Colonisation, immigration et frontiérisation : Perspectives contemporaines des gauches marocaines et tunisiennes

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 L’article se propose d’analyser les principaux discours d’acteurs politiques des gauches tunisiennes et marocaines face à la question migratoire. L’examen des évolutions de ces discours se situe entre deux périodes clés de l’histoire de l’immigration depuis ces pays vers l’Europe. La première phase englobe une ouverture relative des frontières après l’accès à l’indépendance (de 1956 à la fin des années 1980), tandis que la deuxième concerne la mise en place des systèmes de visas et de l’espace Schengen au début des années 1990. Nous partons de l’hypothèse suivante: après que la frontière Nord-Sud ait été la matrice structurante de la gauche émergeant au sein du mouvement national-décolonial, le processus prolongé de nationalisation entériné par les indépendances de 1956 a profondément influencé les discours socialistes-communistes au point de s’aligner sur des priorités « nationales », reléguant la question des frontières et de l’immigration à un plan secondaire. Mais l’année 2011 marque un changement dans cette perspective. Elle est le lieu de la prise de conscience dans la rive sud de la Méditerranée quant à la centralité de la question migratoire et aux problèmes posés par une frontière de plus en plus répressive. Cela nourrit un second volet de notre hypothèse : le printemps arabe est aussi le nom d’une re-conscientisation – au sens de réveil de la conscience collective – face à la domination exercée par la frontiérisation et l’interdiction de la mobilité.Avant d’exposer le dispositif d’enquête à l’origine de cet article, il est nécessaire d’inscrire notre hypothèse d’abord dans une expérience à la fois politique et personnelle. Il s’agit d’une double position qui informe le travail de recherche. La première découle de ma propre expérience en tant que militant au sein de la gauche marocaine, où j’ai été membre de l’Union Socialiste des Forces Populaire (USFP) entre 2006 et 2012, participant au Mouvement du 20 février qui a été le cadre référentiel du printemps arabe au Maroc en 2011, et ensuite acteur de la Fédération de la Gauche Démocratique (FGD – Maroc) de 2012 à aujourd’hui. Ces expériences politiques m’ont permis de saisir les grandes revendications et références discursives de la gauche marocaine et plus généralement arabe, notamment au sein des dynamiques telles que le Forum Social Maghrébin (FSMagh). La deuxième position concerne mon expérience d’immigration qui m’a conduit en Europe au lendemain des printemps arabes de 2011, jusqu’à aujourd’hui. Cette expérience est marquée par une immersion au sein d’organisations diasporiques des gauches marocaines et tunisiennes, notamment en France, m’offrant une vision d’ensemble sur la dynamique revendicative et les principales causes défendues par la gauche dans un contexte migratoire.