Quasi tout le monde le dit : il faut réduire fortement notre train de vie si nous ne voulons pas dégrader définitivement la qualité de la vie sur Terre. Tout en étant bien conscient que les individus, les ménages, sont loin d’être les premiers responsables des nuisances qui affectent l’état de notre environnement, il faudra qu’eux aussi participent à l’effort collectif nécessaire à la préservation de la biosphère. Mais tous ne sont pas égaux devant les efforts à faire. Une étude récente sur la possession de voitures à Bruxelles montre combien Hervé Kempf à raison quand il écrit Comment les riches détruisent la planète.[1]
Un geste que l’on conseille à ceux qui veulent modérer leur impact sur le milieu et diminuer leurs émissions de CO2 est de moins utiliser la voiture individuelle. Dans une interview récemment publiée sur notre site, titrée « Les pauvres sont dans la simplicité obligatoire », Christine Mahy, la directrice du Réseau wallon contre la pauvreté, disait à propos de l’utilisation de la voiture : « Mais pour un ménage particulièrement en difficulté qui a un véhicule plus polluant, quel est l’intérêt de rendre ce véhicule encore plus coûteux, en taxant le carburant pour pouvoir circuler ? Cela risque bien de mettre cette famille encore plus en difficulté. Or, plus on met les gens en difficulté, moins ils peuvent être contributeurs à l’effort collectif. » C’est fort juste mais, plus encore, dans quelle proportion les plus démunis ont-ils à leur disposition un véhicule individuel ? Une excellente étude de l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (ibsa)[2] répond à cette question.
D’où viennent les voitures qui empoisonnent l’air de nos villes ?
En utilisant trois enquêtes (de 2012, 2014 et 2016) sur le budget des ménages, Thomas Ermans a collationné une masse d’informations extrêmement précieuse sur le niveau de motorisation des ménages bruxellois. Nous ne reprendrons ici que quelques-unes des données et des analyses tirées des chiffres mais l’ensemble de l’étude est très instructif.
D’abord, il faut savoir que seulement 55% des ménages possèdent une voiture (au moins) à Bruxelles, soit beaucoup moins qu’en Flandre (87%) et en Wallonie (85%). Ceci confirme bien que le milieu urbain rend possible une mobilité alternative à la voiture alors que les habitants des zones périphériques ou rurales sont, en quelque sorte, captifs de ce mode de déplacement (ce qui explique aussi que les mobilisations contre les inévitables augmentations de prix des carburant naissent dans les campagnes). Les taux de motorisation élevés dans les deux autres régions montrent aussi que, même dans les villes flamandes et wallonnes, la densité du réseau des transports en commun ne permet pas de se passer de la bagnole.
Une autre raison du plus petit nombre de voitures à Bruxelles est le niveau de revenu plus faible dans la capitale[3]. Cette influence déterminante des moyens financiers sur la possession d’une voiture est largement confirmée par le tableau suivant extrait d’un vaste tableau de l’étude.
Tableau 1 : Niveau de motorisation selon le revenu
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Alain Adriaens
[1] En 2007, le journaliste spécialiste de l’environnement, Hervé Kempf, publiait un ouvrage dans lequel il reprenait les idées géniales Thorsten Veblen sur la consommation ostentatoire (Théorie de la classe de loisir, Gallimard, Tel, [1899], 1979) et montrait que, non seulement le riches surconsomment sans besoin réel et uniquement seulement pour étaler leur richesse à la face de leurs semblables mais aussi, que par effet d’entraînement et d’imitation, ils tirent l’ensemble des sociétés vers ce consumérisme destructeur motivé par le seul désir de se distinguer du « vulgaire ».
[2] Thomas Ermans, Les ménages bruxellois et la voiture, Focus n°32, Ibsa, perspective.brussels, 2019.
[3]Statbel (La Belgique en chiffres) nous apprend qu’en 2017 le revenu net imposable moyen du Belge était de 17.824€, mais que cette moyenne provenait du fait qu’en Flandre ce revenu moyen est de 19.103€, qu’il est de 16.787€ en Wallonie mais seulement de 13.980€ en Région bruxelloise.
[4]Nous n’aborderons pas ici les impasses environnementales dues à la nécessaire croissance de la production d’électricité et aux pénuries de terres et métaux rares indispensables à ce secteur (Lire Philippe Bihouix, L’Âge des low-tech : Vers une civilisation techniquement soutenable, Seuil, coll. Anthropocène, 2014, 336 pp., 19,50€ ou Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les liens qui libèrent, 2018, 296 pp ; 20€.