Partant, il s’agit d’explorer, en Tunisie et au Maroc, les principales lignes discursives au milieu de ce qui est désormais abordé dans les discours gouvernementaux au nord de la Méditerranée comme « le problème de l’immigration ». À partir de ces lignes, l’analyse se concentrera sur les principales positions politiques concernant quatre questions spécifiques. Tout d’abord, le rapport des gauches tunisiennes et marocaines aux politiques de frontiérisation européennes, incluant les restrictions des visas et l’établissement d’une sélection des migrants. Ensuite, leurs positions concernant l’immigration irrégulière, les décès et les disparitions des migrants sur le chemin de l’Europe. Puis, le regard de ces gauches sur la condition des migrants majoritairement subsahariens en transit par ces deux pays. Enfin, l’analyse cherchera à évaluer les niveaux de coopération entre les organisations de la gauche diasporiques et nationales concernant l’ensemble de ces questions, ainsi que la condition migratoire face aux problématiques raciales et sociales dans les pays d’immigration. L’ensemble de ces questions sera abordé à partir de témoignages et d’extraits d’entretiens avec des acteurs engagés dans la gauche et les associations diasporiques.
Les résultats de cette étude doivent être compris comme une première restitution d’un terrain en cours de réalisation, même si nous nous appuyons sur des observations et une immersion mobilisant plusieurs années de recherche-action sur les thèmes des printemps de 2011[1] et de l’immigration postcoloniale face à la frontiérisation[2]. Le regard de l’observation ethnographique est affiné dans ce texte par la mobilisation de quatre nouveaux entretiens longitudinaux que j’ai réalisés entre 2023 et 2024 avec des acteurs au rôle central au sein des gauches tunisiennes et marocaines. Le premier entretien est mené avec Mohamed Achâari, ancien ministre de la culture issu de la gauche marocaine ayant incarné, avant son accession au gouvernement de transition, la figure d’une critique socialiste marquée par la lutte tricontinentale et décoloniale. La pensée d’Achâari articulée à la question migratoire et son engagement au sein de l’organisation où il a occupé des postes de responsabilité (l’USFP) réhabilite les positions de leaders et de penseurs fondateurs de la gauche marocaine, tels que Mehdi Ben Barka et Mohamed Abid al-Jabiri. Ces derniers avaient longtemps souligné les rapports coloniaux ancrés dans la division nord-sud. Le deuxième et troisième entretien mobilisés sont réalisés avec deux militants de la gauche radicale tunisienne. Dans les cercles de la mobilisation postrévolutionnaire de 2011, ils s’engagent pour la promotion de l’inséparabilité de la « lutte démocratique et le problème de la restriction de l’immigration ». Le quatrième entretien est réalisé avec un artiste, fondateur de nombreuses associations diasporiques tunisiennes en France et animateur de la Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) en France.
Montassir Sakhi,
pour la Fondation Rosa Luxembourg pour le Maghreb
[1] Sakhi Montassir, La révolution et le djihad. Syrie, France, Belgique, La Découverte, Paris, 2023.
[2] Voir le numéro de la Revue Ibla consacré à cette restitution : « Frontières Mobilités Migrations : Enquêtes, Témoignages, Représentations », IBLA, Vol. 86 No 232, Tunis, 2023. https://ibla.tn/index.php/ibla/issue/view/1