Cet article se penche sur les discours et les résistances intersectionnels et affectifs de la haine en ligne en explorant l’usage réapproprié des termes « sorcières sans honte » et « putains de la tolérance ». Ces termes sont utilisés de manière péjorative par les groupes anti-immigration pour cibler les femmes blanches qui soutiennent les droits des minorités. En réappropriant ces étiquettes, les femmes transforment la honte en fierté et en résistance. L’article analyse comment cette réappropriation se manifeste dans les espaces numériques, en particulier sur les réseaux sociaux, et comment elle contribue à une nouvelle dynamique de pouvoir et d’affect dans les discours de haine en ligne.
- 1 Cet article est une traduction de « Shameless hags and tolerance whores : feminist resistance and t (…)
- 2 Nous avons choisi de traduire le très délicat « shamelessness » par « sans honte », afin de rendre (…)
1Cet article1 explore le « sans-honte2 » comme une tactique féministe de résistance à la stigmatisation, à la haine et à la misogynie en ligne, dans le contexte des sociétés nordiques durant, mais aussi précédant, la crise migratoire européenne depuis 2015. Pour les exemples suédois qui nous concernent, cela implique une réappropriation affective du terme « hagga » (« sorcière »), qui incarne la féminité sans honte et la solidarité féministe, ainsi que l’événement Facebook « Skamlös utsläckning » (« Extinction sans honte »), dans lequel les symboles affiliés à la sorcière permettent de constituer un imaginaire collectif et une source d’inspiration humoristique au service d’un mouvement féministe en ligne non-mixte. Nos exemples finlandais portent, quant à eux, sur l’appropriation de termes infériorisants ou dégradants utilisés contre les femmes qui défendent le multiculturalisme et qui s’opposent à la montée d’un activisme nationaliste, anti-immigration, à travers les plateformes en ligne.
2Dans ce qui suit, nous examinons les dynamiques affectives de la stigmatisation et du refus de cette dernière, liés à l’appropriation linguistique de termes péjoratifs, ainsi que leurs usages possibles comme actes de résistance féministe. Nous nous demandons comment les dénominations verbales contribuent aux intensités affectives sur les plateformes en ligne, comment elles s’attachent ou manquent de s’attacher aux corps, et quels espaces d’intervention critique elles peuvent permettre (Ahmed, 2004). Le point de départ de notre réflexion est que la misogynie en ligne est fortement imprégnée de racisme, de même qu’elle encapsule fréquemment une homophobie et transphobie. Cet entrelacement des formes de haines nécessite de mobiliser des analyses féministes intersectionnelles qui se concentrent sur l’interaction et l’interconnexion des hiérarchies de pouvoir (Patricia Hill Collins, 1990 ; Kimberle Crenshaw, 1991 ; Patricia Hill Collins et Sirma Bilge, 2016). En se basant sur des posts Facebook, sur des blogs ainsi que sur des forums de discussion en ligne, nous explorons comment le « sans honte », comme tactique de résistance, opère en coupant court aux dynamiques affectives de la haine en ligne qui cible les femmes et les autres autres.
3En dépit de la visibilité actuelle des politiques populistes nationales, des discours islamophobes, et de la collaboration entre activistes anti-immigration et suprémacistes blancs, les contextes suédois et finlandais présentent des différences notables. Contrairement à la Suède qui adopte une politique d’immigration relativement indulgente (même si cela est moins le cas depuis quelques années), la Finlande adopte les principes de la « Forteresse européenne » avec un strict contrôle des frontières. De plus, bien que les deux pays aient une longue histoire en matière d’égalité des genres, le discours public suédois comprend une identification bien plus positive avec le féminisme que celui de la Finlande. Dans le cas de nos exemples finlandais de honte et de résistance se concentrent sur le multiculturalisme et l’anti-immigration, ceux suédois se préoccupent davantage de promouvoir cette agency indisciplinée qui s’écartent des normes blanches, hétérosexuelles et masculines cis. De fait, il nous semble que les dynamiques croisées du genre et de la blanchité restent centrales pour comprendre les formes que peuvent prendre ces instances de haine en ligne, de shaming, et les tactiques résistances de « sans honte ».
Tolérance risquée et naïve
4La catégorie genrée de « kukkahattutäti » – littéralement, « tante au chapeau de fleurs », également traduite par « dame au chapeau fleuri » (Keskinen, 2013 ; Petterson, 2017) et « tata au chapeau fleuri » (Kaarina Nikunen, 2015) – commence à être employée sur les forums de discussion anti-immigration en finnois dans les années 2000, comme un moment simultané de naïveté et de désapprobation moralisatrice. Ces tata au chapeau fleuri peut s’engager dans des luttes contre des médias de divertissements violents ou demander des règlementations de sécurité plus fermes, mais elles sont plus directement associées au soutien de la diversité culturelle, de l’égalité de genre et de la justice sociale. Tout comme le terme « social justice warrior » (SJW), plus neutre sur le plan du genre, utilisé sur les plateformes anglophones, la tata au chapeau fleuri s’oppose à la montée des politiques populistes nationalistes anti-immigration, veut protéger les secteurs culturel et éducatif des coupes budgétaires gouvernementales, accueillir des réfugiés, et agiter le drapeau arc-en-ciel lors de la Pride week (Nikunen, 2015). En tant que telles, les tatas appartiennent à une longue lignée transnationale de figures telles que les « fouineurs antiracistes » et les « gauchistes lunatiques », perçus comme érodant les tissus de cohésion et de standard d’une société donnée (van Dijk, 1993 : 262).
5La « tata au chapeau fleuri » évoque une femme d’âge moyen, de gauche, éduquée, qui ne sont plus si jeune ou conventionnellement sexy, et engagée dans des efforts humanitaires. En même temps, ce terme a été approprié et adopté par des personnes d’âges et de genres divers, comme un avatar d’auto-identification flexible, résistant et positif. La tata au chapeau fleuri est très proche de « suvakki », une insulte qui combine la tolérance (« suvaitsevainen ») et l’expression de cours de récréation (« vajakki ») du terme réactionnaire pour les personnes porteuses de déficience mentale (« vajaamielinen »). Ce terme a émergé pour la première fois en 2012 dans un blog anti-immigration détaillant les crimes sexuels commis par des hommes étrangers et la manière dont les femmes « pathologiquement tolérantes » censurent activement les nouvelles de tels incidents, tout en accusant de racisme ceux qui les médiatisent (Xeima, 2012).
