C’est sans doute Maxime Rodinson (voir encadré) qui avait lancé le débat en 1967 avec son étude Israël, fait colonial ?, parue au lendemain de la guerre de juin 1967 dans le célèbre numéro des Temps modernes[1] consacré au conflit du Proche-Orient. Un débat qui pose la question : le sionisme, le mouvement politique qui a mené à la création de l’État d’Israël, était-il – est-il ? – colonialiste ? Certes, il n’est pas question de réduire tout mouvement politique, quel qu’il soit, à une seule dimension, à la façon, par exemple, dont de nos jours les mouvements communistes se voient résumés par les médias à ses seuls aspects de manques de libertés et de répression. Passage en revue des principaux arguments que l’on retrouve dans ce « débat ».
Un « colonialisme » sans métropole ?
À cette accusation de colonialisme, Israéliens et juifs sionistes rétorquent que des juifs venus du monde entier ont été rassemblés dans le nouvel État. Et qu’il n’y avait donc pas pour eux de « métropole coloniale » comme, par exemple, la Belgique pour le Congo ou le Portugal pour le Mozambique… Plus, ils rappellent que, dès la fin de la 2de Guerre mondiale, les sionistes ont combattu par les armes les forces britanniques présentes en Palestine, alors Mandat du Royaume-Uni et donc indubitablement puissance coloniale.
Il n’y a pas de colonialisme et d’impérialisme en soi. Il y a une série de phénomènes sociaux montrant entre eux de multiples analogies, mais aussi d’infinies nuances
Citons Maxime Rodinson. Dans l’étude mentionnée ci-dessus, celui-ci écrivait que le colonialisme n’est, en fait pas « une entité immédiatement reconnaissable,identifiable, susceptible d’une définition sans équivoque ». En effet, poursuivait-il, « il n’y a pas de colonialisme et d’impérialisme en soi. Il y a une série de phénomènes sociaux montrant entre eux de multiples analogies, mais aussi d’infinies nuances ». Et, parmi « toute une série d’arguments visant à montrer combien l’exemple du Yishouv[2] et d’Israël s’éloigne des situations coloniales conçues comme typiques », il y a notamment celui de « l’absence de métropole »…
Maxime Rodinson, historien, sociologue et linguiste, Maxime Rodinson (1915-2004) était un spécialiste du Proche-Orient, de l’Islam et de l’Ethiopie et enseignait à l’Ecole pratique de Hautes Etudes de Paris. D’origine juive russo-polonaise, il avait perdu ses parents à Auschwitz et fut membre du PCF de 1937 à 1958, date à laquelle il en fut exclu. M. Rodinson s’est e.a. fait connaître par ses critiques du sionisme et de la politique israélienne.
[1] N° 283 bis, 22e année, 1967, pp. 17-88. L’étude a été reprise dans Peuple juif ou problème juif?, Maspéro, 1981, réédité en 1997 à La Découverte/Poche.
[2] Le terme hébraïque yishouv désigne la communauté des juifs dans la Palestine mandataire.
[3] Possession coloniale britannique, mais mise en exploitation par des colons venus d’Inde.
[4] La lettre du 2 novembre 1917 du ministre des Affaires étrangères britannique, Lord Arthur Balfour, qui déclarait appuyer le projet sioniste de créer un « Foyer national juif » en Palestine.
[5] Voir mon article, « Le centenaire de la Déclaration Balfour » (La Lettre d’Orient XXI, 13-20 octobre), repris dans le bulletin de l’UJFP (17 octobre) et, en partie, dans le n°68 (hors-série) de Politis/Orient XXI, octobre-novembre 2018.
[6] Pierre Vidal-Naquet, Les Juifs, la mémoire et le présent, Maspéro, 1981, pp. 161-162.
[7] Cf. Libération, 24 septembre 2003 – Enseignante à l’Université hébraïque de Jérusalem, Idith Zertal est l’auteure de Des rescapés pour un État. La politique sioniste d’immigration clandestine en Palestine.1945-1948 (Calmann-Lévy, 2000) et de La Nation et la Mort.La Shoah dans la vie politique israélienne, La Découverte, 2004.
[9] Dans son pamphlet Lettre d’un ami israélien à l’ami palestinien, Flammarion, 1988, p.28.
[10] Michel Warshawski, Israël-Palestine, le défi binational, Textuel, 2001, p.51.
[11] « Car il s’agit de tout autre chose. En hébreu, “peuple” ressemble au mot “avec”; il s’agirait d’une manière d’être avec nous, avec les autres, avec ce qui nous dépasse nous et les autres » (Bernard Cohen, in Juifs et Juifs, 1985, pp. 90-91).
[13] In Peuple juif ou problème juif, Maspéro, 1981, pp. 49 et 68.
[14]Aux origines d’Israël. Entre nationalisme et socialisme (Fayard, 1996). Lire aussi Mitchell Cohen, Du rêve sioniste à la réalité israélienne, La Découverte, 1980.
[15] Rappelons la Jewish Colonization Association (JCA) du baron Maurice de Hirsch.
By Paul Delmotte
Professeur de Politique internationale, d'Histoire contemporaine et titulaire d'un cours sur le Monde arabe à l'IHECS, animé un séminaire sur le conflit israélo-palestinien à l'ULB. Retraité en 2014.
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