Je suis intimement touché par les évènements d’Ukraine, la Russie est un peu ma deuxième patrie. J’y ai vécu plusieurs années à l’époque de l’URSS, fondé une famille, travaillé à ma thèse de doctorat. J’ai pour le peuple russe, la culture russe, une infinie sympathie. J’entretiens avec mes amis russes des liens solides depuis plus de 50 ans. Ce qui arrive est bouleversant. Les lignes qui suivent n’ont d’autre objet que de livrer, dans un semi-désordre, quelques sentiments notés ces derniers jours, sans prétendre dresser une analyse exhaustive et circonstanciée de la « question russo-ukrainienne ».
Afin que d’autres propos que ceux des médias mainstream puissent se faire entendre, nous mettons cet article en accès libre.
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Trop d’OTAN
C’est l’OTAN la cause du problème et du nouveau risque de guerre mondiale
Tout en condamnant l’initiative criminelle de Poutine, nous ne pouvons pas négliger le contexte géopolitique : le quasi-doublement du nombre de pays membres de l’OTAN, au mépris des engagements pris en 1990, lors de l’acceptation par l’URSS de Gorbatchev de la réunification de l’Allemagne, de ne pas élargir l’Organisation vers la Russie, vers l’est de l’Europe. Des preuves écrites viennent d’en être opportunément retrouvées dans les archives (cf., entre autres, un article récent du
Spiegel). À l’inverse de ce que nos médias déclarent – «
heureusement l’OTAN est là face à l’impérialisme guerrier de Poutine » –, c’est l’OTAN la cause du problème et du nouveau risque de guerre mondiale. C’est son expansion continue depuis 30 ans, les sales guerres que cette organisation prétendument défensive (on nous rabâche cette fiction, ce mensonge, en permanence) a menées : destruction de la Yougoslavie, guerres d’Irak, de Libye, d’Afghanistan, etc., et les coups d’État que les euro-atlantistes ont soutenus sinon organisés (Maïdan 2014, en particulier) qui déstabilisent et mettent en péril la sécurité en Europe. Le problème n’est pas «
pas assez d’OTAN », mais «
trop d’OTAN ».
De plus, la politique suivie par l’Ukraine depuis 2014 s’est inscrite pleinement dans ce tropisme ottanien de relance de la guerre froide. Les pseudo-démocrates au pouvoir à Kiev ont mené une politique désastreuse et provocatrice depuis des années, avec le soutien (et même plus, l’intervention directe) de l’Occident.
La Russie a donc des raisons de se sentir de plus en plus menacée.
Une réponse désastreuse à un vrai problème
La guerre est déclarée à des frères, qui se révèlent ennemis acharnés
Le choix de Poutine et de son entourage d’envahir l’Ukraine pour la «
démilitariser » et la «
dénazifier »est une très mauvaise réponse à un vrai problème. J’ai lu avec consternation le discours de Poutine du 21 février et les aberrations historiques qu’il contient. J’ai vu la mise en scène théâtrale de la décision. Le volet « philosophique » de l’explication de l’opération militaire soi-disant spéciale, les considérations politico-historiques aboutissant à la conclusion qu’il n’existe pas de peuple ukrainien ni de nation ukrainienne trouvant leurs sources dans l’histoire multiséculaire de la région, est extrêmement contestable et même aberrant sur certains aspects. Il fleure bon le révisionnisme historique. Je soulignerai la contradiction interne insurmontable de cette analyse, puisque la guerre est déclarée à des frères, qui se révèlent ennemis acharnés.
Poutine agit comme les USA et l’OTAN l’ont fait en Irak ou en Libye.
Ce qui est en train de se passer est inadmissible, monstrueux, une tragique erreur, une action criminelle, il faut le dire. Il y aura un avant et un après le 24 février 2022. Poutine agit comme les USA et l’OTAN l’ont fait en Irak ou en Libye. Nous savons à quoi mène ce genre d’opération. Face à la résistance impressionnante du pays, la logique de la guerre impose inexorablement sa loi, la limitation initiale des frappes aux objectifs militaires n’est plus qu’un souvenir, des centaines de milliers de civils sont atteints, des écoles, des hôpitaux, des bâtiments d’habitation sont détruits.
