26,0 milliards d’euros : il s’agit du déficit budgétaire de la Belgique en 2023, soit 4,4% du PIB. 30,4 milliards d’euros : ce sont les pertes de recettes fiscales pour l’Etat belge, engendrées par l’évasion fiscale (fraude fiscale et évasion fiscale illégitime), soit 5,2% du PIB. Les effets ravageurs de l’évasion fiscale annuelle sont donc supérieurs au déficit budgétaire, mais les gouvernants n’en font pas état. Leur devoir serait pourtant d’alerter chaque citoyen belge actif du fait que l’évasion fiscale lui « coûte » en moyenne chaque année 6.050 euros et que l’évasion fiscale équivaut à 2,6 mois d’un salaire net moyen de 2.350 euros par mois pour un temps plein.
614,9 milliards d’euros. De quoi s’agit-il ? De la dette publique de la Belgique à fin 2023, soit 105,2% du PIB. Face à un tel endettement, les mêmes -nos gouvernants- déclarent à l’envi qu’il est coupable et impossible de laisser un tel fardeau à nos enfants et petits-enfants. En revanche, on ne les entend jamais dire que le fardeau en question, toutes choses égales par ailleurs, pourrait être réduit de près de 25% en une législature (5 ans) s’ils combattaient réellement l’évasion fiscale et la réduisaient à néant.
383,0 milliards d’euros. De quoi s’agit-il ? Du montant des paiements des entreprises belges (au nombre de 765) vers les paradis fiscaux ,effectués en 2020 et déclarés en 2021. 83,2% du PIB de l’année concernée ; en constante et vertigineuse augmentation depuis le premier montant communiqué par le Ministère des Finances au titre de 2015. Vertigineux, certes ; mais pas autant que l’impossibilité pour le citoyen d’en connaître la composition, suite au rapport de la Cour des Comptes du 27 juin 2022, qui s’était autosaisie de la question, considérant que « les montants considérables en jeu suscitent l’intérêt constant du Parlement et de la presse ». A ce jour, le vertige est tel que l’Administration fiscale et son Ministre de tutelle n’ont plus communiqué aucune donnée en la matière depuis lors ! Quid des paiements effectués en 2021 et 2022 et déclarés en 2022 et 2023 ? Mystère bien gardé.
La Belgique n’est pas un cas particulier. En France, l’évasion fiscale se situe dans une fourchette comprise entre 100 et 120 milliards d’euros (de 3,6% à 4,3% du PIB 2023) . Pour l’ensemble de l’Union Européenne, elle atteint 1.000 milliards d’euros (5,9% du PIB 2022).
Le fléau de l’évasion fiscale pénalise tous les pays. Ainsi, l’évasion fiscale des multinationales au sein de l’Union Européenne est un « aspirateur » qui absorbe en cumul 369 milliards d’euros en provenance des pays du Sud, soit le double de l’intégralité de l’aide au développement.
Le rapport de force au bénéfice de ces industriels est terrifiant et s’amplifie d’année en année malgré la succession ininterrompue de scandales (les fameux « Leaks »). Pour s’en convaincre, il suffit d’observer sur une période longue l’évolution des effectifs des plus importants organisateurs de l’évasion fiscale que sont les « Big Four », ces grands cabinets d’audit et de conseil (Deloitte, PwC, EY et KPMG) et d’y superposer les multiples « Leaks » qui ont éclaté les uns après les autres. Ils étaient 560.000 en 2007. En 2020, ils étaient près de 1.100.000. En 2023, ils sont 1.515.000, la 3
entreprise dans le monde en termes d’effectifs (derrière Amazon et Walmart).
En 2020, pour leur seule activité « Tax » sur la planète, ils étaient 263.000 personnes et réalisaient un chiffre d’affaires de 35,8 milliards de dollars. Pour la Belgique, pour leur seule activité « Tax », ils étaient 3.200 en 2020 contre 2400 en 2016. En face d’eux, l’administration fiscale belge voyait ses effectifs dévolus à la fonction contrôle à 150 pour les grandes entreprises, 1.500 pour les PME, 800 pour les particuliers, 443 pour l’Inspection Spéciale des Impôts (ISI) et 100 pour les droits d’enregistrement et de succession, soit au total un effectif de 2.993 personnes pour traiter de plus de 9.100.000 contribuables/assujettis cependant que les Big Four, plus nombreux, conseillent une infime partie de ces millions de contribuables, à savoir exclusivement les très grandes et grandes entreprises et les très riches particuliers, avec un effectif supérieur de 7% passé à 32% en 2023 !