6Ces femmes sont, en d’autres termes, perçues comme stigmatisant et réduisant au silence les personnes en désaccord avec leurs positions de gauche. Sur ce blog très populaire, le politicien anti-immigration James Hirvisaari, condamné pour discours de haine et expulsé du Parti des Finlandais, populiste, après avoir accueilli un invité faisant des saluts nazis au Parlement, a inventé le terme « suvakkihuora », combinant suvakki (pathologiquement tolérante) avec « huora » (putain). Selon les propres clarifications de Hirvisaari, le terme n’est pas spécifique à un genre mais fait référence à « l’infidélité envers son propre peuple », et peut donc être appliqué aux personnes cherchant à étiqueter les activistes anti-immigration comme racistes.
7Le terme « putain de la tolérance » charrie néanmoins avec lui des connotations agressivement genrées, ce qui diffère de celles, dé-sexualisées, de la « tata au chapeau fleuri ». L’injure s’appuie sur des fantasmes pérennes anti-immigration d’hommes étrangers qui viendraient « prendre nos femmes », mais aussi, de façon alambiquée, sur la figure du violeur musulman qui est réapparue à l’occasion de la crise des réfugiés (Karina Horsti, 2017). Par excès d’une naïveté qu’elles partagent avec les « tatas au chapeau fleuri », les « putains de la tolérance » ne parviendraient pas à comprendre le fondement misogyne et agressif des hommes étrangers. Cette même naïveté les amènerait d’ailleurs à réprouver les activités de ceux qui les protègent, comme le groupe de justiciers « Les Soldats d’Odin », qui patrouille pourtant dans les rues de la ville pour qu’elles restent en sécurité. « Infidèles » à leur propre peuple, les « putains de la tolérance » et les « tata au chapeau fleuri » ne parviennent pas à voir les hommes finlandais blancs comme leurs véritables alliés et protecteurs, et les accuse en lieu et place de racisme. Karina Horsti illustre l’ancrage de cette représentation dans le contexte suédois, où les blogueurs anti-islamiques ont construit une blanchité imaginaire transnationale unifiée qui est vue comme menaçante à la fois par le féminisme libéral et par l’Islam (2017 : 1440-41). Alors que la femme nordique reste un objet à protéger, ses mouvements vers l’indépendance sont également vus comme un risque pour la masculinité blanche. De façon peu surprenante, les discours de haine ciblant les femmes « polluées par le multiculturalisme » prennent régulièrement la forme d’un fantasme de viol : puisque ces femmes échouent à comprendre les risques qu’il y a à protéger les innocents, elles mériteraient donc d’être violées par des immigrés (Horsti, 2017 : 1451).
8Les « tatas aux chapeaux fleuris » et les « putains de la tolérance » sont donc des figures explicitement genrées qui impliquent une association à gauche pouvant se contaminer, mais elles ont également des connotations différentes. Les « tata au chapeau fleuri » sont des femmes d’âge moyen, de classe moyenne et éduquées, tandis que les « putains de la tolérance » peuvent être plus jeunes ou plus âgées et n’occupent pas de position spécifique dans les strates sociales. En tant que « traîtres à la race » infidèles à leur propre peuple, ces deux catégories sont néanmoins perçues comme blanches par défaut, en dépit de la diversité au sein des personnes résistant à l’activisme anti-immigration. Dans ces images, les attributs misogynes de la naïveté et de la simplicité d’esprit féminines jouent un rôle funeste en ce qu’ils amènent ces femmes à ouvrir en grand les frontières nationales. Au-delà d’une simplicité d’esprit, ces femmes « tyranniques » et « pathologiquement tolérantes » sont aussi motivées par un « désir narcissique » d’améliorer le monde. Mais cette recherche d’une forme de satisfaction identitaire, sur la forme innocente, est sur le fond dangereuse tant elle en viendrait à censurer et opprimer l’opinion de la majorité, une opinion nécessairement de droite. En conséquence, le terme « suvakki » a été, depuis sa toute première introduction, associé à l’idée d’une pathologie contagieuse, qui se propage à travers les médias de gauche et qui menace le bien-être de la nation (Xeima, 2012).
9Ces exemples montrent ainsi comment la haine raciste exprimée sur internet s’attache à la fois aux corps marqués comme “non-nous” et aux corps des femmes blanches antiracistes coupables de trahir les leurs. La haine en ligne s’accroche aux corps marqués comme autres, circule et s’amplifie à travers eux de manière à effacer, ou à souligner, leurs différences mutuelles (Ahmed, 2001 ; Tyler, 2006). Bien que les cibles spécifiques des « toiles de haine » en ligne (Kuntsman, 2010) varient des femmes aux réfugiés, en passant par les membres des minorités sexuelles et les personnes s’identifiant à un genre non binaire, et d’autres encore, elles sont également profondément liées à un mépris culturel répandu pour les corps féminins et racialisés. Ces toiles rassemblent des individus et des groupes dans des alliances, des distinctions et des conflits temporaires et plus durables, où les catégories intersectionnelles de la différence corporelle et de la différenciation rencontrent des positions politiques et des agendas militants. Elles sont tissées et animées par des intensités et des investissements affectifs, dont les articulations s’attachent aux corps représentant à la fois “nous” et “eux”, et alimentent parfois des mouvements ambivalents entre des positions identitaires apparemment opposées. Comme Adrienne Shaw le souligne (2014 : 273), Le sexisme violent et la misogynie en ligne sont « aggravés par le racisme, l’homophobie, le capacitisme et toutes les autres formes de haine ». Cela signifie également que les formes de haine intersectionnelles se nourrissent et s’amplifient mutuellement (Lähdesmäki et Saresma, 2014).
