Trois facteurs vont venir aggraver le tableau : l’augmentation prévue de la pauvreté, l’austérité budgétaire et la volonté de supprimer les allocations de chômage après deux ans. Le risque d’explosion en vol est réel.
Or, il est tacitement reconnu que, quel que soit le chemin emprunté, la Région et le Fédéral devront refinancer les pouvoirs locaux. N’attendons pas que les communes soient étranglées pour soigner l’outil, pour soutenir le travail social et pour garantir une dignité égale à tous les Bruxellois.
Nous proposons aux CPAS bruxellois de se réunir autour de critères identiques d’octroi des aides, de garantir la portabilité des droits (lorsque l’ayant-droit change de commune), d’aller ensemble à la rencontre de certains publics qui ne sont pas vraiment ancrés sur un territoire communal (comme les personnes sans-abri, les étudiants, les sans-papiers), de se doter de stratégies communes, de reconnaître, de former et de valoriser leurs travailleurs ensemble plutôt qu’en concurrence.
Nous proposons que chaque CPAS se recentre sur l’octroi des aides au plus proche des populations dans le besoin, et que la stratégie et les outils soient définis au niveau supra-communale, pour tous les Bruxellois.
Nous proposons également d’oser évaluer ensemble l’impact de l’action des CPAS sur les bénéficiaires et sur la société bruxelloise dans son ensemble. Personne ne nie leur utilité, voire leur caractère indispensable, mais jamais une véritable étude d’impact n’a été réalisée dans ce sens.
Pour que les CPAS acceptent de s’unir et donc de concéder une part de leur sacro-sainte autonomie, il faut reconnaître que c’est au niveau local que le pouvoir se sent le plus redevable face aux citoyens dans le besoin. Et il faut s’engager dans un plan ambitieux de sortie de la pauvreté et de mobilité socio-économique.
Désigner un pouvoir central
Sans toucher aux lois fédérales notamment sur le droit à l’intégration, nous devons décider d’un pouvoir central qui porte la stratégie, les objectifs, les moyens et les actions communes. Cela peut être Vivalis (Cocom). Cela peut être Bruxelles Pouvoirs Locaux (la Région). Certains pensent à IrisCare qui aspire à devenir « le point de contact privilégié pour tout ce qui concerne la protection sociale en Région bruxelloise ». D’autres encore estiment qu’un Actiris repensé sur deux missions permettrait d’organiser un continuum entre le social et l’emploi. Quel que soit le choix, nous devrons nous assurer que ce pouvoir commun comprenne, respecte et prenne soin des CPAS locaux. Aussi directive que soit cette « tutelle », elle devra se faire soutenante et disposer de moyens suffisants. Les CPAS et les communes doivent sentir la différence sur leurs finances. Nous estimons que minimum 10 % (150 millions €) et idéalement 15 % (225 millions €) du milliard et demi que coûtent les CPAS doivent être couverts par cette instance bruxelloise et non plus par les dotations de communes exsangues.
Les aides, par contre, doivent être décidées là où la redevabilité politique est plus forte. Cette condition n’est remplie que par le niveau local qui, fait très spécifique aux CPAS, inclut la majorité et l’opposition, dans le secret de la délibération sur les situations individuelles de chaque ayant droit.
Les travailleurs sociaux doivent pouvoir exprimer leur savoir-faire professionnel. Nous voulons mettre en débat le besoin d’une association des travailleurs sociaux des CPAS bruxellois, garante de la déontologie et de la formation de ses membres. Nous proposons à la Région de lancer des Etats généraux du travail social pour entamer ce processus de reconnaissance. Nous proposons de faire entrer la recherche scientifique dans la pratique du travail social par la désignation des Centres Sociaux Universitaires (CSU) comme il existe des Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) sur les questions de santé.
Impliquer le monde associatif
Il est enfin temps d’abandonner l’approche individuelle et sanctionnante de l’Etat social actif. Pour cela, il faut impliquer le monde associatif, dont le travail sur le terrain – souvent réalisé dans l’ombre faute de moyens – alimente un réseau de solidarité et de dialogue, tout en fournissant une critique constructive et une dialectique essentielle vis-à-vis des politiques publiques. En partant des droits fondamentaux, l’intervention collective et communautaire a l’avantage de « sortir les gens du puits à l’aide d’une échelle, puis de refermer le puits pour que personne ne puisse y retomber ».
On pourrait croire que la solution bruxelloise consiste à « chasser les pauvres ». Or, plus le contexte spatial et économique est hostile aux personnes en difficulté, plus elles se maintiennent dans la précarité et le système s’embolise. Les grandes villes attireront toujours celles et ceux qui veulent se construire un avenir plus favorable. Nous devons donc renforcer la capacité émancipatrice de Bruxelles, entre autres en valorisant sa diversité et le caractère cosmopolite de ses habitants.
Les appels à « l’harmonisation » des pratiques entre les 19 CPAS de la Région bruxelloise ne sont plus crédibles. On les entend depuis 15 ans. Ils n’ont pas d’impact. Il faut passer à des modèles plus robustes de gouvernance partagée entre les CPAS, voire à un modèle unifié à deux niveaux.
Nous n’avons pas encore toutes les données de cette nouvelle gouvernance mais nous devons nous réunir pour nourrir les négociations autour d’une nouvelle majorité. Voici un projet ambitieux pour Bruxelles. La réorganisation de l’action sociale et son refinancement pour plus de mobilité économique et sociale.
Carte blanche
publiée sur le journal Le Soir le 12/07/2024.
Par le GERAS (Groupe d’Etudes pour la Réforme de l’Action Sociale) : Carlo Caldarini, Sonia De Clerck, Céline Nieuwenhuys, SAAMO (Angela van de Wiel et Sara Vanhoyland), Olivier Vanderhaeghen, Sophie Vanneste, Pierre Verbeeren; Jean-François Neven, chargé de cours à l’ULB.
Basé sur un travail d’analyse du collectif GERAS