Le Royaume Uni a rompu avec l’administration Biden sur une part importante de leur politique étroitement coordonnée envers Israël en annonçant qu’il suspendait certaines licences d’exportation d’armes vers Israël à cause d’un « risque évident » qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter une grave violation du droit humanitaire international.
Le ministère des Affaires Étrangères a dit qu’un examen interne de deux mois avait suscité des inquiétudes sur la façon dont Israël s’était conduit dans le conflit à Gaza et que la décision concernait spécifiquement le traitement des détenus palestiniens et la fourniture de l’aide à Gaza.
Il n’est arrivé à aucune conclusion définitive sur le fait de savoir si les licences d’exportation d’armes britanniques avaient contribué aux destructions dans le territoire. Mais l’ampleur des dégâts et le nombre des morts civiles ont provoqué une grave inquiétude, a dit le ministère.
La suspension, qui risque de provoquer des tensions avec le gouvernement des États-Unis, concerne des composants pour les avions, hélicoptères, drones et équipements de ciblage militaires.
Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, David Lammy, a dit qu’elle s’appliquait à 30 des 350 licences existantes sur les armes, mais exclurait presque entièrement tous les composants britanniques pour le programme des jets de combat F-35, ceci étant perçu comme une échappatoire significative par les associations pro-palestiniennes.
Les composants des F-35 ont été exemptés, disent les responsables, parce qu’ils font partie d’un programme mondial et que le Royaume Uni n’a pas de contrôle unilatéral sur ces composants, qui sont envoyés aux États-Unis. Ils ne seront cependant pas exemptés dans les rares occasions où l’élément est envoyé directement en Israël.
Lammy, conscient de la sensibilité de cette question en Israël et aux États-Unis, a souligné qu’il prenait cette décision plus avec chagrin qu’avec colère, ajoutant que cette décision n’équivalait pas à un embargo total sur les armes, et n’allait même pas aussi loin que la suspension de licences faite par Margaret Thatcher en 1982.
Mais le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a dit qu’il était profondément découragé par cette décision, ajoutant : « Ceci arrive à un moment où nous menons une guerre sur sept fronts différents – une guerre qui a été initiée par une organisation terroriste sauvage, sans qu’elle ait été provoquée. Au moment où nous pleurons six otages qui ont été exécutés de sang froid par le Hamas dans les tunnels de Gaza. Au moment où nous nous battons pour ramener 101 otages à la maison. »
Le ministre des Affaires étrangères d’Israël, Israel Katz, a dit qu’il était « déçu » par la décision britannique, ajoutant qu’elle envoyait « un message très problématique à l’organisation terroriste le Hamas et à ses parrains en Iran ». Le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, est déjà sous état de siège politique après une grève générale et la fureur à cause de sa position sur les termes d’un cessez-le-feu à Gaza qui a peut-être contribué à l’assassinat la semaine dernière de six otages israéliens.
Lammy a dit à la Chambre des Communes que la décision de suspension était avant tout fondée sur les preuves concernant le traitement des prisonniers palestiniens et les restrictions dans la fourniture de l’aide humanitaire à Gaza. Il a dit que la conduite par Israël de la guerre à Gaza, dont la destruction à grande échelle des maisons, a contribué à estimer qu’il existait un risque évident de grave violation du droit humanitaire international.
Il est apparu très désireux que cette décision ne provoque pas un effondrement des relations anglo-israéliennes. Se décrivant comme un sioniste libéral progressiste, il a dit : « Nous n’avons pas – et ne pourrions pas – arbitrer le fait de savoir si Israël a enfreint le droit humanitaire international. Il s’agit d’une évaluation prospective, pas d’une détermination d’innocence ou de culpabilité. Et cela ne préjuge d’aucune détermination future par les tribunaux compétents. »
Dans un bref résumé de son avis juridique, le ministère des Affaires étrangères du Commonwealth et du Développement (FCDO) a trouvé qu’ « Israël aurait pu agir plus raisonnablement pour faciliter l’accès et la distribution de l’aide humanitaire ».
Il a dit par exemple qu’Israël devrait mettre en place un système plus rapide et plus efficace pour protéger l’aide humanitaire contre les opérations de l’armée.
Le FCDO a ajouté : « Il pourrait également mieux se doter de procédures de contrôle et adopter une approche moins restrictive des éléments à double usage (ceux à usage à la fois militaire et civil). » L’avis disait également que la quantité de l’aide fournie était insuffisante, même si elle parvenait à être essentielle à la survie de la population.