10Comme la notion plus douce de la « tata au chapeau fleuri », celle de « putain de la tolérance » a été réappropriée comme un point d’autoidentification, allant d’une chroniqueuse de journal féministe (Talvitie, 2016) au duo d’artistes féminines, Tärähtäneet ämmät/Nutty Tarts, qui ont conçu des t-shirts au titre de « putains de la tolérance » pour Amnesty Finlande. Nutty Tarts a contextualisé le processus de conception en expliquant que « le discours de haine s’est affirmé dans de nombreux médias. Nous aussi avons été désignées comme “putains de la tolérance”. Il y a de nombreuses manières d’aborder le discours de haine – la nôtre a été de prendre courageusement à notre propre compte les étiquettes de filles faciles et de putains » (Amnesty Finlande, s.d.). De leur côté, les Soldats d’Odin ont été linguistiquement et symboliquement réappropriés par les « Loldats d’Odin » qui, habillés en tenue de clown, suivaient les vigiles pendant leurs patrouilles de rue en 2015-2016 avec le but explicite de se moquer et de les ridiculiser. À travers l’affichage de t-shirts et une posture provocante, l’appropriation linguistique permet d’opposer, dans l’espace public, une forme de résistance, à la fois performative et incarnée. En même temps, la force et l’impact de telles résistances sont drastiquement étendus et amplifiés par la couverture médiatique des réseaux sociaux qui permettent une large visibilité affranchie des limites des autres formats médiatiques.
La honte et le shaming dans les rencontres haineuses en ligne
- 3 Comme le notent Karen Lumsden et Heather Morgan (2017), de telles stratégies de mise sous silence s (…)
11Les stratégies et registres de la haine en ligne visent à humilier et à créer la peur. À travers des combinaisons d’abus verbaux, de menaces de mort, de menaces de viol et de shaming du corps, la haine en ligne vise à effrayer, intimider et faire taire la victime (Megarry, 2014)3. En réfléchissant sur la politique affective de la peur, Sara Ahmed (2004 : 68) pose sur ce sujet la question cruciale de savoir « quels corps effraient quels autres ». Ici, la peur opère dans les rencontres en ligne de deux manières au moins : en tant que peur de l’autre et en tant que stratégie du silence. Les tentatives de faire taire, d’éloigner, d’intimider et de marquer l’autre comme différent peuvent être vues comme motivées par une peur qui est inégalement distribuée en raison de la manière dont elle croise la violence, et la menace de celle-ci (Ahmed, 2004). Les intensités désagréables de la peur liées à la haine en ligne a le pouvoir de rediriger les corps des femmes et des autres autres, et tend à diminuer leur capacité à agir, à parler, à contester et à s’engager.
12La haine en ligne peut être comprise comme une force perturbatrice qui cherche à moduler et à contrôler les capacités des corps à agir et à se mouvoir, à affecter et à être affectés les uns par les autres. En tant que telle, elle impacte non seulement certaines politiques de représentation, mais aussi des registres et des capacités affectives. Dans les théories intersectionnelles, le pouvoir est habituellement considéré comme ce qui lie et structure les catégories d’identité ; ici, cependant, le pouvoir est ce qui se transmet entre les corps. Le pouvoir, alors, fonctionne relationnellement dans un sens différent, comme une force affective qui peut être restrictive mais qui peut aussi renforcer les capacités d’agir (plutôt que simplement déterminante). Le pouvoir, tout comme la haine en ligne avec laquelle il s’entrelace, en vient à consister en des circuits affectifs qui lient le sujet et les objets ensemble, les faisant changer et évoluer, parfois de manière assez violente. Cela signifie alors que ces circuits affectifs sont le terrain central de la résistance et du brouillage.
13Outre les effets paralysants potentiels de la peur, la haine en ligne réduit efficacement au silence et handicape autrement les corps des autres par la honte. En menaçant, en exposant et en sexualisant violemment les corps des sujets féminins, féminisés et racialisés – des corps déjà susceptibles d’être ciblés de manière indésirable – la haine en ligne misogyne entretient une relation complexe avec la honte. Tout comme la peur, la honte influence et traverse les corps, façonnant et remodelant les espaces sociaux dans lesquels ils évoluent. Animés par la honte, les corps se détournent et se retournent, d’une façon qui implique le repli sur soi, de même que la réduction des espaces de mouvement (Probyn, 2005). Pour Silvan Tomkins, la honte agit comme un disjoncteur, créant une rupture dans la sociabilité. Animée par un sentiment d’infériorité et d’échec, la honte surgit lorsqu’on désire être reconnu et apprécié par les autres mais qu’on échoue : en ce sens, la honte nécessite un intérêt ou un désir qui est retardé ou bloqué. Vue sous cet angle, la honte ne découle pas de la répression ou de l’internalisation d’un « mauvais » comportement, mais plutôt d’une rupture fondamentale dans l’identité relationnelle (Ahmed, 2004 : 103-05 ; Sedgwick, 2003 : 37 ; Tomkins, 1995 : 399-400). La honte façonne l’identité en réorientant et en reroutant les stratégies relationnelles vers soi-même et vers les autres d’une façon qui connecte l’affect aux politiques culturelles.
14Il y a ceux et celles, comme le note Eve Kosofsky Sedgwick, « dont le sens de leur identité est, pour une raison quelconque, durablement connecté au sentiment de honte » (2003 : 63). Pour Sedgwick, la question des identités enclines à la honte est étroitement liée, bien que non exclusivement, à la honte queer, tandis que d’autres ont mis en lumière, dans les dynamiques de la honte, les intersections entre femmes et queers (Munt, 2007 ; Probyn, 2005), ainsi qu’entre les personnes « noires » et « queer » (Bond Stockton, 2006). Ces groupes, et leurs intersections, se cristallisent à travers les expériences d’être perçus comme socialement inférieurs et inadaptés, après avoir été publiquement stigmatisés comme défaillants et dégradés. Ainsi conceptualisées, les identités enclines à la honte se développent de manière inégale, en raison de leur proximité et de leur incapacité à incarner les normes blanches, hétérosexuelles et masculines, et à être reconnues et valorisées en fonction de ces normes.
