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La crise sanitaire que nous devons tous affronter par la grâce du coronavirus nous pousse à réfléchir à quelle devra être, demain, l’organisation de nos sociétés pour ne pas poursuivre comme des moutons l’actuelle logique suicidaire. Dans cette perspective, POUR souhaite publier textes et vidéos qui illustrent quelles seront les leçons que nous devrons retenir collectivement pour que « le jour d’après » ne ressemble pas aux « jours d’avant ». Voici le 24ème de Corona carnets, ces billets que Paul Hermant, actif dans le collectif des Actrices et acteurs des temps présents, nous propose chaque jour.
A.A.
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Jour 24 – Le marché
Depuis le début de ce confinement une question résiste à toutes les autres, lassante et lancinante : pourquoi les scientifiques sont-ils à ce point écoutés lors de cette crise, jusqu’à constituer presque un gouvernement d’expertise, tandis que leur parole est comptée pour billevesée ou pas loin lorsqu’il s’agit du climat et de la biodiversité ? Une partie de la réponse est sans doute à chercher dans la façon que nous choisissons de décider si une chose, un événement, une situation, dépend de nous ou pas. Il semble que la pandémie soit versée au compte de ce qui nous échappe et nous paraît incontrôlable. Un marché chinois dans une ville inconnue vendant des animaux improbables, voilà comment se construit un destin. Il apparaît donc légitime et de bons sens de nous lever toutes et tous ensemble contre le sort funeste qui nous est fait. Nous combattrons et vaincrons ce virus, le plus petit parmi tous les êtres qui nous entourent et nous constituent.
En revanche, le changement climatique, la diminution de la biodiversité ou l’état des océans et de l’eau ne sont pas considérés comme des événements se produisant abruptement, sournoisement et brutalement sans qu’on s’y attende ou que l’on puisse les prévenir. A quelques climato-sceptiques près, pour qui il n’y aura jamais rien de nouveau sous le soleil sauf le soleil, la plus grande majorité des populations du globe s’accorde à penser que l’activité humaine y est pour quelque chose. Nous avons compris plus ou moins consciemment qu’en la circonstance, nous étions notre propre agent contaminant et que la pandémie, c’était nous. S’en prendre à soi-même, c’est littéralement ce à quoi nous sommes requis et c’est bien entendu ce à quoi nous nous refusons. Comment se battre contre la machine, si la machine – que nous le voulions ou non, que nous la contestions ou non, que nous en soyons même le plus infime des rouages et le plus innocent – c’est nous ?
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Bien entendu, il n’est pas aussi certain, c’est euphémique, que les situations pandémiques et climatiques soient distinctes et qu’elles demandent à être considérées séparément… La question du productivisme, de l’extractivisme et de la prédation du vivant est bien à l’origine de la présence sur un marché chinois dans une ville inconnue de ces animaux improbables. Les déforestations massives en zones tropicales sont directement corrélées, comme tentent de l’expliquer des… scientifiques, à l’apparition de zoonoses et à la mutation de virus liés à certaines espèces animales précises (les chauves-souris, par exemple) vers de nouveaux terrains leur permettant de survivre, nous en l’occurrence. Que l’on tente, comme le fait Georges-Louis Bouchez dans son interview donnée à La Libre Belgique (arguant qu’au Moyen-âge également il y avait eu des épidémies, mais indiquant de façon bien plus problématique encore que « les scientifiques indiquent clairement que l’épidémie est apparue suite au non-respect des règles sanitaires sur des marchés chinois ») d’invisibiliser cette relation et de rompre la chaîne qui va de la cause à l’effet n’a rien d’étonnant en soi pour un président néolibéral d’un parti libéral (?!?) : beaucoup du récit capitaliste, comme on l’a déjà rappelé ici, tient précisément dans la déliaison des faits et de leurs conséquences. Une telle attitude n’est donc pas étonnante, mais elle est criminelle. Il est vrai qu’il y a longtemps que le crime a fini de nous paraître étonnant.
Ce que tente de propager Georges-Louis Bouchez, en estimant que le système économico-politique actuel est le seul à pouvoir affronter efficacement les questions que pose le virus (c’est-à-dire les réponses que nous lui avons données), est pourtant important. Cela nous dit que malgré l’addition de faits plus durs qu’un œuf sur un comptoir d’étain, une partie de la droite est prête à se replier sur des fondamentaux dogmatiques mortifères (et moribonds) afin de préparer les conditions de sa survie politique. Jusqu’où iront ces fondamentaux, on n’en sait rien, on sait qu’ils peuvent prendre bien des formes, même en Europe, même aujourd’hui, mais il est d’ores et déjà important de s’apprêter à devoir affronter une armada de gens certains de leur science inculte pour qui la fenêtre d’Overton n’est pas une fenêtre, mais une baie vitrée.
L’antidote à Georges-Louis Bouchez, elle peut être fournie par le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa qui donne aujourd’hui un fort intéressant papier à la revue en ligne AOC. La difficulté avec cet article, c’est qu’il est un tout petit peu plus complexe à comprendre que l’interview de La Libre Belgique. Je vous donne cet extrait, il n’est pas inimportant dans le contexte du non-respect « des règles sanitaires sur les marchés chinois » : « La question est donc la suivante : quelle est la source de motivation de l’action politique qui, en quelques semaines à peine, est capable de clouer au sol tous nos avions, de fermer nos écoles et nos universités, d’arrêter les usines ou de leur ordonner de produire des dispositifs médicaux au lieu de voitures et, incroyable, de faire cesser toutes les championnats de football dans le monde ?! Ce que je veux dire ici, c’est que c’est en fait la même force culturelle qui a fait tourner les moteurs d’accélération et qui, à présent, freine et force le système à s’arrêter. Cette force culturelle, c’est le désir de contrôle et de domination ». Sur ce que cela implique, rendez-vous demain.
Paul Hermant – 7 avril 2020