Lundi 23 septembre 2024, Bruno Retailleau, fraîchement nommé ministre de l’intérieur, annonce vouloir mettre fin à ce qu’il considère comme un « désordre migratoire ». Quelques jours plus tard, il réunit 102 préfets avec un objectif très clair : expulser plus et régulariser moins.
Pour réaliser cet objectif, le ministre a annoncé la parution de deux circulaires. La première est une directive de pilotage renforçant les mesures à l’encontre d’étrangers menaçant l’ordre public (notamment leur maintien en centre de rétention). La deuxième doit remplacer la circulaire Valls de 2012, jugée trop favorable car permettant l’octroi de 30 000 titres de séjour par an en moyenne.
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Dans ce contexte, on peut s’interroger : quelle est la pertinence du raisonnement consistant à associer « régularisations » et « désordre migratoire » ? Le refus de régulariser des travailleurs étrangers insérés dans la société mais « sans droits » n’est-il pas la véritable cause du « désordre » évoqué ?
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Des politiques migratoires qui produisent l’irrégularité du séjour
En effet, depuis plus de cinquante ans, soit depuis la fermeture des frontières en 1974 et la suspension de l’immigration de travail, les politiques d’immigration rendent l’accès au séjour légal très difficile, voire impossible, pour nombre de catégories d’étrangers souvent intégrés sur le territoire depuis de longues années.
C’est ce que traduisent les mouvements de revendication des personnes étrangères en situation irrégulière, c’est-à-dire sans titre de séjour. Déjà dans les années 1990, de fortes mobilisations ont eu lieu contre les lois Pasqua de 1986 et de 1993 durcissant les conditions d’entrée et de séjour et supprimant l’accès de plein droit à la carte de résident. Épaulées par différentes associations, syndicats, personnalités médiatiques et politiques, des centaines de personnes rassemblées sous la dénomination de « sans-papiers » ont revendiqué leur droit au séjour.
En 1998, la loi Chevènement a tenté de remédier à cette situation en instaurant une procédure de régularisation permanente pour les personnes ayant séjourné de façon continue plus de dix ans en France, et plus de quinze ans pour les étudiants.
Au début des années 2000, d’autres mobilisations d’étrangers ont également eu lieu, dénonçant à chaque fois les mesures restrictives dont ils faisaient l’objet, notamment pour les parents d’enfants scolarisés.
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La réalité des travailleurs sans-papiers
Si la France limite drastiquement le recrutement de main-d’œuvre étrangère peu qualifiée hors Union européenne depuis le milieu des années 1970, de nombreuses personnes sans titre de séjour sont employées dans les secteurs d’activités « en tension » – hôtellerie-restauration, construction, nettoyage, logistique, services à la personne, etc. Sans-papiers, elles comblent alors un important besoin en main-d’œuvre des entreprises françaises.
Entre 2006 et 2010, ils ont été des milliers de travailleurs sans-papiers à faire la grève du travail. Soutenus par différentes organisations, associations et syndicats, ils ont alors dénoncé les contradictions entre les politiques migratoires et leur situation d’emploi. Ils ont aussi réclamé une circulaire de régularisation avec des critères clairs et uniformes.
Ces grèves du travail se sont achevées en juin 2010 par la négociation de critères de régularisation du séjour par le travail pour les travailleurs sans-papiers grévistes. Dans la suite, ces critères ont aussi en partie préfiguré ceux de la future circulaire du 28 novembre 2012, dite aussi circulaire Valls.
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La circulaire Valls
La circulaire Valls consacre un ensemble de motifs comme mode d’admission exceptionnelle au séjour, parmi lesquels : parents d’enfants scolarisés, conjoints d’étrangers en situation régulière, mineurs devenus majeurs, pour raisons humanitaires, ou encore par le travail.
Si l’objectif de cette circulaire est de poser de manière claire et uniforme un ensemble de critères quant à l’examen par les préfectures des demandes de régularisation du séjour, elle fait toutefois partie des circulaires non impératives. Certaines préfectures n’appliquent pas la circulaire Valls et les orientations définies par le ministère de l’intérieur ne donnent ainsi aucun droit à un recours contre un refus de délivrance d’un titre de séjour. L’admission exceptionnelle au séjour fonctionne donc selon une logique du « cas par cas » et de l’exceptionnalité.
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Un instrument du désordre ?
Depuis plus dix ans maintenant, la circulaire Valls régit donc l’admission exceptionnelle au séjour des personnes en situation irrégulière mais en marge du droit. Elle vient rectifier – de façon ponctuelle – ce que le droit des étrangers produit comme irrégularités, tout en organisant un « infra-droit » en marge de l’ordre juridique.
Si aujourd’hui on estime à plus de 600 000 personnes sans-papiers, pour l’année 2023 (chiffres provisoires), 34 724 titres de séjour ont été délivrés au motif de l’admission exceptionnelle au séjour ou « régularisation ». Sur le nombre total de titres de séjours délivrés pour 2023 (soit 326 954, hors ressortissant·es britanniques), l’admission exceptionnelle représente alors aux alentours de 10,6 %, se situant loin derrière les motifs pour études (33 %) et pour regroupement familial (27 %).
Loin d’ajouter au « désordre migratoire », la régularisation du séjour apparaît finalement comme un maigre octroi, garantissant de manière souvent temporaire un minimum de droits sociaux, pourtant au fondement de notre État de droit et de notre démocratie.
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Émilie Zougbede,
28 novembre 2024, Université Paris Cité.
Source :
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A LIRE, sur POUR, en accès libre.
■”France. Régularisation exceptionnelle de 1981 : des retombées positives pour l’économie”, CEPII, 19 juillet 2024.
L’article contient également 2 liens vers les analyses des retombées économiques et sociales favorables de 2 régularisations massives aux USA.
■”L’Espagne s’apprête à régulariser un demi-million d’immigrés”, Bonnes Nouvelles, 30 juin 2024.
■”Papier pour tous”, Youri Lou Vertongen, 21 octobre 2024.