Selon une ONG antiraciste autrichienne, le principal parti d’extrême droite du pays entretient toujours des relations avec la scène identitaire et néonazie. Or la stratégie de « dédiabolisation » poursuivie par Marine Le Pen est née en Autriche. Où le FPÖ a lancé, avec le RN français et le Fidesz hongrois, un nouveau groupe au Parlement européen.
Un rapport de l’organisation SOS-Mitmensch – une ONG autrichienne antiraciste créée en 1992 – dresse la liste de quelque deux cents incidents survenus depuis 2014 qui tendent à prouver que l’extrême droite parlementaire, le Parti de la liberté (FPÖ), persiste malgré ses dénégations à entretenir des liens avec les milieux néo-nazis (1).
Ce texte a été publié trois jours avant que la ministre social-démocrate allemande de l’intérieur Nancy Faeser mette hors la loi, le 16 juillet, le magazine Compact, dont la rhétorique complotiste et anti-immigrés a accompagné l’essor de l’AfD. Une extrême droite allemande fortement contestée lors de manifestations monstres (après qu’un site allemand a révélé une rencontre près de Berlin pour discuter la “remigration” de dizaines de milliers de gens d’origine étrangère jugés indésirables), mais qui espère rebondir à l’automne lors d’élections régionales dans l’est. AfD et FPÖ se sont solidarisés de Compact, criant à l’atteinte de la liberté d’expression.
Pour SOS-Mitmensch, il est temps que les services chargés de faire respecter la Constitution en Autriche prennent exemple sur leurs homologues allemands en s’emparant des accusations récurrentes portées contre le FPÖ. Que ce parti a traitées comme un ramassis de coupures de presse à visée avant tout électorale : des législatives sont prévues le 29 septembre. Crédité de 26% à 27% des suffrages, le FPÖ devrait y conquérir la première place comme aux européennes du 9 juin. Bien qu’un Autrichien sur deux ne souhaite pas qu’il nomme le prochain chancelier.
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Le vrai visage du FPÖ
L’une des difficultés provient du fait qu’en Autriche « extrême droite » est synonyme de « néo-nazis ». On ne saurait caractériser ainsi le FPÖ, présent de longue date au Parlement comme à l’échelon local ou régional, que beaucoup rangent dans la catégorie moins compromettante et beaucoup plus vague « populiste de droite », en dépit de ses origines.
Même si ses militants préfèrent se réclamer du mouvement libéral qui a traversé l’Europe en 1848, la « troisième force » a donné asile aux anciens nazis du VdU, d’abord déchus de leurs droits civiques puis réintégrés dans le corps électoral lorsque les deux grands partis, de droite et de gauche, en ont eu besoin. Ainsi du social-démocrate Bruno Kreisky, lequel a nommé pas moins de quatre ministres, soit un tiers de son cabinet, qui étaient des anciens de la SS, de la SA ou du Parti nazi. Du coup Kreisky, un Juif pro-palestinien, est devenu une idole de l’extrême droite dans son pays! Sa phrase fustigeant le “peuple minable” (“Mieses Volk”) d’Israël flattait des réflexes antisémites qu’il connaissait trop bien.
Insignes et uniformes du Troisième Reich restent en Autriche interdits, leur possession ou leur port passibles des tribunaux. Un comédien qui s’était présenté à l’entrée du bal de l’Opéra de Vienne, en 2000, grimé en Adolf Hitler, pour protester contre l’alliance gouvernementale conclue entre conservateurs et FPÖ, fit scandale.
Aux yeux de la gauche antifasciste (en particulier des chercheurs du Centre de documentation de la Résistance ou du Comité Mauthausen, qui perpétue la mémoire du camp de concentration nazi en Autriche), le FPÖ appartient bien à l’extrême droite puisqu’il « finance des magazines, des canaux de diffusion et des plateformes » qualifiés comme tels par les institutions chargées de protéger la Constitution autrichienne. Et qu’il existe des relations « au plus haut niveau » entre certains de ses dirigeants et la mouvance identitaire néo-nazie, dont ils reprennent « mot pour mot » la phraséologie radicale (dixit le communiqué de presse de SOS-Mitmensch).
Selon le porte-parole de cette ONG, Alexander Pollak, invité de ZiB1 à 19h30, le journal d’information de la télévision publique autrichienne ORF très suivi dans le pays, quelque 90 dirigeants ou militants du FPÖ ont ce type d’accointance. Parmi lesquels le président du parti, Herbert Kickl, l’euro-député Harald Vilimsky, vice-président de la nouvelle fraction des « Patriotes pour l’Europe » formée avec le Rassemblement national de Marine Le Pen et le Fidesz de Viktor Orban. Mais aussi les deux secrétaires généraux du FPÖ ou encore le troisième président du Parlement autrichien Norbert Hofer (qui faillit être élu président de la République, en 2016) ainsi que le chef du FPÖ viennois Dominik Nepp.
