Retour sur la conférence “Changer l’Europe” avec Philippe Lamberts (1)

Le 31 mai dernier, à Namur, le député européen Philippe Lamberts, co-président du groupe «Les Verts-Alliance Libre Européenne», donnait une conférence-débat qui rassembla quelque 80 participant(e)s à l’initiative du Collectif Roosevelt-Namur et de POUR.press, et avec le soutien de nombreuses associations progressistes namuroises.

Ce fut une belle soirée, voyez aussi le billet d’humeur de Godelieve Ugeux sous la rubrique «Allons-y».

Nous donnons ici la synthèse de l’exposé. Dans quelques jours, nous livrerons l’essentiel des échanges du débat fécond qui a suivi.

 

CHANGER L’EUROPE – 1. L’exposé

Philippe Lamberts conçoit et vit son engagement sur deux plans qui s’épaulent:
• son travail de parlementaire, dans les institutions, en l’occurrence le Parlement européen;
• ses rapports directs avec ses mandataires, ses concitoyens avec lesquels il entre le plus souvent, possible en contact, comme ce soir. C’est l’occasion d’expliquer son travail et d’écouter les aspirations de la population.

Le projet européen historique

«Mes parents, qui étaient gamins durant la Seconde Guerre mondiale, ne parlent pas de l’Europe comme d’un rêve. Ils ont vécu cette guerre dans leur chair, la première racontée par leurs parents. Pour eux, le début de la construction européenne a engendré une longue période de paix sur notre continent.»

La Belgique a toujours, et dans l’ensemble de ses partis, soutenu le projet européen. Mais aujourd’hui ce projet bat de l’aile. Nous connaissons une Europe qui abandonne son projet. La construction de la paix devait être la résultante de deux forces concourantes:

  • l’extension de la démocratie et des droits de l’homme tels que définis dans la déclaration universelle de 1948, réalisée notamment par le développement du suffrage universel incluant les femmes, des droits de sécurité sociale, et le renversement de plusieurs dictatures en Europe, d’une part;
  • la reconstruction d’une prospérité partagée entre propriétaires et travailleurs producteurs, dans la ligne du « contrat social » conclu, par exemple, en France (Conseil national de la Résistance) et en Belgique (« pacte social » de 1944), cogestion en Allemagne et dans les pays nordiques.

La gestion des conflits passe par le dialogue, la communication; tant que l’Europe délivre ce genre de résultat, elle reste populaire et attractive tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Le projet européen se disloque

Mais dans le même temps, on a observé un basculement idéologique au niveau des institutions européennes et des Etats membres, anciens et nouveaux entrés. Le néo-libéralisme et sa pensée unique ont partout triomphé, dans le sillage de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, dès les années 80. Les familles politiques traditionnelles ont toutes payé leur obole à l’urne de cette pensée unique.

Ainsi l’Europe a reculé sur ses deux raisons d’être: le progrès démocratique et la prospérité partagée. La démocratie a reculé au sein même de l’UE, et la machine à produire de l’égalité s’est mise à produire l’inverse.

Ce continent, même s’il ne le croit plus, n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui, mais on y retrouve un partage des richesses aussi inégal qu’avant la 1ère guerre mondiale. Et l’on y constate aussi un recul des droits humains, par grignotage dans nos pays avancés, par reculs brutaux dans d’autres pays membres de l’UE.

Et qu’on ne nous dise pas que ces évolutions sont des phénomènes naturels inévitables. Les courbes de Piketty (analyse de l’évolution du partage des richesses patrimoniales) sont bien le résultat de choix politiques.

Ces choix ont été opérés en Europe par les Chrétiens-démocrates et les Sociaux-démocrates unis dans l’adoption des politiques néo-libérales. Ils ont réalisé l’hégémonie politique sur cette idéologie; ils se sont calés sur l’agenda néo-libéral!

On est très loin du projet d’origine de la prospérité partagée…

D’autre part, je n’aime pas ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne. Mais ce qui m’inquiète le plus ce sont les reculs réalisés dans la «patrie de la Déclaration des droits de l’homme» avec l’état d’urgence permanent, les mesures exceptionnelles banalisées, les violations quotidiennes des libertés fondamentales… Et avons-nous entendu les institutions européennes s’en inquiéter?

