Note de décryptage – Décembre 2024
Cette note de décryptage prend la suite des précédentes notes publiées en janvier, août et novembre 2024.
Avertissement : la Commission européenne a publié le 10 décembre seize nouveaux textes ou textes modifiés suite à l’annonce de la conclusion des négociations de l’accord UE-Mercosur le 6 décembre, soit plus de 360 nouvelles pages à ajouter, pour l’essentiel, au contenu de l’accord conclu en 2019. Cette note est un tout premier décryptage, qui laisse de nombreuses questions en suspens, afin de contrebalancer quelque peu l’opération de communication menée par la Commission européenne selon laquelle la nouvelle version de l’accord éteindrait comme par magie les critiques, réserves et oppositions exprimées depuis plusieurs années.
En guise de résumé, quelques premiers points :
- Depuis deux ans, la Commission avait plusieurs fois affirmé « ne pas rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord » : c’était manifestement un mensonge puisque plusieurs parties ont été modifiées et plusieurs ajouts effectués ;
- Les dispositions portant sur les marchés agricoles (quotas, droits de douane, normes sanitaires ) n’ont par contre pas été modifiées : ce qui a justifié les mobilisations du monde agricole perdure ;
- Le contenu de l’accord reste très déséquilibré : globalement à l’avantage de l’industrie européenne et de l’agrobusiness sud-américain ;
- Plusieurs lignes rouges du Brésil et de l’Argentine ont visiblement été prises en compte et la Commission européenne a consenti à revoir plusieurs dispositions en ce sens (automobiles, marchés publics, etc) ;
- La Commission européenne a consenti à un « mécanisme de rééquilibrage » qui limite probablement le droit à réguler et les possibilités d’introduire de nouvelles politiques de restriction des échanges pour des raisons sociales et/ou écologiques ;
- L’ajout d’une annexe sur le développement durable et les références à l’Accord de Paris et à la lutte contre la déforestation relèvent plus du greenwashing que d’une transformation de la nature de l’accord de libre-échange.
- Faire de l’Accord de Paris une « clause essentielle » à l’accord n’apporte que peu de garanties, n’a qu’une portée opérationnelle limitée et ne transforme pas cet accord de libre- échange en accord climato-compatible ;
- L’annonce selon laquelle les pays du Mercosur auraient pris des « engagements légalement contraignants » en matière de lutte contre la déforestation « d’ici à 2023 » paraît infondée à la lecture des textes.
Dans cette première version de cette note de décryptage, vous trouverez cinq sections :
- Un manque de transparence problématique
- Qu’y a-t-il de neuf dans l’accord UE-Mercosur ?
- L’économie générale de l’accord est-elle modifiée ?
- Pourquoi la Commission européenne a-t-elle pu contourner le Non français ? Qui porte la responsabilité de la conclusion de cet accord ?
- Ce projet d’accord peut-il encore être bloqué ?
A. Un manque de transparence qui sape l’information et la démocratie
Si les négociations de l’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur menées depuis près de 25 ans n’ont jamais brillé par leur transparence, les deux dernières années ont été particulièrement opaques. En deux ans, le seul document que la Commission européenne a rendu public – la version préliminaire de ce qu’elle avait appelé un « joint instrument » répertoriant les engagements des deux parties en matière de développement durable – ne l’a été qu’après la publication d’une version fuitée par les organisations de la société civile1.
MERCI À CELLES ET CEUX QUI NOUS SOUTIENNENT !
C’est grâce à vous que nous pouvons publier du contenu.
Vous pouvez aussi nous soutenir en vous abonnant,
sur Tipeee, ou nous soutenir GRATUITEMENT avec Lilo !
Ni la Commission européenne, ni le gouvernement français n’ont daigné mettre à disposition, a minima des parlementaires, les textes de négociation d’un accord soulevant pourtant des objections sévères pour ses impacts en matière de climat, de droits humains et des peuples autochtones en particulier, de déforestation, de biodiversité, d’emplois et de justice sociale. Ces négociations ont été menées derrière portes closes, sans que ni les parlementaires, ni l’opinion publique, ni les citoyen.nes et les organisations de la société civile ne soient dûment informés de leur contenu, retrouvant là les pires pratiques mises en œuvre lors des négociations du TAFTA avec les États-Unis2.
A plusieurs reprises, les organisations de la société civile et les parlementaires ont interpellé la Commission européenne et les États européens sur ce manque de transparence. Sans résultat. Quelques jours avant l’annonce de la conclusion des négociations, la Commission européenne refusait encore d’informer les député.es européen.nes du « comité de suivi des négociations UE- Mercosur » de leur état d’avancée, alors qu’ils y ont normalement droit. De son côté, le gouvernement français n’a jamais pris la décision de garantir la transparence indispensable en publiant de son propre chef les textes de négociation existants.
Ce manque de transparence manifestement entretenu est nocif pour tenir un débat démocratique éclairé et informé sur un sujet si controversé. La publication, une fois les négociations conclues, de centaines de pages d’accord qui ne peuvent plus être modifiées, le tout emballé dans une opération de communication quelque peu éloignée du contenu du texte, ne peut qu’alimenter la suspicion et les doutes sur le bienfondé des positions défendues par la Commission européenne tout au long de ces négociations.
B. Qu’y a-t-il de neuf dans l’accord UE-Mercosur ?
Depuis l’annonce de la conclusion de l’accord, la Commission européenne diffuse ses éléments de langage selon lesquels l’accord UE-Mercosur serait devenu acceptable par toutes les parties, espérant sans doute désarmer les critiques, réserves et oppositions de plusieurs États-membres de l’UE et que cette communication sera plus rapidement et plus largement diffusée que les lectures critiques de ces 360 nouvelles pages publiées ce 10 décembre.
