Un syndicalisme bridé. Expériences ordinaires de délégué·es dans des mondes du travail précaires

Enquêtes ouvrières en Europe - Episode 4.

Résumés

Alors que les travaux concernant les effets de la précarisation du salariat sur le syndicalisme s’intéressent surtout aux conditions d’émergence de mobilisations collectives, cet article s’intéresse plutôt aux dimensions ordinaires de l’activité de délégué·es issu·es de trois secteurs précarisés du marché de l’emploi (grande distribution, maisons de retraite, sous-traitance industrielle), rencontré·es au cours d’une enquête ethnographique menée dans deux unions locales de la Confédération générale du travail (CGT). Grâce au décentrement que nous proposons en nous focalisant sur les formes routinières de l’action syndicale, nous mettons tout d’abord en évidence l’importance des tâches à caractère scolaire qui constituent le travail militant, ce qui nous amène à souligner les difficultés que rencontrent ces délégué·es en raison de leur manque de capital culturel. Dans un second temps, nous expliquons que ces engagements s’avèrent relativement coûteux et faiblement rétribués, si bien qu’il est difficile pour les délégué·es de tenir leurs responsabilités. À travers ces différents axes d’analyse, nous montrons que des mondes du travail précaires sont synonymes de formes précaires d’engagement syndical, si bien que l’on assiste moins à un véritable renouveau syndical qu’à la constitution d’un syndicalisme bridé, en marge des lieux historiques d’implantation militante où évoluent d’abord les fractions stables des classes populaires.

Haut de page

Notes de la rédaction

Premier manuscrit reçu le 27 août 2020 ; article accepté le 17 juin 2022.

Notes de l’auteur

Je remercie Anne Bertrand pour son précieux travail d’édition.

Texte intégral

1Les travaux concernant les effets de la précarisation du salariat sur le syndicalisme ont surtout appréhendé cette question à partir de l’étude des conditions d’émergence de résistances collectives (Béroud et Bouffartigue, 2009). En se concentrant sur des secteurs vierges de toute tradition militante apparus à la faveur de la tertiarisation et de la féminisation du salariat (grande distribution, nettoyage industriel, aide à domicile, etc.), le but est principalement d’identifier les ressorts des mobilisations protestataires alors même que tout un ensemble de facteurs les rend a priori « improbables » : forte présence d’emplois précaires (contrats à durée déterminée, intérim, etc.), collectifs de travail éclatés, absence d’héritage syndical dans l’entreprise, répression patronale, etc. Ces enquêtes permettent de comprendre comment des salarié·es sans expérience militante réussissent tout de même à dépasser l’ensemble de ces obstacles à l’action collective (Abdelnour et al., 2009 ; Avril, 2009 ; Benquet, 2010 ; Abdelnour et Bernard, 2019a), en viennent à se familiariser avec le répertoire d’action syndicale (Collovald et Mathieu, 2009), voire dans certains cas deviennent des militant·es professionnalisé·es se consacrant à temps plein à leur fonction de porte-parole de leurs collègues (Abdelnour et Bernard, 2019b). Ainsi, face à certaines analyses annonçant depuis longtemps la « crise » d’un syndicalisme condamné à disparaître (Croisat et Labbé, 1992), elles mettent plutôt en avant le potentiel de renouvellement militant que recouvrent ces expériences.

2Cependant, en se focalisant sur des salarié·es connaissant d’intenses mobilisations, ces travaux ont pour inconvénient de ne rendre compte que de situations exceptionnelles au regard des formes ordinaires que prend le syndicalisme dans ces secteurs précarisés. En effet, si l’on observe bien un certain redéploiement syndical depuis le début des années 2000, les taux de conflictualité et de syndicalisation demeurent très faibles en dehors de la fonction publique, tout particulièrement dans le secteur tertiaire (Giraud et al., 2018), et les quelques enquêtes portant sur le quotidien de l’action syndicale dans des secteurs précarisés montrent plutôt des militant·es accaparé·es par la défense individuelle et juridique de salarié·es rencontrant des difficultés pour faire valoir leurs droits les plus basiques (Nizzoli, 2015 ; Giraud, 2017). Aussi, en dépit d’une présence syndicale sur le lieu de travail, l’engagement dans des conflits collectifs s’avère le plus souvent inenvisageable en raison de l’isolement des délégué·es et des conditions difficiles qui leur sont imposées (Giraud, 2014). Bien plus que de véritables collectifs mobilisés autour de leurs représentant·es, la présence syndicale semble donc prendre la forme de « délégations précaires » (Artus, 2011, p. 118) caractérisées par la faiblesse de leur pouvoir d’agir. Ces réalités ont jusqu’ici surtout été abordées à partir du point de vue des « entrepreneurs militants » (Giraud, 2009, p. 26), à savoir les membres des structures syndicales extérieures aux entreprises (unions territoriales, fédérations professionnelles) qui mettent à disposition leur fort capital militant pour appuyer ces fragiles implantations. Le but de cet article est plutôt d’étudier l’expérience vécue par les délégué·es qui agissent en interne dans ces contextes difficiles, pour apporter un nouvel éclairage sur les conditions d’engagement syndical des classes populaires dans des mondes du travail précaires.

  • 1 Deux tiers des employé·es du commerce sont des femmes ; ce taux avoisine les 90 % dans les EHPAD (B (…)

3Pour ce faire, nous nous concentrerons sur l’étude de délégué·es syndiqué·es à la CGT travaillant dans les secteurs de la grande distribution, des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et de la sous-traitance industrielle. Ces trois secteurs ont en commun de reposer sur l’embauche d’une main-d’œuvre peu ou non qualifiée, par ailleurs largement féminisée pour ce qui concerne le commerce et les EHPAD1, et rassemblent les trois principales dimensions de la précarité en matière d’emploi (recours relativement important aux contrats à durée déterminée, aux temps partiels ou à l’intérim), de conditions de travail (bas salaires, fortes charges de travail, horaires décalés, etc.), et de droits sociaux (Béroud et Bouffartigue, 2009). Sur ce dernier point, il faut souligner l’impact de la taille réduite de ces établissements (beaucoup d’entre eux employant moins de cinquante salarié·es à temps plein), limitant les moyens alloués aux instances représentatives du personnel (IRP). Ces établissements appartiennent à de grands groupes financiarisés et mondialisés, si bien qu’en dépit de leur taille réduite, le mode de domination des salarié·es ne repose pas sur des fondements paternalistes typiques de petites entreprises familiales, mais répond plutôt à des logiques bureaucratisées et rationalisées relativement plus propices à l’implantation syndicale (Giraud et Signoretto, 2021).

  • 2 ASH : agent de service hospitalier, personnel chargé de l’entretien des locaux dans les EHPAD.
  • 3 Afin de préserver l’anonymat des enquêté·es, tous les noms propres utilisés dans cet article pour d (…)

4Ces délégué·es appartiennent à de « jeunes » sections syndicales créées pour la plupart depuis la fin des années 2000 et ont été le plus souvent à l’origine de l’instauration d’IRP dans leur établissement. Nous les avons rencontré·es au sein de deux unions locales de la CGT (voir l’encadré 1) ; ces structures sont justement chargées d’accueillir des salarié·es travaillant dans des établissements démunis de représentant·es du personnel, afin notamment de créer de nouvelles sections et d’assurer la formation militante des salarié·es qui acceptent de prendre des responsabilités syndicales. Nous avons mené une enquête ethnographique au sein de ces deux unions locales entre 2012 et 2017, dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur les conditions de redéploiement syndical vers des secteurs précarisés. Notre matériel d’enquête est donc pour partie constitué d’observations des interactions entre les militant·es aguerri·es de ces unions locales et les délégué·es qu’iels accompagnent, que ce soit au cours de stages de formation syndicale, de réunions de sections, ou encore de rendez-vous plus informels. Parallèlement à cela, 51 entretiens biographiques ont été réalisés auprès des délégué·es qui fréquentaient ces unions locales au moment de l’enquête : iels exercent toutes et tous des métiers subalternes (caissières, employé·es à la mise en rayon, aides-soignantes, ASH2, ouvriers non qualifiés) ; 26 sont des femmes (deux seulement travaillent dans la sous-traitance industrielle), 25 sont des hommes (dont 12 travaillent dans la sous-traitance industrielle), et 30 appartiennent à des minorités racisées3.

5Avec le décentrement que nous proposons, en laissant de côté la question des mobilisations pour nous intéresser plutôt aux « formes routinières de participation à l’action syndicale » (Siblot, 2018, p. 66), notre objectif est ici d’expliquer en quoi des mondes du travail précaires sont synonymes de formes précaires d’engagement syndical, en suivant deux axes d’analyse. Premièrement, notre approche fait tout particulièrement ressortir l’importance des tâches à caractère scolaire du syndicalisme. En effet, de manière générale, l’animation des conflits collectifs occupe une part résiduelle du temps de travail syndical des délégué·es. Leur activité consistant plutôt à prendre en charge les problèmes du quotidien de leurs collègues et à assurer la défense de leurs intérêts en se faisant leur porte-parole face à l’encadrement et l’employeur, iels sont tenu·es de se référer au droit et d’investir les IRP. Comme nous le verrons, l’activité syndicale constitue en ce sens une forme institutionnalisée de résistance qui confronte les classes populaires au domaine de la culture légitime, c’est-à-dire à l’usage savant de l’écrit et du langage, ce qui n’est pas sans poser problème pour les délégué·es de ces secteurs précarisés marqués par la grande fragilité de leurs ressources culturelles et scolaires. Les travaux portant sur les rapports ordinaires à la politique montrent ainsi comment le manque de capital culturel produit chez les classes populaires un sentiment d’incompétence et les conduit le plus souvent à des attitudes de retrait, comme par exemple l’abstention (Gaxie, 1978). D’autres travaux tentent de dépasser ce constat parfois jugé trop réducteur et misérabiliste, en expliquant comment des agents faiblement dotés en capital culturel réussissent tout de même à se repérer dans le champ politique, à partir de jugements profanes reposant moins sur des critères proprement politiques que moraux et expérientiels (Joignant, 2007). Cependant, on sait encore peu comment ces logiques structurent concrètement les pratiques militantes de classes populaires, puisque les travaux sur le syndicalisme ou les mouvements sociaux s’intéressent avant tout à des agents fortement dotés en capital militant, le plus souvent caractérisés par des dispositions cultivées. Nous montrerons alors comment ces facteurs déterminent des formes profanes et bridées de militantisme, en revenant dans une première partie sur leur entrée dans l’engagement et la manière dont ils prennent en charge leurs responsabilités syndicales.