La « rationalité de la guerre » risque de l’emporter sur le bon sens, sur l’instinct de conservation, sur la « rationalité de la paix »
Je suis au bord des larmes de colère et de tristesse. Je vois déjà le spectre d’un désastre sans précédent, pire peut-être que la liquidation de l’URSS. Est-il encore possible d’arrêter le cours des choses ? Au train où ça va, la « rationalité de la guerre » risque de l’emporter sur le bon sens, sur l’instinct de conservation, sur la « rationalité de la paix ». Je n’ai pas cru un seul instant, jusqu’au 24 février, que Poutine déciderait d’envahir l’Ukraine tout entière jusqu’à Kiev, tout au plus imaginais-je une occupation du Donbass, dans le style des « opérations spéciales » précédentes en Géorgie et en Crimée. Mais aujourd’hui, j’ai compris qu’il enverra son armée au moins jusqu’au bord du Dniepr, Kiev incluse. J’espère qu’il s’arrêtera là… Il faudra ensuite, de toute façon, occuper le pays – combien de temps ? – face à une population massivement opposée à l’envahisseur, puis rentrer à la maison, mais après avoir obtenu quoi ? 200.000 hommes suffiront-ils à cette tâche qui apparaît de plus en plus démesurée et hors d’atteinte ? Les alarmistes qui nous prédisent que Poutine ne s’arrêtera pas là, qu’il visera ensuite les pays baltes et la Pologne sont de la même eau que ceux qui annonçaient, du temps d’une autre guerre froide, les chars soviétiques à Bruxelles ou Paris. Zelenski tient le même langage, mais il a des « circonstances atténuantes »…
Les Ukrainiens de tous bords, même les néonazis de Pravy Sektor et du bataillon Azov, sont unis dans un élan national sans précédent et transformés par les euro-atlantistes en purs héros de nos valeurs.
Il faudrait d’urgence ouvrir une porte de sortie vers un vrai dialogue sur l’établissement d’un nouveau cadre de sécurité en Europe, sur les frontières, sur tout ce qui n’a pas été fait depuis 30 ans, et plutôt défait. Mais l’Occident euro-atlantique fait tout, derrière son discours « humaniste » et « droitdelhommiste » de façade, derrière son ode hypocrite au droit des peuples à la liberté –toujours cette petite musique mensongère du « monde libre » qui me poursuit depuis l’enfance–, pour enflammer la guerre, dans une logique de guerre totale identique à celle qui semble animer Poutine désormais, devant l’ampleur imprévue de la résistance des Ukrainiens. Avec, notamment, la livraison inconsidérée d’armes létales – même les Allemands s’y sont mis ! – dont on ne sait pas dans quelles mains elles tomberont, enfin si, nous le savons. Quand on entend Bruno Le Maire, le ministre français, clamer qu’il vise l’écroulement économique de la Russie (il a d’ailleurs dû un peu rétropédaler car ces propos enflammés ont été jugés excessifs et dangereux jusque parmi ses amis), le ministre des affaires étrangères luxembourgeois proclamer, très peu diplomatiquement, qu’il faudrait tuer Poutine, on se dit qu’une digue a sauté avec la décision de Poutine : la russophobie peut maintenant déferler sans plus aucune limite, les pires sentiments de haine, plus ou moins maîtrisés jusqu’ici, peuvent désormais s’exprimer sans réserve, « justifiés » par l’attitude criminelle du pouvoir russe/poutinien. Et les Ukrainiens de tous bords, même les néonazis de Pravy Sektor et du bataillon Azov, sont unis dans un élan national sans précédent et transformés par les euro-atlantistes en purs héros de nos valeurs. Quant à la rupture (la haine) entre l’Ukraine et la Russie, entre les deux peuples frères slaves, elle a de beaux jours devant elle…
Une « révolte » plus ou moins ouverte des oligarques pourrait se manifester, nous en avons les premiers signes, avec le propriétaire de la firme Lukoïl et d’autres.