La Commission européenne insiste notamment sur un nombre limité de points parmi lesquels :
- la mention de l’accord de Paris comme « clause essentielle à l’accord » pour laisser entendre que cet accord de libre-échange serait devenu climato-compatible ;
- « un engagement légalement contraignant » que les États du Mercosur auraient accepté pour « stopper la déforestation d’ici à 2030 » pour désarmer l’argument selon lequel cet accord va encourager la déforestation ;
- plus largement, une annexe sur le développement durable apportant de nouvelles garanties et faisant la preuve des bonnes intentions des deux blocs en la matière ;
- la prise en compte des demandes des pays du Mercosur pour protéger leurs secteurs industriels : modification des droits de douane sur les véhicules électriques et introduction de mesures de sauvegarde sur les véhicules automobiles.
- Version fuitée par la société civile en février 2023 : https://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/joint_instrument_vfr.pdf
- Accord UE-Mercosur : opacité, secret et manque de transparence, https://www.collectifstoptafta.org/accord-ue- mercosur/article/accord-ue-mercosur-opacite-secret-et-manque-de-transparence
– l’introduction d’un mécanisme dit « de rééquilibrage » qui protégerait tant les intérêts économiques de chacune des régions dans l’accord que le droit à réguler.
La lecture et l’analyse des nouveaux documents publiés par la Commission européenne nous éloignent pourtant de ses éléments de communication.
1. Une nouvelle annexe sur le développement durable … qui rappelle que le commerce et le libre-échange priment sur les réglementations écologiques et sociales
Au lendemain de l’élection présidentielle brésilienne de 2022, la Commission européenne a proposé d’adjoindre à l’accord finalisé en 2019 ce qu’elle avait appelé « un instrument joint » portant sur quelques sujets clivants (climat, déforestation, droits etc), avec l’objectif de répondre aux critiques et tenter de les désarmer. Cette annexe fait aujourd’hui 16 pages et elle complémente le chapitre XX de l’accord portant sur le développement durable (TSD chapter).
Comparée à la version préliminaire du document dont nous avions eue une version fuitée, la version finalisée a été profondément remaniée : là où le texte initial était divisé en parties portant sur le changement climatique, la biodiversité, la forêt ou les droits, il est aujourd’hui organisé autour d’entrées qui tournent essentiellement autour du « commerce » (« Commerce et développement durable », « Relations birégionales en matière de commerce et d’investissement »,
« Politiques et mesures nationales ou régionales liées au commerce » et même « commerce et émancipation économique des femmes »).
Cette annexe fournit du contexte et donne des éléments additionnels pour l’interprétation du chapitre sur le développement durable. Elle regroupe un ensemble d’engagements internationaux que l’UE et les pays du Mercosur ont chacun pris dans des instances internationales en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de protection de la biodiversité ou de respect des conventions de l’Organisation internationale du travail, mais ne va pas plus loin que ces engagements. Elle se limite à répéter ce qui figurait déjà dans l’accord en le combinant à ces engagements internationaux sans que ces engagements-là ne puissent être mobilisés pour justifier de ne pas mettre en œuvre les dispositions commerciales prévues par l’accord (voir le cas spécifique de l’Accord de Paris ci-dessous).
Cette annexe n’établit aucune prépondérance au chapitre sur le développement durable sur les dispositions commerciales : si le cas d’une mesure visant à baisser des normes sociales et écologiques en vue d’obtenir un avantage commercial est envisagé, ni le chapitre sur le développement durable ni cette annexe n’envisagent le cas où il faudrait réduire le commerce des biens et services, et donc restreindre la libéralisation permise par l’accord de libre-échange UE- Mercosur, au nom de politiques climatiques/écologiques plus ambitieuses.
C’est même le contraire. Les politiques publiques qui nécessiteraient d’échapper aux dispositions commerciales prévues par l’accord (clauses de contenu local, favoriser les acteurs locaux, restrictions au commerce, etc) sont par principe considérées comme exclues du panel des politiques publiques à disposition des pouvoirs publics : l’article 2 du chapitre sur le développement durable indique très clairement qu’une partie prenante à l’accord ne saurait « appliquer le droit de l’environnement et le droit du travail d’une manière qui constituerait une restriction déguisée au commerce ou une discrimination injustifiable ou arbitraire ».
