mesure, pour autant que ces adaptations mènent à ce minimum de 2 % de la richesse. Comme le rendement moyen de la richesse est de 7 %, cet impôt minimum correspondrait en moyenne à un taux d’imposition des revenus d’un peu moins de 30 % (2/7 = 28,57 %). Les pays qui ont une taxe directe sur la richesse pourraient la garder, pour autant que ses recettes combinées à celles de l’impôt sur le revenu correspondent à au moins 2 % de la richesse totale, même si la richesse imposable de ces pays ne touche que certaines formes de richesses, comme c’est (trop) souvent le cas. L’auteur présente d’autres façons de recueillir cette somme que des pays pourraient adopter, l’important étant que les recettes de ces mesures correspondent au moins à 2 % de la richesse totale ou que ces pays recueillent cette différence, s’il y en a une.
2.3 Estimation des revenus supplémentaires obtenus grâce à cet impôt minimum : L’auteur estime que cet impôt rapporterait entre 200 et 250 milliards $ supplémentaires par année, ce qui est l’équivalent de 1,7 % de leur richesse , puis explique comment il est arrivé à cette estimation (il s’agit en gros de la différence entre la moyenne de 0,3 % du graphique précédent et le taux minimal de 2 %). Il ajoute qu’il s’agit d’une estimation conservatrice, car certaines personnes paieront plus que 2 % de leur richesse dans leur impôt sur le revenu sans appliquer les mesures de ce 2 %. Il fournit ensuite des estimations pour un impôt minimal de 1 % et de 3 %, au cas où les pays du G20 adopteraient un taux minimal différent de 2 %. Pour faire des estimations à long terme, il devrait les calculer avec des scénarios sur le rendement sur le capital qui pourrait varier à l’avenir.
2.4. Un outil pour garantir la progressivité fiscale : Dans cette section, l’auteur montre tout d’abord que l’impôt minimal de 2 % permet d’éliminer la baisse des taux effectifs d’imposition sur le revenu des milliardaires, au 
3. La valeur ajoutée de la coopération internationale : L’auteur explique que, même s’il était possible pour les pays d’agir unilatéralement, la coopération internationale permet d’éviter la concurrence fiscale qui mène à une course vers le bas, et parce qu’elle permet une plus grande efficacité des mesures domestiques. Il analyse ces deux réalités en détail, sections que je ne présenterai pas ici.
4. Les défis liés à la mise en œuvre
4.1. L’évaluation de la richesse : Les pays qui ont adopté des impôts sur l’héritage possèdent déjà l’information sur la richesse des ménages, mais pas les autres. Le plus compliqué est d’établir la valeur des entreprises privées, celles des entreprises publiques (cotées en bourse) étant faciles à établir. Et cela représente une forte proportion de la richesse des milliardaires. La valeur des plus grosses de ces entreprises est plus facile à établir en les comparant à des entreprises publiques semblables. Pour les autres, on peut les comparer avec d’autres entreprises semblables qui ont été vendues ou les évaluer en proportion de leur chiffre d’affaires avec des entreprises publiques ou avec des entreprises privées vendues. Bref, c’est plus difficile, mais possible. Les montants assurés sont aussi une source externe importante pour estimer la valeur des entreprises et de beaucoup d’autres biens, dont les œuvres d’art. Un danger ici est que des milliardaires transfèrent leurs richesses dans des biens plus difficiles à évaluer, mais il est surmontable!
4.2. Surmonter l’opacité financière : Deux autres défis sont de réussir à réduire au minimum la dissimulation de patrimoine, d’identifier la propriété effective des actifs et de garantir que ces informations soient mises à la disposition des autorités fiscales compétentes. (Je saute les précisions de l’auteur…)
4.3. Gérer une coordination imparfaite : Idéalement, tous les pays adopteraient les mêmes mesures pour éviter l’évitement fiscal et encore plus l’évasion fiscale. L’auteur aborde les principaux problèmes qui peuvent se présenter à cet égard. Il mentionne entre autres les moyens à prendre et à partager pour éviter la mobilité de la richesse, notamment avec des taxes de sortie élevées, mais avec bien d’autres moyens qu’il explique.
5. Autres options pour une fiscalité plus efficace pour les riches : Il présente d’autres moyens pour s’assurer de bien taxer les riches, notamment en rendant le système d’impôt sur le revenu plus progressif, en éliminant des déductions et crédits d’impôts non nécessaires et en adoptant un impôt progressif sur les héritages.
Conclusion : vers une mondialisation plus durable
Comme tout changement, celui que l’auteur propose comporte des avantages et des désavantages. Les avantages sont assez évidents, car l’amélioration des recettes fiscales permettrait selon les pays de rembourser des dettes, d’améliorer les programmes sociaux, dont ceux de répartition des revenus faisant diminuer les inégalités, ou d’accélérer la lutte contre le réchauffement climatique ainsi que les mesures préventives sur les conséquences de ce réchauffement. À l’inverse, cet impôt pourrait diminuer les incitatifs au travail et surtout à l’accumulation de richesse. Il me semble évident que les avantages surpassent de loin ces désavantages qui n’en sont pas nécessairement!
Et alors…
Dès que j’ai vu que ce document était rédigé par Gabriel Zucman, un des économistes les plus brillants, notamment sur la question de l’imposition, j’ai mis les références menant à ce rapport de côté dans une de mes listes. Bon ça m’a pris un an pour la lire, mais, cela ne lui enlève rien. Non seulement les aspects techniques de sa proposition sont bien expliqués, mais on y trouve toujours le souci des prises de décision démocratiques et la flexibilité nécessaire pour ce faire. Après les ententes sur l’imposition des sociétés, une autre sur l’imposition des milliardaires serait vraiment un pas important en avant!
