Construire l’économie postcapitaliste

Avec leur livre Construire l’économie postcapitalisteAudrey Laurin-LamotheFrédéric Legault et Simon Tremblay-Pepin présentent «dans le détail des modèles concrets pour réorganiser en profondeur notre système économique et politique. Ce livre offre au lectorat francophone une synthèse des réflexions des trente dernières années sur la planification démocratique de l’économie. Il permet de penser l’activité de nos sociétés au-delà du capitalisme, dans un esprit de justice sociale dont elles ont plus que jamais besoin».

Introduction : «Mais par quoi proposez-vous de remplacer le capitalisme?». Voilà bien une question fréquemment posée et rarement répondue dans les écrits portant sur la critique du capitalisme. Le totalitarisme soviétique ou maoïste n’étant certainement pas plus adéquat ni plus attirant, cette question demeure souvent en suspens. Les auteur.es visent avec ce livre à présenter les modèles postcapitalistes proposés par quelques auteur.es qui rejettent tous et toutes les modèles autoritaristes et valorisent au contraire le contrôle démocratique de nos sociétés. Comme les œuvres de ces auteur.es ont été rarement traduites en français, ce livre permet aux francophones de prendre connaissance de leur vision d’une société libérée du capitalisme.

1. La coordination négociée de Pat Devine et Fikret Adaman : Ce chapitre porte sur le modèle de planification démocratique de l’économie de Pat Devine datant de 1989, modèle qu’il approfondira par la suite avec Fikret Adaman. Ce modèle reposait sur une coordination négociée «des activités économiques entre les acteurs concernés» (employeurs, employé.es, client.es ou consommateur.trices, membres de la communauté, etc.). Les auteur.es présentent de façon détaillée ce concept, les institutions qui l’encadreraient et leurs interactions, le fonctionnement général d’une économie ainsi conçue, les critiques qu’a reçus ce modèle et les réponses de Devine et Adaman à ces critiques.

2. L’économie participaliste de Michael Albert et Robin Hahnel : Michael Albert et Robin Hahnel, tous deux associés au mouvement libertaire, publient deux livres sur l’économie participaliste en 1991. Les auteur.es abordent notamment l’holisme complémentaire; la socialisation des moyens de production; la rémunération et l’organisation du travail; l’évolution de ce modèle; la planification à long terme de l’économie; les critiques et les réponses à ces critiques.

3. La planification informatique centralisée de Cockshott et Cottrell : Paul Cockshott et Allin Cottrell proposent dans un livre paru en 1993 une autre forme de planification démocratique de l’économie, que les auteur.es baptisent (car Cockshott et Cottrell n’ont pas donné de nom à leur modèle) la planification informatique centralisée, caractérisée par la publication de trois plans, macro-économique, stratégique et détaillé. Les auteur.es abordent notamment les concepts de valeur et de travail; le salaire; les revenus de l’État; la consommation et les prix (en équivalents d’heures de travail et en tenant compte de l’impact environnemental); leur modèle de démocratie; le remplacement du «modèle de la famille nucléaire par celui de la commune»; les quelques critiques reçues sur ce modèle et les réponses de Cockshott et Cottrell.

4. Deux modèles à la marge – Laibman et Fotopoulos : David Laibman propose un modèle appelé «coordination démocratique itérative multiniveaux» qui permet de trouver une solution aux conflits entre la centralisation et la décentralisation. De son côté, Takis Fotopoulos a développé un modèle de démocratie générale intégrant des «principes d’équité et de démocratie dans les champs politique écologique, féministe et économique». Les auteur.es abordent les différences avec les modèles présentés dans les chapitres précédents, le fonctionnement de ces deux modèles et les peu nombreuses critiques qu’ils ont reçues.

5. La planification ascendante de Harnecker, Lebowitz et Álvarez : Les écrits de Marta HarneckerMichael Lebowitz et Victor Álvarez sur la planification ascendante sont inspirés par la révolution bolivarienne d’Hugo Chavez au Venezuela au début du XXIe siècle. Les auteur.es présentent ce modèle, puis abordent le concept de triangle socialiste (richesse du peuple, production du peuple et société solidaire); la démocratisation politique et économique; la base de fonctionnement de la planification ascendante (la communauté), ses étapes et les types de plans produits; la planification par thème (santé, éducation, environnement, lutte aux inégalités, logement, culture, etc.); les rares critiques de ce modèle.

6. L’économie de communauté de Gibson-Graham en lieu de la planification Katherine Gibson et Julie Graham «n’offrent pas de modèle économique de remplacement du capitalisme. Elles adoptent toutefois une démarche expérimentale de recherche sur les expériences collectives susceptibles de contribuer à la construction d’un futur postcapitaliste». Les auteur.es abordent notamment l’objectif de Gibson-Graham de déconstruction du capitalocentrisme; leurs assises théoriques; la présence actuelle d’une économie diversifiée, pas seulement capitaliste (travail domestique, autonome et coopératif, bénévolat, esclavagisme, etc.); la réappropriation de l’économie et de la finance par l’économie de communauté, en visant l’amélioration du bien-être et en généralisant la pratique du commun; les critiques de leurs propositions et quelques réactions à ces critiques.

Conclusion : Les auteur.es soulignent les apports les plus importants de leur analyse des propositions et modèles présentés dans ce livre, notamment de compléter les nombreuses critiques du capitalisme qui se terminent au mieux par quelques pistes de solutions et de montrer qu’il n’y a pas qu’un modèle qui peut permettre l’établissement d’une économie postcapitaliste. Et iels concluent :

«[Ces modèles] ouvrent des pistes de réflexion plus qu’ils n’offrent de dogmes à suivre. Penser, discuter, travailler ces modèles sont déjà des gestes émancipateurs. Cependant, ils ne le sont qu’à la condition de s’y astreindre avec l’intention de pouvoir, un jour, passer de la théorie à la pratique.»

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, si ce sujet vous intéresse, ce qui est mon cas. Il s’agit d’un livre que je qualifierais de «savant» et qui demande, pour en bénéficier pleinement, des connaissances préalables et une lecture attentive. J’ai perçu certains des modèles présentés davantage comme des exercices intellectuels que comme des propositions pragmatiques ou réalisables, le dernier m’étant apparu le plus concret et applicable assez rapidement. Il demeure qu’ils permettent une réflexion intéressante sur le type de société dans laquelle on aimerait vivre en dehors du capitalisme. On peut aussi lire cet article du Devoir pour obtenir un autre point de vue sur ce livre. Bon point, les 234 notes, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information, sont en bas de pages.

 

Mario Jodoin


Publication intégrale avec la cordiale autorisation de Mario Jodoin.
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By Mario Jodoin

Mario Jodoin est économiste, fonctionnaire pendant 38 ans, aujourd'hui pensionné d'un Ministère Fédéral canadien, devenu l'agence Service Canada, où pendant 20 ans il a été économiste du marché du travail. Il est membre depuis 15 ans de la commission de l'économie, de la fiscalité et de la lutte contre la pauvreté de Québec-Solidaire, parti de la gauche québécoise, fondé en 2006 et réunissant trois groupes de gauche (Union des Forces Progressistes, Option Citoyenne et Option Nationale), disposant de 12 sièges sur 125 au Parlement du Québec et dénommé "la seconde opposition". Il est chercheur associé à l'IRIS (Institut, progressiste et indépendant, de Recherches et d'Informations SocioEconomiques, Montréal, Canada). Il intervient ou est sollicité dans le débat socio-économique au Québec. Il est proche du mouvement syndical canadien et québécois. Il anime le blogue québécois, économique et social, en langue française, JeanneEmard.