6Dans une seconde partie, nous verrons que les conditions dans lesquelles ces délégué·es doivent exercer leurs responsabilités participent elles aussi à rendre particulièrement difficile leur engagement. Là encore, la focalisation sur les mobilisations dans la littérature existante a pour effet de laisser des points aveugles, parce qu’elle conduit à se pencher sur des socialisations militantes relativement intenses et heureuses, marquées par des situations où les salarié·es acquièrent un nouveau pouvoir d’agir, constituent des liens de solidarité entre collègues, ou encore se familiarisent avec des univers militants qui leur étaient auparavant étrangers. Pourtant, en raison des conditions largement défavorables à l’action collective dans ces secteurs précarisés, la découverte du syndicalisme a en réalité très peu de chances de s’opérer par l’expérience des grèves et des conflits collectifs, mais plutôt par le sentiment d’isolement et de soumission à une répression patronale difficile à supporter. Contre une vision sacrificielle de l’engagement, de nombreux travaux ont depuis longtemps établi que l’investissement dans une activité militante dépend de la possibilité d’en tirer des rétributions symboliques, c’est-à-dire « des satisfactions, des avantages, des plaisirs, des joies, des bonheurs, des profits, des bénéfices, des gratifications ou des récompenses » (Gaxie, 2005, p. 160). En montrant en quoi l’activité syndicale s’avère relativement coûteuse et faiblement rétribuée, nous soulignerons que ce qui pose problème dans ces secteurs précarisés, ce ne sont pas tant les possibilités de voir émerger des mobilisations — qui existent bel et bien, même de manière sporadique —, mais plutôt les chances réduites dont disposent les salarié·es de pouvoir tenir leur engagement dans la durée, d’entretenir un rapport heureux au syndicalisme et d’en faire un support d’émancipation individuelle.

Encadré 1. Présentation des terrains d’enquête
L’organisation de la CGT repose sur deux axes : d’un côté, une structuration professionnelle qui rassemble les syndicats en fédérations selon leur secteur d’activité (métallurgie, commerce, etc.) ; de l’autre, une structuration interprofessionnelle qui rassemble tous les syndicats d’un même territoire, quel que soit leur secteur. Il s’agit des unions départementales et des unions locales, ces dernières couvrant un territoire plus réduit (un arrondissement d’une grande agglomération, un bassin d’emploi regroupant plusieurs communes, etc.).
Les deux unions locales de l’enquête sont parmi les plus importantes de leurs départements respectifs (en termes d’adhérents, mais aussi d’activité). Elles connaissent également un développement conséquent de la syndicalisation dans des secteurs faiblement organisés :
– L’union locale Benoît Frachoncompte un peu plus de mille syndiqué·es ; elle est implantée dans la grande couronne parisienne. Ses effectifs se concentrent d’une part au sein d’un grand site industriel de métallurgie et à la SNCF (ces deux bases comptabilisent à elles seules environ le tiers des syndiqué·es du territoire de l’union locale), et d’autre part au cœur de grandes entreprises anciennement nationalisées (EDF, La Poste). Les militant·es animant cette union locale proviennent de ces secteurs. Ses bases les plus fragiles se concentrent principalement dans les secteurs du commerce, de la santé et de la métallurgie ; il s’agit essentiellement de magasins de grande distribution, d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des usines sous-traitantes d’un grand donneur d’ordre industriel implanté sur le territoire.
– L’union locale Antoinette, implantée à Marseille, dénombre plus de deux mille syndiqué·es, essentiellement dans la santé, les administrations publiques, les organismes sociaux et le commerce ; ses bases les plus importantes et les mieux organisées sont implantées à EDF, dans un hôpital public et dans un centre d’impôt. Déjà bien présente dans le commerce, l’action syndicale s’est aussi fortement développée dans les EHPAD depuis 2011. Alors qu’elle recensait seulement deux bases organisées dans ce secteur, l’union locale en compte aujourd’hui neuf, avec plus de soixante syndiqué·es.

1. Les formes profanes d’appropriation du syndicalisme dans des mondes du travail précaires

7Nous rendrons compte dans cette première partie des formes profanes d’engagement syndical des salarié·es de ces secteurs précarisés. En revenant sur les démarches de salarié·es qui ont contacté l’union locale de leur territoire pour trouver un appui afin de devenir délégué·es dans leur établissement, nous montrerons dans un premier temps qu’iels saisissent moins les organisations syndicales comme un outil de protestation collective que comme un support d’affiliation destiné à leur conférer une certaine protection contre le pouvoir de leurs employeurs, grâce à l’aide de militant·es reconnu·es pour leur expertise juridique (1.1). Ensuite, en nous intéressant à la routine du travail syndical de délégué·e, nous expliquerons en quoi une partie de cette activité recouvre un caractère scolaire, ce qui n’est pas sans poser de réelles difficultés aux salarié·es de ces secteurs (1.2), et les incline à entretenir des rapports marqués par la remise de soi vis-à-vis des militant·es plus aguerri·es qui les accompagnent au sein des unions locales (1.3).

1.1. Recourir au syndicalisme pour se couvrir face à l’arbitraire patronal

8Toutes les sections que nous avons suivies ont été créées à l’initiative de salarié·es qui avaient établi le contact avec l’union locale de leur territoire en raison de relations conflictuelles avec leurs employeurs et/ou leur encadrement intermédiaire. Ces salarié·es se rejoignent dans la critique de l’autoritarisme et de l’arbitraire de leur hiérarchie, qui suscitent un fort sentiment d’injustice. Le terme « esclavage » est récurrent dans leurs propos pour qualifier leurs conditions de travail et ainsi rendre compte des nombreuses entorses au droit du travail qu’iels subissent : sanctions disciplinaires injustifiées (certaines pouvant aller jusqu’au licenciement), heures supplémentaires non payées, temps de repos non respectés, etc. « Le patron, il fait ce qu’il veut ! », expliquent les salarié·es pour résumer les relations de travail qui les ont amené·es à constituer une section CGT. Ce sentiment d’être soumis à une direction arbitraire est renforcé par l’absence de contre-pouvoir sur leur lieu de travail. En effet, iels évoluent dans des établissements de petite ou moyenne taille démunis de représentant·es du personnel capables d’exercer un certain contrôle de l’employeur afin d’assurer le respect du droit.

9Ces situations sont exemplaires des secteurs précarisés marqués par l’absence (ou la faiblesse) des IRP. À partir d’une enquête sur les relations professionnelles dans le secteur du nettoyage industriel, Jean-Michel Denis constate ainsi qu’en dépit d’une activité de négociation relativement importante au niveau de la branche, le faible degré de couverture syndicale sur les lieux de travail prive les salarié·es des conditions nécessaires pour s’assurer du respect effectif de leurs droits. Les rapports sociaux sont alors marqués par « la prégnance des relations individuelles [et] un écart constant entre ce qui est prévu par les écrits contractuels et le travail réalisé quotidiennement » (Denis, 2007, p. 17). Malgré les spécificités du secteur du nettoyage, on retrouve là des traits communs à l’ensemble des secteurs où les relations professionnelles sont faiblement médiatisées par les syndicats et les IRP, laissant les salarié·es potentiellement exposé·es à l’arbitraire de leurs employeurs. C’est par exemple dans ces établissements que les salarié·es « semblent individuellement subir le plus souvent une juridicisation répressive sous forme de sanctions » (Pélisse, 2009, p. 88), à l’inverse de grands établissements où les syndicats, relativement mieux implantés, sont capables de faire pression sur l’employeur par des conflits avec arrêt de travail.

10Dans ces conditions, les contacts avec l’union locale sont le résultat d’une démarche isolée de salarié·es disposé·es à faire valoir leurs droits dans leur entreprise. Alors qu’iels évoluent dans des secteurs recourant à des emplois précaires (contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, etc.), l’ensemble de ces salarié·es ont en effet des contrats à durée indéterminée et sont d’autant plus attaché·es à leur statut qu’iels ont dû antérieurement faire l’expérience de contrats précaires et du chômage. En raison de leur niveau très bas de qualification, voire de leur absence de tout diplôme, iels sont peu mobiles sur le marché du travail et peuvent moins facilement envisager la démission comme stratégie de résistance : 29 délégué·es sur les 51 interviewé·es ont quitté l’école sans aucun diplôme ; les autres sont majoritairement titulaires de diplômes de l’enseignement professionnel (7 seulement ont obtenu un baccalauréat général). Leurs responsabilités familiales les inclinent aussi tout particulièrement à mettre en place les stratégies nécessaires à la défense de leur travail. En effet, parmi les 51 délégué·es que nous avons pu rencontrer en entretien, 10 seulement sont sans enfant à charge ; au foyer, iels doivent parfois compter avec le chômage de leur conjoint·e et il n’est pas rare que les femmes soient célibataires et doivent se passer du soutien de leur ex-mari pour élever leurs enfants.