15La résistance et le retravail de la honte mettent en évidence à quel point les courants affectifs de la peur et de la honte ondulent, adhèrent et glissent différemment selon les corps : il n’existe pas une unique dynamique affective opérant de manière uniforme. Au contraire, la peur, la honte et l’absence de honte font partie d’un champ de forces mutable qui impacte les corps et les fait passer d’un état à un autre de manière différente. Ces trajectoires peuvent être surprenantes : la personne ciblée par un discours haineux peut éclater de rire face à son absurdité, sans ressentir aucune des peurs, anxiétés ou insécurités voulues (Mäkinen, 2016). Ainsi, la haine en ligne, tout en réduisant efficacement les espaces d’action, mobilise également les corps. Les sentiments de honte et de victimisation peuvent pousser celui qui est humilié à devenir celui qui humilie, renversant rapidement le douloureux sentiment de honte en cherchant un autre à humilier : dans de tels cas, la honte se transfère et se dirige vers d’autres corps (Stein, 2006).
16Une contre-tactique féministe clé consiste à renverser la honte et à utiliser le « sans honte » comme tactique de résistance. Les voix queer et féministes placée sous honte ont souvent en commun un intérêt pour les tactiques politiques en vue de braver ou de surmonter la honte (Brooks Bouson, 2009 ; Burrus, 2008 ; Munt, 2007 ; Stockton, 2006). Mettre l’accent sur la colère comme une manière de sortir de la honte et de la peur a été, dès le début, une tactique féministe, et le passage de la honte à la fierté a été en accord avec les tactiques du mouvement de la gay pride et du mouvement black power.
17Cela a longtemps impliqué l’appropriation de la terminologie haineuse, depuis les féministes culturelles revendiquant les termes « sorcières« et « vieilles » pour des objectifs gynocentriques (Daly, 1978), à la réutilisation de termes tels que « queer » ou « gouine » comme sources de fierté (Bianchi, 2014 ; Brontsema, 2004). On peut également considérer les marches Slut Walks, plus récentes, qui s’opposent au slut-shaming et au blâme genré des victimes lors de crimes sexuels (Ringrose et Renold, 2012). L’appropriation a été largement reconnue comme une tactique subalterne pour transformer les stratégies de honte et de ridicule en sources potentielles d’empowerment. Comme le note Jo Reger (2015) à propos des Slut Walks aux États-Unis, de tels points d’identification ne sont néanmoins pas uniformément accessibles : comme dans tant d’autres contextes, les étiquettes péjoratives destinées à faire honte adhèrent moins fermement aux corps marqués comme blancs.
18Les étiquettes de « tata à chapeau fleuri » naïve ou de « putains de la tolérance » hors de contrôle, dénichées par les activités anti-immigration finlandais, semblent naître de ce sentiment de douleur et de honte provoqué par les accusations de racisme, ainsi que par le sentiment d’être négligés et méprisés par les membres d’un groupe socioéconomique supérieur (Mäkinen, 2016 : 552). Les « tata au chapeau fleuri » et les « putains de la tolérance » méritent ces titres parce qu’elles tendraient à accuser les activistes anti-immigration de racisme, d’ignorance plouc ou encore de préjugés. Dans cette dynamique, le sentiment d’être humiliés, déclenche chez ces militants la nécessité de faire honte aux autres en retour. Aussi décalé que cela puisse paraître, la réverbération affective continue lorsque ces autres embrassent les étiquettes destinées à les humilier, non pas par une tactique de « sans honte », mais par une forme d’acceptation d’être ainsi ciblés. Si les humiliés ne recherchent pas de reconnaissance ni d’acceptation de la part de ceux qui les humilient, les circuits affectifs de la honte, de l’infériorité et de l’échec ne sont pas animés : l’interpellation à la honte échoue.
Les politiques féministes du « sans honte »
19Jusqu’à présent, nous nous sommes principalement concentrés sur l’appropriation linguistique comme moyen de combattre la haine en ligne et la honte, en réinterprétant le péjoratif de manière positive, ou du moins comme potentiellement productive. Dans la suite, nous explorons plus en détail les formes et fonctions du « sans honte » comme contre-tactique féministe, à travers des études de cas suédoises qui impliquent un réajustement affectif particulier, lié à l’agence non-masculine.
- 4 « L’extinction » se réfère à la psychologie du comportement et désigne un affaiblissement progressi (…)
- 5 Post original de l’invitation au « Shameless Extinction ».
20Pendant quelques mois à la fin du printemps 2016, un type de mouvement de guérilla féministe a été initié à travers l’événement Facebook « Skamlös utsläckning » (« Extinction Sans Honte »)4. L’initiative a été lancée par Alice Kassius Eggers, une auteure, journaliste et critique littéraire suédoise, et son collègue Elliot Lundegård. Les débuts furent prudents, mais en quelques jours seulement, l’événement a attiré plus de 6 000 participant·e·s, dont de nombreuses personnalités publiques renommées. L’invitation lançait un appel à « une vague d’expressions artistiques géniales mais à moitié sérieuses sur Internet et dans la vie réelle, en ville et à la campagne, à l’extérieur des théâtres et dans les cages d’escaliers », un appel visant à rediriger et redistribuer la honte, à la faire circuler autrement5.
21Leur idée était aussi simple qu’attrayante. Fondée sur une profonde frustration devant la façon dont les hommes cis blancs tendent à soutenir et promouvoir continuellement d’autres hommes cis blancs (même en l’absence de charisme, d’unicité, de courage et de talent), et cela tout en humiliant simultanément les femmes, cette initiative souhaitait créer un espace « sans honte » pour les non-hommes, dans lequel cette dynamique pourrait être inversée. Le terme « non-hommes » deviendrait ainsi un terrain de lutte au sein de la pratique féministe, représentant une étiquette basée sur la négation qui expose clairement le conflit douloureux entre un féminisme centré sur les femmes et un féminisme trans-inclusif, dans lequel la notion de genre binaire n’a jamais eu de sens. En tant que point de départ pour un mouvement politique, cette catégorie cherche à inclure non seulement les femmes cis, mais aussi les corps trans et non-binaires, considérés comme autres en opposition aux normes masculines blanches et hétérosexuelles.
