Le débat du 10 septembre a permis de clarifier, dans une certaine mesure, les programmes de Donald Trump et de Kamala Harris. En matière économique, si les objectifs et les priorités sont relativement proches – notamment en ce qui concerne le pouvoir d’achat et le logement –, les moyens envisagés sont à l’opposé l’un de l’autre. Décryptage.
À deux mois de la présidentielle américaine de 2024, les programmes économiques des candidats républicain et démocrate, complétés par différentes promesses de campagne écrites ou orales, sont principalement axés sur le pouvoir d’achat, point faible du bilan économique de l’administration Biden dans l’esprit des Américains. Fixer cette priorité permet à Donald Trump de surfer sur cette insatisfaction et à Kamala Harris de répondre par avance aux critiques portant sur un bilan dont elle est aussi comptable, en sa qualité de vice-présidente sortante.
Une inflation massive a touché les États-Unis, comme le reste du monde, pendant la quasi-totalité du mandat de Joe Biden. Les prix ont augmenté en moyenne de 20 % sur l’ensemble des quatre dernières années, induisant un ressenti négatif des Américains sur la question du pouvoir d’achat, malgré les hausses de salaire qui ont eu lieu et le fait que l’inflation est en passe d’être jugulée, en partie grâce à l’augmentation du taux directeur de la Réserve fédérale (Fed). Cette hausse a certes évité une surchauffe de l’activité économique mais a également renforcé les difficultés pour tous les Américains cherchant à contracter un emprunt. En particulier, le coût du crédit immobilier empêche désormais beaucoup d’Américains de pouvoir acheter un logement, d’autant plus que les prix ont nettement augmenté du fait de la pénurie d’offres.
À noter que, jusqu’ici, la question du chômage n’est pas centrale dans la campagne. Le taux de chômage reste très faible (4,3 %), malgré une légère hausse depuis six mois qui s’explique par une croissance quelque peu atone en 2024, en lien avec les taux d’intérêt élevés fixés par la Fed.
Au-delà de la convergence sur le sujet du pouvoir d’achat, les programmes économiques de Kamala Harris et de Donald Trump diffèrent profondément. Mais, à ce stade, ils sont l’un comme l’autre extrêmement imprécis, au sens où les résultats attendus et les coûts des mesures proposées ne sont pas clairement quantifiés, le mode de financement de celles-ci restant tout aussi vague.
Combattre la hausse des prix
Les deux candidats s’engagent auprès des électeurs à limiter la hausse et même à abaisser les prix de produits de consommation courante pour améliorer rapidement le quotidien des ménages américains.
À cet effet, Kamala Harris évoque une interdiction des prix considérés comme abusifs au regard des coûts de production, notamment sur les produits alimentaires. C’est sans doute la promesse économique de la candidate démocrate qui suscite à ce stade le plus de polémiques, Donald Trump dénonçant une « fixation communiste » des prix.
Même si des mesures de ce type sont déjà en place dans une trentaine d’États, y compris républicains, pour faire face aux excès ponctuels de certains producteurs, il existe des doutes sérieux quant à la capacité de cette mesure à faire réellement baisser les prix des produits ciblés. Une étude de la Réserve fédérale de San Francisco montre en effet que l’inflation récente n’est pas réellement liée à de telles pratiques.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]Donald Trump promet de son côté une baisse rapide des prix grâce à l’élimination de toute réglementation coûteuse, sans plus de précisions. Il prévoit également d’encourager l’industrie pétro-gazière à forer toujours plus, considérant que l’accroissement de la production permettrait la réduction d’un prix emblématique pour les Américains, celui du gallon de carburant.
Ce raisonnement omet le fait que ce prix est lié au cours du pétrole sur le marché mondial, lequel dépend de bien d’autres choses que de la production nationale des États-Unis, depuis les décisions de l’OPEP jusqu’au contexte géopolitique.
Faciliter l’accès au logement
Pour répondre aux difficultés des Américains à se loger, le programme républicain prévoit d’ouvrir à la construction des parcelles de terres fédérales et l’abandon de toute réglementation considérée comme inutile et susceptible de faire augmenter les coûts. Il annonce aussi, sans précision, un soutien aux primo-accédants.
