“Les revenus des ménages dans la supernote de Bart De Wever”, décodage de Philippe Defeyt.

La supernota de Bart De Wever, telle qu’elle a été rendue publique par La Libre le 18 octobre 2024, contient de nombreuses analyses et propositions concernant les revenus des ménages (salaires et prestations sociales).

Cette note de décodage essaye de comprendre les tenants et aboutissants de quelques points essentiels. Les commentaires sont souvent dépendants de l’interprétation que l’on peut faire de textes pas toujours très clairs ni très précis. En outre, il semble que des versions circulent avec des différences plus ou moins subtiles en vue de repérer l’origine des fuites. Enfin, rien n’est encore finalisé.

Beaucoup de propositions impactent – négativement (plutôt les allocations sociales hors les pensions) ou positivement (plutôt les salaires) – les revenus des ménages. On a déjà, par exemple, abondamment parlé de la limitation à 2 ans des allocations de chômage et d’insertion (même si la supernota, contrairement à la DPR wallonne, tend plutôt à favoriser l’emploi que le renvoi vers le CPAS et les travaux d’intérêt général) et de la baisse de la fiscalité sur les petits salaires.

Cette analyse se concentre sur

  • l’augmentation de la différence entre le travail et le non-travail à plus de 500 €
  • la liaison au bien-être
  • l’indexation des salaires et allocations sociales
  • la réforme

 

L’augmentation de la différence entre le travail et le non-travail à plus de 500 €, notamment via une réforme fiscale et un plafonnement des avantages sociaux et prestations sociales

NB : La traduction en français de ce passage parle de différence entre travail et inactivité. Or, inactivité a un sens très clair pour les économistes : sont considérés comme inactifs ceux et celles qui ne sont pas sur le marché du travail (par exemple un malade de longue durée qui n’a plus de contrat de travail et ne cherche pas) alors que le texte en néerlandais (qu’on peut supposer être l’original) vise toutes les situations où la personne ne travaille pas. La dimension fiscale sera abordée plus loin.

On notera d’abord que la différence de 500 €/nets par mois est déjà aujourd’hui très souvent acquise. Illustrations :

  • en octobre 2024, le revenu d’intégration pour une personne seule se monte à 288,46 €/mois ; si ce bénéficiaire devait obtenir un job à temps plein au salaire minimum – RMMMG (2.070,48 € bruts/mois), il aurait un salaire net de 1.954,63 € ; soit un écart de 666,17

€/mois ;

  • en août 2024, le montant mensuel pour une allocation d’insertion isolé est de 288,56 €/mois (10 c en plus que le RIS) ; dans ce cas l’écart est de 666,07 € ;
  • toujours en août 2024, l’allocation moyenne des chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi après 2 ans ou plus de chômage est de 1.385,62 €/mois, soit un écart de 569,01 € par rapport au salaire minimum

Notons que

  • dans ces situations, et toutes les autres de même nature, l’écart allocation-salaire net est plus élevé si on tient compte de l’apport au pouvoir d’achat des 13ème mois et double pécule de vacances ; dans ce cas, le net annuel est supérieur d’environ 10% au net mensuel multiplié par 12 ;
  • il y a très peu de salariés payés au salaire minimum interprofessionnel ; dans beaucoup de conventions collectives le salaire minimum est plus élevé (il est par exemple de 366,37 €/mois en 2024 dans le secteur HORECA).

Par contre, la perte d’avantages sociaux, par exemple le tarif social pour l’électricité ou le gaz, de même que la prise en compte des dépenses professionnelles (frais de déplacement) ou assimilées (frais de crèche) tasse l’écart travail-non travail si on le mesure en niveau de vie. Et non pas, comme le propose De Wever, une mesure des seuls revenus de celui qui, dans un ménage, (re)trouve un job.

Là où les écarts sont plus réduits, voire négatifs, c’est quand le salarié potentiel est un parent mono et/ou que le job proposé est à temps partiel (d’autant plus que dans cette situation beaucoup de salaires horaires – HORECA, commerce, titres services… – sont plutôt dans le bas de la fourchette).