L’annexe confirme très clairement la lecture qui doit être faite du chapitre sur le développement durable. Par rapport à la version préliminaire que nous avions analysée, de nombreuses références aux dispositions OMC ont ainsi été ajoutées alors qu’elles n’y figuraient pas. Les références à la primauté du droit commercial et des principes qui l’organisent sur les politiques de soutenabilité écologique sont désormais extrêmement nombreuses :
- « il est essentiel d’assurer le fonctionnement d’un commerce international ouvert, transparent et fondé sur des règles »(page 1) ;
- les parties « partagent des valeurs qui sont nécessaires pour relever les défis posés par le contexte mondial actuel, telles que (…) l’adhésion au multilatéralisme et le rejet des obstacles inutiles au commerce » (point (a) page 2) ;
- les parties « renouvellent leur engagement à garantir des conditions équitables et une concurrence loyale en décourageant le protectionnisme et les pratiques qui faussent le marché, afin de favoriser un environnement favorable au commerce et à l’investissement pour tous » ; (page 3)
- les parties « réitèrent leur engagement à respecter pleinement les règles de l’OMC et à éviter toute discrimination injustifiée ou arbitraire ou toute restriction déguisée au commerce international » (page 3)
- les parties « reconnaissent que les mesures de développement durable affectant le commerce doivent être pleinement compatibles avec les obligations qui leur incombent en vertu des accords de l’OMC. Les parties rappellent que, conformément à l’accord OTC (Obstacles techniques au commerce) de l’OMC, les mesures qui constituent des réglementations techniques restreignant le commerce relevant de cet accord doivent, entre autres, (i) être fondées sur des renseignements scientifiques et techniques ; (ii) ne pas être plus restrictives pour le commerce qu’il n’est nécessaire pour atteindre un objectif légitime, compte tenu des risques que la non-réalisation entraînerait ; et (iii) être fondées sur des normes internationales pertinentes » (alinea n°4 page 4)
- « Les mesures de politique commerciale à des fins environnementales ne doivent pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable, ni une restriction déguisée au commerce international. Les actions unilatérales visant à relever les défis environnementaux en dehors de la juridiction du pays importateur devraient être évitées. Les mesures environnementales visant à résoudre des problèmes environnementaux transfrontaliers ou mondiaux devraient, dans la mesure du possible, être fondées sur un consensus international ». (alinea n°10 page 5)
Cette annexe sur le développement durable rappelle même explicitement les restrictions prévues par l’accord SPS de l’OMC (accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires) quant à la mise en œuvre de possibles mesures sanitaires et phytosanitaires encadrant les importations de produits. Alors que de telles mesures sont évoquées pour répondre aux mobilisations du monde agricole, il est rappelé qu’elles doivent
- « n’être appliquées que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux ;
- être fondées sur des principes scientifiques ;
- être fondées sur des normes internationales pertinentes,
- ne pas être maintenues sans preuves scientifiques suffisantes, sauf disposition contraire de l’accord SPS
- ne pas être appliquées d’une manière qui constituerait une restriction déguisée au commerce international » (alinea 4 page 4)
Cette annexe fait comme si les engagements internationaux pris en matière de climat ou de biodiversité pouvaient être respectés malgré 1) l’accroissement du commerce transatlantique – et donc de l’extraction – des ressources naturelles agricoles, minières, forestières ou énergétiques,
2) le strict respect des règles qui organisent le commerce mondial depuis 30 ans, 3) sans qu’aucune nouvelle mesure de restrictions des échanges internationaux ne soit prise pour limiter les impacts sociaux et environnementaux de l’accroissement des échanges transatlantiques.
Cette annexe rappelle donc de façon très explicite que les dispositions commerciales s’imposent aux mesures portant sur le développement durable. Il ne nous paraît donc pas qu’elle réponde aux nombreuses objections soulevées par la société civile et les experts sur le contenu de l’accord ; y répondre aurait exigé au choix d’amender le traité, soit dans le texte lui-même, soit en incluant des réserves et des exceptions nouvelles dans le cadre de cette présente annexe. C’est le contraire qui a été fait.
2. L’accord de Paris comme « clause essentielle » à l’accord
Depuis cinq ans, de nombreuses études montrent que l’accord de libre-échange UE-Mercosur n’est pas climato-compatible (LIEN), en encourageant la déforestation, en produisant une
augmentation des émissions de gaz à effet de serre ou encore en soutenant les filières les plus nocives pour la planète. La Commission européenne veut éteindre cette critique avec l’argument selon lequel l’accord de Paris serait désormais intégré comme « clause essentielle » à l’accord UE-Mercosur. Pour la Commission, cela signifierait « qu’une partie peut suspendre l’accord si elle considère qu’il y a une violation grave de l’accord de Paris »3.
La réalité, éclairée par la lecture et l’analyse des formulations des nouveaux textes, est éloignée de la communication de la Commission européenne. Rappelons d’abord qu’une « clause essentielle » à un accord signifie que l’accord pourrait être suspendu, partiellement ou intégralement, si cette clause n’est plus satisfaite par l’une des parties prenantes à l’accord. Ce que dit la Commission est qu’une « violation grave de l’Accord de Paris » peut donc conduire à la
« suspension de l’accord ». Ce n’est pas exact.
Un nouvel article portant sur le réchauffement climatique introduit bien une « clause essentielle » qui est formulée ainsi : chaque partie prenante doit « rester membre, de bonne foi, à la CCNUCC et à son accord de Paris »4. Notons d’abord que cette formulation est précédée d’une phrase qui affirme que les parties « reconnaissent le rôle du commerce dans la réponse à la menace urgente du changement climatique ». Etonnant pour un passage qui devrait restreindre ce commerce en cas de manquement à la lutte contre le changement climatique.
Mais il y a plus important : la « clause essentielle » ne porte pas sur les engagements ou les politiques climatiques menées par les États … mais sur l’appartenance à l’Accord de Paris et à la CCNUCC. Il ne saurait donc être reproché à un État qui resterait membre de ces deux instances internationales mais qui ne respecterait pas ses engagements internationaux ou mènerait des politiques manifestement contraires à la lutte contre le changement climatique de ne pas satisfaire cette clause essentielle.
Contrairement à ce que laisse entendre la Commission européenne, l’accord UE-Mercosur ne pourrait donc pas être suspendu si un État violait ses engagements climatiques ou menait une politique contraire aux engagements qu’il a pris dans le cadre de l’accord de Paris. Il ne pourrait l’être que dans le cas particulier où un État se retirerait officiellement de l’accord. Dit autrement, si Bolsonaro revient au pouvoir au Brésil, l’accord ne pourra être suspendu qu’au cas où il déciderait de quitter l’accord de Paris, et non s’il décidait de ne pas respecter la politique climatique promise par le Brésil dans le cadre de l’accord de Paris. Les garanties apportées sont donc très faibles.
