Depuis qu’elles existent, les statistiques fiscales de l’IPP sont utilisées par les chercheurs et par les décideurs politiques pour divers usages. C’est en particulier le cas des tableaux qui répartissent les contribuables en déciles.
Voici ce tableau – l’essentiel en tout cas – pour les revenus de 2022, exercice 2023.
Revenu total net imposable – répartition en déciles basée sur les déclarations Belgique – revenus de 2022
Déciles |
Revenu total net imposable | ||
Limite supérieure (en €) | Montant total (en
€) |
En % du total | |
Total | 254.676.934.997 | 100,00% | |
1 | 4.613 | 1.170.892.418 | 0,46% |
2 | 15.949 | 7.487.698.856 | 2,94% |
3 | 19.787 | 12.317.940.808 | 4,84% |
4 | 23.620 | 14.684.323.310 | 5,77% |
5 | 28.145 | 17.499.297.463 | 6,87% |
6 | 34.033 | 20.960.769.234 | 8,23% |
7 | 41.628 | 25.551.078.057 | 10,03% |
8 | 53.188 | 31.786.733.944 | 12,48% |
9 | 75.010 | 42.561.060.061 | 16,71% |
10 | 80.657.140.846 | 31,67% |
Les tableaux en déciles pour les autres années (Royaume et régions) sont accessibles ici.
Quand la Wallonie a en 2016 introduit le chèque-habitat, elle a fixé des seuils de réductions d’impôt en ayant bien sûr un œil sur la distribution par déciles en Wallonie. Il est dans ce genre de décisions compréhensible que le politique fasse un arbitrage entre le coût budgétaire total et le nombre de personnes/ménages qu’on souhaite faire bénéficier d’un dispositif social ou fiscal.
Très concrètement, il a été décidé que cet avantage fiscal ne serait « octroyé que pour les revenus inférieurs à 81.000 € (exercice d’imposition 2015), indexés à 100.926 € en 2023, exercice d’imposition 2024. » En choisissant ce seuil, la Wallonie couvrait de facto environ 95% des contribuables.
En fait, les décideurs n’avaient pas de base statistique appropriée pour éclairer leurs choix pour une raison trop souvent ignorée : la répartition en déciles du revenu total net imposable, telle qu’elle existe, mélange des déclarations de personnes (fiscalement) isolées et des déclarations de ménages. Très concrètement, un revenu imposable de, par exemple, 75.000 € peut concerner un contribuable isolé qui gagne bien sa vie ou représenter la somme de deux revenus imposables moyens de personnes vivant ensemble par mariage ou cohabitation légale.
Ces données sont donc difficilement interprétables et concrètement peu utiles, que l’on souhaite accorder un avantage plafonné à une personne (considérée individuellement), ce qui était par exemple le cas du chèque-
habitat en Wallonie, ou à un ménage, ce qui est le cas d’une série d’autres dispositifs comme par exemple les suppléments sociaux aux allocations familiales.
Dans ce contexte, cette note commente des données publiées pour la première fois, à savoir la répartition en déciles du revenu total net imposable, répartition établie sur base des revenus des ménages (à savoir des personnes domiciliées à la même adresse, quelle que soit la nature de
leurs relations).
L’auteur de cette note propose que l’on produise ce type de données depuis fort longtemps. A titre d’illustration – voir en annexe – le mail envoyé en 2017 à un ministre wallon. Ce courrier et d’autres avec le même objet sont restés sans suivi ni même une réponse dans la plupart des cas. C’est à croire que, implicitement en tout cas, on ne souhaite pas vraiment disposer de données pertinentes pour prendre des décisions politiques.
Heureusement, les très intéressants travaux de l’équipe qui pilote le projet Revenu disponible administratif de StatBel, qui propose notamment une estimation du taux de pauvreté par commune, ont permis de produire des données sur les revenus fiscaux par ménage.
On trouvera ci-après un premier aperçu global de ces données.
Notes méthodologiques :
- Les revenus sont ceux de 2022 (exercice d’imposition 2023).
- On a considéré la population – et donc la composition des ménages – au 1er janvier
- Les personnes qui vivent dans un ménage collectif sont considérées comme isolées.