Un espoir pourrait-il venir des tréfonds du peuple russe, pour imposer un arrêt de cette aventure et préserver l’avenir de son pays ? Malgré des manifestations courageuses dans les grandes villes, pas massives, mais non négligeables, malgré des pétitions dans l’intelligentsia, l’espoir reste ténu, vu les conditions sociales et la culture politique du pays. Le soutien à la décision de Poutine est sans doute majoritaire et le contrôle de l’information par le pouvoir ne joue pas un rôle aussi essentiel qu’on l’imagine ici. Le parti communiste lui-même est activement associé au « choix de Poutine », il a même été l’instigateur du vote de la Douma en faveur de la reconnaissance des deux Républiques populaires du Donbass. Depuis, un député communiste a désavoué le choix de la guerre. Une « révolte » plus ou moins ouverte des oligarques pourrait se manifester, nous en avons les premiers signes, avec le propriétaire de la firme Lukoïl et d’autres. Ils ne supporteront en effet pas stoïquement de perdre des milliards et d’être gênés dans la poursuite de leurs plantureuses affaires. Mais ils doivent tant à Poutine et ont perdu leurs moyens d’intervention politique en contrepartie…
Andreï Gratchev (ancien conseiller de Gorbatchev) a affirmé il y a quelques jours – dans un débat sur la chaîne de télévision France 5, émission C ce soir – qu’une opposition populaire massive, seule capable de faire reculer le pouvoir n’est pas impossible à imaginer, les « graines semées par la perestroïka » rendant cette hypothèse crédible. J’espère qu’il a raison, mais à quelle évolution politique interne cette mobilisation pourrait-elle ouvrir la voie ? Un autre élément qui pourra agiter l’opinion, ce sont les « comités des mères de soldats », lorsque les cercueils plombés vont commencer à rentrer au pays, qu’on se souvienne des guerres d’Afghanistan et de Tchétchénie. Et que dire de l’armée, embarquée dans une opération pour le moins calamiteuse ?
L’état de santé de Poutine a aussi été évoqué, y compris son état mental. Je ne suis pas très friand de ces tentatives d’explications psychiatriques. Il n’est pas fou, sa décision stratégique est le résultat d’une réflexion élaborée. Certes, elle convoque une approche politique et historique pour le moins critiquable, et parfois franchement révisionniste, sur l’inexistence « en soi » d’un peuple ukrainien et l’illégitimité d’un État ukrainien. Mais elle est basée sur une analyse géopolitique dont je partage les principales observations : extension inadmissible de l’OTAN, dérive du pouvoir ukrainien depuis le coût d’État fomenté avec l’aide US et de l’UE en 2014, exactions de l’armée ukrainienne contre les régions séparatistes de Donetsk et Lougansk, etc.
La seule issue correcte est de nature diplomatique et politique.
Comme le disent très courageusement et intelligemment quelques trop rares mouvements de gauche radicale, la seule issue correcte est de nature diplomatique et politique. Elle passe par la neutralisation de l’Ukraine, dans le cadre d’un nouvel accord général de sécurité et de coopération en Europe. Ce dont les États-Unis ne veulent pas.
Pourquoi « Hic et nunc », pourquoi si violemment et maintenant ?
Pourquoi Poutine a-t-il décidé d’intervenir aussi violemment et maintenant ?
Je reste coincé sur la question initiale : pourquoi Poutine (son cercle, dont Choïgou et Lavrov) a-t-il décidé d’intervenir aussi violemment et maintenant ? Ils ne sont quand même pas idiots ou coupés de la réalité au point d’ignorer les conséquences potentielles d’une telle agression. Quel intérêt vital était en jeu qui justifiait la prise d’autant de risques ? La préparation d’une attaque de l’Ukraine contre la Crimée ? La fabrication d’armes nucléaires par les Ukrainiens – ils disposent d’une industrie et d’un savoir-faire nucléaires postsoviétiques importants, dont un énorme parc de centrales électronucléaires ? Ont-ils une telle méconnaissance de la réalité ukrainienne pour imaginer y trouver des soutiens prorusses suffisants pour coopérer avec eux ? Ne se doutaient-ils pas qu’ils allaient creuser un gouffre irrémédiable avec le « peuple frère » ukrainien, et installer la haine russophobe pour des dizaines d’années, y inclus des résistances armées prolongées, des guérillas, et aussi une résistance passive non armée ?
Et croyaient-ils que les euro-atlantistes n’allaient pas réagir, pas militairement, dissuasion nucléaire oblige, mais par des sanctions économiques gravissimes ? Ont-ils sous-estimé toutes ces menaces et conséquences terribles qui annihileraient leurs succès militaires et surtout leur objectif politique de neutralisation du pays ?