Par ailleurs, dans le cas de figure où un État décidait de se retirer de l’accord de Paris, il est prévu qu’il y ait d’abord des « consultations urgentes » entre les États parties prenantes de l’accord de libre-échange afin de trouver une solution acceptable de toutes les parties. Une période d’examen et d’analyse de la situation devra donc être respectée et, le temps de celui-ci, l’accord de libre- échange, sera toujours pleinement appliqué.
Si la violation de la clause essentielle est confirmée, et une suspension possible, il est important de noter que le texte finalisé indique clairement que l’accord de libre-échange ne serait pas suspendu globalement, mais uniquement pour le pays ayant violé cette clause essentielle. Etant donné que les pays de l’UE d’un côté, et les pays du Mercosur de l’autre, forment dans chaque région des zones de libre-échange régionales, suspendre l’accord de libre-échange pour la seule Argentine ou la seule Hongrie semble peu opératoire.
Nous avons là ce qui est une constante en matière commerciale : si les accords de libéralisation du commerce ne cessent d’être justifiés au motif qu’ils contribuent positivement « vers de faibles émissions de gaz à effet de serre et un développement résilient au changement climatique, ainsi qu’au renforcement de la capacité d’adaptation aux effets néfastes du changement climatique »
- Document de la Commission européenne sur l’accord UE-Mercosur et le développement durable https://ec.europa.eu/commission/presscorner/api/files/attachment/880029/Factsheet%20EU-Mercosur%20Trade
%20Agreement%20-%20Sustainable%20Development.pdf
- La CCNUCC est la Convention cadre des Nation-Unies sur le changement climatique, soit le cadre onusien de négociations depuis plus de 30 sur le climat.
(alinéa 23 de l’annexe), les manquements des États dans la mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses ne sont généralement pas mobilisés pour suspendre tout ou partie des dispositions de libéralisation du commerce prévues par ces mêmes accords.
—
Cas pratique : l’accord de Paris et la Nouvelle-Zélande
Dans son effort de communication, la Commission européenne laisse penser que cette clause essentielle serait la même que celle introduite dans l’accord de libre-échange UE-Nouvelle- Zélande adopté par les 27 États-membres et une très large majorité du Parlement européen en 2023-2024. Là aussi, la Commission s’écarte du texte adopté. Dans l’accord UE-Nouvelle-Zélande, les parties s’engageaient à prendre des sanctions en cas « d’actions ou d’omissions allant matériellement à l’encontre de l’objet et du but de l’Accord de Paris ». Soit une définition plus large de l’inaction climatique portant également sur la mise en œuvre effective des politiques climatiques promises. Ce n’est pas ce que dit l’accord UE-Mercosur. De plus, alors que la Nouvelle-Zélande s’apprête à lever l’interdiction de l’exploration d’hydrocarbures dans les eaux néo-zélandaises, la Commission européenne n’a pas, à notre connaissance, menacé le nouveau gouvernement néo- zélandais de suspendre l’accord de libre-échange entré en application au 1er mai 2024. D’une manière plus générale, il existe des clauses essentielles dans plusieurs accords de libre-échange négociés par l’Union européenne qui, bien que non respectées, n’ont pas entrainé la suspension de l’accord de libre-échange.
3. Un engagement contraignant en matière de lutte contre la déforestation ?
La déforestation en cours dans plusieurs des pays du Mercosur, tant de l’Amazonie que de forêts sèches, a été au cœur des critiques émises contre la négociation et la conclusion de cet accord de libre-échange. Notamment parce que cet accord va encourager des filières agricoles qui sont responsables d’une partie de l’accroissement de la déforestation. Pour couper l’herbe sous le pied à ces critiques, la Commission européenne communique sur « un engagement légalement contraignant » que les États du Mercosur auraient accepté pour « stopper la déforestation d’ici à 2030 ».
Ce n’est pas le cas, ni du côté du contenu de l’engagement, ni du côté de sa force exécutoire. Sur le premier plan, dans la nouvelle annexe négociée depuis deux ans, les parties « réaffirment leurs engagements internationaux en la matière et mettent en œuvre des mesures, conformément à leurs lois et réglementations nationales, afin d’empêcher la poursuite de la déforestation et d’intensifier les efforts visant à stabiliser ou à accroître le couvert forestier à partir de 2030 » (alinéa 16).
L’engagement est de fait assez limité : il ne s’agit pas d’un engagement d’ici à 2030 (« by 2030 » en anglais) mais à compter de 2030 (« from 2030 » en anglais). Par ailleurs, cet engagement réaffirme juste ce que les parties ont déjà promis de faire dans le cadre de leurs engagements internationaux. La première version de cette annexe initialement proposée par la Commission européenne comprenait un engagement nouveau et chiffré : réduire la déforestation de 50% d’ici à 2025. Il a été supprimé.
Enfin, ces engagements ne comportent aucune dimension exécutoire. Si ces promesses ne sont pas tenues, aucune des parties ne peut ouvrir une procédure dans le cadre du dispositif des règlement des différends entre États prévu par l’accord. En cas de manquement à ces engagements, seul un processus de « consultations » pourrait voir le jour, qui pourrait déboucher sur un « groupe d’experts indépendants » chargé de formuler des recommandations non contraignantes. On a connu plus contraignant.