22L’appropriation récente du terme suédois « hagga » (équivalent de sorcière, souvent utilisé en référence à une consommation problématique de nourriture, de sexe ou d’alcool, comme dans l’expression anglophone « wine hag ») sur les réseaux sociaux et ailleurs résonne également avec les tactiques politiques de confrontation et de transformation de la honte. Dans un article partagé plus de 6 400 fois sur Facebook, l’écrivaine suédoise Elin Grelsson Almestad (2016) explore ce qu’elle considère – non sans erreurs – comme une nouvelle tendance féministe motivée par le désir d’embrasser le « sans honte ». Elle fait référence à un extrait du roman à paraître d’Aase Berg, Kvinnofällan (Le Piège pour les Femmes) : « Je suis dans le piège pour les femmes. Et maintenant bon sang, j’en sors. Je prends la sorcière comme mon arme. Je deviens maintenant une sorcière. Et sorcière est aussi un verbe. Sorciérer. C’est une action. Une putain d’action active ». Basé sur une longue lignée de sorcières excessives dans la littérature et la culture populaire qui relie le roman I Love Dick de Chris Krause (dans lequel le « je » se décrit comme une sorcière arnaqueuse d’argent) aux « vieilles sorcières » que sont Patsy et Edina de la série télévisée Absolutely Fabulous, Almestad entrevoit un mouvement féministe qui s’inspire de femmes jugées « trop vieilles » pour être rebelles, et certainement trop fatiguées pour plaire (aux hommes hétérosexuels).
23La collection de poésie Hackers d’Aase Berg (2015), qui a reçu de nombreux commentaires féministes élogieux dans les médias, constitue une autre référence essentielle dans le récent domaine du hagging féministe suédois. « Ceci est une menace », commence Hackers et poursuit dans une forme ardente de piratage féministe, une reprogrammation poétique de l’hétéropatriarcat, depuis l’intérieur. En réponse à la violence masculine, Berg offre une résistance farouche et passionnée.
Elle riposte :
grosse percée,
vieille sorcière alcoolique,
injure de l’automutilation.
La femme bien élevée
ne lève jamais
la main.
24Contrairement aux femmes de classe moyenne bien éduquées et posées, Berg représente quelqu’un de nettement plus incarné, endommagé, violent et nettement considéré comme « white trash ». Elle argue que la sorcière est une compagne féministe bien meilleure que la « kulturtanten » (tante culturelle), une figure inoffensive et de gauche, clairement apparentée aux tantes aux chapeaux fleuris du pays voisin. Dans ces représentations, les sorcières sont vieillissantes, alcooliques et peu attentionnées, du moins envers les hommes. Dans un podcast partiellement dédié à la sorcière, les journalistes Kristin Nord et Maria G. Francke (2016) soulignent l’importance de l’alcool pour la sorcière (comme le montrent des expressions telles que wine hag et grog hag), le considérant comme un moteur du « sans honte ». Elles encouragent ainsi leurs auditeurs à pratiquer le hagging, même durant les heures de bureau, normalement sobres.
25Utiliser la sorcière comme figure féministe oppositionnelle n’est certes pas une nouveauté. En écrivant sur la solidarité entre les femmes, les sorcières et d’autres sujets féminins jugés inappropriés dans le contexte du féminisme culturel des années 1970, Mary Daly souligne que cette démarche implique de ne pas inviter les hommes et qu’elle « n’est en aucun cas conditionnée à l’approbation masculine, ni n’est arrêtée par la peur (réaliste) d’actes brutaux de vengeance masculine » (Daly, 1990 : xlvi). Ce projet gynocentré résonne clairement avec le regain d’intérêt actuel en Suède pour la figure de la sorcière et son potentiel en tant que symbole de « sans honte » féministe.
- 6 Lorsque « Skamlös utsläckning » a été dissous, il a en fait été divisé en deux groupes fermés : un (…)
26L’événement Facebook « Extinction Sans Honte » consistait à développer de nouvelles façons d’occuper l’espace, à jouer avec les normes et les attentes, et à rêver et fantasmer collectivement et sans honte, dans le but de libérer de l’espace pour d’autres corps et voix. L’accent était principalement mis sur les expériences de pensée plutôt que sur l’action directe. Cependant, une telle réflexion collective, le jeu, les plaisanteries et les fantasmes peuvent s’avérer fondamentaux dans les intensités affectives qu’ils génèrent, qui mettent les corps en mouvement et les réorientent6.
27Pendant l’événement, les gens ont écrit sur des projets grandioses, certains factuels et d’autres non. Beaucoup ont parlé de leurs expériences en tant que non-hommes, mais d’une perspective inversée, en se mettant dans le rôle de l’oppresseur sans honte. En partie en raison de la spécificité du monde semi-fermé facilité par la fonction d’événement Facebook, c’est un espace sûr et un sentiment d’appartenance à une société secrète qui ont ainsi été créés. À travers les logiques d’un monde à l’envers, carnavalesque et transgressif, (Bakhtine, 1968), un univers comique féministe a été créé, densément peuplé de woman-splainers, woman-spreaders, cuntblockers, mères absentes, stalkers féminines, femmes d’âge moyen avec un goût prononcé pour la chair fraîche, lesbophobie, réseaux de vieilles filles, et l’occasionnelle « bonne » fille méniniste. Tout cela relève d’une comédie féministe :
- 7 Post sur « Shameless Extinction », 1er mai 2016.
C’est tellement rageant de ne plus pouvoir avoir une conversation intellectuelle sans être accusée de « woman-splaining » ou de « girl-guessing » dès que tu essaies d’informer les autres sur quelque chose, parce qu’il se trouve que tu es une femme. (35 likes)7
- 8 Post sur « Shameless Extinction », 3 mai 2016.