- Les ménages composés uniquement de mineurs sont exclues de la
- Tous les ménages ayant un revenu nul ne sont pas inclus dans les Idem pour les déclarations de revenus 2022 de personnes qui ne sont pas au 1er janvier 2023 dans la population.
- Pour ces raisons et d’autres, il y a de légères différences dans les revenus totaux nets imposables de l’approche classique (les déclarations qui sont l’unité de référence) et l’approche en ménages adoptée pour cette note.
Revenu total net imposable – répartition en déciles basée sur les ménages Belgique – revenus de 2022
Déciles |
Revenu total net imposable | ||
Limite supérieure (en €) | Montant total (en
€) |
En % du total | |
Total | 252.905.680.648 | 100,00% | |
1 | 17.977 | 5.913.749.385 | 2,34% |
2 | 21.420 | 9.769.574.635 | 3,86% |
3 | 26.251 | 11.879.155.709 | 4,70% |
4 | 32.488 | 14.630.856.042 | 5,79% |
5 | 39.585 | 18.054.760.184 | 7,14% |
6 | 47.464 | 21.720.007.018 | 8,59% |
7 | 57.593 | 26.203.781.768 | 10,36% |
8 | 71.303 | 32.094.469.092 | 12,69% |
9 | 93.854 | 40.721.000.075 | 16,10% |
10 | 71.918.326.741 | 28,44% |
Les tableaux complets pour la Belgique et les trois régions sont donnés en annexe. Ils sont disponibles en format Excel ici.
Le graphique du haut de la page suivante compare la distribution du revenu total net imposable entre les deux approches, pour les déciles et pour les percentiles du dernier décile (= les plus aisés).
On observe que la part du 8 premiers déciles est plus élevée dans l’approche par les ménages – c’est en particulier le cas pour le premier décile – et moins élevée pour les déciles 9 et 10. C’est ainsi que dans l’approche ménages le 10ème décile s’octroie 28,4% du revenu total ; c’est 31,7% si on se base sur les déclarations.
Le second graphique de la page suivante compare les limites supérieures dans les deux approches ; le graphique du bas de la page le fait pour les percentiles du décile supérieur.
Distribution du revenu total net imposable entre les déciles – contribuables/ménages – Belgique – 2022
Limites supérieures des déciles 1 à 9 – contribuables/ménages – Belgique – 2022
100.000
90.000
80.000
70.000
60.000
50.000
40.000
30.000
20.000
10.000
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9
Limites supérieures des percentiles du 10ème décile – contribuables/ménages – Belgique – 2022
200.000
175.000
150.000
125.000
100.000
75.000
50.000
25.000
0
91 92 93 94 95 96 97 98 99
Comment lire ces deux graphiques ? Par exemple, le limite supérieure du 5ème décile est d’environ
40.000 € de revenu total net imposable si on se base sur les ménages mais elle est inférieure à
30.000 € si on se base sur les déclarations.
Les percentiles du 10ème décile s’obtiennent en divisant les ménages du 10ème décile en 10 catégories.
On notera que pour des raisons de confidentialité StatBel ne publie pas le revenu le plus élevé.
Quel est l’intérêt de disposer d’une répartition des ménages en fonction de la hauteur de leur
revenu ? C’est simple. Supposons, par exemple, que le gouvernement fédéral souhaite limiter l’octroi d’un avantage quelconque à maximum 40.000 € de revenu total net imposable. S’il se base sur les tableaux couramment publiés par StatBel – dont se sont servis plusieurs gouvernements et ministres – un peu moins de 70% des “contribuables” en profiteront ; si on se base sur les revenus par ménage, ce sera seulement un peu plus de 50% des ménages qui pourront activer le dispositif concerné.
Les commentaires ci-dessous valent globalement pour les trois régions, même si, quand on regroupe les revenus par ménage, on retrouve évidemment les différences connues par ailleurs : revenus plus importants en Flandre, inférieurs à la moyenne nationale à Bruxelles et en Wallonie, plus grande pauvreté en bas de l’échelle des revenus à Bruxelles, revenu moyen des personnes très aisées plus faible en Wallonie.