4. Un « mécanisme de rééquilibrage » qui restreint des politiques publiques de restriction des importations pour des raisons sociales et/ou écologiques
Depuis la reprise des négociations fin 2022 début 2023, les politiques européennes visant à restreindre de fait les importations provenant des pays du Mercosur, comme le règlement européen sur la « déforestation importée », étaient un point de blocage entre la Commission européenne et les pays du Mercosur. Ces derniers les voient comme une entrave illégitime au commerce et à l’exportation de leurs produits agricoles. Pendant un temps, il a été mentionné que les pays du Mercosur voulaient obtenir une compensation monétaire de 12,5 milliards d’euros.
Celle-ci a-t-elle consentie par la Commission européenne ? En partie ? Le texte de l’accord ne permet pas de le dire.
Par contre, la Commission européenne a consenti l’introduction dans l’accord d’un mécanisme jusqu’ici jamais utilisé dans les accords de libre-échange négociés par l’UE. Il est intitulé
« mécanisme de rééquilibrage » (« rebalancing mechanism »). Il fonctionne ainsi :
- si l’UE ou un pays du Mercosur considère « qu’une mesure appliquée par l’autre partie annule ou compromet substantiellement tout avantage découlant pour lui des dispositions couvertes, d’une manière qui affecte défavorablement le commerce entre les parties »
- Il est alors possible de solliciter un arbitrage ad hoc pour se prononcer sur la mesure en question ;
- si l’avis de la partie plaignante est confirmé, alors elle peut prendre des mesures « de rééquilibrage », telles que l’augmentation de droits de douane pour compenser les pertes supposées de ses acteurs économiques.
Un mécanisme qui remet en cause le droit à réguler ?
Dans les faits, un tel mécanisme vise à dissuader la mise en œuvre de mesures qui restreindraient les gains attendus par les acteurs économiques des deux côtés de l’Atlantique. Peuvent être l’objet de ce mécanisme « toute mesure prise par une partie, que ce soit sous la forme d’une loi, d’un règlement, d’une règle, d’une procédure, d’une décision, d’une action administrative, d’une exigence ou d’une pratique ». Cette définition, ajoutée au contenu de l’accord, précise qu’il est
« entendu que le terme « mesure » inclut les omissions et la législation qui n’a pas été entièrement mise en œuvre au moment de la conclusion des négociations du présent accord, ainsi que ses actes d’exécution ».
Si la Commission européenne affirme devant les journalistes que ce mécanisme ne restreint pas le droit à réguler et la possibilité de mettre en œuvre les politiques envisagées, une toute autre lecture peut en être faite. Ce mécanisme pourrait en effet dissuader tant les pays du Mercosur que de l’UE de mettre sur pieds de nouvelles « mesures » écologiques, sanitaires, sociales, économiques, industrielles, etc qui auraient pour effet de restreindre les exportations des pays tiers. Cela pourrait générer un « froid réglementaire », dissuadant la mise en œuvre de politiques publiques nouvelles.
A l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou la déforestation devrait conduire à mettre en œuvre de nouvelles politiques publiques qui restreignent tant certaines productions que certaines consommations, ce mécanisme pourrait ralentir, retarder ou empêcher la mise en œuvre de politiques climatiques rendues nécessaires. A commencer par le règlement européen sur la déforestation importée (EUDR) ou bien le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM)
—
Cas pratique : Le règlement européen sur la déforestation importée (EUDR)
Interrogée par des journalistes, la Commission européenne a prétendu que cette politique de lutte contre la déforestation ne pourrait pas faire l’objet d’une plainte des États du Mercosur car « il ne s’agit pas de mesures déjà en place, qui ont déjà fait l’objet d’un accord, ou de mesures prévisibles » et qu’il ne faut pas craindre « d’incidence sur le droit à réglementer », précisant que seules les dispositions qui « n’étaient pas du tout prévisibles » pourraient en être l’objet. Compte- tenu que l’EUDR n’a pas été pleinement mise en œuvre, on peut en faire une lecture différente.
Surtout, si l’UE considérait qu’il fallait rendre encore plus strictes les mesures de ce règlement sur la déforestation importée.
—
B. L’économie générale de l’accord est-elle modifiée ?
S’il reste beaucoup à faire pour évaluer les modifications apportées par les nouveaux textes annoncés comme conclus le 6 décembre dernier, l’économie générale de l’accord n’en est pas moins préservée : l’accord UE-Mercosur reste fondamentalement un accord « viandes contre voitures » dont on connaît les filières gagnantes et celles qui ont été sacrifiés sur l’autel de l’ouverture de nouveaux marchés pour les entreprises et filières les plus compétitives des deux côtés de l’Atlantique.
L’économie générale de l’accord n’est pas modifiée car son mécanisme le plus central n’en a pas été modifié : le libre-échange dérégule le commerce international en mettant en concurrence des secteurs, des filières, des entreprises dont les compétitivités-prix sont fort inégales en raison de l’application de règles sociales, environnementales, économiques etc variables, mais aussi en raison de conditions de production (climat, nature des terres, environnement économique, infrastructures, formation des salariés etc) qui le sont tout autant. La résultat est le même : les moins compétitifs des deux côtés de l’Atlantique vont pâtir de cette nouvelle concurrence internationale et sont condamnés à disparaître.