11Ces salarié·es stabilisé·es dans des mondes du travail précaires et animé·es par le sentiment d’être soumis·es à un pouvoir patronal arbitraire se saisissent du syndicat comme dispositif destiné à leur faciliter l’accès au droit. C’est ce qu’on peut comprendre en écoutant Salimah Boualam, 53 ans, caissière dans un hypermarché, nous expliquer comment elle s’est tournée vers l’union locale Antoinette en 2013, avec une de ses collègues devenue déléguée par la suite. Après avoir enchaîné de nombreux emplois dans la restauration, Salimah Boualam intègre ce magasin en 2007, intéressée par le CDI qu’on lui proposait. Ses premières années dans l’établissement sont marquées par des relations harmonieuses avec ses collègues et avec l’encadrement, mais la situation se détériore suite à l’arrivée d’une nouvelle directrice au comportement autoritaire (harcèlement, changements de planning ou d’équipe imposés sans concertation, etc.) et au service d’une politique de réduction des effectifs qui alourdit la charge de travail du personnel :

« C’est de là qu’on s’est syndiquées. Avant on n’était pas syndiquées, on a eu des soucis [air minorant] mais bon… on s’est adaptées. […] On s’était syndiquées pour avoir des conseils. Parce que moi je ne connaissais même pas les syndicats, pour moi avant FO, CGT, CFTC c’étaient tous les mêmes. Je n’en ai jamais eu besoin, j’ai toujours travaillé chez des particuliers, donc c’est pas du tout pareil. Mais là, dans la grande distribution, on a des responsabilités, des exigences, des normes, et on avait peur de ne pas savoir se défendre s’il nous retombait quelque chose dessus, tu vois ?
— C’est venu de qui, l’idée d’aller voir la CGT ?
— C’est M. [sa collègue], quand elle a vu qu’il commençait à y avoir des soucis, elle a dit : “ouh là, avant de faire quoi que ce soit, il vaut mieux qu’on se syndique pour avoir de l’aide si on a des questions ou des soucis. On sait qui peut nous aider” ».

12Le recours au syndicat ne fait sens que dans des contextes de travail où défendre ses intérêts de salarié·e suppose de se placer sur le terrain du droit, parce qu’on ne peut pas (ou plus) régler les « soucis » par le biais d’arrangements informels avec ses supérieur·es hiérarchiques. Salimah Boualam n’avait jamais rencontré cette situation auparavant, ce qui justifiait sa distance à l’égard de ce type d’organisations. La syndicalisation s’inscrit bien dans le régime du « besoin », celui d’être « aidé » pour « savoir se défendre », et ne fait référence à aucune considération idéologique (concernant notamment le choix de l’organisation vers laquelle les personnes se tournent). Pour ces salarié·es, le syndicat n’est donc pas reconnu comme une offre d’engagement militant qui entrerait en concurrence avec des partis politiques ou des associations citoyennes, mais bien plutôt comme un des différents guichets vers lesquels on peut se tourner pour faire valoir ses droits, comme l’inspection du travail ou la maison de la justice de leur commune, qu’iels ont parfois aussi sollicitées dans le même temps.

13En se rendant à l’union locale, il s’agit tout d’abord d’obtenir des « conseils » juridiques pour faire face aux problèmes qu’iels rencontrent sur leur lieu de travail, ou, dans certains cas, de solliciter l’aide du syndicat pour entamer une procédure aux prud’hommes. C’est au cours de ce premier contact que les militant·es des unions locales proposent aux salarié·es — quand iels travaillent dans un établissement de plus de dix salarié·es — de demander la tenue d’élections professionnelles pour instaurer des IRP et devenir délégué·es sous l’étiquette de la CGT. Iels leur demandent alors de revenir à l’union locale avec d’autres collègues intéressé·es par l’idée de devenir délégué·es pour ainsi constituer un premier embryon de collectif et animer la section syndicale. Mais dans certains cas, une liste syndicale peut être constituée à l’initiative d’un·e seul·e salarié·e, et peut être déclarée représentative dès lors qu’elle obtient 10 % des suffrages exprimés, ce qui peut représenter dans ces établissements de taille réduite un petit noyau de quatre ou cinq salarié·es.

14Devenir délégué·es et instaurer des IRP dans leur établissement représente alors pour ces salarié·es un moyen de se doter d’un cadre institutionnel et légal pour s’assurer d’une meilleure protection face à leur employeur. Surtout, avec le syndicat, l’idée est autant de bénéficier de l’expertise juridique des militant·es de l’union locale que de donner plus de sécurité à leur condition salariale, en s’affiliant à une organisation qui, à leurs yeux, sera en mesure de dissuader l’employeur de violer leurs droits. C’est ce qu’exprime ici Adama Kebé, 37 ans, ouvrier devenu délégué dans une usine sous-traitante :

« Qu’est-ce qui t’a poussé au début à te syndiquer ?
— Pour moi c’était juste… je me suis dit : je me syndique parce que si j’ai un souci avec le patron, peut-être que le syndicat pourra m’aider. Parce qu’il y a des patrons qui abusent de leur pouvoir, moi c’est ce qui m’a poussé à me syndiquer. C’est juste pour que le patron n’abuse pas de toi, qu’il ne fasse pas ce qu’il veut. […] Parce que si tu n’es pas syndiqué, après le patron il fait ce qu’il veut. Mais si tu es syndiqué, le patron il a peur de toi ».

  • 4 La protection légale contre le licenciement conférée au mandat de délégué·e est à ce titre décisive (…)

15Alors que leur position sociale les expose à des abus patronaux qui génèrent un fort sentiment d’insécurité, l’affiliation syndicale est vécue comme un moyen de donner plus de stabilité et de consistance à leur statut et, ce faisant, de connaître leurs droits et de les faire respecter. Leur contrat à durée déterminée se révélant insuffisant pour obtenir la protection et la sécurité professionnelle à laquelle iels aspirent, iels entendent se faire couvrir ou « chapeauter », pour reprendre les termes d’une déléguée travaillant dans la grande distribution, afin de rééquilibrer le rapport de forces en suscitant chez l’employeur la « peur » de les attaquer4.

1.2. Les problèmes posés par les tâches à caractère scolaire du travail syndical de délégué·e

16En s’engageant comme délégué·es, ces salarié·es se confrontent à de nouvelles responsabilités, en ce qu’iels deviennent des personnes ressources pour leurs collègues afin de défendre et représenter leurs intérêts face à l’employeur ; il s’agit ainsi d’instaurer une certaine juridicisation des rapports sociaux dans leur établissement, entendue comme « une formalisation juridique accrue des relations sociales, une extension du droit comme modèle et référence pratique pour les actions » (Pélisse, 2009, p. 76). Cette activité recouvre en partie une dimension informelle, en ce qu’elle suppose d’assurer une présence active sur le « terrain » — pour reprendre le terme des enquêté·es — qui consiste à agir pour leurs collègues en sachant se montrer disponibles et à l’écoute de leurs problèmes, mais aussi en intervenant pour obtenir gain de cause dans des relations directes avec les membres de l’encadrement et de la direction. Cette dimension du travail syndical nécessite avant tout des savoir-faire pratiques, si bien que leur manque d’expérience militante ne pose pas tant problème (Berthonneau, 2020a).

17Mais le capital militant nécessaire à la prise en charge des responsabilités qui incombent aux délégué·es recouvre aussi un caractère technique qui suppose des compétences dont iels sont en revanche dépourvu·es. Il s’agit premièrement de compétences juridiques destinées à assurer la défense individuelle de leurs collègues face à des sanctions disciplinaires ou des entorses à leur contrat de travail. Si cette activité recouvre une dimension essentiellement « proto-juridique » (Willemez, 2017, p. 109) dans le sens où il n’est pas toujours nécessaire d’investir directement l’arène judiciaire, il faut tout de même rédiger des courriers à l’attention de l’employeur en mobilisant des textes légaux (Code du travail, convention collective, règlement intérieur de l’établissement) pour prouver le caractère illégal de ses pratiques, tout en mentionnant la possibilité de recourir aux prud’hommes en guise d’intimidation. Cette activité a un caractère décisif puisqu’il s’agit du principal moyen pour légitimer l’action syndicale dans ces secteurs précarisés et permettre de nouvelles adhésions, la syndicalisation représentant pour les salarié·es un moyen de s’assurer d’être défendu·es efficacement en cas de conflits avec l’employeur. Des délégué·es peuvent même parfois stipuler à leurs collègues qu’iels doivent adhérer à la CGT s’iels veulent bénéficier de la défense du syndicat.

18Ce sont aussi des compétences spécifiquement syndicales qui sont nécessaires, en ce qu’elles se rapportent à l’usage des instances représentatives : faire preuve d’un certain degré d’expertise concernant l’organisation du travail ou les résultats économiques de l’établissement pour justifier et légitimer des revendications du personnel, savoir préparer une réunion avec l’employeur, intervenir dans un cadre d’échange formalisé pour faire remonter les réclamations du personnel, assurer le compte-rendu de ces réunions aux salarié·es, etc. L’investissement des moyens alloués par les IRP constitue ainsi une opportunité de mener une action syndicale qui dépasse la défense de cas individuels, en permettant d’assurer la représentation des intérêts collectifs des salarié·es. Enfin, le travail syndical de délégué·e engage des compétences militantes au sens large du terme, dans la mesure où elles sont mobilisables dans l’ensemble des mouvements sociaux et politiques (Mathieu, 2007) : savoir écrire des textes diffusés sous la forme de tracts ou sur les réseaux sociaux pour interpeller les salarié·es (voire des soutiens extérieurs), organiser et animer des assemblées pour collectiviser le sentiment d’injustice et créer des liens de solidarité entre salarié·es, ou encore proposer des modes d’action ajustés aux forces en présence (pétition, débrayage, etc.). Ces pratiques plus militantes sont indispensables pour susciter la participation des collègues, que ce soit dans le cadre de mobilisations ou plus généralement dans le quotidien des relations de travail, et ainsi établir un rapport de forces qui puisse peser sur les décisions de la direction.

