Contributions théoriques de Nicos Poulantzas pour l’analyse de l’extrême droite contemporaine

Sávio M. Cavalcante et Danilo Enrico Martuscelli

Résumés

L’objectif de cet article est de discuter de la portée et des limites de la théorie de Nicos Poulantzas pour comprendre le renforcement de l’extrême droite contemporaine. Pour ce faire, nous exposons de manière critique les concepts de fascisme et d’étatisme autoritaire tels qu’ils sont élaborés par l’auteur dans le cadre d’un processus de réélaboration de sa théorie plus large de l’État et du pouvoir. Notre principal argument est que l’analyse de N. Poulantzas sur l’étatisme autoritaire anticipe de manière riche et complexe le résultat de décennies d’hégémonie néolibérale qui ont consolidé les mécanismes d’exception au sein des formes démocratiques de l’État. Cependant, surtout après la crise de 2007-2008, des mouvements réactionnaires de masse, enracinés principalement dans les classes intermédiaires, se sont réorganisés et ont provoqué des effets encore plus déstabilisants sur la scène politique. Sans proposer d’analyses exhaustives, nous indiquons les caractéristiques communes de ce processus dans des pays comme la Bolivie, le Brésil, les États-Unis, la France et l’Italie. Bien qu’il existe de nombreuses spécificités, la réorganisation de l’extrême droite au niveau international requiert la reprise et la mise à jour de la théorie du fascisme.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Poulantzas Nicos, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, Paris, François Masp (…)
  • 2 Poulantzas Nicos, L’État, le pouvoir, le socialisme, Paris, Presses universitaires de France, 1978.
  • 3 Poulantzas Nicos, Fascisme et dictature. La IIIe internationale face au fascisme, Paris, François M (…)
  • 4 Poulantzas Nicos, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, Paris, Seuil, 1974.
  • 5 Poulantzas Nicos, La crise des dictatures : Portugal, Grèce, Espagne, Paris, François Maspero, 1975

1Au cours des années 1970, Nicos Poulantzas a réalisé un double mouvement à partir de son ouvrage Pouvoir politique et classes sociales de l´État capitaliste1. Le premier mouvement a été de nature théorique et ne s’est effectivement concrétisé que dix ans plus tard dans L’État, le pouvoir, le socialisme2, un ouvrage dans lequel il abandonne le concept d’État en tant que structure juridico-politique et adhère à la définition de l’État comme condensation matérielle d’un rapport de forces entre les classes. Le second mouvement a trait au changement de l’objet d’analyse. N. Poulantzas se met à développer des analyses sur les variations du type capitaliste d’État. Dans Fascisme et dictature3, il définit une forme d’État capitaliste d’exception pour aborder la spécificité de la dictature fasciste et, deuxièmement, sa différence par rapport aux dictatures bonapartiste et militaire. Dans Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui4, N. Poulantzas examine l’impact de l’internationalisation du capital sur les configurations de l’État capitaliste. Dans La crise des dictatures5, il analyse les caractéristiques de la dictature militaire et ses crises politiques particulières en Espagne, en Grèce et au Portugal. Enfin, dans L’État, le pouvoir, le socialisme, N. Poulantzas reprend le débat sur la crise de la démocratie représentative libérale et il traite de l’urgence de ce qu’il nomme l’étatisme autoritaire, qu’il situe comme une des variations de la forme d’État démocratique.

2Dans la plupart de ses ouvrages N. Poulantzas analyse principalement les variations des formes d’État et de régimes capitalistes. L’auteur a toujours fait référence à ces variations en les connectant aux changements qui se sont produits dans le domaine des conflits de classes et en fondant ses réflexions sur les conditionnements réciproques entre la politique et l’économie, une position qui l’éloigne de la perspective d’analyse formaliste défendue par le courant néo-institutionnaliste, qui tend à traiter les changements institutionnels comme étrangers aux conflits distributifs de classe présents dans une certaine formation sociale et à séparer la politique de l’économie pour expliquer de tels changements.

3En ce sens, lorsque nous observons, dans la conjoncture politique mondiale post-2007/2008, la nouvelle offensive du néolibéralisme, l’avancée du processus d’affaiblissement de la démocratie libérale, le renforcement de l’influence des bureaucraties civile et militaire sur le processus décisionnel de l’État, l’émergence de groupes et de gouvernements d’orientation néofasciste ou d’extrême droite, l’exacerbation du conflit distributif de classe, la succession de situations d’instabilité politique et la combinaison très souvent explosive de crises politiques et économiques, nous considérons opportun de discuter les potentialités et les limites de l’application contemporaine des concepts de fascisme et d’étatisme autoritaire, développés par N. Poulantzas, pour l’analyse des expériences récentes de formations sociales qui ont assisté à la croissance politique, à la victoire électorale ou au coup d’État de forces et de partis de droite et d’extrême droite, comme en Bolivie, au Brésil, aux États-Unis d’Amérique, en France et l’Italie.

4Ces cas ont été choisis dans la mesure où ils représentent des dynamiques propres à certains pays de capitalisme avancé et impérialiste (États-Unis, France et Italie) ou dépendant (Bolivie et Brésil). Bien sûr, il ne s’agit pas de proposer des analyses exhaustives de chaque cas concret, mais de se demander dans quelle mesure on pourra identifier des caractéristiques communes qui permettent d’évaluer la pertinence théorique des concepts de fascisme (ou de néofascisme) et d’étatisme autoritaire de nos jours. Ce débat se connecte aux changements économiques, politiques et des relations de classe produits par la crise économique mondiale de 2007-2008, point d’inflexion du développement capitaliste mondial qui a projeté une nouvelle offensive du néolibéralisme, a attisé le conflit distributif et a créé les conditions favorables à l’émergence de forces politiques conservatrices et réactionnaires ayant la capacité d’imposer de plus en plus de restrictions à la participation et aux libertés politiques des masses populaires et d’intensifier l’affaiblissement des démocraties libérales existantes.

5Pour traiter la question, nous partagerons l’article en trois parties principales : dans la première, nous aborderons le concept de fascisme et d’étatisme autoritaire tels qu’ils furent élaborés originellement par N. Poulantzas dans ses ouvrages ; dans la deuxième partie, nous analyserons la pertinence de ces concepts pour l’examen des cas concrets contemporains cités ci-dessus ; dans la troisième, nous reprendrons le débat théorique sur le fascisme et analyserons les enjeux autour du contenu du peuple-nation et la réaction des classes intermédiaires ; enfin, nous présenterons quelques conclusions sur l’actualité de l’œuvre de N. Poulantzas pour l’étude de la crise prolongée de la démocratie libérale.

