Ce 26 novembre a été le point culminant d’une grève de trois jours en Belgique contre le gouvernement Arizona, mené par une droite dure. L’occasion de faire le bilan des acquis d’un mouvement social qui dure depuis environ 10 mois.
« Depuis 10 mois, c’est une mobilisation qui va crescendo », résume Orville Pletschette, syndicaliste à la FGTB. Du 24 au 26 novembre 2025, l’intersyndicale belge (CSC démocrates chrétiens, FGTB socialistes et CGSLB libéraux) a organisé trois jours de grève contre le plan d’austérité mis en œuvre par le « gouvernement Arizona* », composé d’une coalition de partis allant du centre gauche – dont le Parti socialiste flamand – à la droite dure.
« La stratégie, c’était de mettre en place des grèves tournantes : lundi les transports, mardi la fonction publique et mercredi on ajoute le secteur privé. C’est un plan qui fait partie des plus ambitieux parmi ceux que l’intersyndicale peut proposer. Cela montre une volonté de hausser encore le ton contre le gouvernement », poursuit le syndicaliste. Après une manifestation particulièrement réussie au mois d’octobre – 140 000 manifestants à Bruxelles -, le mouvement social belge souhaite infliger un camouflet à son premier ministre Bart de Wever.
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Trois jours de grèves tournantes
Ainsi, la journée du 26 novembre a été le point culminant de la mobilisation. Dans la matinée, des piquets, parfois filtrants, ont été tenus devant plusieurs entreprises du port de Gand. Le syndicat « rouge », FGTB, en dénombre par ailleurs une quarantaine en Flandres orientales, indique la RTBF.
Des centres de grande distribution, des routes ou encore des centres de gestion des déchets font l’objet de blocages. A Enghien, les enseignants et leurs élèves ont réalisé une chaîne humaine de plus de 2000 personnes. Les services postaux annoncent quatre facteurs en grève sur dix, les vols dans les aéroports sont majoritairement à l’arrêt, ou fortement perturbés et les transports en commun, qui arrivent au bout de leur grève de trois jours, sont toujours désorganisés. « A l’Université Libre de Bruxelles, on a eu 3 jours de blocage en continu », souligne Orville Pletschette, par ailleurs ancien syndicaliste étudiant chez les jeunes FGTB.
Les deux journées précédentes ont également été marquées par des grèves. Le 25 novembre une forte mobilisation a eu lieu dans les administrations des communes, dans les hôpitaux ou encore les crèches. Le 24 novembre, la grève des chemins de fer et des transports en commun a empêché la circulation d’environ un train sur deux sur les grandes lignes, moins encore en heure de pointe. En Belgique, une loi sur le service minimum empêche la mise à l’arrêt totale de la circulation mais ces importantes conséquences sur le trafic indiquent que le mouvement a été suivi.
Dix mois de mobilisation
Le mouvement social belge n’en est pas arrivé à un tel degré de conflictualité en quelques semaines. La mobilisation a commencé il y a plus de 10 mois. Elle répond à l’accord de gouvernement passé entre les membres de l’Arizona qui cumule une réforme des retraites moins avantageuse socialement, une attaque contre les allocations chômage et l’allocation d’insertion. L’accord s’en prend également au statut des cheminots ou des intermittents.
Les syndicats ont rapidement réagi. En février 2025, 100 000 manifestants se sont rassemblés pour une grande manifestation à Bruxelles. En mars suivant, une grève interprofessionnelle est ensuite organisée puis de nombreuses actions régionales et sectorielles se sont tenues jusqu’à l’été.
La mobilisation a repris de plus belle à la rentrée. Le 14 octobre, une manifestation a battu le record du mois de février en rassemblant 140 000 personnes dans les rues de Bruxelles, selon le décompte syndical. La police belge confirme cette hausse puisqu’elle annonce alors 80 000 manifestants contre 60 000 en février.
Pression sur la coalition gouvernementale
Depuis le début de la bataille contre l’Arizona, une des stratégies du mouvement social consiste à mettre la pression sur le parti socialiste Flamand, Vooruit, membre de la coalition gouvernementale. Le 23 novembre, celle-ci a d’ailleurs failli tomber et, après des discussions compliquées entre les cinq partis membres, un accord indiquant des économies de 9,2 milliards d’euros d’ici 2029 a été trouvé de justesse.
