L’utilisation de l’antisémitisme contre Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise

Le mot « antisémitisme » est si librement lancé pour dénoncer la dissidence que l’on doit y regarder de plus près
Cela a commencé bien avant, mais les élections législatives de 2024 déclenchées par le président Emmanuel Macron ont donné de l’ampleur à une accusation d’antisémitisme visant indirectement le Nouveau Front populaire et directement La France insoumise, et en particulier Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier est-il antisémite? Ce chef d’accusation est proféré autant à partir de l’extrême droite que par Emmanuel Macron, la droite républicaine et plusieurs journalistes et chroniqueurs de salon. Peuvent-ils appuyer une accusation aussi grave?

Le mot « antisémitisme » est si librement lancé pour dénoncer la dissidence que l’on doit y regarder de plus près. S’agit-il d’un grief vérifiable ou d’une exploitation d’un terme infamant à des fins partisanes ? S’agit-il de description ou de calomnie ? On sait que des organisations sionistes demandent l’interdiction de toute critique d’Israël au motif qu’elle serait par sa nature même antisémite. On sait aussi que le qualificatif sert de levier de mise au pas et d’arme d’intimidation faisant planer des menaces de représailles personnelles ou professionnelles, comme l’étaient les mots « communiste » ou « un-American » au temps du maccarthysme.

 

« Instruire » le chef d’accusation

Dès 2010, Mélenchon défendait la Palestine contre Israël
Tout d’abord, dans le débat qui fit rage en Grande-Bretagne et qui a vu Jeremy Corbyn faire l’objet d’accusations semblables, Mélenchon a appuyé Corbyn. Il a affirmé qu’au lieu de faire amende honorable, Corbyn n’aurait pas dû céder aux Blairistes. Il compara les associations qui le dénonçaient en Grande-Bretagne et celles qui sévissaient en France. Or, pour certains, cela évoquerait l’idée d’une concertation internationale, ce qui serait, d’après eux, un cliché antisémite.

On reprocha à Mélenchon d’avoir accordé son appui à une manifestation anti-israélienne et au mouvement BDS
Dès 2010, Mélenchon défendait la Palestine contre Israël et critiquait le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) en l’accusant de communautarisme. Pour ceux qui soutiennent que toute critique d’Israël est antisémite, cela ne pouvait que nourrir l’antisémitisme. Rappelons que le CRIF en France, à l’image de l’AIPAC aux États-Unis, fait un lobbying énergique en faveur d’Israël, auprès des milieux dirigeants en particulier. En 2014, on reprocha à Mélenchon d’avoir accordé son appui à une manifestation anti-israélienne et au mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Ce serait, dit-on, de l’antisémitisme.


Samir Saul est docteur d’État en histoire (Paris) et professeur d’histoire à l’Université de Montréal. Son dernier livre est intitulé L’Impérialisme, passé et présent. Un essai (2023). Il est aussi l’auteur de Intérêts économiques français et décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962) (2016), et de La France et l’Égypte de 1882 à 1914. Intérêts économiques et implications politiques (1997). Il est enfin le codirecteur de Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales (2003). Courriel : samir.saul@umontreal.ca

Michel Seymour est professeur retraité du département de philosophie à l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1990 à 2019. Il est l’auteur d’une dizaine de monographies incluant A Liberal Theory of Collective Rights, 2017; La nation pluraliste, ouvrage co-écrit avec Jérôme Gosselin-Tapp et pour lequel les auteurs ont remporté le prix de l’Association canadienne de philosophie; De la tolérance à la reconnaissance, 2008, ouvrage pour lequel il a obtenu le prix Jean-Charles Falardeau de la Fédération canadienne des sciences humaines. Il a également remporté le prix Richard Arès de la revue l’Action nationale pour l’ouvrage intitulé Le pari de la démesure, paru en 2001. Courriel : seymour@videotron.ca site web: michelseymour.org