La formulation originale du concept de fascisme et d’étatisme autoritaire dans l’œuvre de N. Poulantzas

  • 6 Le concept de forme d’État est employé par N. Poulantzas pour désigner à la fois à la relation entr (…)

6Dans les travaux théoriques de N. Poulantzas, le concept de « forme d’État » désigne la relation entre la bureaucratie d’État et le Parlement dans le processus décisionnel6. Fondamentalement, il admet la possibilité de deux formes d’État capitalistes. Premièrement, la forme démocratique, dans laquelle le processus décisionnel est partagé entre la bureaucratie d’État et le Parlement. Correspondent à cette forme aussi bien la démocratie représentative parlementaire, dans laquelle le Parlement possède une plus grande capacité d’intervention sur les décisions étatiques, que l’étatisme autoritaire, qui est marqué par une augmentation de la capacité décisionnelle du pouvoir exécutif ou de la bureaucratie d’État sur la représentation parlementaire, par la crise des partis politiques, par la formation de réseaux trans-étatiques de coopération (policiers, agences d’informations) et par des restrictions aux libertés politiques. Deuxièmement, la forme d’exception ou dictatoriale, dans laquelle la bureaucratie d’État détient exclusivement la capacité décisionnelle et le Parlement est liquidé ou ne joue qu’un simple rôle décoratif. Dans cette forme d’État, les libertés politiques sont supprimées. La dictature fasciste est une des variantes de la forme d’État d’exception et on la distingue des autres, car au niveau des branches de l’appareil d’État, la branche prédominante dans le fascisme est la police politique, alors que dans les dictatures bonapartiste et militaire, les branches prédominantes sont respectivement les bureaucraties civile et militaire ; car au niveau de la base sociale soutenant le régime en place, la dictature bonapartiste peut compter sur une base de soutien passive et qui ne s’organise pas en force sociale autonome. La dictature militaire peut obtenir un soutien de masse occasionnel, mais elle est fondée sur une logique de pouvoir technocratique, qui cherche à éviter la politisation des classes et des fractions qui lui accordent leur soutien. Pour sa part, la dictature fasciste est fondée sur la constitution des classes intermédiaires (petite bourgeoisie/classe moyenne) comme force sociale distincte. Nous sommes ici face à une base sociale organisée et mobilisée de manière permanente.

  • 7 S’inspirant des analyses de N. Poulantzas au sujet du processus de fascisation, Armando Boito Jr. a (…)

7Comme nous ne sommes pas confrontés, dans la conjoncture mondiale récente, à un nouveau cycle de consolidation des formes d’État et de régimes d’exception ou dictatoriaux, mais seulement à l’existence de mouvements et de gouvernements d’orientation fasciste ou à des processus de crise ou de affaiblissement de la démocratie libérale, nous jugeons plus opportun de débattre des contributions présentes dans l’œuvre de N. Poulantzas qui ont trait aux caractéristiques spécifiques de la crise politique qui engendre le processus de fascisation7 et l’affaiblissement de la démocratie libérale qui renvoient à la constitution du phénomène de l’étatisme autoritaire. Dans ce débat, nous considérons important de mettre l´accent sur le rôle qu’a joué la base sociale principale (force motrice) en donnant une impulsion au processus de crise ou d’affaiblissement de la démocratie libérale, tout en précisant que N. Poulantzas traite systématiquement cette question seulement lorsqu’il aborde le fascisme. Commençons notre discussion par le débat sur les caractéristiques de la crise politique du processus de fascisation.

Fascisme et processus de fascisation

8Pour N. Poulantzas, le fascisme n’est pas un phénomène passé, mais une situation qui peut être réalisée dans des conjonctures distinctes de l’originale – l’Allemagne et l’Italie des années 1920 à 1940. Selon l’auteur, le fascisme est une possibilité historique dans le cadre de la phase impérialiste du développement capitaliste. Cette thèse est ratifiée dans les conclusions de son livre Fascisme et dictature, lorsque N. Poulantzas fait allusion aux changements dans l’Europe post-1945, dans les appareils d’État et dans le système institutionnel dans son ensemble et qu’il indique la possibilité que le « procès réel de fascisation » en soit une des résultantes.

9De manière générale, il est possible d’affirmer que N. Poulantzas était attentif aux changements institutionnels de l’État capitaliste de son temps et qu’il tâchait déjà de trouver un traitement théorique systématique à de tels changements, que ce soit à travers le développement d’analyses post factum de faits d’un grand potentiel de répétition historique – bien que sur de nouvelles bases (par exemple le fascisme et le nazisme) – ou bien à travers l’examen de la crise des dictatures européennes dans les années 1970 et des transformations de l’État capitaliste en cours depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est pas un hasard si l’originalité et le caractère systématique de ces réflexions théoriques produites par N. Poulantzas ont influencé directement et indirectement une série d’études et de recherches conduites par des intellectuels latinoaméricains, tels que : Agustín Cueva, Armando Cassigoli, Atilio Boron, Hélgio Trindade, Ruy Mauro Marini, Theotônio dos Santos, entre autres, en particulier dans les débats menés entre eux au sujet de la nature des dictatures mises en place en Amérique latine dans les années 1960 et 1970.

  • 8 Entre la fin de 1974 et le début de 1975, l’intellectuelle marxiste italienne Maria-Antonietta Macc (…)

10N. Poulantzas rédige et publie Fascisme et dictature dans un contexte historique marqué par la présence ou la résurgence de mouvements et d’organisations d’extrême droite et fascistes en Europe, telles que le Movimento Sociale Italiano – créé en 1946 et renommé, à partir de 1972, Movimento Sociale Italiano-Destra Nazionale, il regroupe une série de mouvements et d’organisations d’extrême droite en italiennes –, le mouvement fasciste Ordre Nouveau – créé en 1969, il devient le Front National pour l’unité française en 1972 et réunit des organisations de l’extrême droite française –, le mouvement fasciste metaxiste et son influence sur les militaires qui ont formé le gouvernement grec à partir du coup d´État de 1967, etc. Cette résurgence de groupements néofascistes semble avoir été également un des motifs ayant conduit N. Poulantzas et d’autres intellectuel·les à débattre de l’actualité du phénomène fasciste dans l’Europe du tournant des années 1960 et 19708.

11Selon N. Poulantzas, la crise politique qui engendre le processus de fascisation possède certains traits spécifiques qu’il est nécessaire de détecter afin de différencier la crise politique du fascisme de la crise politique révolutionnaire et des crises politiques liées à la constitution d’autres formes d’État d’exception, comme la dictatures bonapartiste ou militaire.

12Dans Fascisme et dictature, N. Poulantzas met en avant une série de conditions au processus de fascisation telles que :

a) les défaites successives du mouvement ouvrier et populaire et, par conséquent, sa position défensive dans cette conjoncture. Cela signifie que le processus de fascisation ne coïncide pas avec l’offensive du mouvement socialiste et qu’il ne gagne de la force que lorsqu’il fait face à un fragile mouvement ouvrier et populaire et/ou à une situation dans laquelle les organisations syndicales et partisanes de travailleur·ses cessent d’avoir des liens organiques avec leurs bases sociales ;

b) l’exacerbation des contradictions au sein des classes dominantes en termes d’échelle (moyen et grand capital) et d’activité économique (capital commercial, bancaire, industriel, financier, agraire – bourgeoisie et propriétaires terriens) et l’apparition d’une situation initiale d’instabilité et ultérieurement d’incapacité hégémonique à travers laquelle se manifeste la crise d’hégémonie, ainsi aucune des fractions dominantes ne parvient à imposer de direction politique au bloc au pouvoir. D’après lui, la consolidation de la dictature fasciste est directement liée à l’établissement d’une nouvelle fraction hégémonique dans le bloc au pouvoir ;

  • 9 N. Poulantzas, Fascisme et dictature, op. cit., p. 72.

