Un agenda bruxellois
Pour augmenter le taux d’emploi et lutter contre la précarité, le GERAS propose aux acteurs bruxellois de l’emploi, de la protection sociale et de l’insertion socioprofessionnelle de définir sans tarder une stratégie audacieuse qui clarifie le modèle économique et social bruxellois et qui soit capable de convaincre le gouvernement fédéral d’adapter sa mesure.
Une trajectoire socio-économique vertueuse pour Bruxelles passe par la réappropriation bruxelloise des liens entre politiques d’emploi, mécanismes de protection sociale et dispositifs d’insertion socioprofessionnelle. C’est ce que fait la Flandre depuis des années, disposant il est vrai d’un poids majoritaire sur les politiques fédérales et pouvant donc aligner celles-ci à sa réalité. L’Arizona définit une position de principe (supprimer les allocations de chômage après deux ans) et demande aux territoires de s’y adapter. La Région doit – aujourd’hui que l’accord de gouvernement fédéral est scellé – démontrer d’urgence qu’elle peut développer une alternative crédible à ce scénario et proposer une solution qui lui est plus favorable.
Bruxelles, ville de flux
Quel scénario ? En priorité, il faut rapidement changer de regard sur Bruxelles. Plus que les autres Régions, Bruxelles est traversée par des flux de population. Sur un an, là où la Flandre connaîtra un renouvellement de 2,8 % de sa population par naissance, migration interne ou internationale, Bruxelles connaîtra une proportion presque 3 fois supérieure de nouveaux Bruxellois (7,6 %). Chaque année, 40 à 45.000 Bruxellois quittent la capitale pour la Flandre et la Wallonie, alors que seulement 25.000 personnes rejoignent Bruxelles, souvent étudiants et sans ressources. Les stratégies bruxelloises doivent donc être immédiates, courtes et intensives. Sur sa population mobile, Bruxelles doit donc d’abord disposer des moyens pour agir plus vite, moins longtemps, et en fonction de ses intérêts.
Des politiques d’emploi ciblées
C’est d’ailleurs ce que préconise le Conseil supérieur de l’emploi (CSE). Dans son rapport 2024, il recommande de :
– approfondir la connaissance des différents profils de demandeurs d’emploi pour différencier les actions d’accompagnement,
– diminuer la référence au diplôme et se focaliser plus sur les compétences réelles des demandeurs,
– garantir une première expérience professionnelle au moment de l’entrée ou du retour sur le marché du travail,
– assurer les enfants de primo-arrivants d’une place en crèche,
– offrir un travail dès le 4e mois de la demande d’asile,
– développer des aides à l’emploi qui touchent au salaire-poche du travailleur plus qu’au budget de l’employeur, etc.
Toutes ces mesures sont adaptées à une gestion de flux populationnels. D’autres mesures nécessaires viennent compléter le tableau proposé par le CSE : créer de l’emploi peu qualifié, revoir les exigences linguistiques, adapter le concept de Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD), lutter contre les addictions via le Travail Alternatif Payé à la Journée (TAPAJ), etc.
Une protection sociale repensée
Penser ces politiques d’emploi prend une ampleur plus systémique encore lorsqu’elles le sont en révisant pareillement les mécanismes de protection sociale. Comment amener vers l’emploi et comment protéger de la pauvreté sont les deux faces de la même médaille. Qui protéger et comment ? Cinq facteurs au moins imposent à la Région bruxelloise d’adapter ses mécanismes de protection sociale : les finances, le nombre particulièrement élevé d’étudiants, les migrations dont la reconnaissance des diplômes des migrants, l’impact du loyer sur le pouvoir d’achat, et l’impact du stress urbain (bruit, pollution, lumière) sur l’état de santé individuel. Comment repenser la protection sociale en tenant compte de ces facteurs ?