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En 2023, au plan mondial, les Big Four sont près de 347.000 à se consacrer au conseil fiscal, une augmentation de 32% en seulement 3 années. Les taux de progression du conseil fiscal étant historiquement plus élevés dans les paradis fiscaux – et la Belgique en fait partie (pour ce qui ne concerne pas les revenus du travail) au même titre que d’autres au sein de l’Union Européenne, comme le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande, Malte et Chypre – les effectifs des Big Four dévolus en 2023 au conseil fiscal en Belgique dépassent certainement les 4.200 personnes tandis que l’administration fiscale aura vu ses ressources dédiées au contrôle au mieux stagner, voire se réduire.
Ce qui s’observe pour la Belgique se vérifie en France et dans bon nombre d’autres pays, notamment au sein de l’Union Européenne.
Que penser de gouvernants qui désarment leur propre Administration fiscale tout en passant commandes, à prix d’or, auprès de ces géants de l’industrie de l’évasion fiscale qui pillent l’Etat qu’ils sont censés défendre
Que penser de tels gouvernants qui, tout en prétendant vouloir aller vers moins d’injustice fiscale, agissent directement ou de manière complice pour désarmer leur propre Administration fiscale tout en passant commandes, à prix d’or, pour des centaines de millions d’euros auprès de ces géants de l’industrie de l’évasion fiscale qui pillent l’Etat qu’ils sont censés défendre ? Ce point vaut pour nombre de pays, au sein de l’Union Européenne, comme ailleurs ainsi que pour des Institutions supranationales, telles que la Commission Européenne.
Le mythe de la lutte contre l’évasion fiscale constamment entretenu par les gouvernants.
Si les déclarations retentissantes des gouvernants en matière de lutte contre l’évasion fiscale se traduisaient dans leurs actes, l’on verrait la présence de ces industriels y diminuer. Or, c’est l’inverse
L’analyse, par pays, de la surreprésentation des effectifs des industriels de l’évasion fiscale – les Big Four au premier chef – au regard du PIB et/ou de la population active est un formidable révélateur de la carte mondiale des paradis fiscaux. Si les déclarations retentissantes des gouvernants en matière de lutte contre l’évasion fiscale se traduisaient dans leurs actes, l’on verrait la présence de ces industriels y diminuer. Or, c’est l’inverse qui se produit. Sur 40 paradis fiscaux étudiés, la surreprésentation s’élevait à 125.000 personnes, soit 56% des effectifs totaux. Le Luxembourg en est le meilleur exemple, presque une caricature.
Les Luxleaks ont éclaté en novembre 2014. Les Big Four réalisaient alors un chiffre d’affaires de 849 millions d’euros, dont 243,2 millions en conseil fiscal. Ils employaient 6.470 personnes, dont 1.843 pour le conseil fiscal. En 2020, leur chiffre d’affaires était passé à 1.321 millions, dont 377,3 millions au titre du conseil fiscal. Quant aux effectifs, ils atteignaient 8.535 personnes, dont 2.423 pour le conseil fiscal. Des taux de croissance « à la chinoise », dans un pays dont le PIB (déjà gonflé par son statut de paradis fiscal) et la population active justifieraient la présence de 300 Big Four maximum ! Mais chaque année vient battre les records de l’année précédente. Pour 2023, derniers chiffres connus, le chiffre d’affaires des Big Four a atteint 1.742 millions, les effectifs avoisinant les 11.500 personnes, dont 3.300 personnes pour le seul conseil fiscal. Le Luxembourg qui n’est pas considéré comme un paradis fiscal, ni par l’Union Européenne, ni par l’OCDE, dénombre donc 1 Big Four pour 30 actifs !