c) le « procès de politisation déclaré de la lutte des classes » de l’ensemble de la bourgeoisie contre les travailleurs, en ce sens où « la lutte politique du bloc au pouvoir contre les masses populaires détient le rôle dominant à l’égard de la lutte économique9 » ;

d) la crise de représentation politique qui affecte la relation entre les fractions de la classe dominante et ses partis traditionnels, créant une sorte de court-circuit au niveau des liens politiques entre les représentants et les représentés, ce qui reflète le déclin de ces partis sur la scène politique et crée un espace pour le protagonisme des groupes de pression et de réseaux étatiques parallèles, au détriment des partis ;

e) la constitution de la petite bourgeoisie comme force sociale distincte en conséquence de la crise idéologique généralisée des classes dominantes et dominées, et son organisation en un parti réactionnaire de masse, qui, dans le processus de fascisation, commence à voir ses insatisfactions et ses revendications confisquées et dirigées politiquement par le capital monopoliste (« point de non-retour » de ce processus) ;

f) la connivence des partis traditionnels de la bourgeoisie et d’une partie des membres de la bureaucratie civile et militaire envers les initiatives de groupes et d’organisations fascistes qui portent atteinte aux normes et aux règles établies par la forme d’État démocratique-parlementaire, ce qui finit par produire progressivement une crise dans le propre fonctionnement des institutions de l’État ;

g) le renforcement de la capacité décisionnelle de la bureaucratie d’État au détriment de la représentation parlementaire, un processus qui est traité par l’auteur comme « bureaucratisation prononcée » qui est également présent dans d’autres transitions pour des formes d’État capitalistes dictatoriales, mais qui est particulièrement marqué dans le fascisme par la constitution de la police politique comme branche dominante de l’appareil d’État.

  • 10 Ibid.

13D’une façon générale, ce sont les traits spécifiques qui caractérisent la crise politique liée au processus de fascisation. Avant de poursuivre notre réflexion sur le concept d’étatisme autoritaire, il est bon d’observer que, selon N. Poulantzas10, les crises et les formes d’État et de régime d’exception se manifestent de manière combinée dans la « réalité concrète », et qu’une de ces formes a tendance à exercer un rôle dominant dans la conjoncture historique, d’une manière plus ouverte et manifeste, comme dans les cas des fascismes allemand et italien, ou plus hybride, comme dans le cas de la dictature de Franco en Espagne qui a combiné une dictature fasciste et militaire sous dominance militaire. Ainsi, l’auteur attire notre attention sur la « forme concrète combinée » que peuvent adopter les crises et les formes d’État et de régime d’exception dans une situation historique spécifique.

Étatisme autoritaire et affaiblissement de la démocratie libérale

  • 11 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 238-239.

14Le concept d’« étatisme autoritaire » a été proposé par N. Poulantzas à la fin des années 1970, comme une manière d’appréhender les mutations des formes démocratiques d’État qui, si elles ne menaient pas à des régimes d’exception ou dictatoriaux, étaient marquées par la « distance croissante entre la démocratie politique et la démocratie sociale11 ».

  • 12 Ibid., p. 226.

15Il s’agissait surtout de comprendre l’affaiblissement de la démocratie à l’intérieur de la propre forme démocratique d’État. En abordant le contenu le plus marquant de ce processus, N. Poulantzas signale de manière générale « l’accaparement accentué, par l’État, de l’ensemble des domaines de la vie économico-sociale articulé au déclin décisif des institutions de la démocratie politique et à la restriction draconienne, et multiforme, de ces libertés “formelles”12 ».

16La formulation du concept ne répondait pas uniquement aux changements les plus profonds que l’auteur opérait dans sa théorie de l’État dans son ouvrage L’État, le pouvoir, le socialisme, comme nous l’avons indiqué auparavant, mais elle opérait dans un contexte de crise du modèle de régulation fordiste lequel avait dans l’après-guerre aménagé de manière sélective les intérêts des classes dominées au moyen de politiques sociales (Welfare State) sans, pour autant menacer la reproduction des formes d’exploitation et de répartition du travail capitaliste. L’étatisme à caractère autoritaire auquel N. Poulantzas fait référence désigne la réponse à la crise économique et politique que les mécanismes d’accumulation et de règlementation fordistes et keynésiens n’avaient plus les moyens de conduire avec le succès d’antan.

17Peut-être que l’aspect le plus original de la proposition de N. Poulantzas se trouve dans son analyse de la façon dont la relation entre l’État (politique) et l’économie est devenue sophistiquée, et dans son refus de penser leur relation comme un lien d’extériorité. En rejetant les problématiques qui supposent une simple opposition entre l’interventionnisme d’État et un marché autorégulé, N. Poulantzas appréhendait le mode complexe sur lequel l’État opère au cœur de la reproduction du capital et, dans ce contexte, il réorganise ses fonctions économiques, agissant de manière particulière dans la reproduction amplifiée de la force de travail.

  • 13 Jessop Bob, « On the Originality, Legacy, and Actuality of Nicos Poulantzas », Studies in Political (…)
  • 14 Bien qu’il ne fasse aucune référence à l’œuvre de N. Poulantzas, Domenico Losurdo emploie le concep (…)

18Nous suivons Bob Jessop lorsqu’il énumère les possibles implications de la définition de l’étatisme autoritaire que propose N. Poulantzas13 :concentration du pouvoir au sein de l’exécutif au détriment du législatif, ce qui conduit à l’accentuation des caractéristiques personnalistes de gouvernement ; accélération de la fusion des branches d’État (exécutif, législatif et judiciaire) en faveur de régulations plus particularistes et discrétionnaire ; perte de la pertinence de partis politiques en tant qu’organisateurs d’hégémonie et véhicules des intérêts des masses ; l’administration d’État prédomine dans le rapport de force avec les partis comme agent décisif pour l’élaboration et la légitimation de politiques publiques ; la domination idéologique opère de plus en plus à travers les médias de masse au détriment d’appareils traditionnels comme les écoles et les universités ; élargissement des mécanismes plébiscitaires pour l’obtention d’un consensus, alliés à des formes de légitimation technocratiques ; augmentation de réseaux parallèles de pouvoir qui façonnent les actions de la haute bureaucratie d’État et qui inhibent les demandes populaires ; réorganisation des forces répressives d’État afin de surveiller les luttes populaires qui menacent l’hégémonie bourgeoise ; et rénovation des principes libéraux traditionnels donnant la priorité à la rationalité instrumentale et à la logique technocratique au détriment de la démocratie sociale14.

  • 15 Foucault Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Seuil (…)

19Soulignons comment la conceptualisation de N. Poulantzas s’appuie sur un dialogue critique et très souvent productif avec les ouvrages de M. Foucault sur le pouvoir et la gouvernementalité, particulièrement sur ce que M. Foucault considère dans le sillage de son cours sur la naissance de la biopolitique comme un trait originel du néolibéralisme, à savoir que le gouvernement néolibéral ne reproduit pas le traditionnel appel à un État absent ou intervenant peu dans un marché supposément doté d’une rationalité naturelle qui lui serait propre, mais qu’il exige au contraire l’élaboration d’une nouvelle forme d’État laquelle, agissant comme une entité de marché, constituerait le cadre juridico-normatif produisant une subjectivité capable d’encourager la compétition entre les individus15. Autrement dit :

  • 16 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 186 [souligné dans l’original].

L’ensemble des opérations de l’État se réorganisent actuellement par rapport à son rôle économique. Ceci vaut, outre pour les mesures idéologico-répressives de l’État, pour son action dans la normalisation disciplinaire, la structuration de l’espace et du temps, la mise en place de nouveaux processus d’individualisation et de corporéité capitalistes, l‘élaboration des discours stratégiques, la production de la science16.

