L’esprit malin du capitalisme

Docteur en gestion et professeur dans une business school, Pierre-Yves Gomez est bien placé pour analyser l’évolution du capitalisme. Dans son dernier ouvrage, L’esprit malin du capitalisme, il le qualifie de « capitalisme spéculatif ». L’essayiste revient sur des notions déjà abordées dans des livres précédents : comment, se prenant pour des micro-capitalistes, les hyper-consommateurs, grâce surtout à la digitalisation du monde, font le boulot à la place des marchands et des producteurs et sont en fait de micro-prolétaires non payés (Le travail invisible 2013).

Le fil rouge de l’ouvrage de P.Y. Gomez est l’analyse de la transformation, en 5 décennies, du capitalisme d’accumulation, basé sur l’économie réelle, en un capitalisme spéculatif basé sur des promesses d’un futur mythique. Ce futur fantasmé est désigné par l’auteur comme l’« Avenir » (avec majuscule) qui s’appuie sur la croyance, dûment promue par d’habiles techniques de persuasion, que grâce aux progrès infinis des technologies, numériques surtout, nous attend la réalisation de promesses de prospérité sans précédent.

Face à l’accumulation de dettes toujours plus énormes et en grande partie non remboursables, il faut convaincre qu’une mutation inédite (dite disruption) fera table rase d’un passé dont on nie la réalité. Gomez classe en trois catégories les acteurs de la manipulation sociétale : l’élite spéculative, les paramétreurs et les bureaucrates qui, ensemble, forment la technocratie spéculative. Il distingue aussi les start-up, les licornes et les GAFAM qui constituent les entreprises qui concourent à la digitalisation du monde, sensée nous mener à un « Avenir » dégoulinant d’innovations technologiques nous apportant le bonheur. Évidemment, le transhumanisme est la pointe avancée de ce qui est, littéralement, une mystification.

Écrit en une langue simple, accessible à tous, l’ouvrage dénonce l’intoxication mentale du capitalisme spéculatif qui engendre une perte de sens collective. Et le pire est peut-être que personne ne dirige cela consciemment : le système s’auto-engendre à partir de la somme des actes individuels de survie en milieu compétitif. L’humanité irait-elle à sa perte sous l’emprise du capitalisme à l’esprit malin (dans le sens démoniaque, diabolique, pervers…) ?

Alain Adriaens