Le point de vue d’un célèbre magistrat au-dessus de tout soupçon de parti pris politique.
Il y a quelques semaines, le juge Renaud Van Ruymbeke ayant conduit de nombreuses affaires politicofinancières, à droite comme à gauche, nous quittait. Le 01 octobre 1996, il lançait avec 6 autres magistrats européens l’Appel de Genève afin d’obtenir, notamment, une harmonisation fiscale et judiciaire européenne qui permettrait, notamment, la levée du secret bancaire, afin de lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent issu de la criminalité. Fin 2022, il publiait un nouveau livre intitulé « Offshore. Dans les coulisses des paradis fiscaux ». Il y écrivait dans le chapitre « Plaidoyer pour l’abolition des privilèges » :
« …On ne peut accepter qu’une telle situation perdure, au risque de susciter la colère légitime des citoyens. Les solutions existent. Il suffit de les adopter et de les exécuter. Tout ce qui a été entrepris à ce jour, malgré quelques avancées, est resté, force est de le constater, sans effet. Il manque une véritable volonté politique de la part des Etats ».
Ne pas contribuer à l’effort collectivement consenti qu’est l’impôt, c’est le dénominateur commun entre évasion et fraude fiscale
Il décrivait Dubaï et les Emirats Arabes Unis en général comme le paradis fiscal par excellence, l’une des toutes premières destinations des milliards de paiements effectués par les entreprises belges sur lesquels les gouvernants belges refusent de s’expliquer. Il insistait sur la frontière parfois si ténue entre la fraude et l’évasion fiscale (illégitime) qu’il est difficile de les distinguer. Dans les deux cas de figure en effet, les montages sont particulièrement sophistiqués et poursuivent le même objectif : ne pas contribuer à l’effort collectivement consenti qu’est l’impôt. C’est le dénominateur commun entre évasion et fraude fiscale. Le seul fait de créer un montage complexe et artificiel pour transférer les bénéfices du pays où s’exerce l’activité d’une entreprise multinationale vers un pays faiblement taxé ne fait-il pas passer l’opération du domaine de l’évasion à celui de la fraude ? Un simple jeu d’écritures peut-il justifier de tels transferts et entraîner de telles conséquences préjudiciables à la collectivité, écrivait-il encore ? Près de 30 années après l’ Appel de Genève, il s’évertuait encore à demander que ce qui est illégitime mais légal devienne illégal.
La société civile mise à l’écart.
En Belgique, face à l’hypocrisie des gouvernants partagée par ceux de bien d’autres pays, face au silence général des représentants élus (à deux exceptions notables près, ils se reconnaîtront), la société civile s’est mobilisée et a procédé à leurs interpellations par dizaines, qu’il s’agisse des Dubaï Papers, des plaintes déontologiques déposées dans ce cadre à l’encontre d’avocats fiscalistes et d’un expert-comptable, des Pandora Papers, des 383 milliards de paiements d’entreprises belges vers des paradis fiscaux, de l’évasion fiscale aux droits de succession parfaitement symbolisée par l’affaire Verbruggen qui dure depuis plus de 22 années sans que le moindre centime de droits n’ait été payé alors que l’enjeu est de l’ordre de 100 millions d’euros. Elle s’est systématiquement heurtée au mur d’ordres professionnels (avocats fiscalistes, experts-comptables, réviseurs d’entreprises ; les 3 lames du couteau suisse de l’évasion fiscale) qui s’auto-protègent au lieu de s’auto-réguler au point qu’il n’est pas exagéré de parler d’élites délinquantes, au mur d’une impuissance d’Etat volontaire suivie d’un véritable mépris d’Etat, notamment dans cette affaire des 383 milliards de paiements vers des paradis fiscaux qui a vu la Cour des comptes pas mieux traitée que la société civile et le Ministère des Finances et son Administration s’embourber dans leurs contradictions et mensonges avérés.