  • 17 Bruff Ian, « The rise of authoritarian neoliberalism », Rethinking Marxism, no 26, 2014, p. 113-129 (…)
  • 18 Brown Wendy, « American nightmare: neoliberalism, neoconservatism, and de-democratization », Politi (…)
  • 19 Dardot Pierre et Laval Christian, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Pa (…)

20De ce point de vue, le concept d’étatisme autoritaire a été largement utilisé dans des analyses ultérieures cherchant à identifier la forme spécifique d’hégémonie financière néolibérale ayant façonné le capitalisme contemporain dans des pays centraux, comme le néolibéralisme autoritaire en Asie, en Europe et aux États-Unis d’Amérique17. De même, il a permis d’anticiper nombre d’implications des analyses foucaldiennes identifiant les processus de « dé-démocratisation » dans les pays centraux de l’Occident18 et de production de subjectivités (« individu-entrepreneur de lui-même ») qui correspondent à cette nouvelle forme disciplinaire19.

  • 20 Hall Stuart, « Authoritarian populism : a reply », New Left Review, no 151/1, 1985, p. 115-123. S. (…)

21Le point le moins développé, toutefois, dans l’analyse de N. Poulantzas, porte sur les bases sociales de cet étatisme autoritaire (qui assume de plus en plus un aspect néolibéral). Or prendre en compte les bases sociales, selon la critique de Stuart Hall20, interdit d’appréhender le processus uniquement comme s’il fonctionnait « de haut en bas » ou comme s’il était « orienté par l’État », c´est-à-dire négligeant les relations et les luttes de classes et de fractions de classe qui promeuvent sa consolidation.

22Conjointement aux difficultés soulevées par la définition des types de crise politique, c’est à partir de l’analyse des bases sociales des processus qui mènent à divers processus d’affaiblissement de la démocratie représentative que nous nous proposons d’évaluer la portée et les limites des concepts de « (néo)fascisme » et d’« étatisme autoritaire » dans l’analyse des processus et des régimes politiques des pays présentés ci-dessous.

La potentialité fasciste à l’intérieur de l’étatisme autoritaire

23Après avoir présenté les tendances d’affaiblissement des formes d’État et de régime démocratiques, N. Poulantzas, à la fin de son dernier grand ouvrage, repose la question du socialisme démocratique, en partant des effets d’interventionnisme d’État d’un nouveau type, car l’étatisme autoritaire, bien que toujours plus puissant, ne serait pas univoque :

  • 21 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 269.

[I]l recouvre le double aspect renforcement-affaiblissement de l’État dans la mesure où les transformations qui le marquent accentuent les éléments génériques de crise politique. Il est aussi une réponse de l’État à cette accentuation, voire à sa propre crise là où elle a effectivement lieu. Affaiblissement et crise qui offrent des possibilités nouvelles à la gauche21.

24Toutefois, les décennies suivantes furent marquées par un processus historique très régressif, assez distinct des espoirs de rénovation du socialisme à travers une transformation démocratique radicale. L’hégémonie néolibérale a été obtenue parallèlement à la réorganisation productive du capitalisme mondial, à l’attaque contre les conquêtes sociales démocrates du mouvement ouvrier et à la dissolution de l’URSS et du soi-disant bloc socialiste en Europe de l’Est.

  • 22 Boukalas Christos, « No exceptions: authoritarian statism. Agamben, Poulantzas and homeland securit (…)
  • 23 Wacquant Loïc, Punishing the poor: The neoliberal government of social insecurity, Durham, Duke Uni (…)

25Comme le signale Christos Boukalas22, l’étatisme autoritaire n’a pas été seulement fomenté par la contre-attaque capitaliste des années 1980 et 1990 ayant conduit à la concentration croissante de la richesse financière au détriment des droits sociaux et du travail. Il a été également optimisé par le durcissement du droit pénal et des politiques sécuritaires, particulièrement en réponse aux attaques du 11 septembre 2001, initiant une nouvelle phase de mesures coercitives préventives et de mécanismes massifs de surveillance. Le pouvoir des organes exécutifs rongeait les limitations imposées par le législatif afin de gérer des « crises permanentes » de sécurité interne. Parallèlement, la politique sociale d’assistance a été complétée ou simplement substituée par la pénalisation de la misère23.

  • 24 Davidson Neil, « Crisis neoliberalism and regimes of permanent exception », Critical Sociology, no  (…)
  • 25 P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde, op. cit.
  • 26 I. Bruff, « The rise of authoritarian neoliberalism », Art. cit.

26La crise de 2007-2008 a marqué le début de la fin des variations néolibérales, avec une certaine touche de justice sociale, encouragées par les courants d’une « troisième voie », dont une partie était conduite par les partis sociaux-démocrates reconvertis au néolibéralisme24. Au lieu d’un discrédit institutionnel et idéologique, les réponses aux crises provoquées par l’autonomisation de la finance se sont converties en « doublage de mise » néolibéral25. Le néolibéralisme autoritaire a montré sa force, même dans un contexte de crise : il a augmenté l’intervention d’organes supranationaux sans la moindre forme de contrôle démocratique et a solidifié l’autorité d’institutions, telles que les banques centrales et les agences internationales, sur des processus internes. La constitutionalisation des politiques d’austérité furent des obligations imposées, à différents niveaux, à divers pays26.

27La récupération du concept d’étatisme autoritaire fut, en ce sens, assez utile aux analyses qui ont cherché à rendre compte de l’affaiblissement des régimes démocratiques sans exiger, pour autant, de formes ouvertes de dictature, comme des dictatures bonapartistes, fascistes ou militaires. D’une certaine façon, cet aspect avait été bien justifié dès son origine par N. Poulantzas : l’étatisme autoritaire ne serait pas une forme de régime d’exception ou dictatoriale, ni même un moment transitoire vers un régime fasciste, car d’une part côté, cette apparence démocratique produit des effets réels sur des projets de transformation interne de l’État ; d’autre part, le processus de restriction de droits et de libertés serait dans une certaine mesure irréversible, donnant lieu à un type de domination bourgeoise plus complexe.

  • 27 Traverso Enzo, « Universal fascism? A response to Ugo Palheta », Historical materialism [En ligne].

28La résurgence de divers groupes et partis d’extrême droite sur la scène politique – certains d’entre eux étant à l’origine plus ou moins proches de mouvements ouvertement fascistes – dans plusieurs pays du monde à partir des années 2010, a pour le moins remis en question ce pronostic de N. Poulantzas. En Occident : l’élection de Donald Trump aux États-Unis d’Amérique et le Brexit en 2016 ; le gouvernement en 2018 par des partis nationalistes et xénophobes d’extrême droite de huit pays de l’Union européenne (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Italie, Pologne, Hongrie et Slovaquie)27 ; l’accès au second tour des élections présidentielles en France en 2017 du Front national, puis du Rassemblement national en 2022 ; l’élection en 2022 Giorgia Meloni issue du Fratelli d’Italia à la tête du gouvernement.

29En Amérique latine : au Honduras (contre Manuel Zelaya en 2009), au Paraguay (contre Fernando Lugo en 2012), au Brésil (contre Dilma Rousseff en 2016) et au Pérou (contre Pedro Castillo en 2022) ont eu lieu des coups d’État promus par des forces de droite et d’extrême droite orientées par des programmes néolibéraux orthodoxes et qui, en recourant à des méthodes formellement légales, ont destitué des gouvernements de gauche ; en 2019 en Bolivie Evo Morales démissionne, forcé par l’opposition créée par sa réélection ; des tentatives infructueuses de coup d’État par des forces de droite et d’extrême droite en Équateur (contre Rafael Correa en 2010), au Venezuela (contre Nicolás Maduro en 2019), en Argentine (contre Cristina Kirchner en 2022) et en Colombie (contre Francia Márquez en 2023) ; le résultat électoral significatif (près de 44 % des votes) de José Antonio Kast, candidat d’extrême droite, aux élections présidentielles chiliennes de 2021, et la victoire expressive de Javier Milei au second tour des élections argentines de 2023, sont des éléments supplémentaires à prendre en considération ; au Brésil, cette conjoncture est complétée par la victoire électorale de l’extrême droite et de son leader Jair Bolsonaro en 2018 puis, au terme de son mandat, par l’attaque des édifices des Trois pouvoirs de la République, en réaction à la victoire de Luiz Inácio Lula da Silva en 2023 – imitant ainsi l’invasion trumpiste du Capitole en 2021.