Parfois, quand des hommes me parlent, je ne réponds pas. J’ai besoin de réfléchir pendant un bon moment et en quelque sorte je n’arrive pas à trouver une réponse. L’étrange, c’est que cela n’arrive qu’avec les gars, jamais avec les filles. Je viens de voir un gars dans le métro qui était stressé, il a demandé à sa copine si elle avait bien pris leurs passeports, et elle n’a pas répondu, elle a juste fixé le vide devant elle et elle a reniflé du snuff. Je m’identifie complètement ! (64 likes)8
Le jour où mes fils ramènent des copines à la maison, alors je sortirai le putain de fusil. Aucune nana ne posera jamais ses sales pattes sur mes princes. Je suis une fille moi-même, donc je sais comment fonctionnent les filles. (253 likes)
- 9 Post sur « Shameless Extinction », 1er mai 2016.
Parfois je suis un peu offensée et j’envoie des photos de ma chatte. Après tout, c’est une putain de belle chatte. (65 likes)9
Les limites affectives du « sans honte »
28La misogynie en ligne s’attaque violemment aux individus non-masculins, non-blancs et non-hétérosexuels qui se manifestent et incarnent la différence sur les plateformes publiques en ligne. Les figures publiques telles que les politiciens et les journalistes y sont particulièrement vulnérables, de même que les auteurs, artistes et musiciens qui défendent le féminisme et l’antiracisme. L’auteure suédoise Maria Sveland (2013) soutient que, même si les féministes et antiracistes publics sont ciblés de manière disproportionnée par les instigateurs de haine, le simple fait d’être visible et audible en tant que femme sur les plateformes en ligne et ailleurs (sans nécessairement prendre position pour le féminisme) peut suffire à provoquer une vague de haine. Wendy Hui Kyong Chun (2016) interprète le « slut shaming » en ligne comme le transfert de la peur engendrée par les technologies numériques vers les corps des femmes et leurs prétendus comportements honteux. Bien que ne traitant pas explicitement de la haine en ligne, les activités de « Shameless Extinction » offrent une fondation solide pour y résister en créant une plateforme pour des contre-imaginaires féministes. Dans ce contexte, l’événement contribue à ce que Zizi Papacharissi (2015) décrit comme des publics affectifs, c’est-à-dire des articulations collectives de sentiments qui mettent en avant un sentiment de connexion, plus ou moins temporaire, et qui, avec une intensité contagieuse, ont le potentiel de stimuler l’action politique :
- 10 Post sur « Shameless Extinction », 29 avril 2016.
Submergée de sentiments de guérilla. Bonne nuit les amours. Souvenez-vous, le mauvais est le nouveau politique. (93 likes)10
- 11 Post sur « Shameless Extinction », 27 avril 2016.
Vous rendez-vous compte à quel point nous sommes nombreux ? (118 likes)11
- 12 Post sur « Shameless Extinction », 28 avril 2016.
On reste complètement estomaquée face à toutes ces pensées et idées, quand on imagine la pratique d’un ordre complètement différent, d’un monde différent. (24 likes)12
29Alexander Cho (2015) explore le concept de « réverb » comme une métaphore temporelle permettant d’analyser la force, l’intensité et le flux de l’affect en ligne. La « réverb » est décrite comme quelque chose qui réverbère à travers autre chose, tel un écho ou une résonance, représentant ainsi une forme de répétition vibratoire qui introduit une sensible variation. Dans le contexte d’un monde à l’envers comique et féministe, la réverbération trouvait un écho profond chez les participant·e·s, résonnant avec des expériences passées désagréables mais transformées en comédie dans le présent. Partant de sentiments tels que l’inconfort, la frustration et la colère, l’effet marquant de l’événement était étroitement lié à une forme distincte et intense de « résonance affective ». Cette résonance créait une sorte de vibration empathique chez les participant·e·s à travers la reconnaissance (Paasonen, 2011). De plus, les participant·e·s ressentaient un sentiment de confidentialité et d’appartenance à un mouvement révolutionnaire à basse fréquence, ce qui formait un sentiment de connectivité compressé. Cette dynamique rappelle la façon dont Jodi Dean (2010) le pouvoir du plaisir en réseau et de la capture contagieuse au sein des circuits affectifs de la pulsion.
30Puis la honte façonne l’identité, il est impossible de s’en débarrasser complètement. Le « sans honte », par conséquent, n’est pas l’antithèse de la honte ni son absence, mais plutôt une manière de jouer avec la honte et de contrer les tentatives d’humiliation en manipulant et en inversant ses opérations dynamiques affectives, souvent en les retournant, en les ignorant ou en ridiculisant sciemment ces tentatives. En réécrivant la honte, Sally Munt (2007 : 182) décrit ce processus comme celui d’un individu qui, ayant été humilié et s’étant détourné, se libère et trouve momentanément la liberté de regarder autour de lui et de nouer de nouvelles connexions propices ». L’événement Shameless Extinction peut être perçu comme un tel lieu de libération, où les participant·e·s sont libres d’explorer et de créer de nouvelles relations prometteuses.
31Il existe également des inconvénients aux usages politiques du « sans honte », car occuper de l’espace se fait toujours au détriment de quelqu’un d’autre. Qui, alors, a le droit au « sans honte » ? Et qui reste contraint par la honte ? Certain·e·s participant·e·s étaient préoccupé·e·s par la façon dont ces audacieux fantasmes féministes se manifestaient aux dépens des hommes, avant d’être informés sur le potentiel explosif de la parodie politique et la pratique légitime de rébellion par les opprimés. En ciblant explicitement les « non-hommes », Shameless Extinction a rassemblé un public diversifié (femmes, personnes racisées, queers, trans, et non-binaires) mais leurs différences mutuelles n’étaient pas particulièrement visibles ni effectives dans les performances des publications, car l’événement s’est davantage focalisé sur la critique et la moquerie des normes exclusivement blanches, hétérosexuelles et masculines. En jouant avec et en performant la masculinité blanche hétérosexuelle (même à travers un renversement complet des rôles), l’événement a surtout masqué comment les participant·e·s étaient eux-mêmes et elles-mêmes différemment positionnés vis-à-vis de ces normes. Cette occultation a ainsi contribué à dissimuler comment une politique du « sans honte » est liée à la fois au privilège de classe et de race parmi les non-hommes.
