La ruée minière au XXIe siècle

Chaque jour, par l’usage de centaines d’objets et notre appétit de technologie, nous dévorons la terre: cuivre, argent, lithium… Saviez-vous qu’aux États-Unis on recense 500 000 mines abandonnées ? Que la pollution minière est irréversible ? Il est urgent de saisir les effets désastreux de l’extractivisme. Nous publions des extraits du remarquable livre-enquête de Celia Izoard.

 

Ces Bonnes feuilles sont extraites du prologue et de la conclusion finale de Celia IzoardLa Ruée minière au XXIe siècle. Enquête sur les métaux à l’ère de la transition, Seuil, 2024. 

Sur un lac de montagne, une oie sauvage est traquée par un drone. Il est équipé de grandes pattes métalliques, de lumières stroboscopiques et de sirènes hurlantes. Depuis un ponton aménagé sur la rive, des hommes l’observent, fusil à la main, prêts à tirer. L’oie ne bouge pas. Un instant plus tard, faute d’avoir réagi à la présence du drone, elle est prise en chasse par un petit bateau télécommandé qui fonce vers elle dans un petit nuage d’écume palpitante. L’oie s’envole. Étrange vision que cet arsenal dirigé contre un oiseau blanc tranquillement posé sur l’eau. La séquence est diffusée dans un journal télévisé, aux États‑Unis, en 20181.

Pour comprendre cette séquence, il faut revenir deux années en arrière. Un jour de novembre 2016, dans la petite ville minière de Butte dans le Montana, il a plu des oies sauvages. Il en est tombé, mortes, dans les rues, sur le parking du Walmart, devant le casino. Sur le lac de montagne qu’on aperçoit dans la vidéo, on a retrouvé près de 4 000 cadavres, cotonneuse marée de plumes blanches flottant à la surface de l’eau. Ce jour‑là, 10 000 oies s’étaient posées sur le lac pour s’abreuver pendant leur migration.

Mais le lac n’est pas un lac, c’est le Berkeley Pit, une mine de cuivre à ciel ouvert exploitée entre 1955 et 1982. Et l’eau n’est pas de l’eau, c’est une mer d’acide pleine de cadmium et d’arsenic. Quand on a arrêté d’exploiter cette fosse et de pomper l’eau du sous‑sol pour accéder au gisement, la nappe phréatique est remontée, comme souvent à la fin des travaux miniers. La pyrite contenue dans la roche a acidifié l’eau qui a fait réagir les autres minéraux présents dans la roche. Les oiseaux s’y empoisonnent en quelques minutes.

Avant novembre 2016, les habitants de Butte avaient déjà vu des oies sauvages mourir en masse après avoir fait étape sur le Berkeley Pit. Mais après cette dernière intempérie macabre, les autorités ont contraint Montana Resources, actuelle exploitante de la mine de cuivre, et Atlantic Richfield Company (Arco), filiale de BP et ancienne exploitante, à prendre des mesures de protection.

La mine de cuivre à ciel ouvert de Berkeley Pit, qui forme désormais une mer d’acide pleine de cadmium et d’arsenic, restera hautement toxique pour plusieurs milliers d’années.

La chose est plus compliquée qu’il n’y paraît. La fosse de deux kilomètres de long est trop vaste pour qu’on puisse la recouvrir d’un filet. On ne peut pas y circuler en bateau car ses berges instables ont tendance à s’effondrer. Les entreprises ont édifié un ponton de surveillance où des salariés de la mine se relaient pour effrayer les oiseaux à coups de fusil. Mais comme les oiseaux migrateurs sont souvent très fatigués au cours de leur voyage, cela n’a pas suffi. On a fait installer une batterie de générateurs de bruit qui émettent des sons stridents toutes les trois minutes. Puis des détecteurs lasers et des feux d’artifice de précision qui explosent aux quatre coins de l’ancienne fosse dans une ambiance de 4 juillet. Mais ça n’a pas suffi. On a alors commandé un faux aigle en plastique – un drone – pour survoler l’eau. Est‑il trop inoffensif avec ses taches beige et rose ? Il est désormais accompagné d’une créature plus menaçante : l’hexacoptère. C’est un drone aux pattes d’araignée géantes équipé de flashs, d’émetteurs d’ultrasons et de sirènes, dont le cœur est rempli d’un chargement de ballons en plastique fluo multicolores. Leur largage est déclenché à distance et ils se gonflent automatiquement, dans le but, semble‑t‑il, que les oies repartent terrifiées à la vue de cet étalage de kitsch.


By Celia Izoard

Celia Izoard, philosophe, traductrice d'ouvrages critiques de la technologies moderne et de Georges Orwell, journaliste indépendante (Reporterre.net, Revue Z), autrice de livres, participe au groupe d'études et de recherches Marcuse.