– Les CPAS ne créent pas d’emploi mais remettent leurs ayants droit à capacités égales avec les autres demandeurs d’emploi devant un employeur. En ce sens, ils assurent une fonction redistributive sur le marché de l’emploi. Mais l’accompagnement individuel coûte cher puisqu’il est sur mesure et individuel. De plus, il est à charge des finances locales (et singulièrement des communes les plus pauvres) ou régionales, là où le chômage relève du budget fédéral.
– Les CPAS ne sont pas les mieux équipés pour accompagner la scolarité des étudiants alors que ceux-ci représentent 30 % de leurs publics. On pourrait organiser une nouvelle répartition des moyens fédéraux, régionaux et communautaires pour permettre à l’enseignement supérieur et aux caisses d’allocations familiales de remplacer en tout ou en partie les CPAS.
– La santé des migrants demandeurs d’asile ou sans-papiers devrait relever de l’assurance maladie invalidité plutôt que des régimes spécifiques. Cette simplification administrative sera utile à tous les acteurs de santé saturés. Au passage, les 16 à 20.000 bénéficiaires bruxellois de l’aide médicale urgente disposeront d’une mutuelle comme tout citoyen plutôt que d’un réquisitoire de soin d’un autre âge délivré par un CPAS ou par Fedasil.
– La régulation des loyers sur les logements moyens est la meilleure garantie de pouvoir d’achat et donc le meilleur filet de protection sociale pour les populations précarisées.
– A Bruxelles, la protection sociale comme l’augmentation du taux d’emploi passent par l’accélération de la validation des compétences et de la reconnaissance des diplômes.
– La réintégration dans le travail des personnes malades de longue durée est d’abord un enjeu de santé, ensuite d’emploi. Les dispositifs actuels de réintégration sont mal construits et inopérants.
– Le Conseil supérieur de l’emploi – encore lui – propose discrètement une révolution dans l’aide sociale : octroyer des aides aux personnes en fonction de leurs revenus plutôt qu’en fonction de leur statut. Cette piste permettrait d’augmenter le salaire poche des travailleurs pauvres plutôt que diminuer le coût salarial de l’employeur.
Un accompagnement adapté
Politiques d’emploi et mécanismes de protection sociale constituent les deux faces d’une même médaille mais surtout deux des trois côtés du triangle magique de l’insertion socioprofessionnelle. Le troisième côté du triangle porte les dispositifs d’accompagnement. Nous parlons ici d’Actiris, de la formation qualifiante et préqualifiante, des missions locales, des organismes d’insertion socioprofessionnelle… Nous devons reconnaître que nous n’avons pas assez clarifié les rôles de chacun et que nos publics se superposent. La situation économique et budgétaire de Bruxelles ne le permet pas. Le désarroi des Bruxellois précarisés non plus. Rapprocher Actiris des CPAS, de la formation et de l’ISP doit générer des marges importantes.
Le compte à rebours a commencé
L’année 2025 peut être consacrée à la négociation de cette stratégie régionale. Une fois décidée, elle permettrait de reprendre langue avec le gouvernement fédéral pour évaluer la possibilité d’en faire une alternative crédible à la suppression des allocations de chômage après deux ans. Aussi, même sans gouvernement bruxellois, Actiris et IrisCare devraient-ils convoquer l’ensemble des acteurs fédéraux, régionaux et locaux de la protection sociale des Bruxellois, en ce compris l’ONEm, l’ONSS, l’Inami, IrisCare, la Direction générale de l’économie et de l’emploi (et des migrations) du SPRB, les fonds sectoriels de sécurité d’existence, les CPAS, les Offices de Formation et tout l’ISP à construire les catégories de risques à couvrir, de publics à protéger et de trajectoires d’émancipation à valoriser.
Article publié dans le numéro 2025/1 des Cahiers du Geras et repris en tribune libre, en accès libre, sur le Soir.
A LIRE sur POUR, en accès libre, le précédent article du GERAS.
●”A Bruxelles, les CPAS peuvent plonger ou se réformer”, 4 septembre 2024.