Concernant le mauvais traitement des détenus palestiniens, le récapitulatif a trouvé que « le volume et la cohérence de ces allégations suggèrent pour le moins quelques cas de mauvais traitements contraires au droit humanitaire international. Israël a lancé une enquête sur ces allégations ».
Il a ajouté que le caractère suffisant de ces enquêtes n’était pas clair, en partie parce qu’Israël continue de refuser l’accès aux lieux de détention au Comité International de la Croix Rouge (CICR). Le droit humanitaire international exige cet accès « excepté pour des raisons de nécessité militaire impérative et, dans ce cas, uniquement en tant que mesure exceptionnelle et temporaire ».
« Israël n’a pas fourni de raisons satisfaisantes », a dit le FCDO.
Sur la conduite de la guerre elle même, Lammy a dit : « Les actions d’Israël à Gaza continuent de provoquer une perte immense de vies de civils, une destruction massive des infrastructures civiles et d’immenses souffrances », mais il a ajouté : « Dans de nombreux cas, il n’a pas été possible de parvenir à une conclusion déterminante sur les allégations concernant la conduite des hostilités par Israël, en partie parce qu’il n’y a pas d’information suffisante, que ce soit par Israël ou par d’autres sources fiables pour vérifier ce genre de déclarations. »
La déclaration de Lammy n’a pas été condamnée par les députés d’opposition, qui l’ont décrite comme soigneusement calibrée, même si Sammy Wilson du parti Démocratique Unioniste a dit que les seules personnes qui se réjouiraient de cette décision, ce serait le Hamas. Les députés de gauche ont vu la décision comme un début ou le strict minimum étant donné la perte de 40.000 vies civiles.
Le geste, qui a été coordonné entre le FCDO, le département des entreprises et Richard Hermer, l’avocat général, devrait aider Lammy à surmonter ce qui pourrait être une révolte très lourde lors de la conférence annuelle du parti Travailliste. Les entreprises britanniques vendent une quantité relativement petite d’armes et de composants à Israël. En début d’année, le gouvernement a déclaré que les exportations militaires vers Israël avaient représenté 42 millions £ en 2022.
Mais il provoquera des tensions avec l’administration Biden aux États Unis et avec certains Républicains proches de Donald Trump. Tous deux ont maintes fois dit qu’ils ne voyaient aucun fondement dans le droit humanitaire international pour suspendre les exportations d’armes. Joe Biden est sous pression de l’aile pro-palestinienne des Démocrates pour qu’il utilise davantage de moyens de pression dans les formes de vente d’armes afin d’obliger Netanyahou à faire des concessions dans les pourparlers pour un cessez-le-feu.
En Europe, seules la Belgique et l’Espagne ont fait la démarche qui consiste à imposer un embargo sur les armes, mais l’Allemagne a refusé.
Le gouvernement britannique fait également face à un nombre croissant de contestations devant les tribunaux nationaux, y compris des procédures qui doivent démarrer mardi, introduites par le Réseau Mondial d’Action Juridique et l’organisation palestinienne des droits de l’Homme Al-Haq.
Les fonctionnaires ont dit que Lammy et ses collaborateurs n’avaient eu aucun accès au processus de prise de décision sur les ventes d’armes mené par le précédent gouvernement des Conservateurs. Mais il en résulte clairement que les ministres travaillistes seront parvenus à une décision différente en se fondant sur des preuves semblables.
Patrick Wintour | The Guardian | Traduction J.Ch. pour l’AURDIP
source
●”Les institutions financières européennes investissent des milliards dans des entreprises d’armement qui vendent des armes à Israel”, article du 30 juillet 2024.
●”Opacité sur les millions d’armes françaises livrées à Israel”, article du 4 septembre 2024, Mediapart, via AURDIP.
●”Avertissement d’experts: les pays qui alimentent la guerre à Gaza peuvent être complices de crimes de guerre”, article du 25 août 2024, The Guardian, via AURDIP.
●”BNP-Paribas finance l’Etat d’Israël en pleine guerre contre la population civile de Gaza”, communiqué de presse du 31 août 2024, Collectif d’associations, Association France Palestine de Solidarité.
●”Les militant.es obligent AXA à se désinvestir de toutes les banques israéliennes et du plus grand fabricant d’armes israélien Elbit Systems”, communiqué de presse de BDS Movement, traduit par AFPS, 21 août 2024.
● Action en justice contre une compagnie de transport israélienne pour ” commerce illégal d’armes via le port d’Anvers”, Collectif d’associations, Communiqué de presse du 15 mai 2024, Association BelgoPalestinienne.