Le programme de Kamala Harris comprend des annonces plus concrètes en la matière, puisqu’elle envisage une aide de 25 000 dollars aux primo-accédants pour leur permettre de constituer un apport. Cette aide réservée aux actifs n’ayant pas de retard de paiement de loyer depuis au moins deux ans concernerait un million de ménages par an. Les Démocrates promettent également la mise en place d’incitations fiscales pour la construction de logements destinés à être loués à des tarifs abordables. Ce plan permettrait la construction de 3 millions de nouveaux logements.
Finalement, la vice-présidente actuelle entend réguler les loyers en soutenant des projets de loi introduits par les Démocrates début 2024. L’un vise à limiter l’usage d’algorithmes de fixation des loyers dont l’emploi équivaut, pour les grands acteurs du secteur, à s’entendre sur les prix. L’autre supprime des avantages fiscaux aux acquéreurs de 50 maisons individuelles ou plus mises à la location, ces investissements étant considérés comme prédateurs.
Limiter le coût des soins de santé
Kamala Harris souhaite s’attaquer à d’autres dépenses susceptibles d’affecter le pouvoir d’achat des Américains : les soins de santé. Pour cela, elle promet d’étendre à l’ensemble des Américains l’aide qui, dans le cadre de l’Inflation Reduction Act de 2022, avait été octroyée aux bénéficiaires du programme fédéral d’assurance maladie réservée aux personnes âgées de 65 ans et plus et aux invalides (Medicare) – à savoir des dépenses personnelles limitées à 35 dollars par mois pour les traitements à l’insuline et à 2 000 dollars par an pour les médicaments sur ordonnance.
Kamala Harris veut aussi autoriser Medicare à accélérer le rythme des négociations avec l’industrie pharmaceutique pour faire baisser les prix des médicaments les plus utilisés et, dans le même objectif, souhaite renforcer la concurrence et la transparence dans cette industrie.
Dans ce domaine, Donald Trump s’engage à ne pas revenir sur les prestations offertes par Medicare aux plus âgés, mais n’envisage pas d’extension à d’autres segments de la population. Pour lui, la baisse des prix des médicaments relève exclusivement de la concurrence sur le marché des médicaments, une concurrence qu’il convient donc de favoriser.
Sachant que les soins de santé ont endetté de nombreux ménages américains, le programme démocrate propose aussi l’annulation de 7 milliards de dollars de ces dettes pour un maximum de 3 millions d’Américains en s’appuyant sur les fonds de l’American Rescue Plan Act adopté en 2021.
Réductions ou crédits d’impôts
Donald Trump a été le premier à promettre de supprimer les impôts fédéraux sur les pourboires des 4 millions d’Américains rémunérés de cette façon. Kamala Harris a repris cette proposition à son compte.
La différence entre les deux programmes réside dans le fait que les Démocrates proposent de supprimer, sur ces pourboires, les impôts fédéraux sur les revenus, alors que les Républicains proposent également d’y soustraire les cotisations sociales destinées à financer Medicare. Il en résulterait, pour les finances publiques, un manque à gagner qui va du simple pour les Démocrates au double pour les Républicains, pour un total de 150 à 250 milliards de dollars sur 10 ans selon le Comité pour un budget fédéral responsable (CRFB).
Donald Trump souhaite également reconduire les réductions d’impôts qu’il avait mises en place à son arrivée à la Maison Blanche en 2017 et qui expirent fin 2025, et même rendre ces réductions permanentes. Il promet aussi d’éliminer, pour les seniors, les impôts sur les allocations versées par la Sécurité sociale.
Cependant, les réductions d’impôt ne profitent qu’à ceux qui sont assez riches pour en payer. Kamala Harris, qui met prioritairement l’accent sur l’amélioration de la situation des classes moyennes, annonce des mesures fiscales sous forme de crédits d’impôt permettant des versements d’aides à ceux qui paient peu ou pas d’impôts.