30Nous pourrions affirmer que ces cas – qui, d’ailleurs, répondent à des processus sociaux distincts et présentent d’innombrables spécificités – confirment la préférence de N. Poulantzas pour le concept d’étatisme (néolibéral) autoritaire par rapport à celui de fascisme dans la mesure où tous les acteurs participent (tout en les remettant en question) à des élections ouvertes régies par des régimes démocratiques libéraux, respectent un certain niveau de formalité légale lorsqu’ils promeuvent la destitution de présidents élus, ne se déclarent pas favorables à – et une fois élus ils ne parviennent pas à mettre en œuvre – des régimes dictatoriaux et cherchent à se distinguer du fascisme historique, même si de tels mouvements peuvent les soutenir.

  • 28 Levitsky Steven et Ziblatt Daniel, How Democracies Die, New York, Crown, 2018 ; Runciman David, How (…)

31Les analyses libérales et institutionnalistes se montrent peu originales et explicatives quand elles essaient de rendre compte de l’érosion démocratique provoquée de façon endogène par ces mouvements et saisissent l’occasion pour promouvoir une équivalence entre extrême droite et projets réformistes de gauche sous l’étiquette « populiste28 ».

32Les analyses du populisme se limitent généralement à identifier l’émergence de dirigeants charismatiques qui, proposant une simplification de la conflictualité politique, utilisent des registres discursifs opposant le « peuple » aux « élites ». En donnant par conséquent la priorité à la forme de mobilisation et de politisation à travers le signifiant « peuple » contre les effets de la « mondialisation », ils confèrent au concept de populisme une telle plasticité que, en fin de compte, ils fournissent peu d’explications du contenu et sens des mouvements populistes et leurs bases sociales.

  • 29 Mounk Yascha, O povo contra a democracia: por que nossa liberdade corre perigo e como salvá-la, São (…)

33Le concept d’« illibéralisme » joue une autre fonction, qui complète celle jouée par celui de populisme29 : en présupposant comme situation normale la combinaison harmonieuse du régime démocratique libéral et du modèle capitaliste néolibéral, il permet de traiter les réactions à ce modèle, à gauche comme à droite, comme des détournements potentiellement dangereux de la norme. Ainsi, deux dimensions importantes du processus échappent aux analyses s’appuyant sur le concept d’« illibéralisme » : l’étatisme autoritaire, comme l’a observé initialement Poulantzas, ne se présente pas comme un régime d’exception/dictatorial, mais comme une forme normale de la nouvelle phase du capitalisme, laquelle, en raison du caractère prétendument technique du contrôle de l’économie, vide de l’intérieur la démocratie sociale et les libertés formelles ; la normalisation par les néolibéraux des d’extrême droite, voire leur participation active à des gouvernements qui flirtent avec les ruptures avec le régime libéral démocratique.

34Au-delà des interprétations libérales ou institutionnalistes, les analyses qui se réclament d’autres traditions théoriques présentent également un large ensemble d’arguments pour récuser l’application du concept de fascisme ou de processus de fascisation à la résurgence et au renforcement de l’extrême droite. Les interventions d’Enzo Traverso sont peut-être celles qui vont le plus loin en ce sens, sans pour autant, en proposant le concept de « post-fascisme », se détacher du problème théorique :

  • 30 E. Traverso, « Universal fascism ? », Art. cit.

Le fascisme classique est né sur un continent dévasté par une guerre totale, il a grandi dans un climat de guerres civiles, avec des états profondément instables et institutionnellement paralysés par des conflits politiques aigus. Ce radicalisme a surgi de la confrontation avec le Bolchevisme, qui lui a donné ce caractère « révolutionnaire ». Le fascisme a été une idéologie et une imagination utopiques, qui ont créé le mythe du « nouvel homme » et de la grandeur de la nation. Les nouveaux mouvements d’extrême droite manquent de toutes ces prémisses : ils sortent d’une « crise d’hégémonie » qui ne peut être comparé à l’effondrement européen des années 1930 ; leur radicalisme ne contient rien de « révolutionnaire » et leur conservatisme – la défense des valeurs traditionnelles, des cultures traditionnelles, « les identités nationales » menacées et la bourgeoisie respectable opposée aux « déviances » sexuelles – ne possède pas l’idée de futur si profondément développée dans les idéologies et les utopies fascistes. C’est pourquoi il me semble plus approprié de les décrire comme « post-fascistes »30.

35Il est à noter que E. Traverso reprend le problème général de l’étatisme autoritaire pour en renforcer le rejet, en s’appuyant sur l’argument selon lequel les forces les plus importantes du capitalisme néolibéral possèderaient des institutions et des partis pouvant reproduire une hégémonie en faisant abstraction du penchant potentiellement fasciste de l’extrême droite, dépourvue de milices et sans « danger rouge » auquel faire face :

  • 31 Ibid.

Toutes ces tendances ne reflètent pas la « dynamique de fascisation », mais plutôt l’émergence de nouvelles formes de néolibéralisme autoritaire. Dans la plupart des cas, les partis d’extrême droite supportent ces changements sans gérer leur application. Dans les années 1930, les élites européennes industrielle, financière et militaire ont soutenu le fascisme comme solution face aux crises politiques endémiques, à la paralysie institutionnelle et surtout comme une défense contre le bolchévisme. De nos jours, les classes dominantes soutiennent l’Union européenne plutôt que les mouvements populiste, nationaliste et néofasciste qui acclament le retour à la « souveraineté nationale ». Aux États-Unis, les classes dominantes peuvent soutenir le Parti républicain en tant qu’alternative habituelle au Parti démocrate, mais elles n’appuieraient jamais le suprémacisme blanc contre Joe Biden. Non qu’elles croient à la démocratie, mais parce que Biden est incomparablement plus efficace que le suprémacisme blanc pour défendre l’establishment en soi31.

  • 32 N. Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, op. cit. ; N. Poulantza (…)

36Contrairement à ces analyses, nous supposons ici qu’il est possible d’identifier des éléments essentiels du processus de fascisation dans la situation contemporaine de plusieurs pays. Pour ce faire, nous considérons qu’il n’est pas nécessaire de totalement rejeter le cadre théorique formulé par N. Poulantzas, mais plutôt de le mettre à jour et de le confronter aux avancées théoriques, ce que l’auteur lui-même avait déjà proposé dans certains de ses ouvrages32.

  • 33 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 231.

37Même dans LÉtat, le pouvoir, le socialisme, lorsqu’il aborde directement ce problème, bien que dans le contexte de la fin des années 1970, N. Poulantzas n’exclut pas entièrement la réapparition de formes d’exception (dictatures bonapartiste ou fasciste) en Europe. Ce serait « une éventualité avec laquelle il faut certainement compter33 ». Cependant, si cela se produit, l’auteur affirme que l’éclosion d’un processus de fascisation ne prendra pas la même forme que dans le passé :

  • 34 Ibid., p. 233 [souligné par les auteurs].

