« Coronavirus : Comment le confinement accroît la charge mentale des femmes »1, « Confinement : “la violence contre les femmes va augmenter et s’intensifier” »2, « Le rôle des femmes n’est pas de rester belles durant le confinement »3, « Les femmes en première ligne face au coronavirus »4…
Depuis le début de la pandémie, la situation des femmes fait l’objet d’une véritable obsession médiatique et on voit fleurir nombre d’articles dénonçant les inégalités de genre à travers le prisme du confinement qui agirait comme un « miroir grossissant ». À première vue, le confinement semble donc plutôt être un moment de déconfinement des mentalités et la promesse d’une évolution de la perception du rôle de la femme dans notre société. Le « sacrifice » des soignantes et des caissières de supermarché a largement sensibilisé l’opinion publique à l’importance de ces professions essentielles, majoritairement exercées par des femmes et sous-estimées jusqu’alors. Dans le même registre, l’attention médiatique apportée à l’augmentation du nombre de féminicides et de violences conjugales depuis le début du confinement semble aller dans le sens d’une prise de conscience collective de ce qu’être une femme implique de vulnérabilité. Quant aux mères de famille confinées avec des enfants à charge, elles prennent la parole pour dénoncer le quadruplement de la charge mentale entre le télétravail, les tâches ménagères, les devoirs des enfants et la charge émotionnelle. Tous ces discours féministes contribuent donc à rendre enfin visibles et irréfutables les inégalités de genre encore largement minimisées en temps normal. Autrement dit, en dévoilant les ficelles inégalitaires de notre système capitaliste-patriarcal, le confinement pourrait bien constituer un tournant pour la Révolution Féministe en la rendant plus nécessaire que jamais.
Cependant, si le confinement met en lumière les inégalités de genre, c’est parfois au détriment d’autres inégalités pourtant indissociables des premières. En effet, ce ne sont pas n’importe quelles femmes qui continuent à travailler aux caisses des supermarchés ou dans les hôpitaux, ce ne sont pas n’importe quelles femmes qui souffrent le plus de l’augmentation de la charge domestique, ce ne sont pas n’importe quelles femmes qui doivent faire face à la précarité… Ce ne sont pas n’importe quelles femmes qui meurent de la maladie, faute de soin et de protection adéquate. Si le confinement semble être l’occasion d’un éveil des consciences, la saturation médiatique par un discours féministe blanc, privilégié et occidentalo-centré comporte le risque de n’avoir aucune conséquence tangible pour l’Après. Si les féministes ne s’emparent pas de cette vision systémique des inégalités et de l’oppression capitaliste, alors cette éclosion printanière de discours et de rhétoriques féministes sera au mieux un simple coup dans l’eau, au pire un prétexte médiatique pour éclipser l’incompétence des politiciens à gérer cette crise. Cet article vise donc à interroger la lutte féministe au temps du confinement en soulignant les avancées et les opportunités que constitue la crise actuelle pour le combat féministe ; mais aussi et surtout en questionnant l’orientation de ce combat, en avertissant des dangers d’une instrumentalisation médiatique et en rappelant la nécessité de mener une révolution systémique.
Se réconcilier avec son corps
« T’as vu jm’épile plus, jme maquille plus, jm’en fous, jsuis en train de devenir féministe ! » Ces mots sortant de la bouche d’une petite sœur ont eu sur moi l’effet d’un électrochoc, faisant surgir cette question douloureuse : qu’est-ce qui, avant le confinement, empêchait ma petite sœur de s’afficher comme féministe ? La réponse est pourtant simple. Le regard des autres. En les subtilisant aux regards des autres, le confinement semble permettre aux femmes d’établir un rapport plus apaisé avec leur corps en échappant aux diktats des apparences qui nourrissent habituellement l’industrie de la mode et de la beauté. Dans un tel contexte, les injonctions culpabilisantes qui nous incitent à faire du sport, à ne pas se laisser aller, à continuer de se maquiller pour se sentir bien dans sa peau, pourraient bien ressembler au chant du cygne d’une industrie en péril, inquiète de la désertion des magasins de cosmétiques et de boutiques de prêt-à-porter dont les femmes sont les premières consommatrices (et les principales victimes)5. Malgré toutes ces injonctions à rester belle, sous-entendu à continuer de consommer, le confinement permet de prendre du recul et d’expérimenter une nouvelle relation plus unifiée avec le corps féminin. Comme il est beau , ce corps de femme laissé en jachère, un champ de blé sans pesticide, dans lequel on voit poindre des bleuets et des coquelicots par-ci, par-là, comme autant « d’imperfections » sublimes et essentielles. Permis par le confinement, le désintérêt pour le joug des apparences au profit d’une nouvelle harmonie avec son corps peut constituer (comme dans le cas de ma petite sœur) une source de conscientisation féministe qui s’explique par le bénéfice en termes de bien-être et de confiance en soi occasionné par ce déplacement du regard.
Munitionnettes modernes
Le renouvellement du regard sur le corps des femmes peut aussi être élargi à la place des femmes dans la société (c’est d’ailleurs tout l’intérêt de la lutte féministe qui permet de dresser un parallèle entre rapport au corps et rapport à la société et d’opérer un glissement entre les deux).