Alors que les pays du Mercosur ont visiblement obtenu un rééquilibrage de l’accord afin de mieux protéger certaines de leurs filières, la Commission européenne n’a obtenu aucun rééquilibrage en matière agricole, malgré les mobilisations du monde agricole : l’ouverture des marchés agricoles européens a servi de monnaie d’échange, quel qu’en soit le coût pour les filières les plus fragiles, pour servir de contrepartie à l’ouverture des marchés et filières sud-américaines aux entreprises exportatrices européennes dans le secteur des services et de l’industrie.
Pris globalement, cet accord de libre-échange va bien bénéficier aux entreprises multinationales européennes (automobile, pharmaceutique, chimie, services etc), y compris françaises, au détriment des entreprises et emplois industriels dans les pays du Mercosur. Ainsi que bénéficier à l’agrobusiness sud-américain au détriment des filières agricoles les plus sensibles en Europe (production de viandes, de sucre, etc). Le tout pour des gains économiques négligeables : l’étude d’impact de la Commission européenne tablait sur 0,1 point de PIB supplémentaire sur 10 ans au sein de l’UE. La prise en compte des nouvelles garanties apportées aux pays du Mercosur devrait encore réduire ce gain espéré.
Sur le plan agricole, la Commission européenne n’a obtenu aucun rééquilibrage de l’accord. Au contraire, elle a accordé des concessions supplémentaires au bénéfice du Paraguay : un quota supplémentaire de 1500 tonnes de porc et un quota supplémentaire de 50 000 tonnes de biodiesel, qui s’ajoutent aux quotas déjà négociés.
Si la Commission a annoncé qu’elle allait créer un fonds d’un milliard d’euros pour indemniser les agriculteurs touchés par les conséquences de l’accord, cela reste à confirmer tant sur la forme, le montant que les modalités de fonctionnement. Et pas sûr que le monde agricole voie ce fonds d’indemnisation d’un bon œil.
C. Pourquoi la Commission européenne a-t-elle pu contourner le Non français ?Qui porte la responsabilité de la conclusion de cet accord ?
La Commission européenne n’a pas à proprement parlé contourné le « Non français ». Elle a pu conclure les négociations parce qu’elle a toujours disposé d’un mandat de négociations au nom des États-membres, y compris de la France, pour conclure cet accord. La France n’a jamais exigé ni l’abandon ni le réexamen de ce mandat. En 2019, Emmanuel Macron avait d’abord soutenu publiquement cet accord en le jugeant comme un « bon accord » respectant « nos normes environnementales et sanitaires », l’accord de Paris et « nos filières sensibles ».
Quelques semaines plus tard, lors du G7 à Biarritz et sous pression des ONG, et alors que la forêt amazonienne brûlait comme jamais, Emmanuel Macron se ravise et la position française devient
« Non en l’état ». Sans que l’exécutif ne décide de mener bataille pour réviser le mandat de négociation de la Commission, pas plus que pour enterrer l’accord UE-Mercosur. En juin 2020, devant la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a même indiqué « avoir stoppé net les négociations avec le Mercosur ». Les négociations se sont pourtant poursuivies.
En septembre 2020, à l’occasion de la remise du rapport de la commission d’évaluation « Ambec » – rapport relativement critique sur le contenu de l’accord – le gouvernement a formulé trois « exigences » :
- que l’accord ne provoque pas « d’augmentation de la déforestation »,
- que les pays du Mercosur respectent « leurs engagements au titre de l’Accord de Paris »,
- « que les produits agroalimentaires importés respectent les normes sanitaires et environnementales de l’UE ».
Une prise de position que la Commission européenne a interprétée comme une demande de précisions et de garanties et non comme une demande de réouverture des négociations sur le contenu de l’accord ni de mettre fin aux négociations et d’enterrer l’accord. Les ministres du commerce extérieur français, Franck Riester puis Olivier Becht, n’ont d’ailleurs cessé d’affirmer qu’il ne fallait pas « mettre à la poubelle » le résultat de 20 ans de négociations.
Plus généralement, E. Macron et le gouvernement se sont longtemps comportés comme s’il suffisait de dire « non » à l’accord UE-Mercosur à Paris mais sans prendre d’initiative majeure pour le réviser et ou l’enterrer à Bruxelles. Au printemps 2023, à l’occasion d’un déplacement au Brésil, le ministre délégué au commerce Olivier Becht a même affirmé vouloir « se donner du temps » pour finaliser l’accord UE-Mercosur, tout en précisant qu’il fallait « évidemment conclure » : « l’accord UE-Mercosur contient des dispositions très favorables à nos entreprises ; c’est pourquoi nous n’avons jamais été opposés à la signature de cet accord » avait-il précisé5.
La très forte mobilisation du monde agricole de l’hiver 2024, faisant du rejet des accords de libre- échange un mot d’ordre fortement repris dans le débat public, a conduit Emmanuel Macron a réaffirmé le 1er février depuis Bruxelles l’opposition de la France à cet accord « en l’état », conduisant à ce que les négociations ne soient pas finalisées avant les élections européennes, mais sans pour autant que le projet d’accord soit abandonné ni profondément modifié.
Au cours de son déplacement au Brésil en avril 2024, Emmanuel Macron a affirmé que l’accord UE-Mercosur « tel qu’il est aujourd’hui négocié est un très mauvais accord », et avait plaidé pour
« bâtir un nouvel accord »6. Mais Paris n’a jamais expressément demandé de rouvrir la négociation sur le contenu de l’accord ni appelé à réexaminer le contenu du mandat avec lequel la Commission négocie. Début mai 2024, dans l’indifférence générale en France, le chef-négociateur européen Rupert Schlegelmilch a confirmé dans un journal brésilien que « l’accord était bien toujours d’actualité » et que « la Commission négociait toujours », précisant que la Commission « avait un mandat de tous les États membres, y compris de la France, pour le faire »7.