NB : Pour certaines configurations d’emploi à temps partiel le salarié peut bénéficier d’une AGR (allocation de garantie de revenu). Mais les conditions sont très restrictives. Par exemple, « vous n’avez droit à l’AGR que si votre horaire contractuel moyen ne dépasse pas 4/5 d’un horaire de travail à temps plein. »

C’est ici qu’on se rend compte de l’absence de conceptualisation fine de la problématique :

  • intègre-t-on ou pas le 13ème mois et le double pécule de vacances dans le calcul de l’écart ? ; cela ne semble pas le cas ;
  • parle-t-on des revenus ou du niveau de vie ? ; on tient semble-t-il compte des seuls revenus ;
  • tient-on compte ou pas de l’impact de la reprise d’un travail sur les revenus d’autres membres du ménage ? ; non, manifestement pas ;
  • comment gère-t-on les situations où le job proposé est à temps partiel ? ; en particulier, accepte-t-on, et si oui à quelles conditions, le cumul d’une allocation et d’un salaire à temps partiel ? Ici, la note de De Wever montre – en tout cas pour les personnes malades (la citation qui suit se trouve dans le chapitre intitulé « Un plan global de prévention et de réinsertion des malades de longue durée ») – que les négociateurs ont conscience de cette problématique et souhaitent y répondre : « En assouplissant les règles sociales et fiscales relatives au cumul d’une partie des allocations avec un revenu du travail partiel, nous rendons le choix d’un travail rémunéré suffisamment rémunérateur, y compris pour les malades de longue durée. » Attention il n’est pas impossible que la mise en place de telles mesures crée un autre piège : le piège au temps de
  • Une des propositions de la note permet de penser que l’intention est de tenir compte de l’ensemble des avantages sociaux (prestations comprises) mais pour les limiter à un plafond afin d’augmenter l’écart allocation-salaire. Voici : « Grâce à un registre central, nous enregistrons le montant des avantages sociaux (le texte en français indique faussement “prestations sociales”) perçus par une personne. Nous plafonnons ces avantages sociaux, y compris les allocations, à XX% du revenu minimum que cette personne percevrait sur la marché du travail, en tenant compte des personnes à charge. »

Tenir compte de l’ensemble des avantages sociaux n’est pas évident :

  • l’équivalent monétaire de certains avantages, on pense par exemple au tarif social gaz- électricité ou au logement social, dépend d’un ménage à l’autre ; bénéficier du statut BIM n’a aucun intérêt si personne n’est malade mais peut impliquer un avantage en nature énorme quand les difficultés de santé sont lourdes ;
  • certains avantages sont accordés par les régions (exemple : les majorations sociales des allocations familiales) ou les communautés (allocations d’études) ; soit on en tient pas compte, et c’est la mise en œuvre de cette intention qui en prend un coup dans l’aile, soit on les intègre au calcul mais les conséquences sur un éventuel plafonnement (fédéral) pourraient varier d’une situation à l’autre en fonction de la localisation ;
  • certaines allocations cumulables – on pense par exemple à l’AGR ou à un RIS partiel – peuvent varier d’un mois à l’autre ;
  • beaucoup de ces avantages sont accordés au ménage, pas à l’individu (sauf quand il est seul

 

évidemment) ;

  • on ne peut pas ne pas tenir compte des situations où la (re)mise à l’emploi implique une baisse des revenus nets d’un autre membre du ménage ;
  • les précomptes sur les allocations sociales sont mal calibrés (ceci plaide pour un précompte calculé comme pour les salaires).

Si on ne veut pas rencontrer des situations complexes et difficiles à vivre, le système doit être souple et fluide (= s’adapter rapidement en cas de changement), ne serait-ce que pour tenir compte de la dégressivité des allocations de chômage ou de dates d’indexation différentes entre les allocations et les salaires, sous peine d’accumuler des “créances” ou des “dettes” vis-à-vis du système de redistribution des revenus. Les conditions administratives et statistiques sont-elles réunies pour ce faire ? ; on peut en douter, en particulier pour les situations où il y aurait plusieurs types de revenus et/ou d’avantages sociaux.

Regardons, de manière pragmatique, comment cela pourrait fonctionner, en faisant l’hypothèse que la proposition vise bien les revenus nets.