Il y a quelques jours, Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, disait très calmement et apparemment sûr de lui, « vous verrez dans quelques semaines, quand nous aurons démilitarisé le pays (…) ». Croyait-il vraiment que la « pacification » serait aussi simple et rapide ? Et il semblait n’avoir aucun doute sur la capacité de la Russie de résister à toutes les sanctions économiques et à l’isolement mondial, tout relatif puisque les 35 pays qui se sont abstenus à l’ONU représentent des populations de plusieurs milliards de personnes.
La dénazification, qui réveille en Russie des sentiments très profonds, n’est pas un motif très plausible.
Alors, quels sont les facteurs de «
nécessité vitale et immédiate » à la base de l’opération russe ? Les constatations géostratégiques sont légitimes. De plus, la revendication d’une démilitarisation (ou plutôt d’une neutralisation) de l’Ukraine est pertinente. Ces objectifs auraient dû pouvoir être poursuivis par des moyens pacifiques et diplomatiques, par la persuasion, par des logiques de coopération et de complémentarités économiques et géographiques. La dénazification, qui réveille en Russie des sentiments très profonds, n’est par contre pas un motif très plausible. Certes, nous le savons, les néonazis et autres nationalistes bandéristes nostalgiques s’agitent beaucoup en Ukraine, et ils ont eu après Maïdan accès aux cercles du pouvoir. Même si leurs phalanges armées (bataillon Azov devenu régiment de l’armée nationale) sévissent de manière sanglante, notamment dans le Donbass, on ne peut pas prétendre que le pouvoir actuel soit sous la coupe de ces derniers ou dominé par eux. Mais l’évolution négative de Zelenski depuis son élection triomphale sur un programme de paix avec la Russie, évolution soutenue par les cercles militaristes de l’OTAN, son intention proclamée l’an passé de reconquérir les territoires perdus, y compris la Crimée, par la guerre s’il le faut (et on ne voit pas comment cela pourrait être obtenu autrement), est un facteur qui a participé, à l’évidence, à la décision de Poutine. Ainsi que l’intention évoquée de doter le pays d’armes nucléaires.
L’étincelle finale est probablement venue le 16 février, avec l’augmentation soudaine et massive (d’un facteur 50 !), passée largement inaperçue dans nos médias, des bombardements ukrainiens contre la population des deux républiques du Donbass
Zelenski a continué à mener la guerre contre les régions sécessionnistes du Donbass (14.000 morts au total), il n’a pas appliqué les accords de Minsk (dont la reconnaissance de l’autonomie des deux régions de Donetsk et Lougansk), il a demandé l’adhésion de son pays à l’OTAN. L’étincelle finale est probablement venue le 16 février, avec l’augmentation soudaine et massive (d’un facteur 50 !), passée largement inaperçue dans nos médias, des bombardements ukrainiens contre la population des deux républiques du Donbass, probablement en vue d’une offensive. Ce qui a entraîné leur reconnaissance (longtemps différée par Poutine) et la nécessité d’intervenir militairement pour la Russie, à la demande des autorités du Donbass.
Biden, avec ses airs de pasteur anglican, n’a rien fait pour lui enlever ces idées de la tête, au contraire
Ne sont-ce pas là les causes du déclic de non-retour qui a précipité la décision fatale ? En tous cas, Poutine était au bout de sa capacité de supporter le rejet depuis 15 ans de sa main qui fut tendue aux Européens, souvenons-nous de ses discours du début des années 2000 revendiquant la création d’une Europe de l’Atlantique à Vladivostok. Mais cela devait-il impliquer le recours à des mesures sanglantes aux conséquences irréversibles ? L’idée d’un processus pouvant devenir irréversible et exposant la Russie à un danger « mortel » était en route : le temps pour avoir encore une chance de l’enrayer était compté, les moyens pacifiques pour y parvenir étaient épuisés et seul subsistait l’usage de la force… Biden, avec ses airs de pasteur anglican, n’a rien fait pour lui enlever ces idées de la tête, au contraire (cf. la séquence de « l’ultimatum » russe et de la non-réponse américaine). Les Européens, vassaux des USA et prisonniers mantra otanien, malgré leurs prétentions « souverainistes », n’ont pas (r)établi un dialogue digne de ce nom avec les Russes. Et nous voilà à la veille de la bataille de Kiev.
