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La croissance démographique de Bruxelles est finie.
“La croissance annuelle moyenne est de 100 habitants par an sur la période 2022-2070, contre 9.000 habitants par an sur la période 1992-2021”. Bruxelles perd des habitants au profit des régions flamande et wallonne (
23.854 arrivées pour 44.905 départs). Elle ne compense les migrations internes que grâce à la migration internationale. Sur les dernières années, l’enseignement maternel francophone et néerlandophone a dû fermer une centaine de classes sur Bruxelles,
y compris dans des écoles proches de la friche.
Le contexte a changé
Depuis l’élaboration du PAD (Plan d’Aménagement Directeur) Josaphat, les crises climatique, sanitaire et de biodiversité ont fait irruption avec force dans le débat public.
Les signaux d’alerte sur la perte de biodiversité se multiplient
La crise climatique se regardait à la télévision ou sur les écrans, en Amazonie, au Bangladesh, en Australie. Puis, les inondations ont fait 40 morts en Belgique et les épisodes de canicule se sont multipliés chaque été, avec une pénibilité accrue en ville. La crise sanitaire a montré que les citadins sans jardin se ruaient sur les zones vertes disponibles. Les signaux d’alerte sur la perte de biodiversité se multiplient et l’espèce humaine se rend compte qu’elle n’est pas isolée du reste du vivant, dont les ressources lui sont vitales, même pour manger.
Le PAD Josaphat avait de réelles vertus lors de son élaboration, mais le contexte a changé.
Les abeilles sauvages en ville, pourquoi c’est important ?
La biodiversité nous nourrit, nous soigne, nous détend et nous entoure. Les insectes en sont la “couche de base”, qui nourrit le reste de la pyramide alimentaire, dont nous-mêmes, en pollinisant nos fruits et légumes. Or, la quantité globale d’insectes plonge.
Une “prairie sauvage” de 14 hectares, d’un seul tenant
En ville, la biodiversité échappe à certaines problématiques qui la minent à la campagne : pesticides et biocides, disparition des haies et bocages du paysage agricole, urbanisation,
dérives de la chasse (nourrissages abusifs et lâchers intempestifs). Par contre, elle demande que l’urbanisation ne prenne pas toute la place. Un réseau écologique coupé en petits morceaux perd toute valeur. Ce qui fait l’intérêt de la friche Josaphat, c’est qu’elle constitue une “prairie sauvage” de 14 hectares, d’un seul tenant, d’une relative tranquillité. C’est une zone de
très haute valeur biologique. Elle n’a pas d’équivalent en ville, surtout si près du centre-ville. L’éradiquer serait faire disparaître la très riche biodiversité qui s’y est développée. Pas transférer, mais bien faire disparaître.
Les sols perméables absorbent le surplus de précipitations qui, sinon, vont dans nos caves, nos rues et nos égouts
Au-delà de la biodiversité, la nature en ville nous rend gratuitement des services écosystémiques : la végétation capte du CO
2, les sols perméables absorbent le surplus de précipitations qui, sinon, vont dans nos caves, nos rues et nos égouts, au lieu d’être stockées dans le sol, les zones vertes atténuent les îlots de chaleur, permettent la détente des citoyens dépourvus de jardins et nous reconnectent à la nature sans devoir quitter la ville. Soutenir que les constructions, même “verdies” à coups de slogans, favorisent la biodiversité et luttent contre les canicules est un déni de réalité.
Enfin, si Bruxelles veut lutter contre l’étalement urbain, elle peut commencer à le faire chez elle, en évitant de bétonner ses propres espaces verts, sauf à vouloir absolument pousser ses propres citoyens (et ses recettes fiscales) vers les autres régions.
Il faut loger les mal-logés
50.000 ménages sont demandeurs d’un logement social, dans une ville qui en construit une centaine par an (mais qui en rénove davantage). Le projet actuellement en discussion prévoit la construction de 509 logements, dont 158 logements sociaux. On est loin du compte.