On crée ainsi une situation dans laquelle la dictature peut s’installer en quelques heures.

L’Europe fait aussi marche arrière sur la voie de la démocratie et des droits de l’homme dans la crise des réfugiés, signifiant clairement: «Pas de ça chez nous» et concluant un «deal» avec un dictateur turc qui met sa justice au pas, poursuit les journalistes et relance la guerre civile pour gagner les élections. Après ce deal que je dénonçais avec force au Parlement européen, «je me fais harponner par une collègue française: ce n’est pas la faute du Président…». Mais dans le «Royaume républicain» français, c’est pourtant le monarque qui gouverne et ce deal a bien été approuvé par lui. Il s’agit donc bien d’une capitulation devant l’extrême-droite!

On est très loin du projet d’origine de l’extension de la démocratie en Europe…
On a donc renoncé sur les deux plans: économique et politique.

Reconstruire le projet européen

Pouvons-nous faire grandir une autre perspective? Celle qui serait à la fois plus juste, plus durable et plus démocratique? 

L’objectif étant le développement d’une économie qui fasse droit à la justice sociale ET qui prenne en compte la justice sociale transgénérationelle — donc la durabilité de cette économie — et qui fasse également droit à l’humanité: accueil des autres et restauration de la démocratie.

Il faut d’abord reconnaître que le clivage «ouverture/fermeture», la tentation du repli,  passe aussi au sein même de la gauche. «On est Européen, mais pour sauver l’Europe, il faut sortir de l’Europe et de l’euro.» Ce qui voudrait dire: sans les institutions européennes, les forces du bien seraient majoritaires? Ce camp du repli pourrait-il se transformer en camp de l’ouverture? Avec quelle coalition de forces? Regardons lucidement les forces politiques présentes au sein de chacun de nos pays. Les partisans de ce repli national ne rêvent-ils pas?

Pouvons-nous, à l’opposé de cette démarche, réunir tous ceux qui portent un projet d’une Europe socialement juste, durable (justice sociale transgénérationelle) et démocratique?

Serons-nous capables, ENSEMBLE, d’inverser la vapeur?

Reconnaissons qu’il y a beaucoup de signes décourageants. «Si je laisse la raison, fondée sur des faits, guider ma réponse, c’est mal barré».

Le climat, c’est déjà trop tard? Aucun modèle scientifique ne permet de l’affirmer. Par contre, si on décide que c’est trop tard et qu’on baisse les bras, on est sûr alors que c’est foutu… La seule façon d’être digne est de se lever et d’y aller!

Pour éviter l’effondrement et la barbarie, il faut nous y mettre. Sur 3 plans:

  • Reconnaître le réel, qui n’est pas beau à voir, mais il faut mesurer la gravité de la situation et pour cela, identifier ceux qui profitent du système: les rentiers du système capitaliste néo-libéral. Rentiers car, contrairement à la pensée dominante, ces «1%» ne sont pas «plus méritants» que les autres 99%! Ils ne sont pas des investisseurs méritants au service de projets constructifs; ils organisent les marchés financiers producteurs de rentes financières et désorganisent à leur profit les marchés du travail.
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  • Dessiner et incarner une alternative:
    • Crédible et désirable: pensons au film DEMAIN qui pose le problème et les constats en 5 minutes, et développe en 1h30 une série d’alternatives, certaines locales et à la portée directe des citoyens, d’autres qui requièrent l’intervention de pouvoirs publics et prennent une dimension systémique;
    • Radicale et réaliste: qui implique de profonds changements et en fin de compte un changement de système.
      Mais personnellement je rejette également le «tout au marché» ET le «tout à l’Etat». Car je n’oublie pas que les lendemains de «grands soirs» se sont toujours révélés soit rouge sang, soit brun profond…
  • Rassembler et articuler:
    • Le travail bottom-up: acteurs de changement dans le quotidien, maintenant;
    • Le travail dans le système et les institutions pour un changement systémique. Indispensable lui aussi car c’est à ce niveau que l’on peut traiter les problèmes de fiscalité, de commerce international.

La stratégie préconisée est celle de la tenaille qui, grâce à son effet de levier (qui peut casser des noix très résistantes), peut articuler le travail sur le terrain ET le travail dans les institutions, pour retrouver la voie démocratique et sociale, dans la convergence des luttes.


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