19Ces compétences présentent un caractère scolaire car elles supposent un rapport familier à l’écrit et à l’usage savant du langage (Mischi, 2013), ce qui pose problème au regard des caractéristiques sociales des délégué·es de ces secteurs précarisés. D’une part, la majorité dispose d’un très faible niveau de capital scolaire et, en raison de la segmentation raciale du marché de l’emploi, ces secteurs comptent sur la présence relativement importante d’une main-d’œuvre immigrée. Si beaucoup réussissent à bien s’exprimer oralement, le rapport à l’écrit s’avère quant à lui plus problématique. D’autre part, iels sont assigné·es à un travail d’exécution où iels n’ont pas l’habitude d’être sollicité·es pour prendre la parole en public ou se confronter à l’écrit. Enfin, en dehors du travail, iels ne se livrent pas à des loisirs cultivés comme la lecture ou l’engagement associatif à but culturel. Par conséquent, la confrontation à ce registre scolaire du travail syndical ne suscite pas d’appétence particulière, mais entraîne au contraire un sentiment d’incompétence qui participe à compliquer leur apprentissage militant : « des fois, on se sent bête », me confiait ainsi une aide-soignante sénégalaise non diplômée à propos de ses interactions avec son employeur au sein des instances représentatives.

20Ces difficultés apparaissent de manière particulièrement saillante au sein de la base syndicale d’une usine sous-traitante d’une cinquantaine de salarié·es rattachée à l’union locale Benoît Frachon, où travaille essentiellement une main-d’œuvre originaire du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. En 2014, j’ai eu l’occasion d’observer la section syndicale à l’union locale pendant ses réunions de préparation aux négociations annuelles obligatoires (NAO) dans l’entreprise. Les difficultés en français et à l’écrit du délégué syndical, que nous appellerons Hossein Safir, posent problème dans le cadre de cette négociation avec l’employeur. Au cours d’une réunion à l’union locale, Ahmed Ziani, ouvrier syndiqué à la CGT et délégué suppléant, a l’occasion d’exposer ces inconvénients aux militants qui les accompagnent :

« En réunion [avec l’employeur] il ne dit pas un mot, les documents il ne les lit pas, le compte-rendu il ne l’écrit pas, de toute façon, il ne se souvient plus de ce qui a été dit. La direction, ils se moquent de nous ! Ils nous disent : “votre délégué il vaut rien” ».

21Quelques semaines plus tard, alors qu’Ahmed Ziani et Hossein Safir ont pris rendez-vous à l’union locale suite à une réunion de leur comité d’entreprise, j’ai l’occasion de constater moi-même les difficultés de Hossein Safir :

« Ahmed et Hossein entrent dans le local et s’installent dans le bureau de Claude [militant de l’union locale] ; Ahmed annonce, un peu gravement : les NAO c’est mort, c’est fini, les autres syndicats ont signé et on n’a rien obtenu. Ils sont venus munis de documents et Hossein transmet l’accord des NAO à Claude qui fait grise mine. Claude demande à Hossein s’il a les documents qu’ils avaient exigés de la direction concernant les informations sur les chiffres d’affaires de l’entreprise, mais Hossein ne comprend visiblement pas de quoi il s’agit ; il répond maladroitement en désignant l’accord NAO : bah voilà, c’est là. Claude s’agace et répond d’un ton sec : mais non, c’est pas ça !. Il prend alors le temps de rappeler à Hossein ses engagements en tant que délégué syndical et ainsi lui faire comprendre en quoi ces NAO ont été très mal gérées. Son ton est assez dur, comme s’il voulait le rappeler à l’ordre : les papiers qu’on avait demandés à la direction, pour avoir les chiffres sur l’activité, les budgets, ils sont où ? Si on ne les a pas, comment veux-tu qu’on sache comment répondre face à la direction ? Quand on demande des infos c’est pas pour qu’elles restent dans ton sac ! Il fallait venir me voir, en discuter avec les salariés, pour voir ce qu’on pouvait faire ! » (Notes de terrain, union locale Benoît Frachon, novembre 2014).

22On observe bien ici que les difficultés des délégué·es à produire ou appréhender des documents écrits les handicapent pour assurer les tâches les plus basiques de leur travail militant — pour la prise de notes, la gestion des documents nécessaires à la conduite de l’activité revendicative, mais aussi pour rendre des comptes à leurs collègues et les engager dans l’action syndicale, etc. Cette incompétence syndicale — que nous voyons ici dans le cadre de négociations annuelles — vulnérabilise aussi les délégués et leurs collègues dans le quotidien des rapports avec la direction au sein de cette usine. Avant ces négociations, la direction avait par exemple mis en place des réorganisations de la production qui ont accentué la charge de travail des ouvriers, sans même que les délégués n’aient pensé à se saisir de leurs prérogatives pour s’y opposer, via les IRP :

« Depuis un petit moment, on s’est trop endormis, et à la direction ils voient qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent ! Ça ne peut pas continuer comme ça, il faut qu’on se réveille ! », déclare ainsi Ahmed Ziani pour souligner que leur employeur profite de leur incompétence pour mener à bien ses stratégies.

1.3. Dépendance et remise de soi dans l’action syndicale

23La confrontation à ce domaine technique de l’action syndicale a pour effet de brider l’engagement de ces délégué·es faiblement doté·es en capital culturel. Ainsi, s’iels se montrent en mesure d’assurer avec une certaine efficacité tout le travail syndical « de terrain » auprès de leurs collègues, iels doivent par contre s’en remettre à l’expertise des militant·es des unions locales pour prendre en charge à leur place les tâches à caractère scolaire de leur activité : rédaction de courrier à l’employeur pour défendre des cas individuels, rédaction de tracts, mise en forme par écrit des réclamations des salarié·es pour les réunions de délégué·es du personnel, ou encore examen des documents transmis par l’employeur via le conseil d’entreprise (CE), quand celui-ci existe. L’essentiel des sollicitations qu’iels adressent à l’union locale est motivé par les difficultés rencontrées dans ce registre savant de l’action syndicale.

24Ce rapport de délégation est bien souligné par Youssef Slimani, 44 ans, délégué syndical dans une entreprise sous-traitante de l’industrie rattachée à l’union locale Benoît Frachon, où il travaille comme cariste. Né au Maroc, il a arrêté sa scolarité très jeune pour travailler comme ouvrier dans l’industrie en France, vers la fin des années 1980. En entretien, lorsqu’il est question de son parcours scolaire, il déclare : « moi j’ai pas de niveau, c’est pour ça, on arrive à avoir des informations avec le syndicat, c’est tout », faisant spontanément le lien entre son absence de capital scolaire et son besoin de prendre appui sur les ressources de l’union locale. Au moment où je le rencontre, il fréquente en effet régulièrement l’union locale parce que son employeur projette de réorganiser la production, avec des suppressions de postes envisagées. Ce sont les militant·es de l’union locale qui rédigent les tracts et analysent pour lui les informations sur l’activité de l’entreprise transmises par le CE : « on est obligé de passer par des personnes qui connaissent mieux que nous », dit-il pour expliquer son recours à l’aide des militant·es de l’union locale.

25En raison de ce sentiment d’incompétence, les délégué·es sont donc tout à fait disposé·es à s’en remettre aux militant·es des unions locales pour décider des stratégies d’action syndicale dans leur établissement, dès lors qu’elles engagent des pratiques spécifiquement militantes. Il en va ainsi, notamment, du travail syndical destiné à structurer l’organisation des salarié·es au-delà de la réponse à leurs problèmes immédiats — et le plus souvent personnels —, qui est principalement laissé à l’initiative des militant·es des unions locales. Dans les deux unions locales que nous avons suivies, les militant·es ont par exemple initié des actions pour organiser les différentes sections implantées dans le même secteur d’activité (commerce, EHPAD, etc.), afin de constituer des collectifs rassemblant les différents délégué·es au niveau du bassin d’emploi de l’union locale. Il s’agit ainsi de coordonner l’action des ces sections, réfléchir à des actions communes, développer la syndicalisation et de nouvelles implantations. L’observation de ces réunions montre en quoi ces délégué·es ne s’approprient pas cette offre de participation à partir d’une posture d’autorité militante qui les verrait désireux de partager avec les autres leurs idées concernant les voies que doit emprunter l’organisation de l’action syndicale dans leur secteur. Au contraire, iels saisissent ces moments comme une opportunité d’exposer leurs problèmes aux militant·es de l’union locale pour obtenir de l’aide et des conseils, comme iels ont déjà l’habitude de le faire. Pour rendre compte de ces rapports délégataires, nous retranscrivons ici l’observation d’une réunion à l’union locale Antoinette, rassemblant huit déléguées travaillant dans cinq EHPAD différents, et organisée à l’initiative de Caroline Signoles, militante de l’union locale chargée du suivi de ces sections :

