Criminels au paradis (fiscal)

La main invisible du marché si chère au capitalisme va-t-elle jusqu’à inverser le sens des mots ? Comment expliquer autrement que les pays d’accueil des évadés fiscaux soient qualifiés de paradis alors qu’ils provoquent la ruine des pays qu’ils pillent ? Encore un leurre destiné à faire croire que chacun peut prétendre y être accueilli ? Un voile de vertu posé là où le vice est omniprésent ? À moins que cela témoigne, comme le souligne le philosophe Alain Deneault[1], de la fréquente origine coloniale des territoires (îles lointaines, cocotiers, palmiers) utilisés par les premiers fiscalistes pour faire échapper leurs puissants clients aux États de droit.

Quoi qu’il en soit, le camouflage ainsi opéré n’est pas propice à la critique et à la mobilisation unanime des citoyens lésés. Il est d’autant plus efficace qu’il limite leur rôle à la fiscalité alors qu’ils sont aussi le plus souvent des paradis bancaires et judiciaires, de véritables zones de non-droit au cœur des transactions et des opérations de blanchiment des capitaux du crime organisé : trafic de drogue, d’armes, fausse monnaie, réseaux d’immigration, prostitution, piratage, contrefaçon etc.


By Christian Savestre

Journaliste chez POUR et référent pour les questions d’économie politique chez POUR et ATTAC Bruxelles 2, Christian Savestre est spécialiste de l’évasion fiscale et des grands cabinets d'audit et de stratégie. À la différence de beaucoup, il aborde cette thématique sous un angle résolument politique, à rebours des coutumières minuties techniques qui n’aboutissent souvent qu’à marchander le poids de nos chaînes (sic). A rebours (encore !) des approches traditionnelles qui se concentrent sur les gros fraudeurs, il analyse en profondeur les organisateurs de cette évasion fiscale (les Big Four et ceux qui les suivent), dont il connait bien les méthodes, pour les avoir longuement côtoyés dans sa carrière professionnelle. Christian a sorti de nombreux dossiers d’enquête. Ses analyses sont minutieuses et ses démonstrations implacables. (Surtout, ne lui parlez pas d’optimisation fiscale ! Elle est tout aussi illégitime que l’évasion fiscale ! )