Bruxelles ferme La Centrale : symptôme d’une crise culturelle généralisée

Point de vue

La nouvelle est tombée comme un couperet : La Ville de Bruxelles ferme La Centrale, centre d’art contemporain, pour février 2026. Une décision inattendue, d’autant plus brutale qu’elle intervient à peine un an après la réouverture du lieu, fraichement rénové, et à quelques mois d’un vingtième anniversaire qui n’aura donc jamais lieu. Entre coupes budgétaires pour la culture, fermetures et visions comptables, le monde culturel et artistique se retrouve en première ligne d’un combat essentiel : défendre la place de la création et de l’art.

 

Fermeture de La Centrale

L’annonce a sidéré les travailleurs et travailleuses : « C’est une catastrophe collective, nous ne comprenons pas », ont-ils et elles réagi, bouleversé·es. Le personnel préparait déjà la programmation de 2026, fidèle à la mission de La Centrale : offrir un espace de visibilité aux artistes émergent·es, souvent issu·es des écoles d’art bruxelloises, et mener un travail reconnu en matière d’inclusion, d’accessibilité et de médiation culturelle.

Si le nombre de postes supprimés reste inconnu, le bourgmestre Philippe Close assure vouloir recaser le personnel au sein du service Culture de la Ville. Une promesse qui semble difficile dans un contexte économique précaire pour la culture, alors que de nombreux budgets sont gelés, et que peu de postes s’ouvrent. Il justifie la fermeture par « la crise budgétaire actuelle » et affirme avoir dû faire des choix difficiles pour « préserver les institutions restantes ». Ecolo-Groen demande quant à lui la suspension immédiate de la décision, davantage de transparence et une concertation structurée avec les équipes, les partenaires et les habitant·es.

 

Un été de coupes budgétaires pour Bruxelles

La fermeture de La Centrale intervient dans un contexte déjà alarmant. Cet été, la Ville de Bruxelles a annoncé une réduction de 15 à 20 % de son budget Culture pour 2025. Une mesure qui frappe de plein fouet des institutions majeures comme le KVS et le Théâtre Royal du Parc, sommés de puiser dans leurs réserves financières pour compenser la baisse des moyens.

Une décision jugée « indécente » par Michael De Cock, directeur artistique du KVS, qui rappelle que ces réserves sont censées garantir la stabilité à long terme, et non réparer des déficits budgétaires communaux. Le bourgmestre Philippe Close évoque un effort « exceptionnel », imposé par le contexte budgétaire, tout en espérant pouvoir rétablir les enveloppes dès 2026, mais sans garantie.

Bruxelles n’est pas une exception : Mons, Charleroi et bien d’autres communes belges ont déjà serré la vis. En France, la tendance est lourde : près de la moitié des collectivités locales et régionales ont réduit les budgets alloués à la culture entre 2024 et 2025.

 

Une pression structurelle à la Fédération Wallonie-Bruxelles

Au niveau communautaire, la situation n’est pas plus favorable. La Fédération Wallonie-Bruxelles va elle aussi réaliser des économies, visant 300 à 500 millions € d’ici 2029 non-indexation des subventions en 2026, gel des nouvelles reconnaissances (centre culturel etc.) jusqu’en 2028, coupes ciblées dans plusieurs dispositifs.