Cette mise à l’écart de la société civile par les gouvernants est générale pour ce qui touche à la fiscalité
Cette mise à l’écart est générale pour ce qui touche à la fiscalité. Il ne pourra y être mis fin qu’en substituant à l’opacité qui prévaut en matière fiscale, comptable et financière toute la transparence nécessaire de la part des Administration fiscales, qu’appelait de ses vœux Thomas Piketty dans un article de son blog du 16 février 2021 intitulé
« Le temps de la justice sociale », afin que les gouvernements fournissent des indicateurs permettant à tout un chacun de vérifier dans quelle mesure on s’oriente ou non vers un système fiscal moins injuste.
Volonté politique affirmée contre absence de volonté politique.
“Absence de volonté politique” ? La réalité est toute autre : on constate une volonté politique extrêmement ferme et constamment démontrée des gouvernants de mener en matière fiscale une politique terriblement conservatrice et libérale
L’on entend souvent parler d’absence de volonté politique pour tenter de justifier de l’inaction caractérisée de la part des gouvernants en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Ce prétendu argument masque une réalité toute autre : d’une part une volonté politique extrêmement ferme et constamment démontrée des gouvernants de mener en matière fiscale une politique terriblement conservatrice et libérale aboutissant notamment à taxer très lourdement le travail et à se montrer très attractive pour le capital et d’autre part une absence de volonté politique de gouvernants se disant enclins à porter des réformes fiscales allant dans le sens d’un beaucoup plus grande justice, mais sans s’en donner les moyens, une fois les élections passées, ne serait-ce qu’en laissant, par exemple, aux autres, sans véritablement combattre, le poste de Ministre des Finances. A cet égard, le livre de Simon Watteyne,
« Lever l’impôt en Belgique, une histoire de combats politiques» est édifiant.
La Cour des comptes de Belgique qui, décidément, publie des rapports fort instructifs démontre ce à quoi peut conduire le non-combat politique en la matière. Elle l’a fait dans 3 cas précis :
– A propos des paiements des entreprises belges vers des paradis fiscaux, la Cour des comptes, dans son rapport du 27 juin 2022, répond ainsi aux 3 questions qu’elle s’était posées :
- La réglementation relative aux paiements effectués vers les paradis fiscaux est-elle claire et cohérente ? Elle n’est ni claire, ni cohérente.
- L’Administration fiscale est-elle suffisamment organisée en vue d’un contrôle efficient et efficace des paiements effectués vers les paradis fiscaux ? Elle n’est pas suffisamment organisée
- L’obligation déclarative et sa réglementation contribuent-t-elles à la réalisation de l’objectif stratégique en matière de lutte contre la fraude fiscale internationale ? Elles n’y contribuent pas.
La cellule Paradis Fiscaux de l’Administration, présentée comme le fer de lance de la lutte contre l’évasion fiscale est constituée de 4 personnes employées …à temps partiel
A cette occasion, elle avait permis de découvrir que la cellule Paradis Fiscaux de l’Administration, présentée comme le fer de lance de la lutte contre l’évasion fiscale était constituée de 4 personnes employées …à temps partiel !
– A propos de la taxe Caïman instaurée en 2015 puis renforcée en 2017, dans le but de lutter contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale par le biais de constructions dans des pays étrangers exotiques, la Cour conclut, entre autres, dans son rapport du 04 mai 2023 que des problèmes importants perdurent : ainsi, la taxe Caïman ne fonctionne pas dans le cadre de l’impôt successoral ; l’action des conventions de prévention de la double imposition réduit la portée et les effets de la taxe ; bien que la taxe Caïman ait précisément été introduite pour prévenir l’évasion fiscale, il peut parfois s’évérer plus avantageux d’y être soumis malgré tout ; la législation sur la taxe Caïman n’a jamais fait l’objet d’une évaluation approfondie. Elle souligne enfin qu’il est impossible de mesurer si la législation atteint ses objectifs, faute d’instruments d’enregistrement spécifiques, tout en notant que les résultats de quelques contrôles permettent de conclure que les recettes réelles sont nettement inférieures à celles qui avaient été inscrites au budget.
