Malgré le temps gris, froid et humide de ce matin du 4 janvier 2019, elles et ils étaient une bonne centaine rassemblé∙e∙s devant les grilles fermées du clos des Milliardaires, à la lisière du bois de la Cambre. S’ils étaient là, en ce lieu et en ce jour, c’était pour marquer symboliquement le fait qu’à cette date les plus grosses fortunes, qui habitent souvent des gatted communities (comme le clos des milliardaires), se seront acquittées de leur contribution fiscale au bien-être collectif, là où la moyenne de leurs concitoyens ne le pourra avant la moitié de l’année.
En effet, les mieux nantis, qui peuvent s’offrir les services d’ingénieurs fiscaux, ne consacrent que quelques misérables pourcents de leurs revenus à l’impôt et l’on peut évaluer qu’en ce 4ème jour de l’année, ils seront quittes de leur participation à l’effort collectif qui permet aux autorités publiques de fonctionner et de fournir à tous les citoyens les services nécessaires (écoles, hôpitaux, police, moyens de communication…) à une vie collective de qualité.
La légitime indignation suscitée par cette injustice face à l’impôt est ce qui a incité une trentaine d’organisations de créer le Réseau pour la justice fiscale. Ce réseau qui réunit syndicats, ONG de développement, mouvements de jeunesse et d’éducation permanente, associations de financement alternatif, groupes de citoyens… Il travaille en collaboration étroite avec son équivalent néerlandophone, le Financiëel Actie Netwerk (FAN). Ses actions s’articulent autour de 2 axes : l’information du public sur le rôle de la fiscalité dans le combat pour une plus grande justice sociale, sur les mécanismes de la spéculation financière et ses conséquences sur la vie des citoyen-ne-s (du Nord comme du Sud) et l’interpellation du monde politique quant à la nécessité d’un encadrement strict des marchés financiers, d’un refinancement des biens et services collectifs et de mesures en faveur d’une économie centrée sur l’humain et non sur le profit à tout prix.
L’humour du désespoir
A cette date donc symbolique du 4 janvier, les trois principaux syndicats du pays, la FGTB, la CSC et la CGSLB se sont unis au Réseau pour la justice fiscale, à Tout Autre Chose, TAM TAM et Hart Boven Hard pour inviter leurs membres à venir boire à la santé des grosses fortunes qui ne partagent guère les efforts consentis par la majorité de la population. Cette action se voulait humoristique mais les rires étaient un peu jaunes (comme les gilets). Daniel Puissant a repris les données qui ont tout pour mettre en colère. La richesse produite est détenue par quelques gros patrimoines et, depuis la crise économique de 2007-2008, se concentre encore davantage dans quelques gros portefeuilles. Le 1% des ménages les plus riches détient de 18 à 20 % des patrimoines et 80 % de la valeur des actions cotées en Bourse sont dans les mains des 10% les plus fortunés. Le plus grave est, qu’en parallèle, le taux de pauvreté devient de plus en plus inquiétant.
Christine Mahy, la présidente du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), accompagnée par une forte délégation de membres de son association, a, à son habitude, traduit ces données rationnelles par des constats teintés d’émotion. Puisque quelques-uns accaparent toujours plus de richesse, cela a comme conséquence inévitable qu’un plus grand nombre de personnes vivent dans la pauvreté. Et comme les très riches s’arrangent pour ne plus financer par l’impôt les services publics, certains personnes sont privées de moyens de vivre, au sens propre. Christine Mahy a donc dit à juste titre que l’avidité, la cupidité de d’un petit nombre prive beaucoup d’autres du droit à des logements décents, altère leur santé par manque de soins et, littéralement, raccourcit la vie des plus démunis. Quand la fable du ruissellement de la richesse des puissants vers les misérables conduit à la mort des plus faibles, il y a de quoi s’indigner.
La champagne (enfin, le cava : on était du mauvais côté des grilles, protégées par quelques policiers débonnaires) offert en symbole de la fête chez les riches, avait donc un goût peu amer. Et les quelques miettes de pain, jetées par-dessus les grilles pour signifier que les pauvres ne voulaient plus s’en contenter signifiaient clairement qu’il est urgent que cesse une logique qui exclut de plus en plus de citoyens du banquet de la vie.
Revendications politiques pour une réelle justice fiscale
Les participants ont dénoncé le fait que l’actuel gouvernement ne lutte pas du tout contre la fraude fiscale mais agit concrètement pour favoriser l’évasion fiscale.
Les syndicats, organisations sociales et citoyennes continueront donc à exiger une plus grande justice fiscale qui passe par des mesures simples et que l’on peut aisément mettre en œuvre (si la volonté politique existait) : renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, levée du secret bancaire, taxation des plus-values sur les actions, obligations, stock-options, instauration d’un impôt sur les grandes fortunes, réelle progressivité de l’impôt (rétablissement des tranches supérieures d’impôt), simplification et la limitation des multiples déductions fiscales dont bénéficient les entreprises comme les particuliers, renforcement (en moyens humains et technologiques) et la réorganisation du management de l’administration fiscale capable dès lors de lutter efficacement contre la fraude fiscale…
Ce dossier de l’affaiblissement progressif des politiques de redistribution sociale devient de plus en plus chaud et suscite la colère légitime d’un nombre croissant de citoyens. POUR y consacrera donc très bientôt un numéro spécial. Surveillez vos librairies…
Alain Adriaens
Quelques photos de Anne De Muelenaere