Le fonctionnement à huis clos de l’Eurogroupe entraîne des décisions prises non démocratiquement, ce que d’aucuns regrettent. L’Europe avancera pour peu qu’elle se dote d’un nouveau pacte social et de mécanismes de contrôle démocratique qui lui rendront l’intérêt et l’estime des citoyens. Des chercheurs apportent leurs réflexions et propositions.
Si l’on veut endiguer la vague des populismes de tous poils déferlant sur nos contrées, et éviter l’éclatement de l’Union européenne, il faut en finir avec cette Europe des marchands sans vergogne et des fossoyeurs des États par l’évasion fiscale notamment.
C’est dans cet esprit que le célèbre économiste Thomas Piketty a concocté, avec trois collègues – la juriste Stéphanie Hennette, le politiste Guillaume Sacriste et le sociologue Antoine Vauchez – un projet de traité « de démocratisation de la zone euro », surnommé « T-Dem ».
Supprimer l’angle mort
Pour les auteurs, le gouvernement de la zone euro s’est développé à l’abri des contrôles démocratiques, « dans une sorte de trou noir démocratique ». Rappelons que l’Eurogroupe est un organe informel de l’UE. Qu’il est constitué des ministres des Finances des 19 pays partageant la monnaie unique. Qu’il se réunit à huis clos et que ses réunions ne font l’objet d’aucun compte-rendu officiel. Qu’il ne rend compte officiellement ni au Conseil européen (des chefs d’États et de gouvernements), ni au Parlement européen. Qu’il décide seul des « plans de sauvetage » des pays « bénéficiant » des « aides » du « Mécanisme européen de stabilité », renforcé de représentants de la Troïka (Commission européenne + Banque centrale européenne + Fonds monétaire international). Que cet organe informel technocratique impose aussi aux pays « bénéficiaires » des réformes pouvant toucher, comme en Grèce, aux salaires, pensions de retraite, vente d’entreprises et de biens publics, etc.
Les auteurs rappellent sur ce plan le jugement sévère du philosophe allemand Jürgen Habermas qui a qualifié ce gouvernement de la zone euro d’ « autocratie postdémocratique ».
Démocratiser l’Eurozone
« Il s’agit désormais de coordonner les politiques économiques, d’harmoniser les fiscalités et de faire converger les politiques budgétaires des États, bref d’entrer au cœur des pactes sociaux des États membres ».
Ces objectifs ne peuvent être atteints qu’en instaurant la démocratie au sein des organes capables de gérer ces politiques. Il faut pour cela instaurer des mécanismes de contrôle démocratique en y associant le Parlement européen et les parlements nationaux.
D’où la proposition d’un traité nouveau qui créerait une « Assemblée parlementaire de la zone euro » chargée d’une fonction législative et de fonctions de contrôle politique. Elle serait constituée de 400 membres au plus, dont les 4/5 seraient issus des parlements nationaux des 19 pays de l’Eurozone, proportionnellement à leurs poids démographiques et au poids politiques des partis représentés au sein de ces parlements. Le 1/5 restant serait issu du Parlement européen, proportionnellement aux groupes politiques qui le composent.
L’Eurogroupe serait transformé en « Conseil des ministres de la zone euro » chargé de la coordination et de la convergence des politiques économique et fiscale des pays de la zone. Ce Conseil des ministres ne serait pas exclusivement composé des ministres de finances, mais, selon l’ordre du jour à traiter, il pourrait être composé des ministres de l’Emploi et des Affaires sociales, ou encore des ministres en charge d’autres domaines concernés.
Ces dispositions ramèneraient la gestion de l’Eurozone dans les clous normaux d’une conduite démocratique des affaires publiques.
Des propositions réalistes ?
On s’interroge beaucoup sur la possibilité, dans le contexte actuel des forces politiques en présence au sein de l’UE, de conclure un nouveau traité européen.
Thomas Piketty et ses collègues ne visent pas à une modification des traités qui régissent l’Union : le TUE (traité sur l’Union européenne) et le TFUE (traité sur le fonctionnement de l’UE). Mais ils rappellent que des traités intergouvernementaux ont été signé par des groupes d’États de l’UE : le célèbre TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, plus connu comme « Pacte budgétaire » ou « traité d’austérité) conclu entre 25 états de l’UE, ou encore le « Traité instaurant le MES » (Mécanisme européen de stabilité) conclu entre les 19 états de l’Eurozone.
Et les auteurs s’appuient précisément sur un arrêt de la Cour de justice de l’UE de 2012 (Arrêt Pringle) établissant que le traité MES n’altérait pas la compétence exclusive de l’UE en matière de politique monétaire. Elle validait au contraire le principe de la mise en place, par le traité, d’un « mécanisme européen de stabilité » qui ne portait pas atteinte à la compétence de coordination de l’Union en matière économique. Dès lors, disent les auteurs, « les États peuvent (aussi) choisir de conclure, par voie de traité international, des mécanismes de stabilité gouvernant la zone euro sans porter atteinte aux compétences de l’UE ».
Un petit ouvrage de vulgarisation
Les propositions esquissées ci-dessus font l’objet d’une petite publication aux éditions du Seuil : « Pour une démocratisation de l’Europe », mars 2017, 95 pages, 7,5 €. Disponible dans toutes les bonnes librairies.
Ajoutons deux éléments d’information :
- La proposition du « T-Dem » a été reprise, dans la campagne présidentielle française, par le candidat Benoît Hamon
- La cuisine interne de l’Eurogroupe, plus spécialement autour de la crise grecque de 2015, est dévoilée dans un ouvrage récent de Yanis Varoufakis, ministre grec des Finances à l’époque : « Conversations entre adultes », aux éditions « Les liens qui libèrent », octobre 2017, 528 pages, 26 €.