On avait l’habitude de voir des «contre-sommets» lors des grandes réunions internationales. Ceux qui ne sont pas d’accord avec les orientations néolibérales et productivistes qui dominent le monde ont, en effet, pris l’habitude d’organiser en parallèle des caucus des grands de ce monde, des rencontres où ils font entendre leur différence et présenter leurs projets alternatifs. Mais c’est la première fois que le Festival de l’Environnement, une fête annuelle devenue une tradition, se voit opposer une manifestation parallèle et très critique.
Le Parc du Cinquantenaire où se déroule le festival organisé par la Région bruxelloise et le parc Léopold où se tient la fête «La nature qui se défend» sont distants d’à peine 400 mètres. Ce 4 juin s’y feront donc concurrence deux évènements opposés mais sur le même thème. D’un côté, Bruxelles Environnement, le para-régional, bras armé de la Région pour ce qui est des matières nature, écologie, alimentation… et de l’autre le Tuiniersforum des Jardiniers, la coalition de ceux qu’on appelle «potagistes» et qui regroupe les citoyens qui, à Bruxelles comme dans toutes les grandes villes, veulent cultiver des coins de terre pour y produire leurs fruits et légumes.
Ils sont mécontents ces jardiniers amateurs car les derniers carrés où ils peuvent se livrer à leur passion sont souvent menacés par des projets immobiliers. Il est vrai que la Région bruxelloise est soumise à une pression démographique importante. En une quinzaine d’années, elle a vu sa population augmenter de 20%, 200.000 néo-bruxellois qu’il faut bien caser quelque part. Alors, les zones «libres» que sont leurs coins de terre sont guignées par des promoteurs qui veulent investir et construire.
En 2017, deux combats sont symboliques: le lieu-dit Keelbeek Haren, à l’extrême nord de la région où devrait s’implanter la méga-prison que le ministère de la Justice imagine pour suppléer au manque de place dans les prisons vieillissantes du Royaume. Là, les potagistes sont soutenus par ceux qui refusent la logique répressive de l’actuel gouvernement et par ceux qui estiment que la localisation excentrée, loin du Palais de Justice et des moyens de communication est une aberration. Le combat dure depuis des années, avec des prises de position politiques contrastées.
L’autre lieu d’affrontement est situé à la frontière entre Ixelles et Watermael-Boitsfort. Là vivaient depuis plus d’un siècle des potagers dits ouvriers où les samedis et dimanches voyaient affluer les jardiniers amateurs. Une grande partie des ces potagers firent place à des logements sociaux mais voilà qu’à présent la commune d’Ixelles veut faire bâtir sur la dernière zone verte d’à-côté. La résistance s’est donc aussi organisée depuis des années, avec recours en justice, manifestations, interpellations au conseil communal…
Comme la Région soutient la volonté de la commune de bâtir sur les potagers survivants, les défenseurs de la zone Boondael-Ernotte sont très fâchés et appellent au boycott de la fête régionale qui, pourtant, se nomme cette année «nature en ville». Leur porte-parole s’insurge: «Chaque année a lieu la fête de l’environnement à Bruxelles. Pourtant à Bruxelles, l’environnement n’est pas à la fête! Au contraire, l’environnement est dégradé systématiquement. Air, eau, bruit, pollution électromagnétique, biodiversité, sols, la dégradation est générale, continue, et systématique. 50 hectares d’espaces naturels sont menacés à court terme, tous les espaces verts sont sous pression à Bruxelles. Dans ce contexte, que signifie la ’’fête de l’environnement’’? Cet évènement est un support de propagande du gouvernement pour faire comme si tout allait bien, comme s’il y avait une politique environnementale responsable à Bruxelles. La fête de l’environnement a tous les traits de la mascarade et du greenwashing.
(…) Le boycott est une méthode d’action non-violente qui consiste à rendre visible une situation injuste et à s’y opposer de manière responsable en refusant de lui apporter son soutien, même indirect. Il s’agit ici de retirer notre soutien à la fête de l’environnement et au gouvernement qui l’utilise, pour donner conscience que cet évènement participe à l’irresponsabilité des politiques actuelles en masquant la réalité de la destruction de la nature à Bruxelles. C’est agir en conscience et appeler son entourage à faire de même.»
Pot de fer (et de béton) contre pot de terre (c’est le cas de le dire)? On verra… En tout cas, les résistants gagnent parfois des recours en justice, retardent les échéances et parfois ont gain de cause. Ainsi, fin des années 1980, les défenseurs de la nature désiraient protéger neuf sites semi-naturels menacés d’urbanisation. Trente ans plus tard, sept d’entre eux (Scheutbos, Kauwberg, Zavelenberg, Bois du Wilder, Katebroeck…) sont toujours là, parfois même classés et de ce fait définitivement protégés. La résistance paie donc parfois.
On verra ce dimanche quels seront les succès respectifs du Festival officiel et du off…
En complément
Interview de Jean-Baptiste Godinot (membre du Tuiniersforum des Jardiniers)