La fabrique du consommateur

Recension
Le consommateur que nous sommes tous a été créé de toutes pièces
Que voilà un livre passionnant (bien plus riche que ce petit résumé ne peut montrer) qui nous raconte, avec moult exemples à l’appui, comment le consommateur que nous sommes tous a été créé de toutes pièces par les industriels et la grande distribution dans le dernier tiers du XIXe siècle, comment des techniques de plus en plus sophistiquées – et, forcément, pas toujours très honnêtes – ont été développées pour façonner les esprits pour le plus grand profit des industriels. Si, comme le disait Diderot, la liberté est la propriété de soi, être libre aujourd’hui est un véritable exploit.

Au fil des lignes, on comprend mieux aussi pourquoi l’utopie capitaliste (le bonheur accessible à tous grâce à la possession d’objets en plus grand nombre possible) a aussi bien réussi et pourquoi le récit capitaliste a éliminé progressivement toutes les autres utopies au point que certains sont convaincus qu’il n’y a pas d’alternative.

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Etape n°1 : la marchandise s’installe

Dans l’économie nouvelle, la production n’a plus pour fin la consommation directe, domestique et communautaire, mais la vente.
Au commencement était le paysan, largement sédentaire, consommant l’essentiel de ce qu’il produisait. Tous les objets de son quotidien étaient plus ou moins liés à la production et fabriqués de ses mains, y compris sa maison. Il faut dire que, jusqu’au développement des moyens de transport au XIXe s., le transport de produits était une opération inconfortable, difficile et périlleuse. Un exemple : au milieu du XVIIe s., une marchandise mettait un mois pour aller de Paris à Marseille, temps diminué de moitié à la fin du XVIIe s. et ramené à une grosse demi-journée un siècle plus tard, grâce au train. Cette accélération a eu un impact, non seulement sur nos habitudes, sur notre appréhension du monde mais aussi sur l’organisation du travail.

Les multiples communautés humaines, jusqu’alors sédentaires et insulaires, vont être mises en mouvement et en réseau. Elles vont progressivement abandonner la polyculture autarcique, l’économie de subsistance, pour adopter des productions spécialisées en direction du marché. […] Dans l’économie nouvelle, la production n’a plus pour fin la consommation directe, domestique et communautaire, mais la vente.

Situation nouvelle que Galuzzo résume remarquablement :

Dorénavant, la subsistance sera assurée via de vastes réseaux d’interdépendance, caractérisés par une nette séparation entre la production et la consommation. Dans ce système automate, les hommes produisent des choses dont ils n’ont pas besoin pour obtenir l’argent qui leur permettra de s’acheter des biens qu’ils n’ont pas produits. Conséquemment, les choses qu’ils manipulent leur sont de plus en plus étrangères.

Auparavant, l’homme avait fabriqué ou vu fabriquer les objets qu’il manipulait. Dans l’économie de marché, on ne sait ni comment ni par qui les objets ont été fabriqués, avec comme conséquence que l’utilisateur n’est plus en mesure de jauger la qualité intrinsèque du produit avant l’achat. Un problème de méfiance entre l’acheteur et le vendeur apparaît alors. D’où la nécessité pour les grandes entreprises de fabrication et de distribution de gagner la confiance de l’acheteur. Elles y parviendront par la « marque » : un produit « marqué » n’est plus anonyme, il est le produit d’une maison. Et si la marque a pour effet de garantir les qualités intrinsèques de l’objet, elle a un autre effet essentiel : associer un produit à un ensemble de caractéristiques rassurantes quant à sa qualité. Elle peut également associer un objet à un lieu, un statut ou un groupe social. Evolution que Galuzzo décrit en ces termes :

Sous le régime de la marque, les constituants de la valeur d’usage s’évanouissent: on ne nettoie pas son carrelage avec un mélange de vinaigre blanc et de bicarbonate, mais avec le produit X, vanté dans les médias. C’est la raison principale du déclin radical du savoir pratique.

 

Etape n°2. La marchandise devient spectacle