Dans un dossier paru il y a quelques jours, la revue Regards Economiques de l’UCL défendait l’idée qu’une hausse des droits d’inscription pour les étudiants étrangers permettrait une hausse de la qualité de nos universités, et dès lors de leur place dans les rankings, ce qui entraînerait une plus grande attractivité et donc une augmentation du nombre d’étudiants étrangers.
La philosophie sous-jacente à cette recommandation interpelle fortement sur le type d’université que la Belgique veut promouvoir, et le type d’étudiants étrangers que nous voulons attirer. Car la conséquence de cette recommandation est bien évidemment de remplacer le public actuel d’étudiants étrangers par un autre, plus fortuné, et d’inscrire nos universités dans un système néo-libéral réservé aux élites, et où les universités se livrent à une concurrence féroce sur le marché de la formation.
En effet, dès le moment où ce sont les rentrées financières qui deviennent la clé de voûte de la politique d’accueil de l’université, le marché de l’enseignement universitaire peut être très juteux. A l’appui de sa recommandation, Michel Beine cite l’Australie en exemple, où le secteur de la formation universitaire est devenu une véritable industrie: c’est le secteur qui rapporte le plus de devises après l’industrie minière. Mais ce que Beine ne nous dit pas, ce sont les effets de cette politique sur les conditions de travail du personnel académique, sur la dégradation de la qualité de l’enseignement universitaire, et sur les conditions d’accès aux universités des étudiants australiens.
Depuis une vingtaine d’années en effet, les universités australiennes ont signé de juteux contrats avec des pays asiatiques et du Golfe. Elles ont attiré massivement des étudiants de ces pays, et ont ouvert des campus dans des pays comme Singapour, Hong Kong, la Malaisie et les Emirats Arabes Unis. Nos collègues australiens sont soumis à d’énormes pressions pour partir deux ou trois fois par an donner quelques semaines de cours à l’étranger. Au début, ils ont reçu des incitants financiers, mais faute de volontaires en suffisance, l’obligation d’aller donner cours à l’étranger est maintenant inscrite dans les contrats d’engagement des nouveaux professeurs.
Parallèlement, le minerval pour les étudiants étrangers a été fortement augmenté. On aurait pu penser que l’accroissement considérable de moyens financiers qui a résulté de cette politique de marchandisation des universités aurait permis d’accroitre la qualité de la formation et de la recherche, comme le suggère Michel Beine. Mais en Australie, c’est tout le contraire qui s’est produit. Les gouvernements successifs ont prétexté de cette nouvelle manne financière pour réduire régulièrement le financement des universités. Alors qu’il y a 20 ans la part du financement public dans le budget des universités était de 90%, elle est tombée à moins de 60%. Malgré les importantes ressources dues au minerval, les universités se retrouvent exsangues.
Le résultat est que le taux d’encadrement des étudiants dans les universités australiennes s’est dégradé de manière catastrophique. Aujourd’hui les étudiants australiens se retrouvent dans des auditoires surpeuplés et avec des équipements vétustes. Les premières victimes de cette politique de financement par les étudiants étrangers sont donc les étudiants australiens, d’autant plus que leur minerval n’a cessé d’augmenter aussi, les gouvernements ayant trouvé le filon d’un financement par le minerval très profitable. Une augmentation de 25% du minerval sera annoncée d’ici quelques jours dans le budget 2017-18 du gouvernement.
Mais la fuite vers une marchandisation de l’enseignement universitaire connaît ses limites. Sur les campus qu’elles ont ouverts en Asie et au Moyen Orient, les universités australiennes se trouvent aujourd’hui confrontées à une concurrence féroce de la part des grandes universités anglo-saxonnes, qui y ouvrent à leur tour des succursales.
Venons-en à un autre aspect de la stratégie proposée par Michel Beine. Après avoir expliqué qu’une étude suggère qu’en moyenne une hausse de 10% des droits d’inscription diminue le flux d’étudiants de 6,5%, il écrit: «on peut montrer qu’une hausse de 10% des droits laisserait le nombre d’entrées d’étudiants étrangers inchangé pour autant que cette hausse se répercute dans une augmentation des scores de qualité de l’université de 5%». Et ces scores de qualité, ce sont les fameux rankings, de plus en plus décriés à la fois à l’intérieur de la communauté universitaire et par les experts en politique scientifique et d’enseignement supérieur. En effet, outre que ces rankings visent à inscrire le monde universitaire dans une vision purement néo-libérale de compétitivité à outrance, ils ont pour effet que chaque nouveau critère de «qualité» introduit dans les rankings induit très rapidement des effets pervers dans la stratégie des universités, pour laquelle la place dans les rankings devient une obsession qui prend le dessus sur les valeurs spécifiques de l’université et les remplace. A terme, la pression des rankings va mener à une uniformisation du modèle de l’université à travers le monde, imposé par le modèle des universités anglo-saxonnes les plus élitistes mais aussi les plus chères, et va tuer la diversité qui fait la richesse du paysage universitaire.
Sur le plan méthodologique, les classements annuels des universités n’ont aucun sens. Car qui peut croire qu’en une seule année une université comme l’ULB ou l’UCL puisse devenir meilleure (ou moins bonne) qu’une quarantaine d’autres, alors qu’il faut au moins 5 ans pour qu’une réforme profonde introduite par un nouveau recteur ne se traduise sur la qualité de la recherche et de l’enseignement.
Sur le plan éthique, l’influence des classements induit des effets qui sont parfois d’une grande perversité. C’est ainsi que certaines universités dans les pays du Golfe, qui veulent se faire une place dans les rankings, engagent des professeurs très réputés pour trois mois et à très grands frais, en les obligeant par la suite à indiquer leur affiliation à cette université dans toutes leurs publications futures.
A l’heure où le néo-libéralisme est en train d’imploser à cause de la montée des populismes qu’il entraîne partout dans le monde, est-il vraiment judicieux que l’enseignement universitaire, qui en a été préservé jusqu’à présent, veuille y faire son entrée?
Michel Gevers, professeur émérite UCL, avec
Peter J. Moylan, professeur émérite de Newcastle University, Australie