La candidate démocrate prévoit des aides qui bénéficieraient à plus de 100 millions d’Américains. Un crédit d’impôt de 3 600 dollars serait versé par enfant, crédit porté à 6 000 dollars pendant la première année de l’enfant. Les travailleurs sans enfant à faibles revenus pourraient également obtenir jusqu’à 1 500 dollars de crédit d’impôt. Plus généralement, Kamala Harris s’engage à ce que les impôts des personnes gagnant moins de 400 000 dollars par an n’augmentent pas.
Finalement, les déclarations des deux candidats s’opposent concernant le taux de l’impôt fédéral sur les sociétés. Alors qu’il s’établit actuellement à 21 %, Kamala Harris voudrait l’augmenter jusqu’à 28 %, alors que Donald Trump voudrait le réduire à 15 % pour les entreprises fabriquant leurs produits aux États-Unis. Le soutien de Kamala Harris aux entreprises se concentrerait sur les nouvelles PME, elle propose de décupler l’aide fiscale dont elles peuvent bénéficier, pour la porter à 50 000 dollars.
Cryptoactifs et dollar numérique
Donald Trump clame son soutien au développement des cryptoactifs, promettant de faire des États-Unis la capitale mondiale des cryptomonnaies et du bitcoin. Kamala Harris reste pour l’heure silencieuse sur ce sujet. L’enthousiasme de Donald Trump et la prudence de Kamala Harris sont en réalité assez opportunistes et liés à l’influence grandissante de l’industrie des cryptos qui finance massivement la campagne électorale, les fonds les plus importants allant pour l’heure à Donald Trump qui leur offre de meilleurs engagements pour le futur.
L’un de ces engagements porte sur l’absence de perspective d’émission d’un « dollar numérique » par la Réserve fédérale. La Chambre des Représentants, à majorité républicaine, a adopté en mai 2024 un projet de loi visant à empêcher sa mise en place, arguant du manque de garanties de confidentialité financière. En réalité, l’industrie des cryptos ne souhaite pas l’émergence de ce concurrent public, ce qui justifie la posture des Républicains sur cette question.
Objectifs similaires, visions divergentes
Les programmes économiques grâce auxquels les candidats se proposent d’améliorer la vie des Américains reposent sur des visions différentes de l’économie. Kamala Harris souhaite soutenir les classes moyennes à travers des aides directes et indirectes, alors que Donald Trump promet baisses d’impôts et déréglementation. Les Républicains envisagent aussi d’importantes mesures protectionnistes en augmentant les droits de douane et même des interdictions d’importation pour certains produits chinois, sans un mot pour les hausses de prix qui en résulteraient pour les consommateurs américains. Une autre promesse de Donald Trump pourrait avoir des effets économiques majeurs : l’expulsion par la garde nationale de 15 à 20 millions d’étrangers en situation irrégulière mais présents sur un marché du travail, qui s’en trouverait déstabilisé.
Cependant, ces programmes ne sauraient être mis en œuvre que si le vainqueur de la présidentielle obtient aussi la majorité dans chacune des deux chambres du Congrès, qui est décisionnaire sur toutes les questions budgétaires. Or, les impacts budgétaires des seules promesses fiscales – réductions d’impôt côté républicain, crédits d’impôt côté démocrate – se comptent ici en milliers de milliards de dollars sur 10 ans selon les estimations faites notamment par l’organisation bipartisane Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB).
Pour financer leurs programmes respectifs, Donald Trump envisage des coupes dans les dépenses de l’État fédéral et de confier l’identification des économies à réaliser à une commission indépendante avec Elon Musk à sa tête, alors que Kamala Harris souhaite augmenter les recettes de l’État en augmentant la taxe sur les revenus du capital en plus de l’impôt sur les sociétés.
Reste que d’autres enjeux, sociétaux, sont au cœur de cette élection. Les problématiques d’immigration et d’avortement pourraient avoir un impact majeur sur son résultat – en atteste la teneur du premier débat télévisé du 10 septembre entre les deux candidats.
Isabelle Lebon