Alors que l’ouragan Oscar approchait de ses côtes, Cuba a connu le 18 octobre dernier une panne de courant géante qui a plongé dans le noir la quasi-totalité de sa population et ce, alors que le pays vit sa plus importante crise sociale, économique et alimentaire depuis le triomphe de la révolution. La vétusté de son réseau électrique, expression concrète du blocus criminel que connaît le pays, explique dans une large mesure ce dramatique épisode. C’est l’occasion de faire un peu d’histoire.
Naissance d’une rengaine
C’est ainsi que la notion du « droit-de-l’hommisme » est née avec, comme précieux instrument, les médias, la presse grand public d’alors. Il s’agissait de fabriquer le récit dénonçant « comment les puissants Espagnols massacraient les petits Cubains », avec les pages des journaux remplies de dessins toujours plus explicites (on pouvait faire dire aux dessins bien plus qu’aux photos) des souffrances, par ailleurs réelles, des victimes cubaines de ces « barbares » espagnols. La fameuse phrase du grand magnat de la presse d’alors, John Pulitzer, adressée à son dessinateur « Vous fournissez les images, et je fournirai la guerre », résumait bien la méthode [[1]]. Et la guerre Espagne-USA eut lieu en 1898 et s’acheva avec la victoire de ces derniers.
Dans ses mémoires, le président Théodore Roosevelt (1858-1919) grand inspirateur et animateur de cette guerre résumait ses raisons, avec un mélange de candeur et de cynisme [[2]]
« Nos propres intérêts directs étaient très importants, en raison du tabac et du sucre cubains, et surtout en raison de la relation de Cuba avec le projet de canal isthmique [Roosevelt fait allusion au projet du canal de Panama. NdlR]. Mais nos intérêts étaient encore plus grands du point de vue de l’humanité. […] Il était de notre devoir, encore plus du point de vue de l’honneur national que du point de vue de l’intérêt national, de mettre fin à la dévastation et à la destruction. En raison de ces considérations, j’étais favorable à la guerre. »
Révoltes et punitions
Le sous-secrétaire d’État Lester Mallory, chargé des Affaires interaméricaines du gouvernement des États-Unis, illustrera, avec une étonnante sincérité, le pourquoi et le comment de la politique des sanctions. Dans une lettre adressée le 6 avril 1960 au cabinet de la présidence intitulée « Le déclin et la chute de Castro ; principales considérations concernant l’actuel gouvernement de Cuba », il dresse un état des lieux suivi de quelques propositions.
Dans le premier volet il précise :
« La majorité des Cubains soutiennent Castro (l’estimation la plus basse que j’ai vue est de 50 %) et il n’y a pas d’opposition politique effective. Fidel Castro et d’autres membres du gouvernement cubain épousent ou tolèrent l’influence communiste à un rythme incroyablement rapide. »
Puis, il passe aux recommandations [[3]]. :
« Le seul moyen prévisible d’aliéner le soutien interne est le désenchantement fondé sur l’insatisfaction et les difficultés économiques. Il s’ensuit que tous les moyens possibles doivent être mis en œuvre rapidement pour affaiblir la vie économique de Cuba. Elle devra être le résultat d’une ligne d’action qui, tout en étant aussi adroite et discrète que possible, fait les plus grandes percées en refusant de l’argent et des fournitures à Cuba pour diminuer les salaires monétaires et réels, pour provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement. Le principal élément de notre arsenal économique serait une autorité flexible dans la législation sur le sucre. Il faut s’y atteler d’urgence. Toutes les autres possibilités devraient également être explorées »
Ces recommandations furent suivies d’effet. Le 31 mars 1962, le président Kennedy supprimait brutalement la quote-part du sucre cubain sur le marché nord-américain (trois millions de tonnes). Les présidents ultérieurs feront de même, chacun à leur manière, avec la même obsession de punir ce petit pays récalcitrant.
Vladimir Caller
[1] « The Press: I’ll Furnish the War », TIME, October 27, 1947, voir:
http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,854840,00.html
[2] An Autobiography by Theodore Roosevelt https://www.gutenberg.org/files/3335/3335-h/3335-h.htm
[3] Department of State, Central Files, 737.00/4–660. Secret https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1958-60v06/d499