Les droits des travailleurs sous un gouvernement travailliste britannique

Le Parti travailliste, suite aux élections parlementaires du 4 juillet 2024, est arrivé au pouvoir1. Dans son manifeste électoral intitulé « Changement » (Change) du 13 juin 2024, le Parti travailliste déclarait son intention de « mettre à jour » les lois sur le travail qui sont inadaptées à l’économie moderne, pour apporter une meilleure sécurité d’emploi, une révision des salaires et une autonomie accrue au travail, dans l’objectif principal d’améliorer la vie des travailleurs2. L’intention du gouvernement travailliste était d’éradiquer l’exploitation des travailleurs titulaires, de mettre fin au système d’embauche et de réembauche, d’instaurer, dès le premier jour d’emploi l’accès aux droits liés au congé parental, aux indemnités de maladie, et d’assurer la protection du salarié contre le licenciement abusif. Il avait également pour intention de créer un corps chargé d’assurer l’application de ces dispositions.

  • 3 Pour utiliser le langage shakespearien de Macduff dans Macbeth, où le meurtre de l’épouse de Macduf (…)
  • 4 Du 17 juillet 2024. Le King’s Speech (rédigé par le gouvernement et non par le monarque) est pronon (…)
  • 5 Il faut des mois pour qu’un projet de loi devienne Act of Parliament. Il doit être évalué, débattu (…)

2Toutes ces promesses énoncées dans le Manifeste doivent être mises en œuvre dans les 100 jours suivant l’installation du gouvernement. Cela semble être une intention insensée ; aucun gouvernement n’est capable d’introduire de tels changements législatifs « d’un seul coup de balai »3. Le King’s Speech4 l’a clairement fait savoir en ces termes : la seule introduction des deux projets de loi, à savoir l’Employment Rights Bill et le Draft Equity (Race and DisabilityBill5, dans les 100 jours à venir, semble utopique.

 

I – Exposé des deux projets de loi

A – L’Employment Rights Bill

  • 6 The King’s Speech 2024, Prime Minister’s Office, Background Briefing, notes p. 20.

3Dans son adresse, le Roi s’est exprimé dans ces termes : « mon Gouvernement s’engage à promulguer la législation des réformes légales pour bannir les pratiques d’exploitation des travailleurs, et améliorer le droit du travail »6.

  • 7 Sauf si le tribunal lui a accordé la responsabilité parentale par jugement et si l’enfant a moins d (…)
  • 8 La période d’incapacité au travail n’est pas interrompue par le congé annuel.

4Dès la mi-octobre 2024, le congé parental, l’indemnité de maladie, ainsi que les droits contre le licenciement abusif, deviendront des droits effectifs, y compris en période d’essai. En vertu de la loi actuelle, il existe une période de carence avant l’entrée en vigueur de chacun de ces droits. Pour le congé parental non rémunéré, le travailleur doit obtenir le statut d’employee (salarié) à l’issue d’un an ou plus, être identifié sur l’acte de naissance ou d’adoption de l’enfant, et détenir la responsabilité parentale. Il n’a aucun droit s’il est travailleur indépendant, s’il a le statut de worker ou s’il n’est pas parent adoptif7. L’employeur peut demander des preuves, comme un extrait d’acte de naissance. Pour obtenir le Statutory Sick Pay (« SSP ») (indemnité de maladie), le travailleur doit avoir un contrat de travail, être malade depuis plus de trois jours consécutifs, percevoir un salaire hebdomadaire de plus de 123 livres, avertir son employeur et en apporter la preuve si nécessaire8. En outre, le travailleur a droit au SSP s’il cumule plusieurs emplois. En revanche, il perd son droit s’il a déjà touché le salaire minimum, si c’est une femme salariée qui perçoit déjà les prestations légales de maternité ou l’indemnité de grossesse, ou encore si elle a participé à des grèves ou est allée en prison.

5La loi actuelle précise que, pour pouvoir déposer une requête contre un licenciement abusif, il faut avoir travaillé deux ans pour son employeur actuel. Ce droit ne s’applique qu’aux travailleurs qui jouissent du statut d’employee ; ceux qui ont le statut de worker n’y ayant pas droit. Soulignons cependant que le gouvernement a l’intention de supprimer la distinction entre les statuts d’employee et de worker afin de fusionner les deux statuts sous le vocable de workers.

6Les travailleurs indépendants, les membres des forces armées et de la police, ceux qui travaillent sur des bateaux de pêche et dont la rémunération est basée sur une part des bénéfices ou des gains bruts issus de la pêche, les entrepreneurs indépendants, ceux qui travaillent sous contrats illégaux, qui participent à des grèves non-officielles, ou encore ceux qui ont conclu un accord avec un employeur ou ont obtenu de lui un compromis, n’ont pas le droit d’intenter une action pour licenciement abusif.

