Les mobilisations, grèves et manifestations ont été nombreuses depuis la formation, il y a 9 mois, du gouvernement présidé par le nationaliste flamand Bart de Wever et composé de deux grandes formations de droite, la Nouvelle alliance flamande (NVA) et les libéraux conservateurs francophones du Mouvement réformateur (MR), ainsi que de trois formations du centre, les démocrates chrétiens flamands du CD&V, les francophones des Engagés et ex-socialistes flamands, reconvertis en centristes sous l’appellation de Vooruit (en avant) [1]. Son programme n’annonçait-il pas le pire pour les chômeurs et chômeuses, les pensionné·e·s, les demandeurs d’asile et les services publics ? On mesure à présent les effets des mesures sur le chômage, des restrictions sur l’éducation, la culture et la santé, du blocage des salaires et de la diminution des pensions de retraite. Les réductions de cotisations sociales sur les hauts salaires illustraient, presque à l’excès, que « ce sont toujours les mêmes poches que l’on sollicite ». Sans parler de l’acceptation enthousiaste de l’injonction de Donald Trump par le gouvernement de doubler les dépenses militaires.
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C’était aussi ce 14 octobre, jour de rentrée parlementaire à la Chambre, que le Premier ministre devait présenter la déclaration de politique générale. Par contraste avec la foule qui manifestait dans les rues, les bancs du gouvernement étaient pourtant vides. La majorité n’avait pu trouver d’accord sur le budget et avait reporté sa déclaration. Les députés de l’opposition soulignaient le manque de respect pour le Parlement. Ceux de la majorité avaient-ils, malgré tout, entendu le signal donné au même moment sous leurs fenêtres par les manifestants ? Axel Ronse, chef de groupe de la NVA, principal parti de la majorité, l’avait bien entendu, « un signal – déclara-t-il sous les applaudissements du groupe MR (deuxième parti de la majorité) – des cinq millions de personnes qui ont travaillé mardi ». Selon les dires de Georges-Louis Bouchez, président du MR, les manifestants ne pèsent pas lourd face aux électeurs de son parti. Encore mieux : prétextant de quelques incidents mineurs et des dommages causés à la façade du bâtiment de l’Office des étrangers, Théo Francken, ministre de la Défense NVA, de retour d’une visite aux Etats-Unis, a plaidé pour équiper les policiers d’armes non létales et faire usage à l’avenir de balles en caoutchouc contre les manifestants [2].
Comme partout en Europe, l’Etat social a été grignoté en Belgique depuis près d’un demi-siècle, par les politiques néo-libérales. Mais la capacité de mobilisation des organisations syndicales est demeurée forte et l’érosion du Parti socialiste est restée limitée et a été compensée par la montée importante du Parti du travail PTB (gauche radicale). La gauche avait donc été en mesure de limiter la dégradation de la sécurité sociale, des services publics et des salaires grâce notamment au maintien d’un système d’indexation automatique des salaires et des allocations sociales.
Au lendemain de sa victoire électorale et de la constitution d’un gouvernement à son image, la droite croit à présent le moment venu pour achever son œuvre. Les deux partis de droite, NVA (nationalistes flamands) et MR (libéraux conservateurs francophones) qui dominent la coalition, sont décidés à faire épouser au pays l’air du temps. Ils avaient déjà engagé le combat culturel contre le « wokisme », la lutte contre « l’assistanat », contre les mesures climatiques « excessives » et pour libérer les entreprises des « charges sociales » et du « conservatisme des syndicats ». Ils n’ont dès lors aucune intention de maintenir encore le système des négociations collectives, qui avait jusqu’ici régi la vie sociale, mais sont résolus à mettre hors-jeu le mouvement syndical, principal obstacle à leur politique.
Question sociale et tournant autoritaire
La coalition gouvernementale dispose d’une majorité à même de porter son projet politique. Face à la résolution du gouvernement d’imposer sa politique d’austérité les organisations syndicales sont au pied du mur. Elles ne pourront plus se contenter de mobilisations dont l’enjeu est de créer un rapport de force alors qu’elles sont privées de perspective réelle de négociation. Dès lors, le but du mouvement devient de plus en plus la chute du gouvernement.