Addendum | Des effets collatéraux en pagaille
Les effets collatéraux négatifs extrêmement diversifiés de l’intervention russe se font déjà sentir, dont beaucoup sont extrêmement préjudiciables pour les Russes eux-mêmes. J’en citerai quelques-uns.
- La guerre, même si elle prétend ne viser que des cibles militaires et stratégiques, voire politiques (des mairies, des ministères, etc.), a déjà causé la mort de centaines voire de milliers de civils, femmes, enfants, vieillards, et la destruction d’écoles, d’hôpitaux, de bâtiments universitaires… Les dérapages vont se multiplier, comme les risques d’extension du conflit. La bataille de Marioupol qui est en cours illustre bien l’horreur de cette guerre. Les Russes ne s’attendaient sans doute pas à une résistance aussi forte de la ville (comme ailleurs, à Kharkiv), pourtant située dans la région orientale du pays. Des manifestations contre l’occupant ont déjà eu lieu dans le centre urbain dévasté. Les épisodes nucléaires civils de Tchernobyl et Zaporijia nous ont fait frôler des conséquences apocalyptiques. La perte de contrôle, les erreurs techniques et les dérapages possibles des combats autour de ces sites nous font courir des risques terribles.
- Les Russes ne s’attendaient sans doute pas non plus à devoir affronter un peuple ukrainien aussi uni et mobilisé. La fracture avec le peuple frère est totale, profonde, immédiate, et elle laissera des cicatrices graves à très long terme. A l’exact opposé du but projeté de réunir à nouveau les deux peuples. C’est une des erreurs les plus graves du pouvoir russe dans sa folle équipée. Les sociétés ont évolué depuis 1989 et les trajectoires des diverses composantes de l’ex-URSS se sont éloignées, chacune à sa manière, de leur ancien passé commun. Leurs racines culturelles profondes ont ressurgi, plus fortes, et ont joué un rôle essentiel dans ces évolutions. Des nationalismes se sont développés, déjà à l’époque de la perestroïka fatale, et se sont imaginé offrir l’issue au chaos (largement autoliquidateur, il faut le souligner) de la fin de l’URSS.
- L’OTAN et l’UE se retrouvent, divine surprise, rassemblés et remobilisés en un front uni, ils n’en demandaient pas tant. Pas besoin de faire un dessin. Les nouvelles adhésions vont se multiplier et nous ne pourrons rien y faire.
- Les sanctions décidées par l’Occident causeront des dégâts très importants à l’économie et aux échanges internationaux de la Russie, mais n’arrêteront pas la poursuite de la guerre. Elles auront aussi des effets en retour chez nous. Tous les secteurs seront touchés. J’en mesure personnellement l’impact, immédiat ici encore, dans le domaine de la coopération scientifique. De nombreux programmes et projets de coopération sont d’ores et déjà « gelés », des décennies de collaborations fructueuses et des amitiés solides sont ainsi mises en péril, durablement sans doute.
- Les russophobes n’en demandaient pas tant. La déferlante antirusse est totale et nombre de nos amis de gauche et écolos y succombent, sans se faire prier, se gargarisant de discours sur l’impérialisme russe et autres balivernes. Malgré le soutien ou l’abstention bienveillante d’une quarantaine de pays, la Russie est isolée au plan international, alors que ses revendications en faveur d’un monde multipolaire, d’une Europe débarrassée de la tutelle US et de l’OTAN sont justes, alors que la responsabilité de l’euro-atlantisme dans la genèse de ce conflit est écrasante.
- Nous devrions aussi analyser ce qui se passe en Biélorussie, qui risque de payer très cher son engagement aux côtés des Russes, dans une guerre féroce et sans objectif d’atterrissage clair. En tous cas, l’opposition biélorusse est en embuscade et ne manquera pas d’utiliser toutes les occasions de déstabiliser le régime de Loukachenko.
Jean Moulin
Jean Moulin, docteur en Sciences physiques, chercheur à l’ULB jusqu’à la fin des années 1970, a travaillé de 1971 à 1974 au centre de recherche nucléaire de Doubna, une « ville scientifique fermée » en Union soviétique. Responsable de la coopération internationale sur les grands équipements de recherche au Service de la Politique scientifique fédérale belge (BELSPO), il est par la suite fréquemment retourné en URSS, puis en Fédération de Russie et a pu observer les bouleversements qu’a connus ce pays depuis 1991.