Cela a commencé aux États-Unis : l’installation obligatoire de compteurs électriques dits « intelligents » (c’est le mot du pouvoir pour dire « connectés ») a suscité des révoltes citoyennes (voir la vidéo Take back your power). Puis ce fut le tour de la France avec l’invasion des compteurs Linky et, cet été, les parlements régionaux wallons et bruxellois ont voté des lois prévoyant le remplacement des bons vieux compteurs électriques mécaniques par des compteurs communicants. Forte des désastreuses expériences à l’étranger, la résistance qui s’organise chez nous parviendra-t-elle à résister à l’installation de Big Brother dans nos demeures ?
Selon ses promoteurs industriels des nouveaux modèles de compteurs communicants, cette technologie connectée serait un grand progrès : outil de la transition énergétique, il permettrait d’informer les usagers de leur consommation électrique, donnerait aux fournisseurs d’énergie une connaissance plus fine du réseau et de ses besoins, faciliterait les installations d’énergies renouvelables chez les particuliers…
Pourtant en y regardant de plus près, on constate que ces appareillages présentent divers défauts et risques, en termes de protection de la vie privée, de santé publique, de coût ainsi que d’impacts sociétaux et écologiques alors qu’on peine à y trouver le moindre avantage sociétal.
Étant donné qu’en France l’installation forcée des compteurs connectés a commencé depuis des années (30.000 remplacements par jour, 11 millions de placés sur un objectif total de 35 millions), le site en ligne Reporterre, le quotidien de l’écologie, a réalisé une grand enquête en 5 articles qui titrera « Linky n’est pas un ami ».
Des avantages contestés
Les partisans de la connection des compteurs avancent que la mesure en temps réel des consommations électriques dans votre domicile permettrait des économies d’énergie. On se demande bien par quel miracle. Déjà aujourd’hui, le bon vieux compteur électrique permet de visualiser sa consommation et personne ne passe son temps à regarder tourner la petite roue où les chiffres avancer. On sait qu’il faut éteindre la lumière en quittant la pièce où fermer son ordinateur inutilisé et, si on ne le fait pas c’est par fainéantise et pas par méconnaissance.
Par contre, si le distributeur connaît les consommations en continu, il est vrai qu’il peut mieux organiser son travail. Mais on peut douter qu’une connaissance domicile par domicile est utile. Par contre, pour les auto-producteurs (possesseurs de panneaux solaires ou de petites éoliennes de jardin), connaître leur production permet au gestionnaire du réseau de bien calibrer sa propre production ? Mais on a là des avantages pour le distributeur et pas pour le particulier.
Autres avantage selon les partisans de la connection : plus besoin de passer relever (annuellement) les compteurs. Si de plus en plus d’usagers relèvent eux-mêmes leur compteur et envoient les chiffres à l’intercommunale de distribution, il y a quand même un travail de relevés à faire. Avec les compteurs connectés, on pourra licencier ces braves travailleurs qui viennent sonner à notre porte. Avantage social, vraiment ? Etonnant de la part de ceux qui ne jurent que par « jobs, jobs, jobs »…
Des inconvénients multiples
Une première crainte face à l’arrivée des compteurs connectés est la possibilité d’espionner la vie des usagers. L’analyse des courbes de consommation permet de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie du foyer équipé : heure de lever et de coucher de ses membres, nombre de personnes présentes dans le logement, présence de certains types d’équipements électro-ménagers, absence de l’isolation thermique, présence ou non d’occupants… Des informations très utiles pour les marchands d’objets de toutes sortes qui sauront ainsi à quelle porte (ou adresse mail) il faudra aller frapper pour trouver un client potentiel encore non doté de leur superbe camelote… En France, la société Enedis qui installe ces compteurs ne cache guère ses intentions dans une brochure de propagande : « Nous ne sommes encore qu’aux prémices de l’exploitation de toutes les potentialités de ce compteur : big data, usages domotiques, objets connectés… L’installation des compteurs communicants bénéficiera à l’ensemble de la filière électrique. Le programme Linky est suivi de près par les acteurs majeurs du secteur de l’énergie : fournisseurs, distributeurs, producteurs, équipementiers, start-up… ». L’intérêt pour les abonnés est bien moins évident, au contraire…
Des garde-fous pourraient être mis quant à la protection des données collectées par les compteurs communicants mais il n’est pas très clair quelles seront les modalités de mise à disposition des données de comptage à des tiers avec ou pas l’accord des usagers. De beaux débats juridiques en perspective
Une autre question est la dangerosité des compteurs qui en s’enflammant, auraient provoqué des incendies. Les installateurs minimisent les risques mais des témoignages se multiplient autour de compteurs en feu. Les défenseurs des compteurs connectés invoquent des installations de mauvaise qualité faites par des techniciens peu compétents ou le manque de temps pour soigner le boulot vu l’urgence qui semble animer les sociétés qui installent les compteurs. Toujours est-il que les incidents se multiplient régulièrement.