Par ailleurs, durant les 24 derniers mois de négociation du document , l’exécutif français n’a pas jugé bon d’informer les parlementaires, les syndicats de salariés ou agricoles et les ONG, encore moins le grand public et les médias, du contenu des négociations et de son appréciation. Les premiers efforts visibles de la diplomatie française à Bruxelles et dans les capitales européennes pour construire une minorité de blocage avec d’autres pays européens datent du mois d’octobre 2024 : on ne gagne pas un marathon en courant les 100 derniers mètres au sprint.
Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs portent donc une responsabilité significative dans la conclusion des négociations de cet accord.
- Paris is warming up to EU-Mercosur deal, but slowly, Politico, 10 juin 2023, https://www.politico.eu/article/france- olivier-brecht-warms-up-to-eu-mercosur-deal-but-not-too-soon-trade-minister-says/
- L’accord UE-Mercosur est « très mauvais », « bâtissons un nouvel accord », dit Emmanuel Macron au Brésil, AFP, 28 mars 2024, https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/28/l-accord-ue-mercosur-est-tres-mauvais- batissons-un-nouvel-accord-dit-macron-au-bresil_6224535_3234.html
- Acordo com Mercosul está muito vivo e aguardamos janela política, diz negociador da UE, Folha de Paulo,
D. Ce projet d’accord peut-il encore être bloqué ?
Les négociations de l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur sont conclues, mais ce n’est pas la fin de l’histoire. L’accord n’entrera en vigueur en vertu du droit international qu’après l’accomplissement par chaque partie des procédures juridiques internes nécessaires à sa ratification et/ou son entrée en vigueur provisoire. Côté européen, il reste plusieurs étapes :
- révision légale du contenu de l’accord et traduction dans toutes les langues européennes
- présentation de l’accord au Conseil : d’ici à 6 mois ?
- présentation au Parlement européen : au dernier trimestre 2025 ?
- (éventuellement) présentation devant les Parlements
Une chose est certaine : le coût politique d’une opposition à l’accord est désormais plus élevé pour chacun des États-membres. L’argument selon lequel il ne faudrait pas jeter 25 ans de négociations à la poubelle après avoir annoncé aux yeux du monde entier un des plus grands accords de libre- échange jamais conclu prend du poids. Néanmoins, à chacune des étapes mentionnées ci-dessus, l’accord pourrait être bloqué. Parce que :
- jamais un accord de libre-échange n’avait tant suscité de résistances et de mobilisations à son encontre dans plusieurs États européens ;
- la décision de conclure les négociations divise les deux principales puissances politiques et économiques européennes, alors qu’elles traversent chacune une période d’instabilité politique ;
- seuls 12 États ont signé un courrier en faveur de la conclusion rapide de l’accord ;
- la France n’est pas isolée car plus d’États européens qu’on ne le dit sont réservés, critiques ou opposés à cet accord, ou sans avis ;
- des mobilisations agricoles peuvent changer la donne dans plusieurs pays européens ainsi qu’à l’échelon européen lui-même ;
- conclure un accord alors qu’une alliance Trump-Milei se constitue, notamment contre les COP-climat, est éloigné des valeurs que l’UE dit promouvoir.
1. Quelle est la position des pays de l’Union européenne ?
Contrairement à ce qui est généralement affirmé, la France est bien moins isolé qu’il n’y paraît et n’est pas le seul pays critique de l’accord UE-Mercosur en Europe. A rebours, quand l’Allemagne a écrit en septembre 2024 à la Commission européenne pour la presser de conclure les négociations, elle n’a trouvé que onze partenaires européens : Croatie, République tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Luxembourg, Portugal, Espagne et Suède. L’essentiel des États-membres de l’UE, soit 15 sur 27, sont donc critiques, réservés, opposés ou sans avis sur l’accord de libre-échange UE-Mercosur. Autant de candidats potentiels pour participer à une minorité de blocage si la France s’était donnée la peine d’entreprendre un véritable travail diplomatique de conviction et de construction d’une telle alliance.
Détaillons pour les pays opposés ou hésitants, en plus de la France :
- Autriche : dès septembre 2019, les parlementaires ont voté une résolution contraignante contre l’accord UE-Mercosur qui oblige le gouvernement à voter contre cet accord lorsqu’il sera soumis au Conseil de l’UE regroupant les 27 États-membres de l’UE. Confirmée depuis, cette position peut être revue suite aux dernières élections.
- Pays-Bas : en juin 2020, les députés ont voté une résolution contre l’accord UE-Mercosur. En février 2023, ils ont voté une résolution qui appelle le gouvernement à voter contre l’accord tant qu’il comprendra un volet agriculture ; en novembre 2024, la chambre basse du parlement a voté contre un accord avec le Mercosur par 109 voix sur 1508 ; en réponse
https://www1.folha.uol.com.br/mercado/2024/05/acordo-com-mercosul-esta-muito-vivo-e-aguardamos-janela- politica-diz-negociador-da-ue.shtml
- Motie van het lid Teunissen s. over de Europese Commissie en de Europese Raad laten weten dat Nederland het EU-Mercosur-verdrag niet zal ondertekenen, https://www.tweedekamer.nl/kamerstukken/moties/detail?
du 16 décembre, le gouvernement dit prendre « au sérieux » ce vote mais précise qu’il n’y a pas de décision définitive9.