Figure aussi sur cette liste le vice-gouverneur de Basse-Autriche Udo Landbauer. Une région en bordure de la Vienne rouge, de tradition conservatrice, où l’extrême droite a noué une alliance avec le parti de centre-droit ÖVP: parmi les mesures imposées par le FPÖ il y avait la promotion du patrimoine culinaire autrichien, et le versement d’un dédommagement financier à ceux qui se déclareraient “victimes” des vaccinations contre le Covid.
Elles ont entraîné des réactions indignées de la part des scientifiques et les quolibets de la presse de gauche. Qui s’est demandé si le Wiener Schnitzel (escalope panée, le plus souvent de porc) et le Strudel aux pommes étaient plus représentatifs que le kebab ou la pizza de ce que mangent réellement les gens, de nos jours.
Un « geste courageux »: inviter un identitaire
Kickl est épinglé pour une intervention sur le canal AUF1, l’un des fleurons de la nébuleuse médiatique d’extrême droite dans la sphère germanophone. Ainsi que pour avoir défini sur sa page officielle comme un « geste courageux » l’invitation de l’identitaire allemand Götz Kubitschek par le groupe de députés du FPÖ, dans le cadre d’un débat organisé au sein de son club parlementaire par l’institut de formation de ce parti. Kubitschek devait initialement parler à l’Université de Vienne, qui lui a fermé ses portes.
En revanche l’ancien euro-député Andreas Mölzer, figure tutélaire d’un « vieux » FPÖ plus axé sur l’antisémitisme que sur l’islam, trouve « monstrueux » (2) d’avoir été snobé cette fois par SOS-Mitmensch. En dépit de ses quatre éditoriaux par semaine dans le tabloïd Kronen Zeitung et de ses nombreuses contributions sur les plateaux de la chaîne de télé attaché de ce quotidien, qui touchait jadis près de la moitié des Autrichiens et reste très populaire.
Car si en France nous avons la galaxie des « médias Bolloré », en Autriche comme en Allemagne s’est constituée une bulle au service de l’extrême droite – dont FPÖ-TV n’est qu’un exemple parmi bien d’autres -, avec quelques points d’appui dans le grand public. L’ORF reste cependant un bastion quasi imprenable: le FPÖ, qui comme d’autres partis nomme ses représentants au conseil d’administration, a demandé en vain il y a des années la tête de son correspondant à Bruxelles – pour celui basé à Budapest, la demande émanait du gouvernement Orban mais gageons que le FPÖ, qui vient de lancer avec le premier ministre hongrois un groupe au Parlement européen, n’aurait pas été affligé outre mesure.
Kickl l’a qualifié de simple « retraité », après sa visite controversée dans l’Afghanistan des talibans en septembre 2023 – pour voir si Vienne pouvait y renvoyer des demandeurs d’asile, en coulisse pour leur demander de libérer un vieux militant d’extrême droite embastillé pour espionnage, ce qui a été fait quelques mois plus tard. Mölzer ne se réduit pourtant pas à cette anecdote grotesque. Ami du nationaliste catholique Bruno Gollnisch pro-russe, ex-dauphin de Jean-Marie Le Pen et à l’origine de la fascination de l’extrême droite pour la culture japonaise qui a su si bien se préserver des influences “étrangères”, mais aussi désormais proche de sa fille Marine, l’Autrichien a souvent joué les missi dominici de la droite extrême. S’efforçant sans succès de constituer au Parlement européen une fraction obsédée, comme lui, par le « grand remplacement » et le « suicide génétique de l’Europe ».
Élu à Bruxelles contre la volonté de Haider
Resté dans les annales pour avoir décrit l’Union européenne comme un « conglomérat de nègres » à côté duquel le Troisième Reich paraîtrait « inoffensif », cet historien de formation a été élu en 2004 à Bruxelles grâce aux Burschenschaften, les organisations étudiantes pangermanistes, férues de duels au sabre, qui ont longtemps servi de réservoir de cadres au FPÖ mais ont perdu progressivement de leur influence – Kickl, par exemple, n’en a jamais fait partie.