L’effet des ondes électromagnétiques
C’est sans doute la motivation majeure des opposants à l’installation de connections obligatoires dans leur demeure : les ondes électromagnétiques qu’émettent nécessairement ces machines pour communiquer avec les fournisseurs. La polémique fait rage. Il y a de nombreuses manières d’assurer les communications sur vos consommations : certaines transitent tout au long des fils électriques (technologie des courants porteurs en ligne – CPL), d’autres se font via des ondes électromagnétiques. Les infos seront-elles transmises une fois par jour, toutes les heures, toutes les minutes ? Quels sont les effets sur la santé de ces diverses technologies ? Comme toujours sur ces questions scientifiques, les experts de l’industrie qui vend la technologie sont rassurants, ceux proches des citoyens bien plus inquiets… Mais comme le disent les milliers de personnes mobilisées en France dans la cadre de l’initiative juridique Mysmartcab, devant le « manque de consensus scientifique » il importe d’appliquer le principe de précaution pour défendre « le nombre croissant de personnes diagnostiquées électro-hypersensibles » qui attendent « une réponse juridique utile ». En Belgique aussi, ce sont souvent des personnes électro-sensibles qui se mobilisent pour ne pas se voir imposer un émetteur d’ondes à leur domicile. Elles se joignent à tous ceux qui s’inquiètent de voir se multiplier les sources d’émissions d’ondes électromagnétiques (lire notre article « Vous prendrez bien un petit bain d’ondes »). L’hyper-connection de tout, depuis les automobiles jusqu’aux poubelles en passant par les omniprésents smartphones est le credo des modernes technophiles fascinés par le discours des GAFAM.
Des méthodes inacceptables
Ce qui frappe dans cette saga c’est la brutalité des sociétés qui imposent ces compteurs connectés et la complicité de certaines autorités publiques. Aux Etats-Unis, des personnes furent arrêtées par la police et emprisonnées pour avoir refusé que des installateurs entrent chez elles pour changer les compteurs. En France, des portes sont fracturées, des cadenas sont forcés pour atteindre ces malheureux compteurs mécaniques qu’il faut éradiquer de toute urgence. Face à cet acharnement assez incompréhensible des juges prennent position aux Etats-Unis, des centaines de municipalités françaises se déclarent « hors Linky », des particuliers se barricadent pour qu’on ne vienne pas changer leur compteur quand ils sont au travail…
Dans les pays germaniques, on semble plus respectueux des libertés civiles. En Allemagne, les autorités refusent l’homologation des compteurs car ils ne garantissent pas le respect de la vie privée. En Autriche, les distributeurs avaient l’ambition d’être pionniers d’une technologie présentée comme favorable à la transition énergétique. L’objectif était d’équiper 80% des foyers du pays fin 2017 mais seuls 8,5% d’entre eux ont échangé leurs compteurs. Il faut dire que la volonté d’imposer ce changement incompréhensible s’est heurtée à la vive résistance de nombre d’Autrichiens : pétitions, appels au boycott, manifestations…, le mouvement, relayé par le puissant syndicat Arbeiterkammer, a fini par faire reculer les pouvoirs publics.
En Belgique aussi la résistance s’organise
Si tous les pays sont confrontés à l’arrivé des compteurs connectés, c’est parce qu’une directive européenne de 2009 impose cette technologie. Comme souvent, les institutions européennes sont complices des industriels qui ont tout intérêt à voir s’implanter partout et de manière autoritaire des produits coûteux (en Allemagne, on a calculé que le surcoût serait de 89€ par an et par foyer, en France à 130€ récupérés dans les futures factures).
En Belgique, les parlements régionaux ont profité des vacances d’été pour voter des textes imposant le passage aux compteurs communicants. Les installations seraient graduelles mais non refusables… Comme on peut l’imaginer, dans nos régions truffées d’écolos et d’associations militantes, cela ne va pas passer comme une lettre à la poste : dès le 10 septembre 2018, un collectif d’associations a décidé d’entreprendre un recours en annulation des législations sur le déploiement des compteurs communicants devant la Cour Constitutionnelle (les asbl Grappe, Fin du nucléaire, Inter-environnement Bruxelles et AREHS notamment). Pour l’instant, ce collectif rassemble des dons afin de financer le recours toujours coûteux[1]. La mobilisation citoyenne prend donc de l’ampleur. Grâce à des sites bien informés, des informations complètes et contradictoires se diffusent. De toute évidence, l’ESMIG (European Smart Metering Industry Group), le très actif lobby des industriels du compteur communicant va réaliser qu’il ne sera guère aisé de forcer les habitants de Wallonie et de Bruxelles à accepter sans résister « les compteurs communicants qui présentent de nombreux défauts et risques divers, en termes de protection de la vie privée, de santé publique, de coût ainsi que d’impacts sociétaux et écologiques alors qu’on peine à y trouver le moindre avantage sociétal », comme le dit le collectif qui entre en lutte contre l’invasion d’une technologie très contestable qui, telle une horrible araignée, menace nos compteurs.
Alain Adriaens
[1] Comment faire un don ? Virement bancaire sur le compte du collectif : Nom : STOP compteurs communicants – N° du compte : BE94 3631 8007 7914 – Communication : votre adresse courriel. Contact : info@stopcompteurscommunicants.be .