« Les participantes sont installées autour des tables disposées en U, Caroline positionnée au centre, munie d’un calepin et d’un stylo [c’est la seule, avec moi, à disposer de ces instruments]. Elle propose un tour de table pour que chacune se présente, notamment pour introduire les nouvelles syndiquées de l’établissement de La Valette. Le tour de table ne se limite pas à une présentation formelle, aucune ne pouvant s’empêcher de parler des conditions de travail dans sa résidence. C’est Yamina Belkacem qui commence à se présenter, poursuivant sur une explication de la situation au sein de sa résidence : “On a de gros problèmes avec le directeur”. Elle relate le manque de moyens, le harcèlement, etc. Les autres déléguées se montrent scandalisées et rebondissent à partir des problèmes similaires qu’elles rencontrent dans leurs résidences. Après le tour de table, Caroline introduit les échanges en présentant le but de la réunion, à savoir “reprendre le contact entre nous, parler de la situation dans nos entreprises, voir ce qu’on peut faire”. Elle continue en lisant le document préparatoire qu’elle a écrit et distribué à toutes les participantes, tout en faisant remarquer : “Ce n’est pas un discours hein, vous m’interrompez si vous avez quelque chose à dire”, en insistant sur un ton familier pour désacraliser l’exercice. Après sa lecture, Caroline ouvre le débat, en sollicitant la parole des déléguées. Les échanges partent sur le registre habituel, les salariées racontant tous les soucis qu’elles rencontrent au sein de leurs résidences respectives, ce qui motive leur indignation. Il est question surtout de la résidence où travaille Yamina, parce que c’est elle qui prend la parole directement après Caroline. Elle cite le problème des photos prises par le directeur pour sanctionner le travail mal fait des salariées. Yamina en profite alors pour demander à Caroline si cette pratique s’inscrit dans la légalité. Caroline répondra en ces termes : “Ça peut valoir quelque chose à condition que ce soit attesté par un huissier”, puis précisera à propos des propos acerbes de Yamina à l’encontre de ce directeur : “Alors après, ce qu’il ne faut pas oublier, [c’est que] ce n’est pas le problème d’un directeur qui est méchant, que ça pourrait être mieux avec un gentil… Tout ça, c’est le résultat de la politique de gros groupes dont le seul but est de dégager des bénéfices”, ce qui déclenche l’assentiment des autres : “C’est clair”. Sylvie [déléguée appartenant à une autre résidence] renchérit en racontant son histoire personnelle [elle est en arrêt maladie après avoir été agressée par un résident], avant d’évoquer ses collègues qui ont peur de se mobiliser, ce qui suscite l’approbation des autres. Caroline profite alors d’un court moment de silence pour livrer une conclusion de ces échanges et tenter de passer à une étape suivante : “Donc ok, on voit bien que le tableau est très noir, mais on ne peut pas en rester là, sinon on se tire une balle dans la tête ! Qu’est-ce qu’on peut faire syndicalement ? Comment on met en commun nos expériences pour avancer ?”. Sylvie intervient : “Il faut être sur le terrain, mais c’est vrai que c’est difficile, les gens ont peur, on n’y arrive pas”. Les échanges repartent alors sur les témoignages des unes et des autres à propos de l’attitude autoritaire de leur encadrement […] Caroline tente à nouveau de recadrer les échanges qui s’éparpillent en revenant au document : “Donc regardez à la dernière page, c’est mes propositions, c’est à vous de valider ou pas”. Parmi tous les points, elle insiste sur un en particulier : “Je propose qu’on se réunisse une fois par mois. Pour qu’on se raconte comment ça se passe dans nos entreprises, pour apprendre toutes ces choses ensemble et voir comment on s’organise”. Chacune manifeste son accord sans pour autant avancer d’autres propositions » (Notes de terrain, union locale Antoinette, juin 2015).

26Dans cette interaction, c’est bien Caroline Signoles qui joue le rôle d’actrice, d’animatrice, et les déléguées celui de destinataires. La division des rôles s’opère déjà en amont, dès la préparation de la réunion, puisque c’est elle qui est tout d’abord à l’initiative de cette réunion. Elle s’est chargée de contacter toutes les participantes pour les y inviter, et d’écrire le document préparatoire avant de le présenter oralement. Ce rôle d’animatrice se donne ensuite à voir dans la répartition des places : elle s’assoit en bout de table, au centre de l’attention. C’est elle qui se charge d’introduire les échanges, de lancer les débats, de gérer leur tempo et d’encourager les déléguées à prendre la parole. C’est aussi la seule à opérer des montées en généralité (« ce n’est pas le problème d’un directeur… ») et surtout à aborder la question des perspectives d’action à moyen terme. De leur côté, les déléguées ne possèdent pas le nécessaire pour prendre des notes, ce qui rend bien compte de leur posture de destinataires venant témoigner, et non pas d’actrices venant participer à l’élaboration d’actions. Ensuite, la lecture du document préparatoire n’occasionne aucun commentaire tandis que les incitations de Caroline Signoles à réfléchir aux perspectives d’action et d’organisation sont systématiquement détournées par des récits construits sur le mode du témoignage personnel. Les déléguées se situent et réagissent selon des enjeux qui les affectent directement, elles ne proposent rien concernant l’animation de ce collectif et saisissent la présence de Caroline Signoles comme un moyen de bénéficier de son expertise et d’obtenir des informations ; c’est d’ailleurs ce que me déclare Yamina Belkcacem quand nous nous retrouvons en aparté avant que ne débute la réunion (« je suis venue pour demander un renseignement sur un truc précis [à propos des photos prises par son directeur] »), signe qu’elle ne s’approprie pas l’objet militant de cette réunion destinée à élaborer des pistes d’action collective dans leur secteur.

27La manière dont ce type de moments est investi révèle bien en quoi ces délégué·es ne s’approprient pas leur fonction syndicale à partir d’un esprit proprement militant. Iels se pensent d’abord comme des « remparts » — pour reprendre le terme d’une aide-soignante déléguée en EHPAD — destinés à protéger leurs collègues contre les abus de leurs employeurs, sans pour autant chercher à les mobiliser collectivement. En d’autres termes, iels saisissent leurs responsabilités syndicales comme un moyen d’assurer une présence auprès de leurs collègues, destinée à les « aider » et à les « défendre » au quotidien contre l’encadrement, sans pour autant chercher à impulser et structurer l’action collective des salarié·es, à travers par exemple l’organisation d’assemblées ou la distribution de tracts.

2. Des engagements intenables ?

  • 5 Les données de l’enquête REPONSE menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études (…)

28En plus de ces difficultés rencontrées pour assumer leurs responsabilités, ces délégué·es pâtissent de conditions de travail syndical difficiles, qui compliquent encore leur engagement militant. En effet, iels évoluent dans des établissements où les directions ne sont pas familiarisées aux rouages du « dialogue social » et acceptent difficilement ces nouveaux interlocuteurs qui peuvent potentiellement entraver le libre exercice de leur pouvoir ; l’ensemble des délégué·es que nous avons rencontré·es nous ont ainsi confié se heurter à l’hostilité de leur employeur, dont l’anti-syndicalisme peut parfois aller jusqu’à des tentatives de licenciement5. Dans le même temps, iels ne peuvent pas compter sur la présence dans leur établissement d’un véritable collectif militant pour les soutenir, en raison du manque de familiarité des salarié·es avec l’action collective, et des risques que fait encourir l’action syndicale. En exposant en quoi leurs conditions de travail syndical sont précaires, nous soulignerons ici que les rétributions retirées de leur activité de délégué·e sont limitées, si bien que leur engagement s’avère difficilement tenable.

29Pour ce faire, nous distinguerons les délégué·es selon deux configurations rencontrées sur nos terrains. Dans la première, les délégué·es sont particulièrement isolé·es et exposé·es à la répression anti-syndicale dans leur établissement, si bien que leur expérience du syndicalisme rime avec souffrance psychologique et sentiment d’impuissance. Dans la deuxième configuration, les délégué·es jouissent d’un soutien relatif de leurs collègues et réussissent à tirer certaines rétributions symboliques de leur engagement. Cependant, nous verrons en quoi leur engagement peut aussi présenter un caractère usant.

2.1. Des délégué·es isolé·es, exposé·es à la répression anti-syndicale et condamné·es à l’impuissance

30Les délégué·es que nous présentons ici sont tout d’abord confronté·es à des formes de répression anti-syndicale qui sont particulièrement brutales car elles s’immiscent dans la routine des relations de travail. En effet, au-delà des seuls délits d’entrave au libre exercice des responsabilités syndicales, c’est tout le dispositif managérial de surveillance qui peut être mobilisé pour décourager et réprimer de nouveaux ou nouvelles déléguées. Dans ces secteurs précarisés, la mise au travail des salarié·es subalternes repose sur une discipline « néo-taylorienne » (Amossé et Coutrot, 2008), qui les assigne à des tâches d’exécution répétitives tout en installant un fort contrôle via leur encadrement, que ce soit pour l’attribution de leur poste, la gestion de leurs plannings, ou encore l’évaluation de leur travail. Il est donc relativement aisé pour des membres de l’encadrement d’infliger des brimades aux salarié·es qui deviennent délégué·es ou affichent des liens de solidarité avec des membres de la CGT. Iels sont par exemple « pisté·es » — pour reprendre leurs propres termes — afin de déceler des fautes éventuelles et motiver des sanctions disciplinaires (produits périmés laissés dans un rayon au sein de la grande distribution, toilette d’un résident mal réalisée dans les EHPAD, etc.) ; iels sont assigné·es aux postes de travail les plus éprouvants, leur supérieur·e modifie leur planning au dernier moment ou encore leur impose de faire des heures supplémentaires sans que celles-ci soient rémunérées. Ce traitement punitif se mêle à des attitudes autoritaires et violentes, sources d’altercations verbales fréquentes à propos desquelles les délégué·es sont souvent intarissables en entretien. Ainsi, iels se sentent constamment épié·es et placé·es sous la menace de leur direction, sachant très bien que celle-ci profitera de la moindre opportunité pour justifier une mise à pied ou un licenciement auprès de l’inspection du travail. Leur temps de travail syndical est alors largement accaparé par la nécessité de se défendre personnellement contre ces tentatives de répression, motivant des recours fréquents aux compétences juridiques des militant·es de l’union locale.

31La situation est d’autant plus difficile à supporter pour ces délégué·es qu’iels doivent agir sans le soutien de leurs collègues. Bien que n’étant pas seul·es à éprouver du mécontentement et de l’injustice au regard des conditions dans lesquelles iels travaillent, iels se plaignent de voir leurs collègues ne jamais oser exprimer ouvertement ces sentiments face à leur encadrement, par crainte de subir à leur tour des représailles. Le thème de la peur est ainsi omniprésent pour évoquer leur ambiance de travail. Des collègues peuvent bien manifester leur encouragement, mais celui-ci se fera de manière discrète, par le biais d’échanges informels tenus à l’abri du regard de l’encadrement, ou de votes aux élections professionnelles ; mais la participation à des formes d’action collective — même de basse intensité, comme une pétition par exemple — demeure inenvisageable. Les acquis de l’action syndicale restent donc très minces, tant celle-ci se cantonne en quelque sorte à une veille juridique destinée à défendre des cas individuels. En l’absence de mobilisation collective et en raison du refus de l’employeur de reconnaître la légitimité d’une représentation du personnel dans son établissement, les acquis collectifs — en termes d’amélioration des conditions de travail, de politique d’emploi ou de salaires — sont inexistants.