Ce n’est pas qu’il pourrait se faire graduellement et imperceptiblement, à froid, car, ici comme avant, ce passage implique toujours une rupture. Mais plutôt qu’une infiltration ou un investissement de l’extérieur de l’appareil d’État par le fascisme, comme ce fut le cas pour les fascismes historiques, il s’agira d’une rupture interne à l’État34.

38Voilà, c’est précisément cette rupture interne qui a été, bien que de façon embryonnaire et avec des effets encore incertains, produite et encouragée de différentes manières et à des degrés distincts par les mouvements, groupes et partis d’extrême droite de notre époque.

Retour au fascisme comme problème théorique

  • 35 A. Boito Jr., « O caminho brasileiro para o fascismo », Art. cit.

39Les analyses sur le fascisme soulèvent un ensemble de problèmes théoriques et méthodologiques qui ne se limitent pas uniquement à ce phénomène. Nous suivons ici l’argument de A. Boito Jr. pour qui il est possible d’abstraire des analyses descriptives et empiriques du fascisme historique une caractérisation générale théorique du phénomène qui permette de faire l’ébauche d’une définition essentielle de ce concept35.

40Cette méthode se différencie des tentatives d’appréhension du fascisme énumérant les caractéristiques concrètes du fascisme à partir de cas concrets. Dans ce cas, l’existence du fascisme ne peut être validée que si les caractéristiques énumérées sont toutes présentes. En général, quand ces listes d’items sont produites (comme celles que suggèrent Umberto Eco ou Robert Paxton), on n’accorde que peu d’attention à l’identification des critères ou variables décisifs pour la compréhension du phénomène et lesquels sont déterminés par le contexte de leur réalisation historique.

  • 36 Togliatti Palmiro, Lições sobre o fascismo, São Paulo, Livraria Editora de Ciências Humanas, 1978.
  • 37 N. Poulantzas, Fascisme et dictature, op. cit.
  • 38 P. Togliatti a été l’un des premiers à mettre en évidence la thèse selon laquelle l’une des caracté (…)

41En combinant les éléments essentiels présentés par Palmiro Togliatti36 et N. Poulantzas37 – qui cherche à prendre ses distances avec les analyses économicistes du fascisme en signalant que ce n’est pas n’importe quel type de crise politique qui engendre une réaction de masse fasciste –, A. Boito Jr. définit le fascisme comme un type particulier de régime dictatorial produit au moyen d’un mouvement réactionnaire de masse enraciné dans des classes intermédiaires des formations sociales capitalistes38.

  • 39 A. Boito Jr., « O caminho brasileiro para o fascismo », Art. cit., p. 12.

42Pour A. Boito Jr., il serait toutefois possible d’éliminer les critères circonstanciels de l’exposé de Poulantzas et de ne conserver finalement que six éléments : l’exacerbation des conflits à l’intérieur du bloc au pouvoir, la crise de représentation partisane des classes dominantes, l’activisme et le renforcement de la bureaucratie civile et militaire de l’État, la situation défensive et/ou d’échec du mouvement ouvrier, la constitution de la petite bourgeoisie comme force sociale distincte et une crise idéologique généralisée. De sorte que « [l]’absence de partis politiques représentatifs de la bourgeoisie rend nécessaire, et l’incapacité hégémonique de la petite bourgeoisie rend viable, l’appropriation politique par le capital monopoliste du mouvement fasciste petit-bourgeois afin d’établir son hégémonie politique39 ».

43Bien que ces définitions essentielles de fascisme et de crise politique puissent exiger des ajustements et des perfectionnements, nous considérons qu’elles offrent un cadre de référence de base à partir duquel il serait possible d’identifier, dans la diversité de l’extrême droite contemporaine, les mouvements typiquement fascistes.

  • 40 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit.
  • 41 C. Boukalas« No exceptions », Art. cit.

44Les actualisations nécessaires exigent de considérer les changements qualitatifs dans la configuration de l’interventionnisme d’État déjà signalés par N. Poulantzas, c´est-à-dire le fait qu’un éventuel processus de fascisation n’opérerait plus à travers une infiltration ou un mouvement qui « envahit » l’État de l’extérieur vers l’intérieur, mais par des ruptures internes à l’appareil d’État40. Ce facteur renforcerait la capacité d’appareils répressifs, tels que l’armée et la police, à s’autonomiser par rapport aux systèmes légaux – un aspect mis en lumière, par exemple, par C. Boukalas41. La tendance à l’affaiblissement du pouvoir législatif et l’autorité croissante d’institutions supranationales technocratiques contribuent à cette nouvelle configuration.

  • 42 Ce qui ne signifie pas que dans ces pays il n’existe pas de mouvements fascistes, mais plutôt qu’il (…)

45Le fascisme classique a émergé de façon plus solide dans des formations sociales (Allemagne et Italie) dotées d’États-nation relativement jeunes comparés à d’autres formations capitalistes centrales (France et Angleterre, par exemple42) et qui portaient encore dans leurs institutions des traces du passé, par lesquelles elles se différencient d’une bureaucratie capitaliste moderne consolidée. Autrement dit, le processus de fascisation qui a opéré dans ces pays fait face à des institutions qui éprouvent encore de sérieuses difficultés à organiser l’hégémonie bourgeoise et qui demeurent profondément secouées, non seulement par la guerre inter-impérialiste commencée en 1914, mais aussi par l’éclosion de crises révolutionnaires à la fin des années 1910 et au début des années 1920.

46Une telle fragilité des institutions d’État permet de comprendre pourquoi le processus de fascisation classique s’est généralement présenté comme une invasion extérieure de l’appareil d’État. Ceci est arrivé non seulement parce que les fascistes sont parvenus à mobiliser une base réactionnaire de masse, mais aussi parce qu’ils disposaient d’appareils paramilitaires avec un nombre significatif de recrues, des systèmes d’agitation et de propagande et des clubs de socialisation qui ont créé les conditions favorables à l’infiltration fasciste de l’appareil d’État.

  • 43 Un aspect signalé par Palheta Ugo, « Fascism, fascisation, antifascism », Historical materialism [E (…)

47Dans tous les cas, cela ne signifie pas l’inexistence complète aussi bien de ruptures endogènes dans le fascisme classique43 que d’attaques externes dans le « néofascisme ». Actuellement, il est nécessaire de considérer deux facteurs qui actualisent la dynamique externe à l’État de constitution de mouvements fascistes.

48Le premier correspond à ce que l’on peut appeler les milices numériques. Bien qu’elles n’aient pas nécessairement de liens avec des groupes paramilitaires – lesquels, toutefois, continuent d’opérer, mais dans des proportions différentes – ces milices organisées en réseaux sociaux confèrent une capacité de politisation homogène que seuls les partis politiques fournissaient auparavant. Des systèmes d’agitation et de propagande qui contournent totalement les canaux traditionnels des médias deviennent non seulement viables, mais parviennent à acquérir un pouvoir d’enracinement social sans précédent. Ils permettent de doter leurs bases d’un sentiment d’héroïsme qui demeure interdit par les canaux traditionnels de communication. Ce n’est pas par hasard qu’ils opèrent à l’aide de campagnes numériques leur permettant de hiérarchiser des enjeux et des objectifs dans un environnement de crise, de manière à encourager des mouvements et des protestations dans la rue. Quand cela est nécessaire, ils organisent des attaques violentes contre les institutions qui confèrent une légitimité au régime démocratique, comme en Bolivie en 2019, aux États-Unis d’Amérique en 2021 et au Brésil en 2023.