- Belgique : le Parlement de la Wallonie s’est exprimé contre l’accord en 2020, une position que le gouvernement wallon vient à nouveau de La Belgique ne devrait donc pas avoir de position commune à l’échelon de l’État.
- Irlande : en février 2024, le Premier ministre irlandais a indiqué que l’accord UE-Mercosur
« ne pouvait être ratifié dans sa forme actuelle », insistant sur les enjeux agricoles ; en novembre 2024, les trois plus grands partis semblaient s’être mis d’accord pour s’opposer à l’accord10.
- Pologne : en novembre 2024, le ministre polonais de l’agriculture, sous pression des organisations agricoles polonaises, s’est exprimé contre l’accord UE-Mercosur pour sa partie agricole ; Le 26 novembre 2024, cette prise de position a été confirmée par Donald
- Kamerbrief onderhandelaarsakkoord EU-Mercosur https://www.rijksoverheid.nl/documenten/kamerstukken/2024/12/16/kamerbrief-inzake-onderhandelaarsakkoord- tussen-de-eu-en-de-mercosur-landen
- https://www.rte.ie/player/series/prime-time/SI0000000825?epguid=IH10002396-24-0085
Tusk11 ;
– Italie : alors que l’Italie est souvent présentée comme favorable à l’accord, le ministre de l’agriculture italien, lui aussi sous pression des organisations agricoles italiennes, s’est exprimé contre cet accord et la concurrence déloyale qu’il institue. En novembre 2024, 21 des 24 eurodéputés italiens ECR du parti de Meloni ont soutenu un amendement au Parlement européen critiquant l’accord. Néanmoins, Meloni ne souhaite visiblement pas prendre position immédiatement, préférant jouer d’une position médiane12.
Pays où la position n’est pas claire / établie : Chypre, Bulgarie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Malte, Roumanie, Slovaquie, Slovénie. Selon des propos d’officiels français, à partir de novembre 2024, la Grèce et Chypre ont exprimé des réserves.
2. Vers un splitting du texte de l’accord ?
Officiellement, la Commission affirme qu’elle n’a pas encore décidé si allait utiliser une astuce procédurale visant à contourner l’opposition d’un certain nombre d’États membres de l’UE et de leurs parlements : le « splitting ». Négocié depuis 1999, l’accord UE-Mercosur est ce qu’on appelle un accord d’association : il ne peut théoriquement être adoptée que si tous les États membres de l’UE l’approuvent en réunion du Conseil à l’unanimité. En d’autres termes, chaque État membre dispose actuellement d’un droit de veto. En outre, les parlements nationaux et/ou régionaux de l’UE sont supposés pouvoir exercer leur droit d’approuver ou de rejeter l’accord au cours du processus de ratification se déroulant dans chaque pays.
Le « splitting » qu’envisage la Commission européenne conduirait à scinder le pilier commercial de l’accord UE-Mercosur du reste du de l’accord. Au lieu d’un accord complet à ratifier, il y en aurait deux. Ainsi, la procédure de ratification du pilier commercial de l’accord serait modifiée : seule une majorité qualifiée de membres du Conseil des 27 États-membres pourrait alors suffire. Le droit de veto serait supprimé, et le Non de la France et d’autres États contourné. Le consentement de tous les États membres de l’UE ne serait plus nécessaire au Conseil, pas plus qu’une ratification nationale (vote aux parlements nationaux ou régionaux, ou autre.
Cette proposition est aujourd’hui suggérée et/ou soutenue par de plus en plus de décideurs politiques et économiques en Europe désirant ratifier cet accord UE-Mercosur quoi qu’il en coûte. Le lobby des constructeurs automobiles allemands a ainsi appelé à scinder l’accord UE-Mercosur en deux pour contourner les oppositions en Europe13. Ce n’est pas nouveau : l’accord UE-Chili, signé en décembre 2023, a été scindé en deux, avec une partie commerciale intérimaire considérée comme ratifiée suite a vote du Parlement européen.
Si une analyse juridique que nous avons co-publiée montrerait que cette pratique violerait le mandat initial confié à la Commission européenne, ce risque implique pour tout état désireux de
« bloquer » les négociations avec le Mercosur de constituer au sein des 27 membres de l’UE une minorité de blocage, seule en mesure d’écarter ce risque : 4 États minimum comptant pour 65% de la population européenne14.
AITEC
version au 19 déc. 2024
Auteur : Maxime Combes, économiste en charge des politiques de commerce et de relocalisation à l’Aitec,
et spécialiste du commerce international et des accords de libre-échange. En lien avec nos partenaires européens. Contact : 06 24 51 29 44 – maxime.combes@gmail.com (joignable sur Bluesky, Twitter, Facebook, Instagram, Linkedin) L’Aitec est membre & co-anime le collectif national Stop Mercosur (https://www.collectifstoptafta.org @StopTAFTA)
- https://x.com/PremierRP/status/1861369564745080880
- Macron can’t count on Meloni to kill the EU’s trade deal with South America, Politico, 16 décembre 2023, https://www.politico.eu/article/giorgia-meloni-italy-emmanuel-macron-france-eu-mercosur-trade-deal-south- america/
- Les constructeurs automobiles allemands appellent à scinder l’accord UE-Mercosur en deux face à la résistance française, Euractiv, 31 janvier 2024, https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-constructeurs-automobiles- allemands-appellent-a-scinder-laccord-ue-mercosur-en-deux-face-a-la-resistance-francaise/
- Il est possible https://consilium.europa.eu/en/council-eu/voting-system/voting-calculator/