La main invisible du marché si chère au capitalisme va-t-elle jusqu’à inverser le sens des mots ? Comment expliquer autrement que les pays d’accueil des évadés fiscaux soient qualifiés de paradis alors qu’ils provoquent la ruine des pays qu’ils pillent ? Encore un leurre destiné à faire croire que chacun peut prétendre y être accueilli ? Un voile de vertu posé là où le vice est omniprésent ? À moins que cela témoigne, comme le souligne le philosophe Alain Deneault[1], de la fréquente origine coloniale des territoires (îles lointaines, cocotiers, palmiers) utilisés par les premiers fiscalistes pour faire échapper leurs puissants clients aux États de droit.
Quoi qu’il en soit, le camouflage ainsi opéré n’est pas propice à la critique et à la mobilisation unanime des citoyens lésés. Il est d’autant plus efficace qu’il limite leur rôle à la fiscalité alors qu’ils sont aussi le plus souvent des paradis bancaires et judiciaires, de véritables zones de non-droit au cœur des transactions et des opérations de blanchiment des capitaux du crime organisé : trafic de drogue, d’armes, fausse monnaie, réseaux d’immigration, prostitution, piratage, contrefaçon etc.