49Le second facteur concerne le maintien, voire l’élargissement, de la capacité de groupes religieux à proposer des systèmes et des canaux autonomes de socialisation – voire de protection sociale – à leurs bases. Dans certains pays en particulier, comme en Amérique latine, où les réseaux de protection sociale construits par des systèmes sociaux-démocrates ont connu des crises, les formes de socialisation et la sécurité sociale sont disputées à l’État, de façon intense et très souvent avec succès par des groupes religieux. Caractérisés par une idéologie qui leur est propre, la politisation et la mobilisation de groupes religieux n’est pas une arme instrumentalisée de façon passive par le fascisme : le conservatisme et le traditionalisme chrétien ont permis d’organiser en Occident des bases sociales importantes pour des mouvements néofascistes. Il faut, en ce sens, s’interroger sur les causes de ce rapprochement.

Les enjeux autour du contenu du peuple-nation et la réaction des classes intermédiaires

  • 44 Schneider Etienne et Sandbeck Sune, « Monetary integration in the Eurozone and the rise of transnat (…)

50Les formes d’institutions imposées par l’avancée du néolibéralisme autoritaire, comme l’indiquent Etienne Schneider et Sune Sandbeck44, redéfinissent les États-nations. Par exemple, la promotion d’instances supranationales revendiquant la force légitime d’organiser les cadres légaux, surtout vis-à-vis du modèle macroéconomique, permet de réorganiser l’hégémonie du capital financier. En Europe particulièrement, ce processus a mené à l’élargissement des limites traditionnellement imposées par les États-nations à la circulation d’actifs financiers, de marchandises et de personnes.

51La concurrence pour des postes de travail et l’accès à des politiques sociales ainsi que les ressentiments provoqués par la frustration des attentes augmentent. Les conflits distributifs se retrouvent dans une impasse qui, confrontée aux limites imposées par des politiques néolibérales, génère de profondes déstabilisations du système politique et des crises de représentation partisane.

52Les États-nations dont l’histoire présente déjà de profondes asymétries en termes ethno-raciaux, témoignent de l’exacerbation de conflits qui revigorent des conceptions essentialisées et culturellement homogènes des identités nationales. Des mouvements de tendance nationaliste réactionnaire sortent renforcés avec la présence d’idéologies xénophobes, racistes et, dans les pays occidentaux centraux, islamophobes.

53Cela vaudrait la peine, en ce sens, de reprendre l’analyse que propose N. Poulantzas au sujet de la fonction de représentation unitaire que vise la catégorie de peuple-nation. Selon l’auteur, la structure juridico-politique de l’État capitaliste provoque un effet d’isolement quand elle interpelle les individus en tant que sujets de droit dont on abstrait la détermination de classe. En procédant de la sorte, on crée les conditions structurelles pour que les contrats de travail soient passés dans des conditions formelles d’égalité et que l’on établisse des équivalences légales entre les propriétaires de moyens de production et les vendeurs de force de travail.

54L’effet d’isolement n’empêche pas totalement la construction de collectifs par la socialisation intrinsèque aux processus de travail de la grande industrie capitaliste, dans la production ou dans les services. C’est pour contourner cette tendance venue « d’en bas » que l’État capitaliste a besoin de proposer une collectivité alternative qui accommode en son sein des identités professionnelles et de la classe des travailleurs dans son ensemble. C’est par cette fonction de représentation unitaire que le peuple-nation cherche à produire une identité collective autour de la nation afin de fonder l’hégémonie par l’organisation des classes dominantes et la déstructuration des classes dominées dans des limites territoriales historiquement constituées.

  • 45 Castells Manuel, Ruptura : la crisa de la democracia liberal, Madrid, Alianza Editorial, 2018 ; Str (…)

55L’aspect sur lequel nous attirons l’attention est, dans ce contexte de déstabilisation et des enjeux autour du contenu du peuple-nation, que l’on constate l’incapacité du modèle néolibéral à proposer une collectivité alternative qui puisse être suffisamment forte pour promouvoir la cohésion sociale et l’accommodation de conflits, générant le phénomène de la crise de légitimité45. À la différence de ce que suggère E. Traverso, bien que les forces néolibérales aient des institutions moulées sur leurs intérêts et qu’elles préservent encore leur autorité, il n’y a pas de « projet de société » suffisamment fort et endogène au néolibéralisme lui-même qui remplisse de manière satisfaisante les exigences idéologiques d’une collectivité pour le peuple-nation.

56Il s’agit d’un effet peu souligné d’un aspect constamment identifié par les récentes contributions d’auteur·rices foucaldiens au sujet de la production de la subjectivité néolibérale, laquelle fonctionne essentiellement comme une idéologie de petit propriétaire, d’individu-entreprise, qui exalte comme une valeur en soi la concurrence entre des agents supposément indépendants sur les marchés. La défense de la reprise de pouvoir illimité sur la propriété est une conséquence de la promotion de la subjectivité néolibérale et elle crée de forts liens avec les modèles autoritaires qui promettent de la préserver à tout prix, contribuant ainsi à exacerber l’effet d’isolement du droit bourgeois qui peut être symptomatiquement observé par la large diffusion de l’idéologie de l’entrepreneuriat dans le capitalisme contemporain, laquelle opère par le discours selon lequel les travailleur·ses sont des entrepreneur·ses ou leurs propres employeur·ses.

  • 46 N. Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, op. cit.

57Si la bureaucratie bourgeoise vise à rassembler les individus atomisés dans la collectivité du peuple-nation par la représentation unitaire46, le renforcement de l’effet d’isolement produit par l’idéologie de l’entrepreneuriat et la « gouvernance » technocratique néolibérale, laquelle cherche à immuniser l’État contre les pressions populaires, isolent de plus en plus les instances décisionnelles centrales et retirent progressivement le contenu social des régimes démocratiques.

58L’encouragement à l’individualisation des rapports sociaux reçoit comme réponse, dans la pratique, la reprise (sélective) d’identités collectives qui pourraient servir de récompenses idéologiques aux frustrations ou de barrières face aux pertes matérielles d’une grande partie de la société : des aspirations de régénération ou de purification (culturelle, religieuse, raciale, ethnique, etc.) du « peuple-nation », qui en viennent à légitimer des appareils répressifs de plus en plus étendus destinés à combattre les ennemis internes et externes.

59Ce point concernant l’idéologie du petit propriétaire se révèle également important, car il a une incidence sur le problème de la base sociale fondamentale du fascisme. La définition de N. Poulantzas (comme celle de P. Togliatti) définit le phénomène comme enraciné fondamentalement dans les couches intermédiaires de la société capitaliste : la classe moyenne salariée (la nouvelle petite-bourgeoisie, selon N. Poulantzas) et la petite-bourgeoisie traditionnelle.

  • 47 Jessop Bob. Nicos Poulantzas: Marxist Theory and Political Strategy, London, Macmillan, 1985, p. 23 (…)
  • 48 D. Guérin, Fascisme et grand capital, op. cit.

60Cette caractérisation donne la priorité au fait que, dans des contextes de crises typiques du processus de fascisation, la petite-bourgeoisie s’organise comme une force sociale distincte qui produit de profonds déséquilibres dans les rapports de forces existant, ce qui lui confère un certain appel « antisystème » capable d’offrir, comme l’observe B. Jessop lorsqu’il commente l’ouvrage de N. Poulantzas sur le fascisme, de nouveaux moyens de « cimenter » les formations sociales en termes idéologiques47 – même si, en dernier ressort, elle ne parvient pas à s’imposer complètement face à la domination du grand capital48.