– A propos de la perception des droits de succession par le SPF Finances, objet de son rapport du 16 mars 2016, la Cour des comptes écrit « que la gestion par l’Etat des droits de succession n’est vraiment pas adaptée aux successions à enjeux financiers importants ». Elle va plus loin encore en exposant que la régionalisation inaboutie de cette gestion -pour la Région Bruxelles Capitale et la Région Wallonne- engendre un double effet :
« déresponsabilisation au sein des services fédéraux qui continuent en principe à gérer un impôt dont les recettes seront encaissées par l’une ou l’autre des deux régions précitées et décision stratégique de ces services de concentrer leurs moyens sur les activités dont ils garderont le contrôle, la mission fiscale devenant non stratégique ».
Une véritable aubaine pour cette élite d’avocats et conseils en tous genres qui conçoivent et organisent, pour leurs riches clients, les schémas d’évasion fiscale aux droits de succession sous l’œil de régions qui attendent d’encaisser ce que le Fédéral ne considère plus comme fondamental.
Et pourtant, l’héritage n’est-il pas une cause majeure d’accroissement des inégalités ? Ne dénombre-t-on pas maintenant des milliardaires qui le sont devenus par héritage ?
Ces renoncements au combat politique sur de tels sujets sont non seulement dramatiques pour la collectivité et le bien commun, mais ils font en outre le lit de l’extrême droite.
Le commode retranchement de certains politiques derrière l’Union Européenne, l’OCDE ou encore l’ONU.
Certains gouvernants, pour justifier de leur immobilisme local, expliquent que le salut doit venir d’un niveau supranational
Faisant semblant d’oublier que la sacro-sainte liberté absolue de circulation des capitaux au sein de l’Union Européenne et la concurrence fiscale qui l’accompagne sont une cause majeure de l’évasion fiscale, certains gouvernants, pour justifier de leur immobilisme local, expliquent que le salut doit venir d’un niveau supranational. Et pour ce qui concerne l’Union Européenne, ils attribuent l’immobilisme qui y prévaut aussi à la règle de l’unanimité exigée en matière fiscale. Ils oublient ou font semblant d’oublier que le passé et le futur qui s’annonce aurait pu ou pourrait faire que des majorités libérales aggravent encore le conservatisme fiscal et que, dans cette mesure, la règle de l’unanimité doit plutôt être considérée comme une protection contre encore plus de concurrence fiscale. Voir des socialistes soutenir l’austérité prônée par les instances européennes et souscrire à leur immonde pacte migratoire implique la plus grande prudence en d’autres domaines, notamment dans celui de la fiscalité.
Se retrancher derrière l’OCDE en se félicitant par exemple du taux minimal d’imposition de 15% sur les profits offshore des multinationales, comme l’écrit Thomas Piketty sur son blog le 15 juin 2021 :
« c’est ni plus ni moins que l’officialisation d’un véritable permis de frauder pour les acteurs les plus puissants ».
Pour les petites et moyennes entreprises comme pour les classes populaires et moyennes, il est impossible de créer une filiale pour délocaliser ses profits ou ses revenus dans un paradis fiscal. Pour tous ces contribuables, il n’existe pas d’autre choix que de payer l’impôt de droit commun. Or si l’on additionne l’impôt sur le revenu et sur les bénéfices, les salariés comme les indépendants petits ou moyens se retrouvent à payer des taux très nettement supérieurs à 15%, lequel taux nominal se transformera en taux effectif vraisemblablement inférieur. Se retrancher derrière l’OCDE, c’est aussi s’accommoder facilement du fait que cette organisation ne recense pas de paradis fiscaux, ni au sein de l’Union Européenne, ni aux USA, le plus grand paradis fiscal au monde. C’est aussi oublier que les pays en développement, pourtant très fortement victimes de l’évasion fiscale, y ont peu voix au chapitre, c’est un euphémisme.
Face à l’iniquité dont elle est victime de la part de l’OCDE, l’Afrique est parvenue à obtenir de l’ONU, fin 2023, une résolution pour l’élaboration d’un cadre de coopération fiscale international plus inclusif. Il s’agit maintenant de savoir si cela va servir de paravent aux plus puissants pour continuer à préserver leurs intérêts tout en faisant semblant de s’ouvrir à la négociation au sein d’une organisation où ces mêmes puissants disposent de pouvoirs exorbitants. Les rapports de force étant ce qu’ils sont, on attachera sans doute, malheureusement, plus d’importance aux propos de Janet Yellen, secrétaire au Trésor des Etats-Unis, qui déclarait tout récemment être opposée au projet d’une taxation mondiale des plus riches.