32Pour les délégué·es pris·es dans ce type de configuration, l’exercice des responsabilités syndicales est une expérience très coûteuse, d’autant plus qu’iels apparaissent peu préparé·es à affronter ce type d’adversité. Alors même que le recours à l’action syndicale correspond à un besoin de sécuriser son statut, les abus que subissent les délégué·es redoublent avec leur engagement, rendant encore plus insupportables leurs conditions de travail. De plus, iels n’ont aucune expérience syndicale et n’ont jamais fait face à ce type de situation, tout en ayant des ressources militantes très fragiles. Ces configurations peuvent alors déboucher sur le désengagement des délégué·es, que ce soit à cause de tentatives de licenciement réussies (c’est-à-dire autorisées par l’inspection du travail) ou du fait de leur propre décision de quitter l’établissement par le biais d’une rupture conventionnelle, ou encore de manière plus temporaire par un arrêt de travail pour raisons médicales. Pour celles et ceux qui maintiennent leur engagement dans ces contextes, l’exercice de responsabilités syndicales est synonyme de sentiment d’impuissance, comme le montre le cas de Nicole Rouger, 54 ans, aide-soignante et déléguée dans un EHPAD de moins de cinquante salariées.

33Entrée en 2006 dans cet EHPAD, elle se syndique au début de l’année 2014 suite à des problèmes de sanctions disciplinaires. À l’union locale Antoinette, elle a alors rencontré Caroline Signoles qui, profitant de la tenue prochaine d’élections dans son établissement, lui a proposé de monter une liste CGT, ce qu’elle a accepté. Elle est la seule salariée à se présenter aux élections professionnelles et devient déléguée avec une dizaine de votes en sa faveur. Pour Nicole Rouger, l’engagement syndical ne s’est pas fait sans hésitation. Si elle était motivée par l’idée de se syndiquer en vue de faire assurer sa défense par la CGT et de « connaître [ses] droits », elle appréhendait déjà de se présenter aux élections, craignant d’être seule et de manquer de soutien. Effectivement, les deux collègues qui avaient accepté de se présenter avec elle se sont retirées de la liste juste avant les élections. Durant cette période, de nombreuses salariées ont subi les intimidations de la direction, qui les menaçait de licenciement si elles votaient CGT. Après les élections, les relations se sont tendues davantage encore. Nicole Rouger a subi le harcèlement de la directrice qui la menaçait de sanctions disciplinaires, ou essayait de lui interdire de prendre ses heures de délégation en l’accusant d’abandon de poste. Ce traitement l’a amenée à prendre des anti-dépresseurs pendant plusieurs mois, et elle me confie avoir perdu plus de dix kilos à cause de problèmes d’estomac.

34Dans ces conditions, Nicole Rouger a plusieurs fois hésité à abandonner son mandat et elle a dû recourir à l’aide de Caroline Signoles à de nombreuses reprises pour alerter l’inspection du travail et se défendre contre sa directrice. Si elle me confie au fil de l’entretien que celle-ci a désormais cessé de la harceler, elle se retrouve tout de même dans une situation où il lui est impossible de mener effectivement son activité syndicale, en dépit du mécontentement du personnel justifié par le manque de matériel et de personnel, par des heures supplémentaires non payées, ou encore par l’attitude autoritaire de la directrice:

« Sur des problèmes d’heures sup’, vous avez l’occasion de discuter entre collègues ?
— [elle coupe] Elles ont peur. Toutes les semaines je leur dis : “je suis là, dites-moi”, mais non, elles ont peur [baissant la voix]. Moi j’ai pas peur, elles, elles ont peur. Parce que, comment t’expliquer… Il ya des anciennes qui sont là depuis longtemps qui disent aux nouvelles arrivantes, sans le vouloir, sans le faire exprès[toujours en baissant la voix] : “tu sais ici ça marche comme ça, si tu veux garder ton boulot, ne dis trop rien, ne te plains pas”. Donc mes collègues elles me disent : “je ne veux pas, non je ne veux pas que tu en parles, non”, je ne peux pas me battre à leur place ! Enfin oui tu peux, mais si la salariée ne veut pas, t’es pas Zorro, tu ne vas pas te mettre devant et prendre les balles. Tu ne peux pas ! Il faut que la personne veuille être défendue ! Moi je ne suis pas une sainte, hein. Je voulais demander un lève-malade mais elles m’ont fait : “non, on ne veut pas”. Qu’est-ce que tu ferais à ma place ? Je ne le fais pas ! C’est quand même fou !
— Elles ne veulent même pas…
— … que je parle de leurs problèmes.
— C’est-à-dire que toi, tu leur dis que si elles ont des problèmes sur leur contrat, qu’elles font du boulot en plus, tu leur dis qu’on peut peut-être en parler, faire quelque chose…
— Eh bien elles me disent non. Même pour se syndiquer elles ont peur ! C’est pas marqué sur ton front, j’irai pas le dire que tu te syndiques ! […] Ce qui me bloque beaucoup, et ce qui me frustre, c’est que je dis que je suis là, mais tout le monde a peur ».

35Alors même qu’elle semble faire preuve de volontarisme en s’efforçant de se montrer disponible auprès de ses collègues, qu’elle réussit à échanger avec elles et à recueillir leurs plaintes, Nicole Rouger se voit complètement « bloquée » dans son travail syndical en raison de leur crainte de voir l’encadrement exécuter ses menaces, si bien qu’elles refusent que leur déléguée intercède pour elles auprès de la direction, qu’elle « parle de leurs problèmes », ou qu’elle réclame des améliorations des conditions de travail. En plus de la pression qu’elle subit de la part de la direction, cette situation provoque un sentiment d’inutilité, qui se manifeste notamment pendant l’entretien par un manque d’assurance évident, comme si elle était un peu gênée par mes sollicitations, craignant de ne pas répondre à mes attentes. À la fin de l’échange, elle me lance ainsi :

« Ça va, je t’ai assez donné de renseignements ? Tu n’es pas trop déçu ? Parce que je ne fais pas grand-chose en tant que déléguée. Est-ce que tu comprends ma position ? ».

36À partir de cette expérience, elle en vient à penser qu’il est aujourd’hui « tabou de dire qu’on est syndiqué ». Ainsi, pour des délégué·es comme Nicole Rouger, le syndicalisme ne représente pas un support d’émancipation individuelle, et encore moins collective. Au contraire, l’engagement syndical est plutôt synonyme de stress, voire de souffrance psychologique, si bien qu’il est difficile d’entretenir un rapport heureux à l’action syndicale.

2.2. Des carrières syndicales entravées ?

37Les délégué·es que nous allons maintenant évoquer sont tout d’abord moins exposé·es à la répression anti-syndicale. Les relations sont certes tendues avec leur hiérarchie, iels ont parfois dû solliciter l’union locale pour se défendre face à des menaces de sanction disciplinaire ou des entraves au droit syndical, mais iels ne subissent pas un traitement punitif quotidien de la part de leur encadrement. De même, iels bénéficient d’un soutien plus affirmé au sein de leur collectif de travail. Le développement de la syndicalisation permis par leur activité de défense individuelle, menée conjointement avec les militant·es de l’union locale, sert en effet de support à la participation de collègues à des formes d’action collective dans l’établissement. Ces mobilisations résultent pour beaucoup d’un travail de « déjudiciarisation des plaintes » (Giraud, 2017, p. 139) initié par les militant·es de l’union locale pour lutter contre les abus de l’employeur et améliorer les conditions de travail : plutôt que d’écrire un courrier à l’employeur, solliciter l’intervention de l’inspection du travail ou recourir aux prud’hommes, iels engagent les délégué·es et leurs collègues à obtenir réparation par la mobilisation collective, en organisant par exemple une pétition, un débrayage et/ou un rassemblement de soutien en faveur d’un·e collègue victime d’une procédure abusive de licenciement. Si la conflictualité demeure relativement faible au regard de celle qu’on peut observer dans des secteurs où le syndicalisme jouit d’une assise plus solide (fonction publique, grandes entreprises du secteur industriel, etc.), elle permet tout de même d’obtenir certains acquis, avec notamment une juridicisation plus assurée des relations de travail, voire dans certains cas l’obtention d’avantages salariaux (primes, tickets restaurant, etc.).

38Les délégué·es évoluant dans ce type de configuration retirent alors de véritables rétributions symboliques de leurs fonctions, en plus des acquis obtenus grâce à leur travail syndical. Iels sont ainsi reconnu·es par leurs collègues comme des personnes « sur qui on peut compter » — en raison de l’aide qu’iels leur apportent pour se défendre —, et développent certaines compétences syndicales qui les rendent plus autonomes vis-à-vis de leur union locale. De plus, la participation à des actions collectives, même de manière exceptionnelle, constitue un élément moteur de leur socialisation militante. Enfin, iels bénéficient d’une certaine estime de la part des militant·es de l’union locale, en raison de leur engagement actif « sur le terrain » et de leur participation à des mobilisations. Iels jouissent ainsi de conditions plus favorables pour véritablement prendre goût à l’action syndicale.

39Cependant, leur militantisme se limite presque exclusivement à l’activité qu’iels mènent sur leur lieu de travail, alors que les militant·es des unions locales s’efforcent de les inviter à s’investir dans les différentes instances délibératives de leur structure (bureau, commission exécutive), afin notamment d’approfondir leur formation militante. Iels demeurent en effet distant·es de ces espaces militants dominés par des syndicalistes aguerri·es, issu·es des plus gros syndicats du territoire (Berthonneau, 2020b). D’une part, iels ne disposent que de peu d’heures de délégation, en raison de la taille réduite de leur établissement, d’où leur moins grande disponibilité par rapport aux délégué·es des plus grands établissements du privé ou de la fonction publique, qui disposent de droits syndicaux plus importants. D’autre part, ces espaces sont animés par des débats et des discussions qui concernent des enjeux proprement militants, voire politiques, et dépassent les problématiques propres à leur seul lieu de travail. L’appropriation de ces enjeux suppose donc une connaissance familière des débats internes à la CGT, ainsi qu’un certain degré de compétence politique, ce qui tend à les marginaliser. Par conséquent, leur participation dans ces espaces se cantonne le plus souvent à faire acte de présence, et iels ne nouent pas de nouvelles relations en dehors des militant·es qu’iels ont déjà l’habitude de côtoyer pour demander de l’aide.