On peut supposer que, si certains avantages sont pris en compte pour ce calcul, ils le seront sous forme forfaitaire.

Considérons Monsieur X, qui bénéficie d’un RIS isolé et du tarif social énergétique valorisé à, disons, 25

€/mois. Son niveau de vie mensuel total est de 1.288,46 € (RIS) + 25,00 € = 1.313,46 € par mois.

S’il bénéficiait d’un salaire minimum à temps plein, il aurait en net 1.954,63 € ; en fonction des règles en vigueur, il perd l’avantage apporté par le tarif social. Mais, demain, il pourrait peut-être avoir une aide énergétique, partielle, en fonction du souhait du formateur d’accorder les avantages sociaux en fonction des revenus.

Si on considère, par exemple, un taux de 80% du salaire minimum net pour fixer la barre supérieure, il garde ses 1.313,46 € (80% de 1.954,63 €, soit 1.563,07 €, étant supérieur à 1.313,46 €). Si c’est sa première expérience professionnelle1, il aurait, pour un temps, un revenu salarial net supérieur.

Lue littéralement, la proposition Arizona donne à penser que les allocations sociales et avantages sociaux seront plafonnés à un montant donné, calibré sur le salaire minimum net, ne tenant donc pas compte de la variabilité des allocations en fonction des salaires. Concrètement, si on imagine 80% comme norme, tous les niveaux de salaires devront se contenter, dans le cas d’une personne isolée, d’un revenu social de maximum 1.563,07 €/mois – voir calcul ci-dessus – alors que, par exemple, l’allocation de chômage maximale pour un isolé est en octobre 2024 de 2.187,38 € (durant les 3 premiers mois). Même si le pourcentage retenu était supérieur à 80%, certains allocataires sociaux toucheraient moins qu’aujourd’hui. Difficile de déterminer sur base de la note si cette interprétation est (partiellement) la bonne. Plaide dans le sens contraire la proposition d’augmenter l’allocation de chômage au cours de la première période. Mais, en même temps, il faut tenir compte d’une tendance structurelle qui conduit, de facto, à (vouloir) réduire l’écart entre les allocations minimales et maximales.

Revenons à la situation concrète. Quelles règles de calcul appliquera-t-on si ce Monsieur a travaillé par exemple 11 jours (un mi-temps donc) comme intérimaire, avec, en outre, une exonération partielle pour une première expérience professionnelle. Sera-ce la moitié du résultat des calculs pour un RIS “à temps plein” ? Attention : tout n’est pas nécessairement linéaire ; c’est précisément le cas pour l’exonération pour revenus professionnels.

Autre illustration. Une maman seule bénéficie d’un RIS de 1.741,29 €/mois ; si elle travaille à temps plein au salaire minimum et qu’elle a deux enfants à charge, son net sera de 2.065,20 €/mois, soit un écart de seulement 323,91 €, dont il faut déduire la perte du bénéfice du tarif social, les dépenses de déplacement, les frais de garde (si ce sont de jeunes enfants) et, le cas échéant, l’augmentation du loyer social. On notera au passage que

  • ce n’est pas la hauteur de la fiscalité qui est en cause ici puisque cette maman ne paie aucun précompte professionnel2;
  • l’avantage apporté par le tarif social gaz-électricité est bien moindre qu’au cœur de la crise énergétique ; à Namur on a calculé à la date du 3 octobre 2024 que l’écart est d’environ 35 €/mois pour une consommation de 2.000 kWh d’électricité et 5.000 kWh de gaz et en prenant le tarif variable normal le plus bas.

Si on reprend, à titre d’exercice de réflexion, 80%, le revenu social maximal auquel elle aurait droit serait de 1.652,16 €, soit moins qu’aujourd’hui (à savoir 1.776,29 € = 1.741,29 de RIS et 35,00 € de réduction de la facture énergétique). Ces 1.776,29 € représentent 86% du salaire minimum net.