La mortelle injustice climatique en plus de l’injustice fiscale et sociale.
Les nécessaires ressources financières publiques vont croître à une vitesse phénoménale et l’évasion fiscale, qui est déjà insupportable, deviendra suicidaire
Les données scientifiques nous le prouvent : la survie du Vivant est en jeu. Les investissements à réaliser pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être sont absolument considérables et pour bon nombre d’entre eux, devront être effectués sans aucun retour financier ce qui nécessite qu’ils le soient par le domaine public. Les investisseurs privés n’investissent eux que dans la mesure où ils peuvent tabler sur un « retour sur investissement ». Les nécessaires ressources financières publiques vont croître à une vitesse phénoménale et l’évasion fiscale qui est déjà insupportable, par sa violence notamment, deviendra suicidaire, sauf à instituer un système où, à un véritable apartheid fiscal déjà en vigueur et source d’injustice sociale, viendrait s’ajouter un apartheid climatique dont on peut déjà observer les prémices en certaines contrées de la planète.
Mettre un terme extrêmement rapide à l’évasion fiscale, à l’existence de tous les paradis fiscaux ainsi qu’aux zones franches et ports francs dont on ne parle pas assez, à la concurrence fiscale mortifère est d’une absolue nécessité, au sens où il ne peut en être autrement. Il s’agit en effet d’une condition de survie incompatible avec l’existence d’une minorité extrêmement puissante (personnes physiques et personnes morales) qui a véritablement fait sécession en faisant fi de tout consentement à l’impôt.
Va-t-on, pour reprendre les termes de Laure Debove (« La Relève et la Peste », 23 mars 2023), « assister au suicide de l’Humanité parce que la finance est au-dessus de tout ? Où est l’équité si on ne peut même pas demander 0,1% aux marchés financiers alors même que les plus pauvres paient 6% de Tva pour manger ? ».
Va-t-on continuer à ignorer que :
« la seule réalité tangible que peuvent saisir les autorités fiscales d’un pays sont les flux financiers entre entreprises, au moment où ils transitent d’une filiale domestique vers une filiale étrangère. Une taxe sur les flux de capitaux entre filiales d’un même groupe, ou plus largement sur les flux de capitaux entre pays, permettrait de restaurer un équilibre en reterritorialisant des capitaux qui, sinon, échappent presque complètement à l’impôt» ? (Guillaume Vuillemey, « Le temps de la démondialisation, Protéger les biens communs contre le libre-échange » Octobre 2022).
383 milliards de paiements de 765 entreprises belges vers 30 paradis fiscaux qui ne sont pas les plus importants et qui excluent les paradis fiscaux de l’Union Européenne (ils sont une centaine répertoriés dans le monde), c’est à due proportion 13.200 milliards à l’échelle de l’UE , une assiette taxable qui pourrait rapporter gros et qui n’inclut pourtant pas d’autres masses énormes de transactions financières, telles que les opérations dites de « cash pooling » aller et retour vers des paradis fiscaux.
Si la lutte pour la survie du Vivant est à l’image de celle prétendument menée depuis des dizaines et dizaines d’années contre l’évasion fiscale , alors le Vivant n’y survivra pas
On pourrait multiplier les interrogations. On s’en gardera pourtant et l’on se « contentera » de conclure que si la lutte pour la survie du Vivant est à l’image de celle prétendument menée depuis des dizaines et dizaines d’années contre l’évasion fiscale , alors le Vivant n’y survivra pas. C’est pourtant ce que font nos actuels gouvernants qui prétendent, pour justifier leurs mesures d’austérité, vouloir éviter à nos enfants et petits-enfants le poids de la dette, lesquels trouveront la chose bien dérisoire sur une planète devenue invivable !
Christian Savestre