Les trois SOS, acronymes de Save Our Souls[1], repris dans le titre ci-dessus, figuraient sur un panneau bordant le parcours de Hunger Race, ce trail[2] organisé par SOS Faim autour de Bouillon ce 29 juin 2019. Une bien belle organisation qui concilie sport, solidarité nord/sud et convivialité.
« Qu’est-ce qu’il faut chaud… », « Mais qu’est-ce qu’il fait beau… » : ce sont les deux phrases que l’on a très souvent entendues tout au long de la journée du Hunger Race de 2019. Il faut dire que se lancer dans une épreuve physique plutôt exigeante quand on n’est que de vaillants amateurs, et ce par la journée sans doute la plus chaude de l’année, c’est vraiment très courageux.
Des objectifs variés
Hunger Race, qui en est à sa 4ème édition, a trois objectifs :
– collecter de l’argent pour les projets que SOS Faim soutient de par le monde ;
– faire connaître en Belgique les difficultés des agriculteurs du sud confrontés à des règles du commerce international qui ne les favorisent vraiment pas.
– permettre à des sportifs amateurs de tester leur résistance et leur esprit de groupe dans une journée festive et conviviale.
Le premier objectif est rencontré par le fait que chacune des équipes participantes, composée de personnes, doit apporter un minimum de 1.400€ réunis grâce à des dons sollicités par les participants auprès de leurs amis et connaissances. Lors de cette édition 2019, le pari fut réussi puisque les 80 équipes engagées, soit 320 personnes, ont réuni 118.542€, un peu plus (6.500€) que ce qui était demandé. Il faut dire que les organisateurs conseillent habilement les participants à atteindre cet objectif en leur proposant de « bons plans » pour récolter la somme demandée.
Pour ce qui est de la sensibilisation, le parcours est truffé de panneaux didactiques expliquant quelles sont les actions développées par SOS Faim. Bien plus, juste avant l’arrivée, les participants doivent passer quelques « épreuves » où on leur pose des questions sur ce qu’ils auraient pu apprendre s’ils avaient bien lu les infos semées à leur intention. Une de mes tâches de bénévole était de questionner et vérifier les connaissances des « concurrents ». J’imaginais qu’après 20 ou 40 km de course et 7 km de kayak sous la canicule, ils allaient me traiter de sadique les empêchant de passer la ligne d’arrivée et d’enfin se rafraîchir et de profiter d’un repos bien mérité… Mais non, ils se sont prêtés au jeu de bonne grâce et ont prouvé que s’ils avaient des jambes de champions, ils avaient aussi la tête de militants bien informés.
Une organisation autogérée
Pour ce qui est de l’aspect sportif, là aussi SOS Faim a démontré sa capacité à organiser efficacement un trail aussi complexe qu’Hunger Race. Deux parcours pédestres de 20 et 35km, 7km de kayak sur la Semois, une tyrolienne (death ride disent les amateurs d’anglicismes) qui lance les participants depuis le donjon du château de Bouillon jusqu’aux bords de la Semois, quelques dizaines de mètres plus bas, cela demande une solide préparation. Restaure, abreuver, loger, contrôler, chouchouter plusieurs centaines de participants…, cela se prépare avec soin et nécessite un grand nombre de personnes. Hunger Race est une épreuve sportive et pas une compétition : à l’arrivée, les derniers sont d’ailleurs plus applaudis que les premiers… Mais une petite vidéo valant mieux qu’un long discours, jetez un coup d’œil sur un résumé filmé de l’édition 2018. Et comme il est dit en fin de la vidéo : « Are you ready for 2020 ? ».
Une spécificité de Hunger Race est de mobiliser, au-delà des permanents de SOS Faim, des bénévoles qui consacrent deux jours à cet événement. Votre serviteur fut du nombre de ces bénévoles et peut certifier que c’est une expérience enthousiasmante et enrichissante.