40Ainsi, en dépit d’une socialisation militante relativement plus heureuse, la limitation de leur engagement sur le lieu de travail bride leur inscription dans la pratique syndicale, tant iels se retrouvent isolé·es au sein de leurs établissements. La participation de leurs collègues à l’action syndicale se borne en effet à ces moments exceptionnels que sont les mobilisations collectives. Le reste du temps, les délégué·es doivent assurer seul·es la prise en charge routinière de l’action syndicale, même dans les cas où l’établissement compte plus d’une dizaine de syndiqué·es. Iels ne peuvent donc pas compter sur l’existence d’un véritable collectif militant sur leur lieu travail, tel qu’on peut l’observer dans des secteurs où le syndicalisme jouit d’une assise historique et où les délégué·es sont tenu·es par des sociabilités qui se déploient à travers des réunions et des échanges informels plus fréquents (Mischi, 2013 ; Siblot, 2018 ; Alfandari, 2020). Enfin, malgré certains acquis de l’action syndicale, iels continuent d’être assigné·es à des conditions de travail dégradées, empreintes des relations tendues avec leur direction. Dans ces conditions, si leur fonction de « rempart » leur apporte des rétributions symboliques, elle peut aussi, sur un temps plus long, présenter un caractère usant et susciter le départ des délégué·es qui ont les moyens d’envisager une reconversion professionnelle.

41La trajectoire d’Amadou Traoré, ouvrier dans une usine sous-traitante de moins de cinquante salarié·es — que nous appellerons MTAP Production —, est exemplaire de la manière dont le maintien dans ces espaces précarisés provoque le désengagement de militant·es pourtant particulièrement investi·es. Amadou Traoré a en effet été de 2006 à 2012 le délégué syndical d’une des sections les plus mobilisées des unions locales que nous avons suivies. Après avoir été mandaté par l’union locale Benoît Frachon, il réussit à constituer un petit noyau de salariés syndiqués à la CGT grâce à un travail syndical de défense individuelle de ses collègues : « pour moi c’est comme un grand frère ; ils ont un souci, ils m’appellent », dit-il pour résumer son rôle de délégué auprès de ses collègues. Il est notamment venu en aide aux ouvriers intérimaires (qui sont allés jusqu’à représenter plus de la moitié des effectifs ouvriers) en initiant une grève victorieuse d’une journée en 2010 ayant permis d’obtenir l’embauche des intérimaires, une prime de treizième mois et des chèques vacances. Cette grève exceptionnelle, dans un secteur aussi précarisé, est qualifiée d’« historique » par les militant·es de l’union locale, en particulier parce qu’elle a mobilisé l’ensemble des ouvriers, y compris les intérimaires. À ce titre, Amadou Traoré est considéré comme un délégué qui « sait construire le rapport de forces ». À la suite de cette grève, l’ensemble du personnel ouvrier (une vingtaine de salariés) s’est syndiqué à la CGT, seule organisation syndicale représentée dans le premier collège, et des réunions de section sont organisées de manière relativement fréquente à l’union locale.

42Pourtant, en 2012, deux ans après la grève, Amadou Traoré a accepté de signer la rupture conventionnelle que lui proposait la direction. Pendant les huit ans où il était employé à MTAP Production, il avait déjà pris soin de passer une formation de chef d’exploitation dans le nettoyage, pour créer son entreprise dans le secteur et assurer sa reconversion professionnelle. Nous le rencontrons quelques semaines avant qu’il signe cette rupture conventionnelle ; il a alors l’occasion de nous expliquer les raisons de son départ :

« Toi, le boulot, tu t’y sens bien à MTAP Production, ou tas l’objectif de partir ?
— Je vais partir parce que… j’ai pas mal de formation quand même, j’ai réussi à obtenir mes diplômes de nettoyage à haut niveau, donc euh… c’est pas fait pour moi, ça. J’ai jamais aimé ce travail.
— Ah oui… et pourquoi ?
— 
Parce quil y a trop de pression, tu travailles avec des produits qui sont un peu dangereux quand même. La direction, elle dit quil n’y a rien de dangereux, mais moi je sais que c’est dangereux, donc… [pause] Je n’ai pas envie de finir ma vie là-dedans. C’est comme de l’esclavage, en fait. Tant qu’il n’y a pas de syndicat, c’est la merde. Et nous, le syndicat, tant qu’il n’y a pas de rapport de forces, c’est la merde. Il n’y a pas de liberté. […] J’ai jamais travaillé dans une usine, c’est la première fois et c’est sûr que c’est la dernière.
— Donc là, tu vas créer ta boîte dans le nettoyage [il acquiesce], et c’est quoi l’avantage par rapport à MTAP Production ? En quoi c’est mieux ?
— 
Il n’y pas de pression, tes libre de ce que tu fais, tu n’as pas le patron derrière le dos, tu n’as pas les actionnaires, tout ça… pour moi c’est la liberté, je me sens mieux».

43En dépit de son activité syndicale, les rapports de domination à l’usine sont toujours empreints d’autoritarisme, rendant le travail difficilement supportable. Amadou Traoré a ainsi dû se défendre à de nombreuses reprises contre des sanctions disciplinaires et des menaces de licenciement. Son départ et son souhait de devenir entrepreneur expriment clairement une volonté de quitter ces rapports sociaux violents où « il n’y a pas de liberté ». Enfin, il souligne bien que l’activité syndicale doit nécessairement reposer sur le « rapport de forces » avec la direction pour être en mesure de se faire entendre, ce qui vient redoubler le caractère exténuant du travail ouvrier.

44Ces aspirations de sortie d’une condition subalterne sont assez classiques en milieu populaire et peuvent aussi se rencontrer chez les délégué·es des secteurs où le syndicalisme dispose de moyens plus importants et d’une plus grande assise sociale. Mais ici, les délégué·es ne sont pas inscrit·es dans un collectif militant soudé dont les sociabilités viendraient compenser les mauvaises conditions de travail pour les maintenir dans leurs responsabilités. En entretien, Amadou Traoré nous explique comment le collectif ouvrier est en réalité traversé par des conflits internes, en dépit d’un taux de syndicalisation exceptionnellement élevé. Les primes de productivité allouées par équipes créent des tensions, les salariés s’accusant les uns les autres de ralentir le groupe, tandis que les rares promotions possibles provoquent des rivalités, en raison des stratégies d’alliance personnelle avec l’encadrement qu’elles impliquent. Enfin, en raison du manque de moyens institutionnels dont dispose le syndicalisme dans ces secteurs précarisés, ces stratégies de sortiedu travail ouvrier ne peuvent pas s’opérer par l’accès à un statut de permanent (Mischi, 2012), et supposent pour ces délégué·es une rupture avec l’engagement syndical. Aujourd’hui, Amadou Traoré ne fréquente plus l’union locale alors qu’il était devenu membre de sa commission exécutive quand il était délégué à MTAP Production. Il a seulement gardé des contacts avec un militant dont il a le numéro personnel, et vers qui il dirige des membres de son entourage qui ont besoin d’aide lors de conflits avec leurs employeurs. Au regard de la trajectoire d’Amadou Traoré, on saisit la difficulté de maintenir l’engagement syndical dans la durée dans ces mondes du travail précaires et hostiles à l’action syndicale.

3. Conclusion

45Si les vingt dernières années attestent bien d’un certain redéploiement syndical vers des secteurs précarisés et vierges de toute tradition militante, nos analyses portent clairement à en questionner la consistance. En effet, nous avons observé des délégué·es isolé·es qui ne s’approprient pas pleinement leur rôle militant, et pour qui le maintien dans l’engagement s’avère problématique. Les résultats de notre enquête soulignent tout d’abord « l’effet discriminant des tâches intellectuelles associées au travail militant » (Boulland, 2016, p. 221), qui a jusqu’ici surtout été mis en lumière par l’étude des organisations partisanes, tout en restant invisibilisé dans l’analyse du militantisme syndical. Or, en prêtant attention aux dimensions ordinaires de l’action syndicale dans ces secteurs précarisés, on peut constater que le manque de ressources dont pâtissent les salarié·es ne tient pas uniquement à leur absence d’expérience militante ou à l’éclatement de leur collectif de travail, comme la sociologie des mobilisations le rappelle souvent, mais aussi à la fragilité de leur capital scolaire et culturel. Nous avons pu aussi éclairer les inégalités produites par le marché du travail sous un autre angle : celles-ci ne s’expriment pas seulement en termes de conditions de travail et d’emploi, mais aussi en termes de conditions de travail syndical, marquées ici par la répression patronale et le soutien fragile des collègues. Les délégué·es ont alors moins de chances de trouver dans le syndicalisme une source d’émancipation individuelle comme c’est le cas pour les fractions stables des classes populaires. Au-delà des obstacles aux mobilisations collectives, notre travail insiste donc plutôt sur les obstacles à l’instauration d’une présence syndicale durable sur ces lieux de travail.

46Au regard de ces problématiques, on peut également questionner le rôle des structures locales des organisations syndicales, en charge d’assurer le développement de ces nouvelles bases. Comme de nombreux travaux l’ont déjà souligné (Béroud, 2013 ; Nizzoli, 2015), ces structures syndicales souffrent d’un manque cruel de moyens humains, ce qui nuit au développement de l’action syndicale dans ces contextes défavorables. Les deux unions locales de notre enquête n’échappent pas à cette règle, et les militant·es qui les animent se plaignent le plus souvent de ne pas être en mesure d’assurer pleinement la formation des délégué·es qu’iels accompagnent, parce qu’iels sont accaparé·es par la gestion des urgences auxquelles iels font face (comme par exemple assurer la défense d’un·e salarié·e contre une menace de licenciement). Dès lors, ce redéploiement vers des secteurs précarisés exprime moins un véritable renouvellement militant que la constitution d’un syndicalisme bridé, en marge des lieux historiques d’implantation syndicale que sont la fonction publique et les grandes entreprises du secteur industriel.