- 13 Pour une discussion sur les performances de jeunes femmes affichant une tactique « sans honte » plu (…)
32Dans ce renversement de genre, où les normes masculines blanches hétérosexuelles sont subverties et incarnées par des corps féminins dans l’imaginaire féministe d’un monde à l’envers, la sorcière impudente occupe une place centrale. « Elle » prend la liberté de naviguer dans le monde « comme un homme », défiant la honte associée à ces normes qui préservent une féminité blanche et bourgeoise, et donc respectable. La blancheur n’est donc pas seulement vue comme une partie du privilège masculin en jeu lors de l’événement, elle est aussi considérée comme un élément des normes garantissant une féminité respectable, une féminité que celle de la sorcière effrontée va, précisément, menacer. Cependant, pour résister ou jouer avec les normes de la féminité respectable, il est nécessaire d’avoir d’abord accès à la respectabilité (Skeggs, 1997)13. La vulgarité ouvrière blanche de la sorcière effrontée peut paraître libératrice du point de vue des sensibilités de la classe moyenne, tout comme les t-shirts de la « putain de la tolérance » peuvent sembler plus adaptés aux corps de la classe moyenne qu’à ceux des personnes marginalisées en termes d’éducation et de revenu.
33Le jeu avec la honte et le respect est également inaccessible aux femmes non-blanches et à d’autres sujets marqués racialement déjà catégorisés comme honteux ou sexuellement déviants (Perry, 2015). En résistant ou en travaillant à travers la politique genrée de la honte, le virage vers la décadence dans Shameless Extinction était, en somme, soutenu à la fois par le privilège de classe moyenne et le privilège blanc, semblable à celui identifié dans les protestations des slut walks.
Réanimer les vieilles sorcières et les putains
34Les formes de résistance féministe à la mise sous silence en ligne et à la haine abordées dans cet article s’inscrivent dans un cadre politique quelque peu fantastique, mêlant appropriation, imagination et réajustement affectif à travers le « sans honte ». Ces méthodes ne se contentent pas de réagir à la misogynie en ligne, elles sont productives en ouvrant un espace pour des contre-imaginaires féministes dans un climat politique nordique plutôt morose par ailleurs. Comme l’affirme Lauren Berlant, « en tant que tactique politique, le « sans honte » est l’acte performatif de refuser la limitation de l’action que le censeur tente d’imposer » (Najafi, Serlin et Berlant, 2008). Les stratégies de résistance féministe contre le silence et la haine en ligne que cet article explore se déploient dans un cadre politique quelque peu extraordinaire. Elles utilisent l’appropriation, l’imagination et l’ajustement des émotions pour combattre la haine de manière créative, fournissant ainsi un espace pour des visions féministes alternatives dans un contexte politique nordique souvent sombre. Lauren Berlant explique que le « sans honte », en tant que tactique politique, est l’action de refuser les limites imposées par les censeurs (Najafi, Serlin et Berlant, 2008). Les formes explicites, ou « sans honte », de l’absence de honte peuvent néanmoins se replier sur la honte plutôt que de rompre ses circuits affectifs. Être ouvertement et fièrement sans honte peut s’accompagner d’un désir d’être humilié en défiant les autres de le faire. Berlant utilise l’absence de honte politique des médias de droite comme exemple de tels espaces performatifs hyperboliques : « Amenez-nous la honte, disent-ils, nous sommes sans honte ; alors allez-y franchement ! » Mais comme le note Berlant, les actes performatifs de sans-gêne n’ont pas besoin d’être confrontants ou provocateurs. Ils peuvent également impliquer de la maîtrise de soi ou de la retenue dans des contextes inattendus.
35Les performances discrètes de sans-gêne ont le potentiel de déconstruire les défenses normatives en échouant et en refusant d’accéder aux registres affectifs dont les humilieurs ont besoin pour contrôler l’échange. Ainsi, elles pointent vers l’échec dans la dynamique de l’humiliation qui, selon Tomkins, nécessite le désir d’être accepté et reconnu par les humilieurs. Si ce désir est absent, les circuits affectifs sont coupés et aucun sentiment d’échec n’est susceptible d’émerger. Dans les cas où l’on ne se soucie pas ou n’a pas besoin de se conformer aux normes selon lesquelles les étiquettes de putains de la tolérance, de tantes à chapeaux fleuris ou de vieilles sorcières sans honte sont articulées, l’adhérence blessante des étiquettes péjoratives s’amenuise. Comme nous l’avons proposé, ces espaces de distance, de désintérêt et de désaveu sont plus facilement accessibles à celles et ceux qui ne sont pas positionné·e·s par défaut à travers l’infériorité, l’échec et la honte. La distance affective et la possibilité de jouer avec un discours destiné à blesser témoignent, en somme, d’un privilège (Mäkinen, 2016).
36Une façon similaire de réduire la pression des étiquettes péjoratives est de se réapproprier linguistiquement les termes utilisés pour humilier ou blesser. Dans leur discussion sur l’animacité du langage, ce qui rend le langage vivant et lui donne une force affective, Mel Y. Chen (2012) examine comment les insultes linguistiques contiennent des hiérarchies de la matière en qualifiant certains humains de moins qu’humains. Alimenté par sa capacité à animer la matière, le langage fonctionne dans de tels cas (peut-être paradoxalement) comme un moyen de désanimer et de déshumaniser : « Les insultes, les langages humiliants, les injures et les discours blessants peuvent être considérés comme des outils d’objectification, mais ceux-ci, de manière cruciale, s’appuient paradoxalement sur l’animacité en objectifiant, fournissant ainsi des possibilités de réanimation » (Chen, 2012 : 30). En raison de la vive affectivité du langage, les actes de réappropriation ou de réanimation de certaines étiquettes visent à saisir leur pouvoir affectif comme un mouvement vers l’action politique.