Malgré sa détermination, la difficulté d’élaborer un budget laisse transparaître les failles de la coalition gouvernementale. Les deux partis de droite conservatrice, dopés au « trumpisme », parviendront-ils à entraîner jusqu’au bout leurs partenaires centristes dans cette guerre de classes ? Ainsi un député Vooruit (ex-socialistes flamands) confiait au journal Le Soir (15/10) que la mobilisation ne lui ferait pas quitter le gouvernement mais permettrait « de refuser les mesures les plus dingues ». Si bien qu’à la suite des manifestants, Jean-François Tamellini, président de la FGTB Wallonne, affirmait que l’enjeu du mouvement est bien la chute du gouvernement.
Mais le déni de la contestation dont fait l’objet le gouvernement donne la mesure de la fracture profonde de la société. En réalité la question sociale se double d’un tournant sécuritaire qui menace l’Etat de droit et d’un engagement atlantiste qui privilégie les dépenses militaires. Le rapport de l’Institut fédéral des droits humains (IFDH) institué par le Parlement fait état de la non-exécution de procédures de justice par l’Etat (essentiellement en matière d’accueil), de « procédures bâillons, restrictions des libertés fondamentales », sans parler de l’avant-projet de loi liberticide visant l’interdiction d’organisations jugées radicales. L’IFDH rappelle également la lettre ouverte, cosignée par le Premier ministre Bart de Wever et huit autres chefs d’Etat européens, mettant en cause la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en matière de migration. Par ailleurs 34 milliards d’investissements supplémentaires seront consacrés aux dépenses d’armement dans le cadre de l’OTAN, dont l’achat d’avions F35 supplémentaires.
Le mouvement social qui traverse la Belgique depuis la formation du gouvernement est incontestablement de grande envergure. Comme le dit Thierry Bodson, président de la FGTB, « le combat contre le gouvernement Arizona[3] n’est pas celui d’une journée, d’une année mais d’une génération entière qui refuse qu’on détruise en six mois ce que nos parents et grands-parents ont mis du temps à bâtir » [4].
Ce combat est mené aussi par une génération qui est engagée dans une lutte contre l’austérité, l’autoritarisme et, comme les générations précédentes pour l’Algérie et le Vietnam, celle-ci l’est pour la Palestine et le droit international. Sera-t-elle à même de gagner en Belgique contre un gouvernement porteur de la révolution conservatrice menée par l’extrême droite qui, depuis les Etats-Unis, commence pays après pays à étouffer l’Europe ?
Mateo Alaluf, professeur émérite de sociologie de l’Université libre de Bruxelles, auteur de l’ouvrage Le socialisme malade de la social-démocratie, éditions Syllepse et Page deux, mars 2021. Un des animateurs de l’Institut Marcel Liebman.
[1] En Belgique, tous les partis politiques se sont scindés suivant leur appartenance linguistique. Seul le Parti du Travail de Belgique PTB (gauche radicale) est demeuré unitaire.
[2] En fait, quelques incidents mineurs lors de la manifestation ont donné lieu à des violences policières largement étayées par la presse, des images et témoignages. Même le Comité P, la police des polices, fait état de l’usage de plus en plus agressif du gaz lacrymogène.
[3] Arizona est le nom donné à la coalition gouvernementale fédérale dominée par les nationalistes flamands NVA (couleur jaune) et les libéraux francophones MR (bleu), comprenant également les socialistes flamands (rouge) et les chrétiens démocrates flamands et francophones (orange). Ces couleurs correspondent à celles du drapeau de l’Etat de l’Arizona. Après le succès de la droite aux dernières élections législatives, la coalition Arizona a succédé au gouvernement Vivaldi de centre gauche.
[4]
La Libre Belgique, 15/10/2025.
Tiré de A l’Encontre
Article publié sur les sites A L’encontre(Suisse) et Presse-toi à Gauche ! (Canada).
Presse-toi à Gauche ! (Canada), autorisation générale de publication intégrale.
Source : https://www.pressegauche.org/Belgique-Epreuve-de-force-apres-le-succes-de-la-manifestation-contre-l