L’affaire Dutroux a traumatisé la Belgique et, au-delà, le monde entier. L’horreur absolue s’est abattue sur des enfants et des jeunes filles, d’abord dans une sorte d’indifférence médiatique consternante et une apathie judiciaire effarante. Et puis, un jour, après des mois d’errements incompréhensibles (et sans doute dirigés) de plusieurs corps de police, un juge d’instruction (Jean-Marc Connerotte) et un procureur du Roi (Michel Bourlet) firent arrêter Marc Dutroux et plusieurs complices. La libération de Sabine et Lætitia et la découverte des corps martyrisés de Julie, Mélissa, Ann et Eefje, donna le macabre coup d’envoi à ce qui allait devenir « l’affaire Dutroux ».
Comme l’ensemble de la population, je fus dévasté par l’horreur révélée. Puis complètement révolté, lorsque je réalisai comment les enquêtes avaient été bâclées et manipulées, comment la police et la gendarmerie s’étaient mutuellement mis des bâtons dans les roues, comment certains enquêteurs entretenaient des relations complices avec le milieu, comment des membres les plus éminents du système judiciaire avaient menti sous serment devant la commission d’enquête parlementaire, comment le juge qui avait fait arrêter les coupables avait été dessaisi du dossier, comment la Justice n’avait cessé de malmener les parents et comment une grande partie de la presse les avait bafoués, préférant accréditer la thèse officielle de l’État plutôt que d’accomplir sa mission : recouper l’information, enquêter, organiser le débat public. Lorsque je me rendis compte du nombre invraisemblable de manipulations, je me passionnai pour cette affaire. Je n’ai pas hésité à proclamer publiquement mon soutien indéfectible aux parents et aux victimes, aux magistrats irréprochables, aux journalistes intègres et aux enquêteurs scrupuleux.
C’est ainsi que j’ai découvert le travail des gendarmes Bille et De Baets. Ces deux-là avaient déjà prouvé leurs immenses qualités professionnelles dans de nombreux autres dossiers. Leur rôle dans l’affaire Dutroux fut tout aussi remarquable. Leurs missions étaient menées avec rigueur, éthique et professionnalisme. Ce qu’ils découvrirent émut considérablement ceux qui, comme moi, soupçonnaient que l’affaire Dutroux ne se limitait pas à l’histoire d’un sale type qui enlevait des gamines juste pour assouvir ses fantasmes personnels.
En réalité Bille et De Baets ont mis au jour des faits inédits et recueilli des témoignages qui allaient bouleverser l’enquête. Eh bien, ils en ont été empêchés par leur hiérarchie ! Pire, on les a accusés d’avoir manipulé les dossiers ! Pire encore, on a sali publiquement leur réputation. Mais heureusement, une contre-enquête approfondie les a entièrement blanchis (ce que le public ignore). Ils avaient remarquablement travaillé et s’ils n’avaient pas été malhonnêtement écartés, sans doute en saurions-nous beaucoup plus sur « l’affaire Dutroux et consorts ».
De nombreuses années se sont écoulées depuis, l’indignation reste totale et la Belgique n’a pas encore réussi à honorer la mémoire des petites victimes qu’elle a laissé violenter et assassiner à cause des aberrations de son système judiciaire. C’est d’abord pour elles et leurs familles qu’Aimé Bille a écrit ce livre. Son témoignage bouleversant rétablit l’honneur de deux gendarmes passionnés et pourrait même relancer une enquête bien nécessaire sur les liens entre le monde du crime et celui du pouvoir.
Source : https://investigaction.net/philippe-geluck-sans-lecartement-de-ces-gendarmes-nous-en-saurions-plus-sur-dutroux-et-ses-reseaux/
Avec l’aimable autorisation de Philippe Geluck
Illustration : Markus Schweizer, Philippe Geluck installe un vingtaine de sculptures monumentales en bronze du Chat à Montreux en Suisse, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license