7Les pratiques d’exploitation dans les contrats zéro heure seront interdites, en assurant aux travailleurs le droit d’avoir un contrat reflétant le nombre d’heures travaillées qui leur ouvre droit à un préavis raisonnable sur les « roulements d’équipes » et en garantissant une compensation proportionnelle en cas d’annulation ou de réduction des heures de travail. Cela mettra fin à la flexibilité unilatérale et donnera au travailleur sécurité et stabilité.

8Le projet de loi mettra fin aux pratiques de Fire and Retire (licenciement et mise à la retraite) et de Fire and Replace (licenciement et remplacement) : il rectifiera et remplacera l’ancien Code de déontologie du gouvernement. En outre, il y figurera une proposition visant à renforcer la protection des mères, en interdisant le licenciement durant une période de six mois après la date de naissance de l’enfant, sauf circonstances particulières.

  • 9 Labour Party Manifesto 2024, p. 45, § 2.

9Le gouvernement mettra aussi en place un nouvel organisme, Single Enforcement Body, plus communément appelé Fair Work Agency, chargé d’appliquer la loi et de renforcer le respect des droits sur le lieu de travail9. Cet organisme pourra prendre différentes mesures, ciblées et à titre conservatoire, nécessaires à l’application des lois, ainsi que mener des actions civiles.

10Enfin, le projet de loi procèdera à une mise à jour de la législation syndicale pour l’adapter à l’économie moderne en ôtant, par exemple, les limites inutiles imposées à l’activité syndicale et en assurant des relations industrielles basées sur des négociations de bonne foi. Les modalités statutaires de reconnaissance des syndicats par les employeurs seront simplifiées, et les syndiqués seront assurés d’avoir un accès raisonnable au syndicat sur le lieu de travail.

 

B – Le projet de loi (Draft Bill) « Egalité (Race et Handicap) »

  • 10 Parliament, notes p. 777.
  • 11 « Les minorités ethniques ont des salaires inférieurs à ceux des mêmes groupes sociaux britanniques (…)

11Ce projet de loi reproduit les engagements du Manifeste et propose de s’attaquer au problème des inégalités de salaires qui existent pour les minorités et les handicapés. La loi leur reconnaitra un plein droit à l’égalité de salaire et leur donnera la possibilité de présenter une réclamation devant les tribunaux, en arguant du handicap ou de l’ethnicité10. En outre, pour les employeurs des plus grandes sociétés (plus de 250 travailleurs), il existera désormais une obligation de présenter un rapport sur les salaires accordés aux minorités dans le but de tenter de « combler le fossé »11.

 

II – Les autres droits du travail du Manifeste et du Livre Blanc

  • 12 La législation actuelle accorde un salaire minimum inférieur pour les 18-20 ans et les personnes mi (…)

12Le Manifeste évoque une myriade de modifications dont nous proposons ici une brève analyse. Ainsi, « les Travaillistes feront en sorte que le salaire minimum (minimum wage) soit un salaire décent (living wage). Nous modifierons pour la première fois le mandat de la Low Pay Commission pour qu’elle prenne en compte le coût de la vie. Nous éliminerons les tranches d’âge discriminatoires pour donner à tous les adultes le même salaire minimum assurant, ainsi une augmentation de salaire à des centaines de milliers de travailleurs au Royaume-Uni »12.

  • 13 The Employment Rights Green Paper. A New Deal for Working People, p. 10 ; Labour Party Manifesto.
  • 14 Maternity Leave, Adoption Leave and Shared Parental Leave Regulations, 2024, (présenté au Parlement (…)

13Le gouvernement travailliste13 s’engage en outre à allonger la période légale du congé de maternité se terminant le 6 avril 2024 ou après cette date, et, pour celles qui risquent d’être licenciées, elles pourront prétendre à un poste vacant comme alternative appropriée (ceci est connu sous le terme the Additional Protected Period )14. Cette prolongation commence le lendemain de l’expiration du congé de maternité légal et prend fin 18 mois après la naissance.

14Les employeurs de plus de 250 salariés devront mettre en place des Menopause Action Plans en soutien aux salariées durant la ménopause ; le Manifeste a annoncé qu’en cas de victoire aux élections, les Travaillistes imposeraient aux employeurs l’obligation légale de mettre en œuvre – et de publier annuellement – un plan d’action « ménopause » décrivant le soutien qu’ils offrent aux travailleuses, les dispositions en matière de congé, de changement d’uniforme, de flexibilité horaire, de contrôle des températures sur le lieu de travail, et d’absences causées par les symptômes. Des conseils seront fournis sans autres exigences légales. Actuellement, l’Equality and Human Rights Commission (EHRC) publie une liste de lignes directrices destinée aux employeurs leur indiquant les ajustements raisonnables relatifs à la ménopause. De nombreuses affaires de discrimination en rapport avec le sexe, l’âge et le handicap ont été examinées par l’Employment Tribunal et les travailleurs ont gagné leur procès.