Comment peut-on faire pour garantir un écart d’au moins 500 €/mois dans ce type de situation ? Réduire le montant du RIS, quitte à faire tomber ce ménage en-dessous du seuil de pauvreté ? On peut supposer que cette option serait politiquement impossible. Ou augmenter le net du salaire ? Mais cela ne pourrait se faire qu’en recourant à la technique du crédit d’impôt dans la mesure où cette personne ne paie aucun précompte professionnel. En tout état de cause, utiliser des crédits d’impôts pour les enfants à charge ne suffirait pas pour arriver à un écart en net de 500 €.

Autre situation possible : deux personnes vivent ensemble avec une allocation de chômage pour l’un.e et un RIS partiel pour l’autre. Leur revenu maximum possible est en octobre 2024 de 1.717,95 €/mois. Le membre qui touche une allocation de chômage accepte un job à temps partiel (un 4/5 temps) au salaire minimum. Le supplément de revenu apporté par le salaire est complètement annulé par la baisse du RIS partiel de l’autre membre du ménage. Au total ce ménage aura exactement le même revenu net après qu’avant même si l’ex-chômeur gagne désormais – mais à titre individuel – plus qu’au chômage.

Peut-on raisonnablement penser que dans ce cas la personne au chômage ne vas pas se rendre compte que le RIS de son conjoint baisserait à due concurrence du supplément de revenu que lui apporte son job, sans tenir même compte des dépenses de déplacement, et adapter son choix en conséquence ?

On notera encore que le nouveau système proposé offre une moins bonne protection et une moins bonne prise en compte pour ce qui est des dépenses de déplacement et des allocations familiales. L’Article 26 de l’Arrêté ministériel du 25 novembre 1992 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage prévoit en effet ceci : « Un emploi est réputé non convenable si le revenu net qu’il procure, diminué du montant des frais de déplacement à charge du travailleur et majoré, le cas échéant, des allocations familiales et du montant des allocations dont le travailleur peut bénéficier pendant la durée de son occupation, n’est pas au moins égal au montant des allocations diminué du montant du précompte professionnel et majoré, le cas échéant, du montant des allocations familiales, dont peut bénéficier le travailleur en tant que chômeur complet. » On ne sait ce que deviendra cet article (supprimé, adapté…) si on s’engage dans la voie des réformes avancées par l’Arizona.

Bref, cette voie – telle qu’énoncée dans la supernota – semble conceptuellement bricolée et administrativement compliquée, se perdant dans des dizaines (voire des centaines) de configurations concrètes possibles.

Si cette orientation devait néanmoins être retenue et implémentée, il faudrait a minima mieux la conceptualiser et l’intégrer dans un ensemble de réformes :

  • définir – pour le calcul – un traitement clair et faisable pour les avantages accordés au couple ;
  • tenir compte des dépenses professionnelles ;
  • mensualiser les revenus bruts et nets en divisant la somme des revenus annuels par 12 ;
  • correctement précompter les allocations sociales, ce qui passe par un rapprochement des règles IPP des salaires (et autres revenus du travail) et des allocations sociales ;
  • mieux calibrer le cumul d’allocations sociales et de salaires, en évitant de pénaliser le passage à un temps plein ;
  • accepter que les réductions fiscales soient transformées en crédits d’impôt pleins et immédiatement activés ;
  • rapprocher autant que faire se peut l’impact instantané de mesures fiscales et l’impact global calculé à l’enrôlement ;
  • mieux articuler les politiques des revenus fédérale et régionales ;
  • tenir compte de l’impact sur les revenus d’un couple (ou de toute personne vivant ensemble) de la (re)mise à l’emploi d’un des membres du couple, ce qui passe par une individualisation des droits sociaux, option qu’une bonne partie des décideurs politiques flamands refuse au nom d’une vision familialiste de facto dépassée.

Cela ne résoudra pas toutes les difficultés commentées ci-dessus mais ces réformes sont de toute manière souhaitables indépendamment de l’orientation proposée par De Wever.

Il est possible d’éviter certaines situations de pièges à l’emploi par des réformes qui intègrent cette préoccupation. Exemple : remplacer le tarif social par une tarification progressive de l’électricité (les X premiers kWh – nombre adapté en fonction de la composition du ménage – sont bon marché, voire gratuits, et les kWh au-delà de ce seuil sont plus chers) supprimerait la “contribution” du tarif social énergie aux pièges à l’emploi.

