Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail

Pour des millions de personnes, pas de travail du tout, ou pas assez pour en vivre. Pour des millions d’autres, trop de pression, des journées à rallonge… à n’en plus finir. Comment sortir de cette répartition inégalitaire et insupportable du travail? Comment combattre ce chômage endémique qui ronge la dignité, le présent, l’avenir, l’espoir? En facilitant les licenciements? En assouplissant le Code du travail? Non. Il existe une autre voie.
S’appuyant sur une analyse très documentée, Pierre Larrouturou et Dominique Méda tournent le dos à ces perspectives régressives pour en proposer une autre: provoquer un choc de solidarité en passant à la semaine de 4 jours. Ils montrent comment cette mesure est capable de créer massivement des emplois sans coût supplémentaire pour les entreprises qui s’engageraient dans cette voie. La seule qui soit en phase avec ce qu’Albert Einstein prédisait dès les années 1930.
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einstein raisonPierre Larrouturou est ingénieur agronome et économiste. Fondateur avec Stéphane Hessel du Collectif Roosevelt, il quitte le Parti socialiste en 2013 pour créer Nouvelle Donne.
Dominique Méda est professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine, directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales et titulaire de la chaire «Reconversion écologique, travail, emploi et politiques sociales» au Collège d’études mondiales.
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Editions de l’Atelier, juin 2016, 270 pages
ISBN 978-2-7082-4470-2
EAN-ISBN 9782708244702
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Le livre a bénéficié d’un accueil favorable. Nous vous recommandons:
une interview publiée dans Libé
un entretien avec Patrick Cohen suivi d’un échange avec les auditeurs, diffusés sur France Inter
• un numéro de l’émission Espace de travail de Médiapart, intitulé “Pourquoi il faut réduire le temps de travail”

Enfin, nous reprenons ci-dessous la chronique qu’y a consacré Jean Gadrey dans Alternatives économiques.


Mon ami Christian Chavagneux m’a pris de vitesse en publiant dès le 16 juin sur le site AlterEcoPlus un article sur ce livre: «Pour un débat dépassionné sur la réduction du temps de travail». En voici de très courts extraits:

«Il y a une chose que l’on a essayée contre le chômage et qui a marché: c’est la réduction du temps de travail. Telle est la conviction de l’économiste Pierre Larrouturou et la sociologue Dominique Méda dans un livre qui paraît aujourd’hui.

Tout le monde veut réduire le chômage, c’est entendu mais les solutions débattues aujourd’hui pour y remédier ne sont pas à la hauteur…. Le livre prend l’exemple des Etats-Unis… Ou encore celui de l’Allemagne: entre 1994 et 2014, le pays a créé 4 millions d’emplois supplémentaires, une performance. Mais cela correspondait à 58 milliards d’heures de travail en 2014 contre… 58 milliards en 1994! Soit exactement la même quantité de travail. Notre voisin a simplement imposé une réduction du temps de travail subie (à travers l’essor des contrats courts et du temps partiel) pour créer de l’emploi.

Reste la réduction organisée du temps de travail. Le livre revient sur à la mise en œuvre de la loi Robien de 1996 sur l’aménagement du temps de travail, uniquement sur la base du volontariat… et bien sûr sur les lois Aubry de 1998 et 2000… on ne trouve sur l’ensemble du XXe siècle aucune autre période avec une telle dynamique de création d’emplois sur une période aussi courte. Le coût final net a été de trois milliards d’euros par an, ce qui, rapporté aux 350.000 emplois créés, en fait une politique bon marché.

… La fin du livre propose une réduction de 20% de la durée du travail (un jour sur cinq, une semaine toutes les cinq semaines, un mois tous les cinq mois, ce qui convient le mieux aux collectifs de travail), contre allègements de cotisation et engagement de création d’emplois.»

J’ajoute au compte-rendu de Christian Chavagneux quelques commentaires plus perso.

1) l’expérimentation «type Robien» proposée pour relancer un débat politiquement bloqué, à droite comme au PS, se situe dans une perspective plus ambitieuse de généralisation de la RTT, par exemple par voie de referendum. Les arguments en faveur de ces deux temps sont vraiment intéressants, mais on ne voit pas comment on créerait «de 1,5 à 2 millions d’emplois» sans une loi de généralisation.

2) Ce livre fourmille d’études de cas, données ou graphiques d’une très grande qualité. C’est un argumentaire illustré et, pour cette raison, captivant, pouvant convaincre des non convaincus.

3) 20% comme objectif de RTT, si c’est en partant d’une base de 35 heures, ça conduit à 28 heures. Pas évident pour moi, en relation avec le point suivant. Je me sentirais plus à l’aise pour défendre un objectif de réduction de 10% sur l’ensemble de la vie professionnelle.

4) J’ai, pour cet excellent livre comme pour le précédent, une réserve, assez sérieuse cette fois. Pour des raisons que j’ai explicitées dans plusieurs billets, ainsi que dans cette vidéo de 7 minutes, le recours (indispensable) à la RTT pour aider à créer les millions d’emplois nécessaires pour résorber le plus gros du chômage ne peut guère représenter plus du tiers de la solution. Les deux autres tiers correspondent aux emplois d’utilité sociale et écologique de la «grande transition».

En fait, les auteurs en parlent un peu, en particulier à la fin du chapitre 8 (pages 217-223). Cette faible attention aux deux tiers est sans doute compréhensible et justifiée dans un livre centré sur la RTT. Mais je suis quand même un peu embêté par… Einstein. Le livre commence par citer ce dernier, expliquant qu’il faut réduire nettement le temps de travail parce que le progrès technique et les gains de productivité suppriment des emplois.

Or le grand problème de la transition écologique et climatique est qu’il va y avoir beaucoup de boulot à la fois pour réparer les dégâts, pour prévenir le pire, et pour… faire machine arrière vis-à-vis du productivisme. Faire machine arrière en allant de l’avant, si j’ose dire. C’est-à-dire en privilégiant a) des techniques douces, des «low tech», issues le plus souvent d’innovations et pas de l’imitation des méthodes du passé, et b) des activités où l’on prend soin des gens, des écosystèmes et du lien social. Einstein ne pouvait pas envisager cette théorie de la relativité historique… des gains de productivité, et leur remplacement indispensable par des gains de qualité et de soutenabilité, autant de réorientations «riches en emplois utiles». C’est ma façon de relativiser un peu les stimulantes analyses de ce livre qui va forcément vous passionner.

Jean Gadrey

© Alternatives Economiques – 18 juin 2016
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2016/06/18/einstein-avait-raison-il-faut-reduire-le-temps-de-travail