 

Charles Berthonneau


Bibliographie

Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition.
Les utilisateurs des institutions qui sont abonnées à un des programmes freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références bibliographiques pour lequelles Bilbo a trouvé un DOI.

Abdelnour, S., Bernard, S., 2019a, « Communauté professionnelle et destin commun. Les ressorts contrastés de la mobilisation collective des chauffeurs de VTC », Terrains et travaux, n° 34, p. 91-114.

Abdelnour S., Bernard, S., 2019b, « Devenir syndicaliste malgré soi ? La socialisation militante en tension des chauffeurs de VTC mobilisés », Politix, n° 128, p. 65-90.

Abdelnour, S., Collovald, A., Mathieu L., Péroumal, F., Perrin, E., 2009, « Précarité et luttes collectives : renouvellement, refus de la délégation ou décalages d’expériences militantes ? », Sociétés contemporaines, n° 74, p. 73-95.
DOI : 10.3917/soco.074.0073

Alfandari, F., 2020, « Le défi du renouvellement militant dans un syndicat hospitalier de la CGT. L’apprentissage du travail de représentant syndical et ses contraintes », in Gassier, Y., Giraud, B. (dir.), Le travail syndical en actes. Faire adhérer, mobiliser, représenter, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, p. 267-289.

Amossé, T., Coutrot, T., 2008, « L’évolution des modèles socio-productifs en France depuis 15 ans : le néo-taylorisme n’est pas mort », in Amossé, T., Bloch-London, C., Wolff, L. (dir.), Les relations sociales en entreprise, La Découverte, Paris.

Amossé, T., Denis, J.-M., 2016, « La discrimination syndicale : une discrimination comme les autres ? », Travail et emploi, n° 145, p. 5-30.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
DOI : 10.4000/travailemploi.6894

Artus, I., 2011, « Les salariés précaires et la codétermination en Allemagne — la représentation collective au-delà des normes », La Revue de l’Ires, n° 68, p. 109-140.
DOI : 10.3917/rdli.068.0109

Avril, C., 2009, « Une mobilisation collective dans l’aide à domicile à la lumière des pratiques et des relations de travail », Politix, n° 86, p. 97-118.
DOI : 10.3917/pox.086.0097

Benquet, M., 2010, « Les raisons de l’action collective : retour sur la mobilisation improbable des salariés d’hypermarchés », Sociologie du travail, vol. 52, n° 3, p. 305-322.
DOI : 10.4000/sdt.14165

Béroud, S., 2013, « Une campagne de syndicalisation au féminin. Une expérience militante dans le secteur de l’aide à domicile », Travail, genre et sociétés, n° 30, p. 111-128.

Béroud, S., Bouffartigue, P., 2009, Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ? La Dispute, Paris.

Berthonneau, C., 2020a, « La grande gueule et l’assistante sociale : dispositions et capital militants de déléguées syndicales en milieu populaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 235, p. 64-79.
DOI : 10.3917/arss.235.0064

Berthonneau, C., 2020b, « Promouvoir les invisibles au sein du syndicat. Les conditions de la participation aux instances délibératives d’une union locale de la CGT », in Gassier, Y., Giraud, B. (dir.), Le travail syndical en actes. Faire adhérer, mobiliser, représenter, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, p. 123-146.

Bodier, M., Vidalenc, J., Bourieau, P., 2011 « Travailler dans le commerce de détail ou l’artisanat commercial », Insee Première, n° 1358, en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/1287698/ip1358.pdf.

Boulland, P., 2016, Des vies en rouge. Militants, cadres et dirigeants du PCF, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine.

Collovald, A., Mathieu, L., 2009, « Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire syndical », Politix, n° 86, p. 119-143.
DOI : 10.3917/pox.086.0119

Croisat, M., Labbé, D., 1992, La fin des syndicats ?, L’Harmattan, Paris.

Denis, J.-M., 2007, « Les relations professionnelles dans le secteur du nettoyage. Du syndicalisme en milieu précaire », Rapport de recherche, IRES/DARES.

Gaxie, D., 1978, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Le Seuil, Paris.
DOI : 10.3917/idee.173.0058

Gaxie, D., 2005, « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Swiss Political Science Review, n° 11, p. 157-188.
DOI : 10.1002/j.1662-6370.2005.tb00051.x

Giraud, B., 2009, « Des conflits du travail à la sociologie des mobilisations : les apports d’un décloisonnement empirique et théorique », Politix, n° 86, p. 13-29.

Giraud, B., 2014, « Un apprentissage sous tension : la formation des adhérents syndicaux du commerce à l’usage de la grève en France », Critique internationale, n° 64, p. 47-62.
DOI : 10.3917/crii.064.0047

Giraud, B., 2017, « “Quand on va au juridique, c’est qu’on a déjà perdu”. Le droit comme contrainte dans les mobilisations syndicales », Politix, n° 118, p. 131-155.

Giraud, B., Signoretto, S. (dir.), 2021, « Reconfigurations des usages et des pratiques du “dialogue social” en entreprise dans un contexte de changement socio-productif et institutionnel », Dares, rapport d’études n° 12, en ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/reconfigurations-des-usages-et-des-pratiques-du-dialogue-social-en-entreprise.

Giraud, B., Yon, K., Béroud, S., 2018, Sociologie politique du syndicalisme, Armand Colin, Malakoff.
DOI : 10.3917/arco.berou.2018.01

Joignant, A., 2007, « Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique », Revue française de science politique, n° 57, vol. 6, p. 799-817.

Mathieu, L., 2007, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, n° 77, p. 131-151.
DOI : 10.3917/pox.077.0131

Mischi, J., 2012, « Gérer la distance à la “base”. Les permanents CGT d’un atelier SNCF », Sociétés contemporaines, n° 84, p. 53-77.
DOI : 10.3917/soco.084.0053

Mischi, J., 2013, « Savoirs militants et rapports aux intellectuels dans un syndicat cheminot », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 196-197, p. 132-151.
DOI : 10.3917/arss.196.0132

Muller, M., 2018, « L’Enquête EHPA 2015 », Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), Documents de travail, série Sources et méthodes, n° 67, en ligne : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-09/dt67_0.pdf.

Nizzoli, C., 2015, C’est du propre ! Syndicalisme et travailleurs du bas de l’échelle : Marseille et Bologne, Presses universitaires de France, Paris.

Pélisse, J., 2009, « Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail », Politix, n° 86, p. 73-96.

Romans, F., Rosankis, E., 2017, « Les licenciements et les ruptures conventionnelles des contrats des salariés protégés, principaux indicateurs », Dares résultats, n° 18, en ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-licenciements-et-ruptures-conventionnelles-des-contrats-des-salaries.

Siblot, Y., 2018, « Entretenir un rapport mobilisé à sa condition sociale en milieu populaire. Engagement syndical et sociabilité parmi des ouvrières de blanchisserie », Sociétés contemporaines, n° 109, p. 65-92.

Willemez, L., 2017, « Une pédagogie du droit sous contrainte. Les syndicalistes et les inspecteurs du travail dans l’activité de consultation juridique », Politix, n° 118, p. 103-130.
DOI : 10.3917/pox.118.0103

Haut de page

Notes

1 Deux tiers des employé·es du commerce sont des femmes ; ce taux avoisine les 90 % dans les EHPAD (Bodier et al., 2011 ; Muller, 2018).

2 ASH : agent de service hospitalier, personnel chargé de l’entretien des locaux dans les EHPAD.

3 Afin de préserver l’anonymat des enquêté·es, tous les noms propres utilisés dans cet article pour désigner des personnes, des entreprises et les unions locales sont fictifs.

4 La protection légale contre le licenciement conférée au mandat de délégué·e est à ce titre décisive pour les encourager à franchir le pas de l’engagement syndical. C’est une des premières choses rappelées par les militant·es de l’union locale pour les mettre en confiance et mettre à distance leurs craintes de subir les représailles de leurs employeurs.

5 Les données de l’enquête REPONSE menée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montrent en effet que c’est dans les établissements où les IRP sont absentes que les employeurs tendent le plus à entretenir une image négative du syndicalisme, ce qui se traduit ici par des pratiques de répression anti-syndicale (Amossé et Denis, 2016). De même, c’est dans les plus petits établissements, tout particulièrement dans les secteurs du commerce et des services, que les salarié·es protégé·es font le plus l’objet de demandes de rupture de contrat adressées par les employeurs à l’inspection du travail (Romans et Rosankis, 2017).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Charles Berthonneau« Un syndicalisme bridé. Expériences ordinaires de délégué·es dans des mondes du travail précaires »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 64 – n° 4 | Octobre-Décembre 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 06 octobre 2024URL : http://journals.openedition.org/sdt/42422 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.42422

Haut de page

Auteur

Charles Berthonneau

Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST)
UMR 7317 CNRS et Aix-Marseille Université
35, avenue Jules Ferry,13626 Aix en Provence Cedex 01, France
charles.berthonneau[at]wanadoo.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Licence Creative Commons.
A LIRE sur le sujet.
●”Nicolas Roux. La précarité durable, vivre en emploi discontinu”, Nouvelle Revue du Travail, 24-2024, Maryse Bresson, en accès libre.
●”La précarité, une norme imposée aux jeunes femmes des classes populaires rurales”, Perrine Agnoux,  Nouvelle Revue du Travail, 23-2024, en accès libre.
A LIRE sur POUR les trois premiers épisodes de la série “Enquêtes ouvrières en Europe”.
Vous retrouvez les articles en mettant les mots “Enquêtes ouvrières en Europe – Episode”, avec ou sans le chiffre de l’épisode, dans l’onglet de recherche en haut à droite.