Le traumatisme de l’inceste s’immisce dans tous les pans de la vie de la victime, et peut aussi se transmettre aux générations suivantes. Quels sont les enjeux spécifiques autour du lien mère-enfant et comment se reconstruire ?
Devenir mère, Sarah [prénom d’emprunt] en rêvait. Quand ce rêve s’est concrétisé, à ses 28 ans, il s’est heurté à de nombreuses angoisses, notamment celle de ne pas réussir à protéger sa fille, puisque, elle-même n’a pas été protégée pendant son enfance, entre les maltraitances de sa mère et les agressions sexuelles de son grand-père. C’est l’une des nombreuses conséquences de l’inceste : la difficulté à fonder une famille quand celle qui nous a vu·es grandir a été dévastatrice. Sarah n’est pas un cas isolé. S’il n’existe pas de statistiques officielles sur l’inceste en Belgique, au vu de celles publiées par Ipsos en France (2020) ou par l’OMS (2014), on peut estimer qu’il concerne 2 à 3 enfants par classe.
C’est l’une des nombreuses conséquences de l’inceste : la difficulté à fonder une famille quand celle qui nous a vu·es grandir a été dévastatrice.
Virginie [prénom d’emprunt], 60 ans, a été violée par un oncle et par son frère aîné pendant son enfance et son adolescence. Son désir d’être mère – elle a deux enfants, grand·es maintenant – lui est venu de manière « animale ». « J’en avais envie, de la même manière qu’on a envie de boire, manger ou faire l’amour. C’était en dehors de l’institution sociale. » Avec du recul, elle dit qu’au moment de la naissance de ses enfants, elle était « profondément dissociée ». Lorsqu’une victime subit une violence, le choc est tellement lourd que le mental se protège en se déconnectant de ses émotions, en se distançant de l’horreur de la réalité. Le cerveau se paralyse, c’est la dissociation traumatique, un phénomène qui peut durer plusieurs années, voire toute une vie. « Si je n’avais pas été dissociée, si j’avais eu la conscience exacte de la gravité des événements que j’avais subis et de comment j’étais dévastée, j’aurais été incapable de faire un enfant. Tant biologiquement que psychiquement. »
Des incestes incessants
Adeline, 36 ans, a été violée par son frère aîné entre ses 4 et 14 ans. Elle ne veut pas d’enfant, car elle sait que l’inceste est un mécanisme ancré dans la famille, qui persiste généralement entre les différentes générations. L’anthropologue Dorothée Dussy a enquêté auprès de 22 détenus masculins, âgés entre 23 et 78 ans, incarcérés pour agression sexuelle ou viol auprès d’un·e ou plusieurs membres de leur famille. Des cas montraient de façon flagrante que les relations incestueuses étaient répétées avec le même schéma sur plusieurs générations. Par exemple, dans certaines familles, ce sont toujours les grands-pères qui violent leurs petites-filles. Dans d’autres, les frères agressent les sœurs. Les victimes se retrouvent même, inconsciemment, à épouser des « incesteurs ». Les parents et grands-parents agissent comme des modèles que les enfants vont recopier. Même si les incestes ne sont pas dits explicitement, ils transparaissent, notamment par le langage corporel. Les enfants vont capter et déchiffrer ces signes, de manière inconsciente.