Eddy Caekelberghs a été suspendu d’antenne par l’Administrateur-Général de la RTBF pour avoir envoyé des mails « militants » à partir de son adresse professionnelle. Ces mails visaient à diffuser une interview de Louis Michel, du temps où il était ministre des Affaires étrangères, dans laquelle celui-ci se déclarait pour la mobilité des humains et la migration. En tant qu’organe de presse, POUR se déclare solidaire d’Eddy Caekelberghs et s’insurge contre cette décision de la RTBF qui porte atteinte à sa liberté d’expression.
Nous vous invitons à signer une pétition de soutien à Eddy Caekelberghs à l’adresse http://chn.ge/2BCo5nw, et à prendre connaissance ci-dessous de la Lettre ouverte adressée par Michel Gevers à Jean-Paul Philippot, Administrateur-Général de la RTBF.
Monsieur l’Administrateur-Général,
Je voudrais vous faire part de mon indignation par rapport à la sanction que vous avez prise vis-à-vis d’Eddy Caekelberghs, un des journalistes qui contribue le plus à la réputation de la maison RTBF. Avant de parler du journaliste Caekelberghs, je veux vous dire combien la procédure que vous avez suivie est choquante et combien elle met en péril votre institution.
Tout d’abord, quant au principe. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu en septembre 2017 un arrêt très important qui dit que les communications d’un employé sur son lieu de travail sont couvertes par le droit à la vie privée. Elle a condamné la Roumanie, dont les tribunaux ne s’étaient pas opposés au fait qu’un travailleur ait été licencié pour avoir utilisé son mail professionnel à des fins privées. Cet arrêt de la Grande Chambre de la CEDH fait désormais jurisprudence dans les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, et donc aussi en Belgique.
Mais dans mon esprit, il y a plus grave que la violation de cet arrêt de la CEDH dans votre décision de suspendre Eddy Caekelberghs. Si ce que la presse raconte est vrai, vous auriez cédé à une injonction d’un président de parti, en l’occurrence Olivier Chastel. En tant que citoyen, auditeur de la RTBF, qui la soutient par ses impôts, je suis tout à fait choqué que cette radio publique, qu’on nous présente comme indépendante des partis politiques, puisse se soumettre à une injonction d’un président de parti. Quelle crédibilité puis-je encore accorder à la RTBF si je sais que son patron est aux ordres du parti qui se partage le pouvoir au fédéral avec la N-VA?
J’en viens à un aspect plus politique de la question. Vous n’êtes pas sans ignorer (étant au coeur des media) que nous assistons ces dernières années à une mise à mal systématique des règles de fonctionnement démocratique. Les droits humains, les droit sociaux, le droit à la justice, sont systématiquement remis en question. Les pauvres, les chômeurs, les victimes de maladies professionnelles, les migrants sont criminalisés, comme l’étaient naguère les Juifs. Les discours de rejet et de haine se propagent dans toute l’Europe à une vitesse très inquiétante, et alimentent de ce fait la montée en puissance des partis d’extrême droite.
En Belgique, les discours populistes de notre gouvernement fédéral contribuent grandement à cette stigmatisation de classes entières de notre société, et le caractère clivant de ces discours ne fait que s’accélérer. Le fossé entre le discours du gouvernement Michel au moment de la déclaration gouvernementale de 2014 et celui que nous entendons aujourd’hui est vertigineux. On a l’impression que, depuis l’élection de Trump, il n’y a plus aucun frein à l’agressivité des discours issus de nos gouvernants, en Belgique comme dans un certain nombre d’autres pays européens. Il n’est tout simplement plus de bon ton de faire référence aux droits humains, ou de manière plus générale aux valeurs d’humanisme que l’on croyait être à la base du projet européen.
Dans ces conditions, il est capital que des citoyens comme moi, mais plus encore des personnes dotées d’un pouvoir médiatique comme vous et Eddy Caekelberghs, entrent en résistance par rapport à ce discours de haine qui se répand, et qu’ils rappellent sans relâche aux citoyens que l’Europe, et aussi la Belgique, ont été créées sur des valeurs d’humanisme. C’est un devoir humanitaire et moral. Dans cet esprit, il est important, comme l’a fait Eddy Caekelberghs, de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps nous avions encore des leaders politiques dans ce pays qui développaient un discours inclusif et humaniste, plutôt que le discours de rejet dont on nous abreuve aujourd’hui. Que vous condamniez votre journaliste pour avoir rappelé qu’un ancien ministre mettait en avant des valeurs d’humanisme me parait ahurissant. Au vu des menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre démocratie, restreindre la liberté de parole d’un journaliste qui prend ses responsabilités est pour moi une faute grave.
Je termine en parlant du journaliste Caekelberghs. Cela fait très longtemps que je l’écoutais, en particulier dans Face à l’info, et que j’étais impressionné par son immense culture, sa connaissance des dossiers dans les domaines les plus variés, et son art de mener des interviews réellement informatives. Me doutant qu’il ne pouvait plus être tout jeune, je me suis souvent demandé: « mais que va faire la RTBF quand il sera à la retraite? » Il me parait en effet irremplaçable. S’il y a donc une personne que vous devez encourager à poursuivre sa brillante carrière à la RTBF, c’est bien Eddy Caekelberghs.
J’ajoute, pour que ce soit clair, que ce n’est pas parce qu’Eddy Caekelberghs fait un travail exceptionnel dans votre maison que je suis indigné qu’on le suspende; c’est pour les raisons de principe que j’ai citées plus haut.
J’ose espérer que vous reviendrez vite sur cette erreur, et qu’en rendant la parole à Eddy Caekelberghs vous démontrerez que la RTBF reste une radio indépendante du pouvoir politique, et respectueuse du droit à la vie privée de ses journalistes, tels que réaffirmé par la CEDH.
Cordialement,
Michel Gevers, pour la rédaction de POUR.