Manifester, faire grève et éduquer ?

Les mobilisations des jeunes pour le climat ont suscité énormément d’enthousiasme dans le milieu de l’éducation relative à l’environnement mais elles ont aussi généré des questionnements et certaines tensions. S’appuyant sur un ensemble de témoignages, cette analyse invite à réfléchir notre rapport aux mobilisations climatiques quand notre métier vise à construire une société plus écologique.

Réactions associatives aux mobilisations des jeunes pour le climat

En août 2018, la jeune Greta Thunberg entame une « grève de l’école pour le climat » : chaque jour jusqu’aux élections, elle manque l’école et va s’asseoir devant le parlement pour enjoindre les politicien·ne∙s à agir en réponse à l’urgence climatique. Des écoli∙er·ère∙s et étudiant·e∙s vont reproduire son action à travers le monde. En Belgique, notamment, va s’instaurer la grève des jeudis, jours où de nombreux jeunes vont délaisser les bancs de l’école pour se rassembler et revendiquer des actions de la part des gouvernements pour répondre à la crise environnementale. Cette mobilisation sans précédent[2], inespérée et providentielle pour le secteur environnemental, n’a pas conduit à une position homogène des éducateur·rice∙s à l’environnement. La réaction majoritaire est enthousiaste, c’est un soulagement que la jeunesse reprenne un peu ce flambeau si lourd à porter au quotidien.

« J’en avais vraiment trop marre que ça ne bouge pas et du coup j’ai été très très content que quelqu’un allume le pétard et qu’on puisse aller aider. » (Gauthier[3])

Des questionnements émergent cependant rapidement : « Comment soutenir ce mouvement ? Comment participer, comment s’allier à ce mouvement ? Comment accompagner les jeunes dans les défis qui les attendent, que ce soit leur confrontation avec le monde politique ou des attaques sur leur manque d’expérience et leur naïveté ? » Lors de la grève générale du 15 mars 2019, les jeunes font appel et demande aux adultes de les soutenir. À cette occasion, la question de la place à occuper en tant qu’éducat∙eur·rice est sur toutes les lèvres dans le secteur. De quelle façon accompagner la mobilisation des jeunes ? Faut-il être de toutes les manifestations ? Ou devons-nous d’autant plus exercer nos fonctions éducatives ? Cette période intense pour la sphère environnementale engagée a suscité nombreux questionnements, bousculé certaines habitudes. Si pour certain·e∙s, il n’y a pas lieu d’avoir une réponse coordonnée pour le secteur, pour d’autres, la réponse associative n’a pas été à la hauteur de l’ébullition des jeunes et des opportunités du moment.

« Je m’étonne qu’une partie du secteur ne se sente pas concernée. » (Soreïa)

« Nous on a des témoignages de jeunes engagés qui se sentent abandonnés par le secteur associatif et par “les adultes”. » (Chloé)

L’équipe de l’Institut d’Eco-Pédagogie est partie à la rencontre d’éducat∙eur·rice∙s à l’environnement pour comprendre la manière dont ils·elles ont vécu cette période et le choix qu’ils·elles ont réalisé. Nous vous proposons donc d’explorer certaines des interrogations générées par l’appel des jeunes à soutenir leurs mobilisations à partir de témoignages disséminés tout le long de l’article. L’article décrypte deux tensions[4] qui, selon notre lecture, sont trop souvent restées implicites et ont dès lors rendu compliqué une prise de décision assumée, alignée ou argumentée. Dans un premier temps, nous explorons les désaccords qui existent autour de ce que demande l’urgence climatique : « Faut-il éduquer ou manifester ? Et dans un deuxième temps, nous nous intéressons à la perplexité qu’a suscité chez certains le fait de proposer manifestation et grève conjointement : faut-il manifester ET faire grève ? »

Faut-il manifester ou éduquer ?[5]

« Notre job est précisément de faire de l’éducation relative à l’environnement, du coup il y a   une tension entre le fait de faire grève et le fait de maintenir nos activités. » (Meredith)

« Éduquer à la transition de notre société est un engagement pour le climat ! » (Aurélien)

Pour un grand nombre de personnes qui ont témoigné, le nœud du problème s’est situé dans ce qu’ils percevaient comme une injonction à choisir, dans un court terme, entre deux types d’action ou d’engagement visant un même objectif. D’où les réactions régulières :

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Emeline De Bouver


[1]   TITRE :  Manifester, faire grève et éduquer ?[1]Cet article a été rédigé dans le cadre du projet d’éducation permanente de l’Institut d’Eco-pédagogie.
[2]    Autour des mobilisations des jeunes pour le climat, voir les analyses de l’IEP de mars 2019 : Gil Lenders« La jeunesse se bouge les fesses et remet du débat dans la cité ! »  et Kim Tondeur : « Les jeunes pour le climat. Vers un renouveau politique ? ». Voir également le numéro de Symbiose d’octobre 2019 : « Manifs climat, et après ? ».
[3]    Les prénoms utilisés sont des pseudonymes. Chacun des extraits provient des réponses d’un·e éducat∙eur·ice à l’environnement au questionnaire de l’IEP.
[4]    Nous sommes bien conscients qu’il y en a d’autres. Nous tenterons de nous y atteler dans de futurs textes et notamment la question de la place des éducat∙eur·rice∙s dans des initiatives lancées par des jeunes. Faut-il soutenir, embrayer, laisser la place aux jeunes ? Peur de récupérer une action fraîche et dynamique, peur de ne pas être à sa place dans ces assemblées de têtes blondes, questionnement sur le rôle des éducat∙eur·rice∙s à l’environnement face à une jeunesse informée et critique, craintes de ne pas être armé.es pour répondre aux jeunes…
[5]    Nous ne traitons pas ici de la question de la posture de l’éducateur·rice qui fera l’objet d’une autre analyse : l’éducat∙eur·rice peut/doit-il·elle être militant·e ou ces deux composantes sont-elles incompatibles ? Qu’est-ce qu’une éducation engagée ? Manifester est-ce éduquer ?
[6]    Sur ce sujet, voir le travail de Charlotte Luyckx, Racines et enjeux philosophiques de la crise écologique. Vers une écologie intégrale (à paraître) ou Introduction au Groupe de Recherche Interdisciplinaire sur la Crise Écologique (2016).
[7]    En gardant en tête également que nos sensibilités/compétences, parcours, ne nous permettent pas tou·te∙s de participer aux mêmes types d’actions : « Aller faire une manif c’est trop difficile pour moi. Je ne pourrais pas y aller. Il y a trop de monde, c’est trop fort ! Rien que d’en parler ça me donne envie de pleurer. » (Fabienne).
[8]    C’est également problématique quand il s’agit de renvoyer aux choix individuels des décisions qui devraient être soutenues par des collectifs ou des structures. Nous traiterons de cette question prochainement dans une autre analyse.
[9]    Voir notamment « être engagé pour une cause, être engagé par une entreprise sociale » étude de saw-b, 2015.
[10]  Nous traiterons dans un autre article de la difficulté de s’organiser collectivement dans un mode libéral où la liberté de choix met la personne dans une logique de décision qui est peu propice à l’action collective.
[11]  . L’enjeu est-il l’arrêt collectif du travail, la disponibilité à la manifestation, la déclaration de la grève ? La volonté est-elle de mettre l’accent sur l’aspect formel de la grève (pour permettre une comptabilisation, etc.) où plutôt sur ses dimensions symboliques comme le serait une grève de la faim où une grève de l’impôt ?