Un point mérite une attention particulière. Il est précisé que « Les avantages sociaux sont accordés sur base du revenu et du statut. » On ne peut qu’applaudir cette dernière proposition, attendue depuis trop longtemps. Mais l’intérêt de cette approche dépend de la hauteur du revenu retenue pour déterminer l’octroi d’un avantage social. Si, par exemple, on devait retenir le niveau du RIS pour accorder le tarif social énergie, les bénéficiaires de la GRAPA et certains ménages dont une ou plusieurs personnes domiciliées à la même adresse reçoivent une allocation de la Direction générale Personnes handicapées du SPF Sécurité sociale (par exemple une Allocation de Remplacement de Revenus – ARR) n’auraient plus accès à cet avantage social. Si on devait prendre comme revenu un montant supérieur même de peu au RIS, le nombre de bénéficiaires augmenterait substantiellement, dans la mesure où il y a de nombreuses allocations (par exemple les allocations d’insertion) qui sont très proches des montants du RIS.

Par ailleurs, on sait que l’adaptation à la situation familiale des revenus pris en compte pour l’octroi de nombreux avantages sociaux ne tient pas compte de l’échelle d’équivalence utilisée pour la calcul du taux de pauvreté (la “première” personne du ménage vaut 1, les enfants de moins 14 ans 0,3 et les autres membres du ménage chacun 0,5). Ici aussi, un travail conceptuel et statistique est indispensable, sous peine de de facto pénaliser les ménages autres que les isolés. Pas un mot de cette nécessité dans la supernota.

 

La liaison au bien-être

L’enveloppe Bien-Être est un mécanisme légal qui permet de faire évoluer tout ou partie des revenus de remplacement (des salariés comme des indépendants) au-delà de la seule indexation sur l’indice- santé. Concrètement il se base sur le calcul d’une enveloppe par le Bureau fédérale du Plan et les interlocuteurs sociaux remettent un avis sur la répartition de cette enveloppe. On constate que sont le plus souvent favorisées les augmentations des minima sociaux et des pensions.

Trois passages de la supernota amènent à conclure qu’il n’y aura quasiment aucune marge pour les allocations autres que les pensions (hormis peut-être ce qui concerne les revenus de personnes porteuses d’un handicap) et que l’enveloppe – au demeurant moins bien dotée – profitera surtout aux pensions.

« Une norme d’allocations stipulera légalement que les allocations pour les personnes inactives en âge de travailler en âge de travailler et capables d’exercer un emploi ne peuvent jamais augmenter plus vite que les salaires dans le secteur privé (par le biais de la norme salariale). » Or on peut penser que cette norme sera proche de 0% dans les années à venir.

« Les paramètres de calcul de l’enveloppe bien-être sont ajustés pour mieux correspondre à la croissance de la productivité réalisée plutôt qu’attendue. » Ceci revient à se baser sur une croissance de la productivité de l’ordre de 0,5% dans les années à venir (si l’on en croît les plus récentes Perspectives économiques du Bureau fédéral du Plan).

Plus loin, la note précise que « dans le cadre du budget dégagé pour les adaptations au bien-être, au moins 80% seront consacrés à l’amélioration des pensions. »

 

Les mécanismes d’indexation

Certes, le maintien de l’indexation “classique” des salaires et allocations est explicitement garanti dans la supernota. Reflétant ainsi l’équilibre politique et socio-économique belge, ce maintien est lié à la prolongation de la loi sur la compétitivité (version 2017).

Mais avec de nombreux accommodements et risques de voir évoluer fondamentalement le système.

La future coalition demandera « aux partenaires sociaux de préparer un avis sur la réforme de la loi sur les salaires et du système d’indexation automatique pour le 31/12/2026 », avec une « attention suffisante à la compétitivité de nos entrepreneurs et au pouvoir d’achat des travailleurs. » Difficile de savoir ce qui sortira de cette négociation, sauf que « cette réforme doit être fondamentale ».

