BD de Piero Macola et Alain Bujak
Futuropolis (2014), 96p.
Abdesslem est un vieux monsieur pauvre comme il y en a tant dans les foyers Sonacotra. Pourtant Abdesslem est un héros de guerre. Comme il y en eu tant lorsque la République avait besoin de bras et de chair pour affronter les allemands ou les guerres d’indépendance et qu’elle abandonna comme les indigènes qu’ils étaient. Avant de s’en retourner auprès des siens, Abdesslem a accepté de raconter sa vie au photographe Alain Bujak. Afin que son malheur, son sacrifice ne reste pas anonyme.
La qualité des grands documentaires réside dans cette fibre humaine qui fait lier le récit graphique et une réalité qui transpire des mots et des images, qui rend la narration vraie. Le format du témoignage direct aide cela. Le dessin l’éloigne souvent en donnent un aspect fictif à des évènements pourtant bien vécus. Comme souvent les récits de témoins de guerre, innombrables, nous semblent toujours trop gros, inconcevables du confort de nos canapés du XXI° siècle. Pourtant l’indéniable véracité de ce que rapporte Bujak nous laisse sous le choc de l’injustice. On a beau connaître les fautes de la France envers ces sous-citoyens qu’étaient les indigènes, ces rappels crus, factuels, marquent notre éthique de citoyen en attente de justice.
Abdesslem est tout simplement enlevé par l’armée un beau jour de ses quinze ans. Il ne reverra sa famille que des années plus tard. On lui fait signer son engagement, lui l’analphabète jugé suffisamment grand pour porter un fusil pour aller se faire trouer la peau sur le Front. Heureusement pour lui la France la perd bien vite cette drôle de Guerre qui voit une armée de va-nu-pieds errer sur les routes de France devant l’avancée allemande, assez vite pour lui éviter de se faire tuer. Pourtant, avec sa morale de bon croyant soumis à l’Ordre il rempile, une fois, deux fois, trois fois. On lui dit qu’il est bon soldat. Il participe à la Libération et à la terrible bataille de Monte Cassino. Il semble traverser cette guerre puis les autres comme un passager, comme son enlèvement l’a rendu, ne comprenant pas bien sa situation mais acceptant son sort, comme celui d’une décision de dieu, peut-être, ou tout simplement parce que c’est ainsi. Il continue en Indochine puis décide de cesser. Il aura passé dix ans de guerres pour un Régime qui lui a enlevé sa liberté, l’a forcé à s’engager pour l’illusoire pension d’ancien combattant.
S’il rentre au pays fonder une famille malgré tout, sa jeunesse a été prise et sa vieillesse le sera aussi par le biais du sarcasme administratif: pour toucher sa pension d’ancien combattant il doit résider neuf mois par ans en France. Ce sera à Dreux, dans un foyer, dans une chambre de seize mètres carrés. Comme un pauvre, un étranger à qui ce pays pour lequel il s’est battu demande encore ce sacrifice se rester loin des siens. Que faire d’autre?
Sous les mots du photographe Alain Bujak la mémoire d’Abdesslem est claire, précise. Les faits sont là, gravés dans son esprit. Ils sont portés par la technique tout en sobriété crayonnée de Piero Macola. Les dessins impressionnent d’évocation, notamment lorsqu’il est question de montrer les nombreux paysages traversés. Je suis toujours effaré par la faculté de ces artistes à proposer des dessins très technique, précis, avec cette estompe grasse, comme son compatriote Turconi.
En conclusion de ce magnifique témoignage les photos de Bujak accompagnent un dernier voyage qu’il fit au Maroc pour annoncer à Abdesslem la revalorisation décidée en 2011 par le gouvernement français sur les pensions des tirailleurs. Car ils sont des milliers a avoir ainsi servi le pays qui les a colonisé et bien mal remerciés. Ce poignant témoignage est un hommage à tous ceux-la.