Ce qui le plus enrichissant, ce sont les rencontres, les échanges que l’on a tout en agissant ensemble. Ainsi, un exemple entre dix. Le soir de la veille du trail, SOS Faim avait obtenu une faveur de la ville de Bouillon et de son syndicat d’initiative : une visite nocturne du château de Bouillon. Les plus courageux des participants se sont donc offert une mise en jambe de 3 ou 4 km à travers la ville et le fort qui la surplombe. Pour les guider, quelques bénévoles étaient placés aux carrefours stratégiques, armés de flambeaux (du plus bel effet sous le voûtes du château, la nuit). C’est ainsi qu’en attendant les joggeurs sur le pont de France, j’ai devisé avec Hassan, un collaborateur sénégalais de SOS Faim venu en Belgique pour la coordination annuelle de l’asbl. Nous avons donc échangé sur les conséquences du dérèglement climatique dans nos régions respectives. J’ai appris que dans sa région, à Thiès, au nord du Sénégal, la saison des pluies était de plus en plus tardive et que pour pouvoir cultiver le riz, base de l’alimentation locale, il fallait prélever de l’eau du fleuve Sénégal. Hassan m’a expliqué comment il travaillait avec 7 coopératives locales qui, grâce au soutien de SOS Faim, résistent tant bien que mal au changement climatique qui, là-bas, peut causer des problèmes de famine, bien plus graves que les canicules que nous subissons en Europe. En quelque minutes, j’en ai appris beaucoup sur une réalité lointaine et ce dans le décor surréaliste de deux complices aux visages éclairés par la flamme vacillante de flambeaux médiévaux, accoudés au muret du bord de la Semois. Une image, un souvenir qui resteront longtemps gravés dans ma mémoire…
Un fond très politique
SOS Faim est une organisation qui fait partie des 90 qui, en Belgique, œuvrent à ce que l’on appelle « la coopération au développement » et qui font partie de la coordination CNCD-11.11.11. SOS Faim est active dans 9 pays d’Afrique et d’Amérique du Sud et sa spécificité est d’y soutenir des projets qui se situent en général dans une optique d’agriculture familiale. L’asbl considère en effet que le modèle dominant de l’agro-industrie détruit les structures paysannes traditionnelles et est néfaste pour les populations du sud. La logique du libre-échange, voulue notamment par les institutions européennes, à des conséquences négatives tant au sud qu’au nord. SOS Faim organise ainsi, avec le soutien d’organisations actives dans le soutien de la paysannerie en Belgique, le Festival de films Alimenterre qui connaîtra en octobre 2019 sa 10ème édition.
Le thème que SOS Faim privilégiait cette année était celui des déséquilibres dans le secteur du lait. Au nord, avec la suppression des quotas, voulue par la logique néolibérale, des surplus de lait sont apparus. Le prix du lait s’est donc effondré et les éleveurs perdent de l’argent et font parfois faillite. L’Europe gère une partie de ces surplus, en extrait les matières grasses pour en faire du beurre, y introduit de l’huile de palme et envoie au sud cet ersatz médiocre qui a, malgré le transport, un prix inférieur à celui que peuvent proposer les éleveurs en Afrique de l’ouest, notamment. Là aussi, faillite inévitable. On a là l’exemple même de la folie du libre-échange qui détruit les communautés paysannes au nord et au sud mais enrichit des multinationales et des intermédiaires peu scrupuleux.
Où l’on réalise que le néolibéralisme, comme le signale le slogan de SOS Faim repris ici comme titre, détruit le climat, pousse dans la misère les paysans traditionnels et provoque la faim dans le monde…
Alain Adriaens
[1] C’est en 1906 qu’une convention internationale décida que le signal morse · · · — — — · · ·, soit les lettres S O S, très audible, signifierait demande d’assistance immédiate. Ce n’est que par la suite (rétroacronymie) qu’on lui trouva les significations Save Our Souls (« sauvez nos âmes »), Save Our Ship (« sauvez notre navire ») ou encore Send out Succour (« envoyez des secours »).
[2] Trail est un mot anglais signifiant « sentier » et est une course au milieu de la nature, majoritairement sur des sentiers de randonnée ou des chemins de terre. Trail est l’abréviation francophone de l’anglais trail running.