37Les « vieilles sorcières sans honte » et les « putains de la tolérance » peuvent être comprises comme de tels points de retournement linguistiques et affectifs, c’est-à-dire comme des instances où la transformation des insultes en objets est redirigée vers des pratiques de fabrication de sujets. Les vieilles sorcières et les putains sont en un sens des sujets abjects (ou des sujets-objets), conscients de leur objectification, mais retravaillant cette objectivité vers la subjectivité de manière à mélanger honte, fierté et assurance, jouant sur ce que Chen appelle « la politique vertigineuse du est-et-n’est-pas de la réappropriation des insultes » (2012 : 35).
38Cependant, puisque les actes de réanimation et de réappropriation sont basés sur la volatilité de l’affect, leurs résultats sont toujours incertains. Le pouvoir de la réappropriation réside dans l’adhérence affective des étiquettes, dans le fait que la force même de l’objectification est en quelque sorte opérationnelle dans le nouvel usage, bien que de manière différente (« est-et-n’est-pas »). Mais cela signifie également que la frontière entre réappropriation et objectification reste imprévisible. L’expression « putain de la tolérance » fournit un lien explicite entre désanimation et réanimation. Le travail de la vieille sorcière est plus subtil en ce que sa résurgence récente ne correspond pas à un accroissement récent de la désanimation, mais s’appuie plutôt sur une longue histoire d’étiquetage péjoratif. Les effets des actes de réappropriation peuvent également être distribués de manière inégale, au sein du groupe qui effectue ces actes et au-delà. Le travail affectif des étiquettes comme « vieilles sorcières » et « putains » dans nos exemples résonne clairement au sein du groupe qui se réapproprie l’étiquette. Il est néanmoins beaucoup plus incertain de savoir si cela fonctionne au sens où cela modifierait la couche affective du terme pour ceux qui l’utilisent pour blesser, ou au sein de la société en général.
39Dans ces actes de réappropriation des « vieilles sorcières sans honte » et des « putains de la tolérance », quelque chose est néanmoins mis en mouvement et amplifié par les publications, les likes et les partages sur les plateformes de médias sociaux. Les médias sociaux ont une influence évidente sur la réappropriation linguistique, et l’adhérence virale et l’attrait instantané des « mèmes militarisés » récemment déployés dans la politique américaine en seraient l’une des formes les plus puissantes. Les tantes vieillissantes, vieilles sorcières et putains discutées dans cet article peuplent le même paysage médiatique que les « nasty women » et « bad hombres » de Trump, des termes immédiatement repris et réanimés par les partisans de Clinton et d’autres opposants à Trump. Si la culture de l’humour en ligne a disproportionnellement ciblé les femmes, les personnes racialisées et les queers (Marwick, 2014), ces modèles de résistance et de réanimation ont ajouté une nouvelle couture aux logiques mémétiques. Une politique en réseau de réappropriation prend forme, utilisant l’imagination collective et l’esprit pour raviver les communautés féministes.
Auteurs
Jenny Sundén
Susanna Paasonen
Susanna Paasonen est professeure d’études médiatiques à l’université de Turku en Finlande et a été chercheuse invitée au Massachuet Institute of Techonolgy (MIT, USA).
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Notes
1 Cet article est une traduction de « Shameless hags and tolerance whores : feminist resistance and the affective circuits of online hate », publié dans Feminist Media Studies en 2018. Traduction de l’anglais par Julien Mésangeau. Nos remerciements vont à Jenny Sudén et Susanna Paasonen qui en ont accepté la traduction à destination des publics francophones.
2 Nous avons choisi de traduire le très délicat « shamelessness » par « sans honte », afin de rendre compte prioritairement de l’idée d’absence de honte. D’autres vocables, plus organiquement francophones, auraient pu être employés mais pêchaient par trivialité (effronterie, impudence, insolence) ou charge conceptuelle (stigmatisation et rejet de la stigmatisation). Privilégier le terme « sans honte » a l’avantage de garder l’effet miroir avec celui de « honte », ainsi que d’insister sur la posture active, militante parfois, du rejet des normes et des marqueurs de déviance ou de stigmatisation. Le terme shaming étant largement adopté en France, nous l’avons gardé en l’état.
3 Comme le notent Karen Lumsden et Heather Morgan (2017), de telles stratégies de mise sous silence sont aussi opérationnelles en encourageant les femmes, par exemple, à ne pas « nourrir les trolls ».
4 « L’extinction » se réfère à la psychologie du comportement et désigne un affaiblissement progressif d’une réponse conditionnée, ce qui entraîne la diminution ou la disparition du comportement.
5 Post original de l’invitation au « Shameless Extinction ».
6 Lorsque « Skamlös utsläckning » a été dissous, il a en fait été divisé en deux groupes fermés : un pour l’imagination féministe sans honte : « Skamlös utsläckning : Fantastisk fantasi » (Skamless extinction : Fantastic imagination) qui a rapidement changé de nom pour « Gränslös, skamlös, hejdlös » (Boundless, shameless, unstoppable), et un pour l’action directe : « Aktioner i skamlös utsläckning » (Direct actions in shameless extinction).
7 Post sur « Shameless Extinction », 1er mai 2016.
8 Post sur « Shameless Extinction », 3 mai 2016.
9 Post sur « Shameless Extinction », 1er mai 2016.
10 Post sur « Shameless Extinction », 29 avril 2016.
11 Post sur « Shameless Extinction », 27 avril 2016.
12 Post sur « Shameless Extinction », 28 avril 2016.
13 Pour une discussion sur les performances de jeunes femmes affichant une tactique « sans honte » plus clairement ouvrière – ou « féminité de garçon manqué » – consistant en des formes intenses d’autoprésentation sur les réseaux sociaux, voir Amy Shields Dobson (2013, 2014).
Pour citer cet article
Référence électronique
Jenny Sundén et Susanna Paasonen, « Les « sorcières sans honte » et les « putains de la tolérance » : la résistance féministe et les circuits affectifs de la haine en ligne », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 20 juin 2024, consulté le 30 août 2024. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/15727
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