La fermeture annoncée de la Médiathèque Nouvelle, décidée par le gouvernement MR–Les Engagés, en est l’illustration la plus frappante : fin d’une institution de près de 70 ans, 55 emplois supprimés, et une décision critiquée pour son absence de concertation et sa logique purement comptable. Pour le gouvernement, la médiathèque serait désuète car les personnes n’empruntent plus de CD ou DVD. Or, non seulement l’ensemble des supports de la Médiathèque Nouvelle est un patrimoine précieux qui menace de disparaître, mais la Médiathèque fait bien plus qu’un simple service d’emprunt. Elle mène des actions de médiation culturelle, d’éducation aux médias et de transmission des savoirs : concerts, ateliers d’écoute musicale pour des seniors, des personnes précarisées, ou encore en prison. Elle propose également des formations destinées aux bibliothécaires, aux enseignant·es, aux médiateur·rices culturel·les afin de leur donner des outils pour s’autonomiser, adapter leurs pratiques et à leur tour transmettre. Pour nombre d’acteurs et d’actrices culturel·les, il s’agit moins d’un ajustement technique que d’un tournant politique : celui d’un pouvoir qui considère la culture comme un coût, non comme un investissement collectif.  Ce qui se passe aujourd’hui, fermetures, recentrage sur l’événementiel rentable, abandon des missions de service public, n’est pas une dérive accidentelle mais une conséquence logique du libéralisme appliqué à la culture : dès que le profit devient la boussole, tout ce qui n’y correspond pas est considéré comme obsolète.

 

Un climat politique de remise en cause

Ces choix budgétaires s’inscrivent dans un climat politique où le soutien public à la culture est de plus en plus remis en cause, au point que le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a pu déclarer en janvier ne « pas voir pourquoi on a un ministre de la Culture »Une approche strictement utilitariste qui réduit désormais la création à sa seule rentabilité, son attractivité ou son impact économique immédiat, oubliant son rôle essentiel de cohésion sociale, de liberté d’expression et d’émancipation collective. Cette vision comptable fragilise les institutions, ignore les réalités du secteur et menace autant la diversité artistique que la capacité de la société à débattre, imaginer et se réinventer. Cette vision ne surgit pas de nulle part: elle constitue la suite logique du modèle capitaliste qui pousse à la surcapitalisation de tout, y compris la culture. Le profit avant l’humain.

 

En fermant La Centrale, la Ville de Bruxelles fait plus que réduire son offre culturelle : elle envoie un signal inquiétant sur la place future de la culture dans l’espace public. À Bruxelles comme ailleurs, la question dépasse le centre d’art contemporain : elle touche à une vision de société. La culture n’est pas une dépense superflue. Elle est un bien commun. Et elle semble aujourd’hui, plus que jamais, devoir se battre pour le rester.

 

SOURCES:

BX Dévie : Le gouvernement définance la médiatèque nouvelles après 69 ans d’activités – 4/11/2025 https://bruxellesdevie.com/2025/11/04/culture-le-gouvernement-definance-la-mediatheque-nouvelles-apres-69-ans-dactivites https://rabbko.be/fr/la-ville-de-bruxelles-annonce-des-coupes-dans-son-budget-culture/

Le Soir : La Ville de Bruxelles coupe 15 à 20 % de son budget culturel – 10/07/2025 https://www.lesoir.be/686931/article/2025-07-10/la-ville-de-bruxelles-coupe-15-20-de-son-budget-culturel

RTBF : La Centrale, centre d’art contemporain de la Ville de Bruxelles, fermera bientôt ses portes – 04/12/2025 https://www.rtbf.be/article/la-centrale-centre-d-art-contemporain-de-la-ville-de-bruxelles-fermera-bientot-ses-portes-11642383

Le Soir : Budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles : quel est l’effort réel demandé à la culture ? – 18/10/2025 https://www.lesoir.be/705662/article/2025-10-18/budget-de-la-federation-wallonie-bruxelles-quel-est-leffort-reel-demande-la

Culture : près de la moitié des collectivités ont réduit leur budget alloué au secteur entre 2024 et 2025 – 10/07/2025 https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/culture-pres-de-la-moitie-des-collectivites-ont-reduit-leur-budget-culturel-entre-2024-et-2025-5055930

Le Soir : « Que serait un pays sans ministère de la Culture ? » : ces voix qui s’élèvent contre la sortie de Bouchez – 5/01/2025 https://www.lesoir.be/646337/article/2025-01-05/que-serait-un-pays-sans-ministere-de-la-culture-ces-voix-qui-selevent-contre-la

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