Les choix pour une réforme possible sont nombreux et passent par :

  • Une autre mesure, plus représentative, plus lisible, de l’inflation : on pourrait, par exemple, accorder une plus grande place au logement dans les pondérations de l’IPC. On pourrait aussi mesurer autrement l’évolution des prix du gaz et de l’électricité pour mieux refléter l’évolution de la facture annuelle. On pourrait aussi, pour certaines consommations (notablement se chauffer, s’éclairer ou se déplacer), mesurer l’évolution des prix en se basant sur les évolutions du coût total, intégrant coûts fixes et coûts variables. Par exemple, en matière de mobilité automobile, on pourrait calculer des sous-indices montrant l’évolution du prix au km parcouru, intégrant tous les coûts, pour les véhicules essence, diesel, électriques purs et
  • Un resserrement des biens et services retenus dans l’indice-santé : passer de l’IPC – éventuellement revu – à l’indice qui sert aux indexations est un choix On pourrait, par exemple, se baser sur les consommations essentielles des petits revenus. A minima, il serait peut-être utile d’augmenter le nombre de produits exclus, ne serait-ce que pour des raisons symboliques. Est-il par exemple indispensable de maintenir dans l’indice-santé les vols aériens (ils sont présents dans l’indice des prix dans deux rubriques : “Transport de passagers par avion” et “Vacances organisées à l’étranger”) ? L’exclusion – dans l’indice-santé – des dépenses de déplacement de ceux qui travaillent et le maintien des dépenses des pensionnés qui vont à Ibiza en avion traduisent une vision datée des enjeux. On peut aussi se poser cette question pour d’autre produits, même si c’est plus anecdotique : les bijoux, l’alimentation pour animaux, etc.
  • La rapidité de l’indexation. Ici la note propose de prendre la moyenne des 12 derniers-mois de l’indice-santé plutôt que les 4 derniers mois (qui est la situation actuelle).
  • Il y a encore les débats qui portent sur une indexation calibrée en fonction de la hauteur des salaires, formule qui se révèle assez populaire. Divers modèles sont avancés : X% jusqu’à un certain seuil (plus ou moins élevé), puis après soit un pourcentage réduit, soit plus rien, soit un forfait, ou encore un même forfait pour tout le

La note de De Wever propose qu’ « en cas d’inflation exceptionnellement élevée (> 4% sur base annuelle), l’indexation automatique des salaires n’est pas appliquée uniformément sous la forme d’un pourcentage d’augmentation identique pour tous les salaires bruts. » Il s’agit donc d’une formule qui prévoit une indexation en pourcentage, mais moindre, au-delà d’un certain seuil.

Avançons ici deux arguments qui relativisent l’intérêt d’une indexation différenciée :

  • cette mesure réduirait les recettes pour l’état et la sécurité sociale ;
  • cette mesure profiterait principalement à des secteurs relativement plus prospères (pour le moment en tout cas) : pharma, pétrochimie, énergie, ; au plus on monte dans l’échelle des salaires, au plus une part croissante des salaires est accordée sous forme de

compléments extra-salariaux (dont les mécanismes d’indexation, quand il y en a, répondent à d’autres logiques encore) ; on pourrait même avancer l’hypothèse que certains employeurs favoriseraient une indexation différenciée moins pour des raisons de compétitivité que pour remplacer des revenus indexés par des dispositifs moins imposés et moins bien protégés de l’inflation ; cela dit, il semble que De Wever entend encadrer, quelque peu, le développement de ces formes de rémunération.

Pour ce qui est des allocations, il est précisé que « L’indexation des pensions de la fonction publique est temporairement plafonnée à la limite supérieure de la pension de salarié. » Rappelons que la pension maximale d’un fonctionnaire est depuis le 1er mai 2024 de 8.129,08

€/mois tandis que pour les salariés le maximum – théorique – est inférieur à 4.000 €/mois. On ne voit pas pourquoi cette mesure est annoncée comme temporaire.