  • 15 Pour plus de détails et une analyse de ces deux concepts voir J. Carby-Hall, « New Fonciers of Labo (…)
  • 16 Le droit à l’indemnité pour licenciement abusif, pour licenciement économique, le congé annuel, le (…)

15Par ailleurs, le gouvernement travailliste a l’intention de créer un seul statut de worker (travailleur). En vertu de la loi actuelle, il existe trois statuts, celui d’independant contractor (entrepreneur indépendant) ou self-employed, celui d’employee et celui de worker. Chaque catégorie a des droits bien spécifiques mais le travailleur indépendant ne dispose de pratiquement aucun droit. L’employee jouit d’un grand nombre de droits, tandis qu’un worker a moins de droits. L’employee est une personne qui travaille sous contrat de travail, tandis que le contrat du worker précise que celui-ci travaille à titre personnel pour l’employeur, qui n’est pas client de l’entreprise du worker. La distinction entre ces deux statuts a créé beaucoup de confusion15. Le statut d’employee sera aboli et fusionné avec celui de worker et le worker jouira des droits accordés aux employees16.

  • 17 Pour une évaluation plus détaillée, voir J. Carby-Hall, « Company Restructuring and Collective Redu (…)

16En vertu de la loi actuelle relative au licenciement économique collectif, les négociations sont déclenchées quand l’employeur envisage de licencier 20 travailleurs d’un établissement (establishment) ou plus, sur une période de 90 jours17. La jurisprudence a défini le terme d’establishment comme étant « le lieu où travaille l’employee et non pas la compagnie dans sa totalité ». En conséquence, cela signifie que le système devrait être adapté pour les multinationales, les grandes compagnies et même les PME établies dans diverses régions du Royaume-Uni ou à l’étranger, où se produiraient des licenciements économiques, ce qui entraînerait pour les employeurs de sérieuses implications administratives et financières et une réorganisation d’envergure.

17Le droit de « se déconnecter du travail » en dehors des heures de travail sera introduit ; les employeurs ne pourront plus contacter les travailleurs en dehors des heures de travail. Si cette disposition est approuvée, ce sera un droit statutaire supplémentaire pour concilier vie privée et vie professionnelle.

18Enfin, une nouvelle loi relative au harcèlement sexuel au travail, comprenant le harcèlement par des tiers, devenue Act sous le gouvernement conservateur, entrera en application en octobre 2024.

19Le gouvernement propose de prolonger le délai de dépôt auprès des Employments Tribunals d’une réclamation légale relative à l’emploi (statutory employment claim) de trois à six mois. Cette mesure devrait accorder aux travailleur plus de temps pour préparer leur dossier et les encourager à régler le litige à l’amiable.

Conclusion

20Il est tout à fait clair que le gouvernement travailliste a l’intention de faire des réformes fondamentales en droit du travail par sa politique (Make work pay) et qu’il pense à introduire de nouvelles lois controversées, comme le droit à la déconnection.

21Ces réformes sont pensées uniquement au profit des travailleurs, sans tenir compte des difficultés créées pour les employeurs : les questions relatives aux establishments en cas de licenciement économique collectif, les provisions à faire s’agissant du premier jour d’emploi, de la ménopause, des licenciements abusifs, pour n’en citer que quelques-unes, pénalisent l’employeur, entraînant un surplus de tâches administratives et des frais supplémentaires, ce qui se traduit par une augmentation des impôts pour les contribuables.

22Il risque de se produire en outre un véritable déséquilibre dans le système des relations industrielles britanniques et on propose de donner au travailleur le droit de se déconnecter. Ayant fait mention des risques posés par ces mesures radicales et unilatérales, exprimons l’espoir que le Parti Travailliste reste fidèle aux promesses de son Manifeste et du Livre Blanc, et instaure une consultation des entreprises « sur la manière dont sera mise en œuvre cette loi avant qu’elle ne soit votée », ce qui minimiserait les manquements aux principes démocratiques dans les relations industrielles britanniques.

  • 18 The Guardian, 2 août 2024.

