Paul Watson a été arrêté à Nuuk, la capitale de Kalaallit Nunaat. Militant écologiste et antispéciste, il représente aussi pour les kalaallit, les habitant·es du territoire inuit, un “environnementaliste”, comprendre un écologiste colonial. En tant qu’antispéciste et chercheur au Kalaallit Nunaat, j’observe cette arrestation à la fois comme un symbole d’un activisme souvent aveugle à la domination coloniale, mais aussi comme celui de la criminalisation des actions environnementales.
Une campagne contre le bateau-usine japonais
Paul Watson, cofondateur de Greenpeace en 1971 et fondateur de l’ONG Sea Shepherd en 1977, a été arrêté par une douzaine de policiers et de membres des forces spéciales danoises, dimanche 21 juillet au matin. Paul Watson a été interpellé lors d’une escale à Nuuk (Kalaallit Nunaat) alors qu’il faisait route avec son équipage vers le passage du Nord-Ouest afin d’« intercepter » le Kangei Maru, le nouveau navire tueur de baleines du Japon. Ce bateau-usine est capable de conditionner et stocker la viande de baleine à bord, son objectif : abattre 200 mammifères marins d’ici 2024. Si la chasse à la baleine est narrée comme une activité traditionnelle japonaise remontant au moins au XIIe siècle, la chasse en bateau-usine ne peut avoir aucun lien avec cette tradition, d’autant qu’elle ne répond pas à une économie de subsistance et que la majorité des japonais·es s’en détournent.
La chasse aux baleines à des fins commerciales est pourtant bannie depuis 1986 en vertu d’un moratoire international. Exploitant une clause d’exception du moratoire autorisant des missions à des fins scientifiques, le Japon est l’un des trois derniers pays à chasser la baleine à des fins commerciales, avec la Norvège et l’Islande. En 2019, le Japon a finalement décidé de quitter la Commission baleinière internationale (CBI) pour s’affranchir du moratoire et explicitement poursuivre des fins commerciales en chassant les baleines dans son propre espace maritime.
Une arrestation sur un territoire autochtone : le retour de harpon d’une écologie coloniale
Si l’arrestation de Paul Watson suscite une indignation large parmi les militant·es écologistes, il y a fort à parier que cette indignation ne soit pas aussi partagée par les kalaallit, les habitant·es du Kalaallit Nunaat. Vu de ce territoire autochtone, autonome du Danemark depuis 2009 mais toujours partie du Royaume du Danemark, Paul Watson représente un environnementalisme occidental, souvent regroupé sous le nom de Greenpeace ou de Brigitte Bardot, qui s’en sont pris avec violence aux modes de vie inuk (singulier d’inuit). Cela fait directement écho à la controverse sur les phoques, en 1983, lorsque les peaux et les produits dérivés ont été interdits à l’importation au sein de la Communauté européenne. Pour Wenzel (2000), « le conflit entre les Inuit et le mouvement de défense des droits des animaux reflète l’antipathie du mouvement pour les explications données par les Inuit sur l’importance de l’exploitation des espèces sauvages. Les Inuits affirment avec force que la chasse est leur moyen de subsistance, leur histoire, leur culture. En réponse, les opposants affirment que les revendications des Inuits sur les phoques pour leur subsistance cachent une économie commerciale basée sur le profit ».
La remise en cause de la chasse de subsistance au Kalaallit Nunaat continue pourtant sans prendre sérieusement en compte les dynamiques coloniales (voir par exemple ici). C’est ce que Malcolm Ferdinand nomme la « double fracture environnementale et coloniale », la tendance selon laquelle la protection de l’environnement, la conservation de la nature ont été pensées en excluant voire à l’encontre des populations autochtones, invisibilisant ainsi les dominations sociales, politiques ou coloniales. En 2017, Paul Watson a initié une campagne médiatique violente contre Chris Apassingok, un Inuit de 16 ans résidant sur l’île Saint-Laurent, entre l’Alaska et la Russie. Chris Apassingok avait fait les gros titres des médias locaux après avoir harponné une baleine boréale de 17 mètres de long, âgée de 200 ans.
Une arrestation scandaleuse
A ce titre, il est particulièrement ironique que l’arrestation de Paul Watson ait été effectué sur le sol d’une ancienne colonie, par la police et les forces spéciales danoises. Son arrestation a été actée sur la base d’une notice rouge d’Interpol, pour d’anciennes actions dans l’Antarctique. Ceci dit, l’arrestation n’en demeure pas moins scandaleuse en ce qu’elle s’inscrit dans la recrudescence de criminalisation des actions environnementales. Paul Watson incarne une vie de combat antispéciste qu’on ne peut renier et qui appelle même l’admiration. Et l’admiration de certain·es inuit si son action était enfin attentive aux rapports de domination humains ?
Vers un antispécisme décolonial
En 2014, Greenpeace Canada s’est excusée pour les répercussions négatives sur l’image des Inuit résultant de sa campagne virulente contre la chasse aux phoques, menée depuis une quarantaine d’années. Comme le souligne Chang (2020), la préservation des espèces ne peut être poursuivie justement que si elle ne contribue pas à reproduire des processus coloniaux et de domination. Cette simple évidence se rappelle, aujourd’hui, à Paul Watson.
Doctorant en sciences sociales, CEARC, UVSQ.
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur
Source : https://blogs.mediapart.fr/tanguy-sandre/blog/230724/paul-watson-figure-de-lantispecisme-et-d-une-ecologie-coloniale-arrete-nuuk
https://reporterre.net/Sauver-les-baleines-ou-les-pecheurs-de-homards-le-dilemme-du-Canada
• Sea Shepherd pirate flag, de John Englart, CC BY-NC-SA 2.0
• Portrait of Paul Watson, Captain of Sea Shepherd ship “Steve Irwin”, giving a press conference upon arriving in Hobart, Tasmania for supplies during the 2009 whaling season. de Witty lama, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license