  • Il y a le débat sur l’indexation à date fixe (qui va d’une fois par an à une fois tous les deux mois) ou à date variable (quand l’indice-santé lissé a augmenté d’un certain pourcentage, généralement 2%). A ce propos, la supernota dit ceci : « Nous alignons davantage le mécanisme d’indexation du secteur public sur celui du secteur privé. Nous maintenons le principe selon lequel les prestations sociales et les salaires des fonctionnaires sont automatiquement ajustés, mais nous le faisons désormais à un moment fixe, par exemple le 1er janvier (…) » En fait, quand la note parle du secteur privé elle évoque une partie – certes importante – du secteur privé, comme par exemple la Commission paritaire auxiliaire pour employés (CP 200) ou l’HORECA, effectivement indexés au mois de janvier, mais pas tout le secteur privé.
  • Enfin, quand il y a indexation en cours d’année, le net évolue moins que le brut, vu que les barèmes fiscaux sont indexés en début d’année. Ce point n’est pas abordé dans la

On verra comment le débat sur l’indexation évoluera mais on peut supposer que le système aura, après réforme, les caractéristiques suivantes :

  • une indexation par an pour tes et pour tous les revenus (en même temps que l’indexation des barèmes fiscaux), mécanisme s’imposant à toutes les conventions paritaires
  • basée sur un indice-santé moins sensible encore à l’évolution des prix énergétiques et lissé sur 12 mois
  • atténuée structurellement pour les salaires supérieurs et/ou certaines allocations comme les pensions les plus élevées.

La réforme fiscale

L’augmentation de la quotité exemptée d’impôt figure évidemment dans la note. Deux rappels :

  • cette augmentation bénéficie à tous les niveaux de salaire – y compris donc les plus élevés – dès lors que le total de leurs revenus imposables est supérieure à la somme des quotités exonérées (la quotité personnelle et celle(s) des personne(s) à charge) ;
  • elle ne bénéficie malheureusement pas aux tout petits salaires qui, surtout quand il y a des enfants à charge, n’épuisent déjà pas aujourd’hui la totalité des quotités exonérées

 

Aujourd’hui les bas salaires (maximum 3.207,40 € pour un salaire à temps plein) bénéficient d’une réduction des cotisations sociales personnelles par le mécanisme appelé bonus à l’emploi social ; cette réduction est renforcée pour les très bas salaires (maximum 2.132,59 €). Ce bonus à l’emploi est complété par un bonus dit fiscal calculé en pourcentage du bonus à l’emploi social. Ce pourcentage passerait de 52,54% à 100% pour les très bas salaires et de 33,14% à 75% pour les bas salaires.

Il s’agit ici aussi d’une bonne nouvelle pour les bas salaires, à ceci près que pour activer complètement ces réductions supplémentaires il faut que le précompte atteigne au minimum le montant du bonus fiscal revalorisé.

Concrètement, une maman seule avec deux enfants travaillant à temps plein au salaire minimum ne bénéficiera – pour ce qui est du précompte professionnel en tout cas – ni de l’augmentation de la quotité exemptée ni de la revalorisation du bonus fiscal.

D’autres travailleurs n’en profiteront que partiellement. Un isolé (fiscal) travaillant à mi-temps pour un salaire de 1.400 € verra au total son précompte réduit de 1,36 € seulement.

On ne peut qu’approuver la suppression de la cotisation spéciale de sécurité sociale, survivance d’un plan d’austérité antérieur (1994), d’autant plus que cette cotisation est dégressive.

Les nouvelles tranches, le nouveau taux de 35% et le plafonnement à 45% indiquent une volonté d’atténuer la progressivité au début de progression salariale, de limiter les pièges à la promotion et, surtout, de favoriser les “hauts” revenus qui démarreraient à partir de 30.000 € de revenu net imposable et paieraient au maximum 45% au-delà.

 

Aujourd’hui Proposition
Tranches Taux Tranches Taux
0 – 15.820 25% 0 – 16.000 25%
15.820 – 27.920 40% 16.000 – 21.000 35%
27.920 – 48.320 45% 21.000 – 30.000 40%
> 48.320 50% > 30.000 45%

Le montant de 30.000 € de revenu imposable net correspond à un mensuel brut d’environ 2 .900 €, soit un salaire toujours considéré comme bas pour les bonus à l’emploi.