Alors que la droite belge souhaitait remettre en cause l’indexation automatique des salaires sur l’inflation (en France on parle d’échelle mobile des salaires), mesure au cœur de la politique sociale belge et acquis majeur du mouvement syndical, celle-ci ne s’appliquera finalement qu’aux salaires supérieurs à 4 000 euros brut mensuels. « La mobilisation a réussi à démontrer qu’il n’y avait pas de majorité politique dans le pays pour faire passer ces réformes », poursuit Orville Pletschette.
De même, si la coalition Arizona n’a pas renoncé à ses réformes, elle en a différé certaines. Ainsi, le gouvernement n’a pas réussi à faire le moindre progrès concernant sa réforme des retraites. « Ceci s’explique notamment par le fait que, contrairement à la question de l’assurance-chômage, les travailleurs, toutes catégories professionnelles, régionales et politiques confondues, rejettent unanimement sa proposition de relever l’âge de la retraite de soixante-cinq à soixante-sept ans », explique le syndicaliste Daniel Kopp au magazine Jacobin. Malgré tout, certaines réformes sont passées, comme la limitation de la durée des droits au chômage à deux ans.
Pour mettre un point d’arrêt à la politique de l’Arizona, certains syndicalistes, comme Mathieu Verhaegen de la FGTB, militaient en interne pour des grèves plus longues.
Avec 1,5 millions d’adhérents à la FGTB, autant à la CSC, et environ 300 000 pour les libéraux de la CGSLB, la Belgique affiche un taux de syndicalisation de près de 50%. Mais si ce taux est cinq fois supérieur au taux français – dont le modèle est différent -, les grèves de plusieurs jours restent difficiles à construire. C’est désormais chose faite. Reste à voir quelles en seront les conséquences sur le gouvernement de Bart de Wever.
Guillaume Bernard
*Ce nom a été choisi car les couleurs des partis qui constituent la coalition (orange, bleu, rouge et jaune) rappellent le drapeau de l’État de l’ouest américain.
A LIRE et A VOIR, en accès libre, une sélection documentaire.
■ Sur les trois jours de grèves nationales des 24, 25 et 26 novembre 2025.
●” Trois jours de grève nationale. Les syndicats pleinement satisfaits de la mobilisation”, Communiqué de presse commun des 3 organisations syndicales FGTB, CSC et CGSLB, sur Bx1, et sur les sites de chaque fédération syndicale, 26 novembre 2025.
●”Début des grèves contre l’Arizona”, avec vidéos, Bruxelles Dévie, 24 novembre 2025.
●”Grèves contre l’Arizona : trois jours de blocage à l’ULB”, avec vidéo, balai en lutte, les travailleurset travailleuses du nettoyage rejoignent la grève de 3 jours contre l’Arizona, Bruxelles Dévie, 24 novembre 2025.
●”Grève contre l’Arizona : les commerces de la porte de Namur bloqués par les manifestant-es”, Bruxelles Dévie, 27 novembre 2025.
●”Grève nationale contre les mesures d’austérité du gouvernement de l’Arizona”, Limbourg, 26 novembre 2025, photos d’Ali Selvi pour Krasnyi Collective.
●”La tournée des piquets” par le Bloc Culture, Bruxelles, 26 novembre 2025, photos de Dominique Botte pour Krasnyi Collective.
●”L’accord surprise sur le budget fédéral ne fait que renforcer la détermination syndicale : on a encore le temps de mobiliser”, La Libre Belgique, 26 novembre 2025.
■Sur la manifestation nationale du 14 octobre 2025 à Bruxelles.
●”Le pays se lève contre l’Arizona”, photos d’Ali Selvi, 16 octobre 2025, Jérôme Peraya et Dominique Botte pour Krasnyi Collective.
■A LIRE et A ECOUTER sur le site de la RTBF, le philosophe Simon Brunfaut sur les 3 jours de grève nationale.
“Le sens de ces 3 jours de grève ? Nous renvoyer à notre humanité, à notre pouvoir d’agir et d’imaginer, à ce moment fragile où quelqu’un dit non pour que le monde puisse redevenir un grand oui.”, 30 novembre 2025.