Revenu total imposable net – moyennes par ménage – Belgique et 3 régions – 2022
Belgique | Bruxelles | Flandre | Wallonie | |
Revenu moyen | 50.483 | 42.441 | 53.587 | 47.288 |
Idem Belgique = 100 | 100 | 84 | 106 | 94 |
Moyenne déciles 1 et 2 | 15.653 | 10.324 | 17.203 | 15.214 |
Idem Belgique = 100 | 100 | 66 | 110 | 97 |
Décile 10 | 143.556 | 142.534 | 149.402 | 131.739 |
Idem Belgique = 100 | 100 | 99 | 104 | 92 |
Rapport Déc.10/Moy.Déc.1 et 2 | 9,2 | 13,8 | 8,7 | 8,7 |
Cette note est un tour d’échauffement.
Il s’agit d’abord de convaincre, une fois pour toutes espérons le, les gouvernements fédéral, communautaires et régionaux de prendre des décisions sur base d’informations pertinentes et donc d’utiliser, quand un dispositif (par exemple en matière d’économies d’énergie ou d’allocations familiales majorées) s’adresse aux ménages, la répartition des revenus par ménage. Cela paraît une évidence mais n’a jamais été le cas en Wallonie…
Mais il faut bien sûr affiner les informations commentées dans cette note en fonction de la politique menée. Par exemple, si on souhaite adapter les suppléments sociaux aux allocations familiales on étudiera la distribution des revenus des ménages avec enfants de moins de 25 ans, si on envisage une aide pour l’achat d’équipements énergétiques on s’intéressera aux ménages propriétaires, si on pense à un dispositif concernant les 65 ans et + on regardera de plus près les ménages dont un des membres au moins a cet âge, etc.
Enfin, ce serait bien de disposer des mêmes informations en considérant les contribuables individuellement (il s’agit dès lors de considérer séparément les revenus des couples mariés ou cohabitant légalement) ; de même une distribution des revenus par unité de consommation permettrait également d’affiner notre regard sur les revenus.
Note statistique – Philippe Defeyt – 14 décembre 2024
ANNEXE 1
Sujet : Statistiques fiscales wallonnes
Date : Sun, 3 Sep 2017 21:03:29 +0200
De : Philippe Defeyt <philippe.defeyt@skynet.be>
Pour : …
Monsieur le Ministre, Cher …,
Je souhaite attirer ton attention sur le problème suivant.
Le gouvernement précédent s’est basé pour une série de décisions (seuils d’intervention du chèque- habitat, des aides aux investissements énergétiques…) sur des statistiques qui mélangent des déclarations fiscales individuelles (sans qu’on sache si ces déclarations émanent de personnes qui vivent seules ou pas) et des déclarations de ménages mariés sans qu’on connaisse les revenus séparés de chacun des membres du couple. Cet état de fait est dommageable en ce que les statistiques fiscales disponibles donnent une image distordue de la distribution des revenus imposables, par individu et/ou par ménage.
Tu trouveras une allusion à cette déficience statistique dans, par exemple, l’Avis n° 62 du Conseil supérieur du logement. Voici l’extrait : “Le CSL (…) s’inquiète de ce que une fois de plus des seuils (fiscaux) ont été déterminés en l’absence d’une connaissance suffisante de la distribution des revenus fiscaux entre individus et ménages, dans la mesure où certaines déclarations fiscales telles que reprises dans les statistiques sont des déclarations de couples mariés et d’autres des déclarations séparées !
Impossible donc de répondre à la question : combien de ménages contribuables différents y a-t-il dans chacune des tranches retenues par le dispositif Chèque-Habitat ; pouvoir répondre à ce questionnement est d’autant plus important que 1° la communication a insisté sur le caractère individuel de l’avantage et 2° le rapport entre le nombre de déclarations et le nombre de personnes physiques n’est pas nécessairement identique pour les différents déciles.” Voir l’Avis complet : http://spw.wallonie.be/dgo4/tinymvc/apps/logement/views/documents/cslw/avis-du-conseil/csl-avis- 062-cheque-habitat.pdf
Y remédier est une question de volonté (politique), non technique.
Je suppose que le nouveau gouvernement wallon sera amené à travailler une réforme fiscale et d’autres politiques pour lesquelles une connaissance de l’exacte distribution des revenus serait la bienvenue.
Être attentif au problème que je soulève ici serait, je pense, d’un grand intérêt politique. A ta disposition pour tout complément d’information.
Bien à toi. Philippe Defeyt