Il y a vingt ans son élection avait en tout cas eu lieu contre la volonté de Jörg Haider, qui cherchait à sortir le FPÖ de l’impasse où l’enfermaient les nostalgiques de la dictature hitlérienne. Une stratégie de « dédiabolisation » avant la lettre que ce fils de nazi, après avoir joué au début de sa carrière la carte antisémite, a poursuivie en créant l’année suivante le BZÖ, une scission du FPÖ. Lequel a surgi ensuite de ses cendres tel le phénix: exit le BZÖ après la mort de Haider dans un spectaculaire accident de voiture.
Admiratif du parcours de Marine Le Pen, Mölzer, à bientôt 72 ans, n’a pas perdu espoir de voir fusionner les droites nationalistes, toujours scindées en trois fractions que divise notamment la question ukrainienne : l’ « Europe des nations souveraines » (soit avant tout l’AfD allemande, dont le RN s’est dissocié pour cause d’extrémisme); les « Patriotes pour l’Europe », mouvement créé fin juin, principalement par le RN français, le FPÖ autrichien et le Fidesz de Viktor Orban; enfin les “Conservateurs et Réformistes européens” qui accueillent entre autres Fratelli d’Italia, le parti de Georgia Meloni, et le PiS polonais. Tous tombent d’accord pour limiter sévèrement l’immigration, tandis que sur AUF1 on proteste chaque jour contre les abus “anti-démocratiques” des autorités de l’UE, tels que l’obligation de se vacciner pendant le Covid, ou “l’hystérie” environnementale.
Le routier de l’extrême droite autrichienne veut croire que les « Patriotes » absorberont tôt ou tard l’AfD allemande. En admettant que celle-ci effectue un virage modéré, ce dont elle ne prend pas vraiment le chemin pour l’instant.
Malgré les efforts pour paraître plus policé, le naturel revient au galop. Frustré de n’avoir pas obtenu à Bruxelles la position à laquelle son nouveau groupe pouvait prétendre, en raison du barrage opéré par le « parti unique » (les conservateurs, sociaux-démocrates et libéraux ayant fait bloc), Vilimsky s’est déchaîné devant les journalistes autrichiens contre le « trio de sorcières » que seraient l’Allemande Ursula von der Leyen (présidente de la Commission réélue grâce à l’accord des conservateurs, des sociaux-démocrates et des libéraux), la présidente maltaise du Parlement Roberta Metsola et la Française Christine Lagarde, cheffe de la Banque centrale européenne de Francfort. Il leur a promis « le fouet ».
En route vers 35%?
De l’avis de son prédécesseur Mölzer, les “Patriotes” absorberont tôt ou tard l’AfD et le FPÖ n’entrera pas au gouvernement fédéral après les législatives de fin septembre – ce qu’il a déjà fait pourtant à deux reprises en un quart de siècle. À 26-27% (comme du temps de Haider qui avait quintuplé son potentiel électoral), il serait plus confortable pour lui de rester dans l’opposition. La donne changerait si ce parti franchit un jour la barre des 35%.
La politique est, de fait, un long chemin. Qui aurait dit, il y a deux décennies, que l’extrême droite arriverait aux portes du pouvoir en France ? Qu’une « démocratie illibérale » s’installerait en Hongrie ? Le thème de l’hostilité envers les « étrangers » est d’autant plus porteur que nos sociétés occidentales, en Europe de l’Ouest comme en Amérique du Nord, ont depuis quarante ans adopté des valeurs égalitaires – entre hommes et femmes, entre hétéro- et homosexuels – que réprouve la majorité de la planète.
Les anciennes formes d’antisémitisme s’effacent, au profit d’un anti-islamisme virulent. Mais les valeurs « traditionnelles » sont tout autant revendiquées par les chrétiens évangéliques ou pentecôtistes que par les bigots musulmans: l’Ouganda s’est doté d’une loi très répressive contre les homosexuels, alors que 90% de sa population vont le dimanche à l’église. Ce choc des cultures sera au cœur de l’élection présidentielle aux États-Unis. Pour l’extrême droite, il ouvre un boulevard.
Même si le pire n’est jamais sûr.
Journaliste et autrice
(1) Le communiqué de presse (en allemand) renvoie à une séquence sur AUF1 et au salut de Kickl à Kubitschek, ainsi qu’au rapport intégral de SOS-Mitmensch sur les liens du FPÖ avec les néo-nazis.
(2) Lors d’une conversation téléphonique. Mölzer, qui manie volontiers l’ironie, nous a appris qu’Alexander Pollak avait publié en 2013 un livre garni de citations pour dire tout le mal qu’il pensait de lui: Gut gegen Mölzer. Exkursion ins rechte Eck (Bien contre Mölzer. Excursion à droite, non traduit).