23On se souviendra enfin que le gouvernement propose d’instaurer « un véritable salaire décent ». Or, quelques jours seulement après les élections, la Chancelière (Chancellor of the Exchequer) annonçait que la majorité des retraités ne toucheraient plus leur indemnité hivernale de chauffage. Jan Short, de la National Pension Convention, lui a écrit18 : « il y a deux millions de retraités qui vivent au niveau de pauvreté au Royaume-Uni. Cela signifie qu’ils vivent dans des logements froids et humides, font leur toilette à l’eau froide, évitent d’utiliser leur cuisinière, tout cela par économie. Au moins un million de retraités de plus vivent dans la précarité et font face à une insécurité croissante ». Comment concilier ce fait avec « un véritable salaire décent » ?

Jo Carby-Hall
Professeur, Directeur de recherche juridique internationale, Centre d’études législatives, University of Hull

Notes

1 Le Parti travailliste a obtenu 411 des 650 sièges à la Chambre des communes, la chambre basse du Parlement du Royaume-Uni (Source : résultats officiels des élections publiés le 6 juillet 2024).

2 Labour Manifesto, p. 44, « Making Work Pay ».

3 Pour utiliser le langage shakespearien de Macduff dans Macbeth, où le meurtre de l’épouse de Macduff, de ses enfants et de ses domestiques est comparé à un faucon qui pique sur sa proie sans défense (Acte iv, scène 3).

4 Du 17 juillet 2024. Le King’s Speech (rédigé par le gouvernement et non par le monarque) est prononcé à la Chambre des Lords, lors de la cérémonie d’ouverture du Parlement. Ce discours détaille le programme législatif du gouvernement pour la session parlementaire. C’est un évènement crucial dans la démocratie parlementaire britannique.

5 Il faut des mois pour qu’un projet de loi devienne Act of Parliament. Il doit être évalué, débattu et amendé par la Chambre des Communes et celle des Lords, avant d’obtenir le Royal Assent (Accord du Roi).

6 The King’s Speech 2024, Prime Minister’s Office, Background Briefing, notes p. 20.

7 Sauf si le tribunal lui a accordé la responsabilité parentale par jugement et si l’enfant a moins de 18 ans. Voir aussi : https://www.parental-righrs-responsibilitiess/what-is-parental-responsibility

8 La période d’incapacité au travail n’est pas interrompue par le congé annuel.

9 Labour Party Manifesto 2024, p. 45, § 2.

10 Parliament, notes p. 777.

11 « Les minorités ethniques ont des salaires inférieurs à ceux des mêmes groupes sociaux britanniques blancs, et les handicapés connaissent des écarts de salaire de 13,8% en 2021 et 14,1% en 2019 : Briefing, notes, op. cit., p. 77.

12 La législation actuelle accorde un salaire minimum inférieur pour les 18-20 ans et les personnes mineures. Voir aussi la déclaration dans Briefing, notes, p. 45, § 2, au sujet de l’Indépendant Low pay Commission

13 The Employment Rights Green Paper. A New Deal for Working People, p. 10 ; Labour Party Manifesto.

14 Maternity Leave, Adoption Leave and Shared Parental Leave Regulations, 2024, (présenté au Parlement le 11 décembre 2023), projet de loi du gouvernement conservateur.

15 Pour plus de détails et une analyse de ces deux concepts voir J. Carby-Hall, « New Fonciers of Labour Law : Dependent and Autonomous Workers », in B. Veneziani et H. Carabelli (ed.), Du Travail Salarié au Travail Indépendant – Permanences et Mutations, vol. 3., Programme Socrate (2003), Cacucci Editore, p. 163.

16 Le droit à l’indemnité pour licenciement abusif, pour licenciement économique, le congé annuel, le congé parental ou de maternité, l’allocation de maladie, etc.

17 Pour une évaluation plus détaillée, voir J. Carby-Hall, « Company Restructuring and Collective Redundancies in the United Kingdom », in J. Cabeza et al., La Negociaciόn Collectiva Como Instrumento de Gestiόn Anticipada del Cambio Social, Technologico, Ecologico y Empresarial, en cours de publication.

18 The Guardian, 2 août 2024.

Bibliographical reference

Jo Carby-Hall“Les droits des travailleurs sous un gouvernement travailliste britannique”Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 3 | 2024, 344-349.

Electronic reference

Jo Carby-Hall“Les droits des travailleurs sous un gouvernement travailliste britannique”Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [Online], 3 | 2024, Online since 01 October 2024, connection on 20 November 2024URL: http://journals.openedition.org/rdctss/9048; DOI: https://doi.org/10.4000/12f1n

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Source : https://journals.openedition.org/rdctss/9048

A LIRE, sur les grèves au  Royaume Uni en 2022 et en 2023 et sur le durcissement de l’action industrielle dans certains secteurs.
● “Une année de mécontentement social”, Jo Carby-Hall, Revue de droit comparé du Travail et de la Sécurité Sociale, 3-2023, en accès libre.