L’augmentation de 45 à 100% de la réduction pour les frais de garde d’enfants est une bonne chose. Mais, une fois de plus les mamans seules avec de petits revenus n’en profiteront pas (il s’agit d’une réduction d’impôt, non d’un crédit) et, d’une manière générale, elle intervient toujours à l’enrôlement, ce qui est trop tard pour les budgets qui sont serrés. Étant une réduction d’impôt généralisée, elle profite à tous les contribuables, mêmes très aisés. Notons que le bénéfice de cette augmentation sera moindre pour certains parents isolés qui bénéficient déjà aujourd’hui d’une réduction majorée.

Le passage pour les enfants à charge est, c’est le moins qu’on puise dire, pas très clair. On en retiendra, bonne chose, que chaque enfant sera traité de manière égale (même quotité exonérée), comme c’est le cas pour les allocations familiales – nouveau régime – dans les trois régions. Mais la note évoque un plafond (« A l’avenir, chaque enfant recevra le même supplément [de quotité exemptée d’impôt] jusqu’à un certain plafond. »), dont on ne voit pas ce qu’il signifie et implique.

Innovation majeure : demain « Un indépendant pourra déduire de ses impôts 10% de ses bénéfices ou gains d’entreprise, avec un maximum de 10.000 euros. » Même si ce passage n’est pas clair (parle-t- on d’une diminution de la base imposable ou d’une réduction d’impôt ?), ce serait la première fois qu’un salarie et un indépendant, avec le même revenu imposable net, ne paieraient pas, comme personnes physiques, le même montant à l’IPP. Que veut-on récompenser ici ? La prise de risque ?

Mais dans ce cas l’importance du capital risque investi constituerait déjà un meilleur indicateur. Pour certaines catégories d’indépendants (on pense par exemple aux agriculteurs), cette mesure s’ajoutera- t-elle aux avantages dont elles jouissent déjà aujourd’hui ?

Le régime fiscal plus favorable dont bénéficient les allocations sociales est aussi dans le viseur du formateur, en tout cas pour le chômage et les indemnités de maladie. Il pourrait être supprimé au-delà d’une certaine durée.

Les crédits d’impôts, y compris pour enfants à charge, sont appelés à disparaître pour les allocataires sociaux. Encore faut-il déterminer, ce qui n’est pas fait dans cette note, ce qu’ils deviendront quand le contribuable cumule, pour une année donnée, des revenus du travail et des allocations.

Enfin, autre innovation majeure : « Le précompte mobilier libératoire est maintenu. Toutefois, ce revenu sera désormais mentionné par l’administration fiscale dans sa déclaration, ce qui permettra de prendre en compte l’ensemble des revenus pour l’octroi d’avantages sociaux. » C’est une très bonne chose de considérer l’ensemble des revenus plutôt que seulement ceux qui sont repris dans la déclaration IPP pour le calcul de la capacité contributive réelle. Ce serait un premier pas pour, enfin, après plus de 40 ans, appliquer l’article 74 de la loi du 28 décembre 1983, jamais opérationnalisé, qui prévoit que « Celui qui veut faire valoir ses droits à un avantage social de quelque nature que ce soit, dont l’attribution dépend de l’ensemble des revenus nets imposables, doit mentionner dans sa demande les revenus mobiliers que, en vertu de l’article 220bis du code des impôts sur les revenus, il ne déclare pas dans sa déclaration à l’impôt des personnes physiques afférente à l’année dont les revenus sont pris en considération pour l’octroi de l’avantage social. Le Roi détermine les modalités de cette obligation de mentionner. Dans les cas où les dispositions légales et réglementaires en matière d’avantages sociaux se réfèrent à l’ensemble des revenus nets imposables en matière d’impôt des personnes physiques, il y a lieu d’entendre en l’occurrence l’ensemble des revenus nets visés à l’article 6 du Code précité, majoré des revenus mobiliers visés au premier alinéa. »

 

Philippe Defeyt


 

1 « Afin de favoriser l’intégration socioprofessionnelle du bénéficiaire du revenu d’intégration qui commence à travailler ou qui entame ou poursuit une formation professionnelle, les revenus nets qui en résultent sont pris en considération sous déduction d’un montant mensuel forfaitaire. » – Source : SPP Intégration sociale

2 Ce qui ne préjuge pas de son impôt final.