Bâtir dans les espaces verts de Bruxelles ne va pas résoudre un problème de justice sociale. Au contraire, il en aggrave un. Nature et logement ne sont pas opposés. Il faut promouvoir le logement abordable et, en même temps, permettre à chacun d’avoir accès à un espace vert de qualité à une distance raisonnable de son domicile, notamment dans les communes de la première couronne (friche Josaphat à Schaerbeek, marais Wiels à Forest…).
Rappelons que Schaerbeek a une densité de population de plus du double de la moyenne régionale, avec le seul parc Josaphat comme espace vert significatif, créé il y a plus de 100 ans, lorsque Schaerbeek était loin de compter ses 130.000 habitants actuels et que les notions de crise climatique et de chute de la biodiversité étaient totalement inexistantes.
Favoriser le logement abordable
Nul ne prétend que la problématique est facile, mais des solutions existent, à l’échelle régionale, sur le périmètre du PAD ou dans ses environs immédiats. Elles ont été mises en avant. Peut-être peuvent-elles servir maintenant ?
Des milliers de logements sociaux sont vides
La secrétaire d’État au logement estime que la probabilité d’inoccupation touche près de 10.000 bâtiments, soit entre
17.000 et 26.400 logements. En outre, des milliers de logements sociaux sont vides,
en attente de rénovation. Une accélération significative est nécessaire. Dans les deux cas, il s’agit de logements qui existent, non à construire, et qu’il faut rendre à leur usage.
Une sérieuse piste de solution
Il y a un million de m
2 de bureaux vides à Bruxelles et la tendance s’accentue. L’organisme public régional Perspective a réalisé une étude selon laquelle seuls
20% seraient convertibles en logements, étude opportunément relayée par la presse d’affaires. D’abord, 200.000 m
2 permettent déjà de loger pas mal de monde. Ensuite, Perspective annonce
un taux de conversion réel et actuel de 56%. Il s’agit donc bien d’une sérieuse piste de solution.
Un compromis est possible
Une zone à sauvegarder, pas à bétonner
Les associations ont mené aussi loin que possible, notamment par des architectes qui y ont consacré un certain temps, l’étude des possibilités de construction de logements sur le périmètre du PAD Josaphat et
dans ses environs immédiats, notamment sur la partie est de la friche et le long du boulevard Léopold III. Le périmètre du PAD Josaphat
fait presque 34 hectares, la partie intéressante à préserver n’en fait que 14, qualifiés de zone de
très haute valeur biologique par Bruxelles Environnement (1). C’est donc une zone à sauvegarder, pas à bétonner.
L’alternative est à portée de main. Outre les développements possibles le long du boulevard Léopold III, la partie Est de la friche, déjà imperméabilisée, mais loin d’être optimisée, présente de réelles perspectives. Les voiries existent déjà, et le dénivelé important par rapport au boulevard Léopold III permet de construire en hauteur sans dénaturer le quartier.
Le compromis que les associations appellent de leurs vœux permet de concilier nature et logement. D’un côté, la zone de 14 hectares doit être préservée – avec un équilibre raisonnable à trouver entre accès public et préservation de la biodiversité –, de l’autre, on peut identifier, à relativement bref délai, l’espace pour construire au moins 509 logements (l’enjeu de la tension actuelle) sur le périmètre du PAD, dont un pourcentage de logements sociaux à déterminer par le pouvoir politique.
Remplacer le “dialogue compétitif” par un vrai dialogue pour concilier nature et logement
Ainsi, on lègue à la ville un poumon vert dont elle bénéficiera longtemps, et on construit du logement dans un relatif consensus, donc plus rapidement et plus sûrement que le fameux “
dialogue compétitif” qui cristallise toutes les tensions. Nous sommes tous animés par le désir de rendre la ville résiliente et accueillante pour tous. Il est temps de remplacer le “
dialogue compétitif” par un vrai dialogue pour concilier nature et logement.
- La SAU, bras armé de la région pour “développer” le site, est propriétaire depuis 2006 de 24,6 hectares de la friche. Pourquoi passer maintenant de toute urgence un marché public, sans même approuver le PAD, pour bétonner la partie de la friche la plus riche en biodiversité.
Carte blanche de Ruth-Marie Henckes, pour Greenpeace ; Pierre Ryckmans, pour le Collectif Sauvons la friche Josaphat ; Éric De Plaen, pour Natagora.