  • 49 Palheta Ugo, La possibilité du fascisme : France, la trajectoire du désastre, Paris, La Découverte, (…)
  • 50 Cavalcante Sávio, « Classe média e ameaça neofascista no Brasil de Bolsonaro », Crítica Marxista, n(…)
  • 51 Carnes Nicholas et Lupu Noam, « The white working class and the 2016 election », Perspectives on Po (…)
  • 52 García Linera Alvaro, « O golpe militar foi uma vingança contra os indígenas », Jacobin Brasil [En (…)
  • 53 Cugnata Giuseppe, « Reconfiguração da extrema-direita: uma análise da composição eleitoral dos Frat (…)

61Dans plusieurs cas récents cités ci-dessus, on observe la relation organique de l’extrême droite avec la petite-bourgeoisie : dans les analyses de Ugo Palheta sur le Rassemblement National49, de Sávio Cavalcante sur le bolsonarisme50, de Nicholas Carnes et Noam Lupu sur le trumpisme51, de Alvaro García Linera sur le coup d´état contre le gouvernement du MAS-IPSP52 et de Giuseppe Cugnata sur Fratelli d’Italia53, qui abordent le profil de l’électorat et/ou des cadres et de la base politique des partis et des organisations d’extrême droite et néofascistes.

62Dans tous ces cas, même si ces mouvements sont parvenus à accroître leur base de soutien électoral et leur influence sur des segments des classes ouvrières et populaires, le noyau dur et actif de soutien à de telles forces, ainsi que les plus hauts cadres de ces partis, tend toujours à se concentrer majoritairement dans les classes intermédiaires. Autrement dit, si, d’une part, il est erroné d’ignorer l’impact populaire du néofascisme, de l’autre, c’est aussi une erreur de surestimer le vote et le soutien ouvrier et populaire aux forces néofascistes.

63Il faudrait, il est vrai, une analyse détaillée de l’extrême droite de chaque formation sociale pour évaluer de manière plus consistante la pertinence de la caractérisation du néofascisme. Cependant, comme nous l’avons défendu jusque-là, il est raisonnable de considérer des processus transnationaux plus larges qui, dans le contexte d’affaiblissement démocratique promu par le néolibéralisme autoritaire, renouvellent les menaces fascistes quand nous identifions, dans chaque cas, des contours de plus en plus nets de mouvements réactionnaires de masse enracinés principalement dans les couches intermédiaires des sociétés capitalistes.

Considérations finales

64Comme nous l’avons développé dans cet article, le concept d’étatisme autoritaire élaboré par N. Poulantzas s’est montré extrêmement pertinent du point de vue analytique en identifiant précocement une nouvelle phase du capitalisme qui a effacé de façon complexe les frontières entre les formes d’État démocratiques et d’exception.

65Beaucoup d’analyses ultérieures ont maintenu, d’une certaine façon, ce diagnostic de fond, même face au renforcement d’une extrême droite de plus en plus dénoncée comme xénophobe, raciste et défendant une suprématie blanche ou chrétienne. Dans cette perspective, le modèle capitaliste néolibéral aurait été suffisamment fort, non seulement pour créer et soutenir une forme démocratique vidée de son contenu social, mais aussi pour domestiquer les dissidences, à gauche et à droite, de façon à les accommoder à certains rites institutionnels formellement légitimes. La menace fasciste, par conséquent, serait structurellement dans l’impossibilité de se réaliser.

66Le « néolibéralisme existe réellement » et, de fait, il peut présenter des variations relativement larges qui contribuent au maintien de l’hégémonie néolibérale, même dans un contexte de crise économique.

  • 54 Fraser Nancy et Jaeggi Rahel. Capitalism: A conversation in critical theory, Cambridge, Polity, 201 (…)

67D’une part, des fractions du grand capital monopoliste (des grandes entreprises de haute technologie, en passant par des institutions financières avant d’arriver à l’industrie culturelle) ont produit ce que Nancy Fraser a appelé le « néolibéralisme progressiste54 », c´est-à-dire la variété néolibérale qui absorbe sélectivement des demandes et des revendications de redistribution et de reconnaissance venues de mouvements sociaux qui politisent la différence (de genre, de race/ethnie, de sexualité, etc.) ou de revendications écologiques (protection de l’environnement, lutte contre le réchauffement climatique, etc.). La défense, bien que générique, de la diversité radicalise l’idéologie méritocratique quand elle cherche à atténuer les barrières qui empêchent l’ascension de « grands talents ».

  • 55 Harvey David, A brief history of neoliberalism, Oxford, Oxford University Press, 2005.
  • 56 Cooper Melinda, Family values: between neoliberalism and the new social conservatism, New York, Zon (…)

68D’autre part, il y a la confluence entre des néolibéraux et des groupes conservateurs, surtout religieux, qui cherchent à revaloriser l’institution « famille » face à l’État. Le néoconservatisme de Ronald Reagan aux États-Unis d’Amérique dans les années 1980 et de Jair Bolsonaro dans le Brésil actuel sont des exemples concrets importants de cette articulation. Bien que leurs positions initiales soient distinctes, le néolibéralisme et le conservatisme peuvent converger au sujet de la défense, en dernier recours, de « l’individu et sa famille » – un aspect indiqué par David Harvey55 et développé par Melinda Cooper à propos des États-Unis d’Amérique56.

69Si ces variétés du néolibéralisme bien réelles peuvent conférer, d’une part, une certaine élasticité à l’hégémonie néolibérale, de l’autre, il est tout aussi important de ne pas ignorer un contexte commun qui impose de sérieuses limites à sa reproduction sociale plus large. Aussi bien dans la variété progressiste que dans la variété conservatrice, le déficit de cohésion sociale persiste ainsi que l’exacerbation des conflits provoqués par la dissolution de réseaux de protection démarchandisés et par la radicalisation de l’idéologie entrepreneuriale du petit propriétaire.

  • 57 Ferrari Saverio, « Neofascismo, extrema direita e racismo hoje na Itália », Crítica Marxista, no 50 (…)

70Sans altérations de la base matérielle économique, la défense de la diversité et du multiculturalisme du néolibéralisme progressiste prête peu attention à la lutte contre l’inégalité et la pauvreté et il n’est pas rare qu’elle s’exprime culturellement de façon élitiste. Au sujet de la variété conservatrice qui, au contraire, présente une capacité de mobilisation de masse à caractère populaire, la dimension réactionnaire de sauvetage des traditions peut prendre ses distances vis-à-vis du programme néolibéral. Le discours de G. Meloni – dont les rapports de son parti avec des groupes ouvertement fascistes sont bien connus57 – est emblématique en ce sens :

  • 58 Meloni Giorgia, « Giorgia Meloni – Dans ses propres mots », International Family News [En ligne].

Pourquoi la famille est-elle l’ennemi ? Pourquoi la famille est-elle si effrayante ? Il y a une seule réponse à toutes ces questions. Parce qu’elle nous définit. Parce que c’est notre identité. Parce que tout ce qui nous définit est désormais un ennemi. Pour ceux qui voudraient que nous n’ayons plus d’identité et que nous soyons simplement de parfaits esclaves consommateurs. Et donc, ils attaquent l’identité nationale, ils attaquent l’identité religieuse, ils attaquent l’identité de genre, ils attaquent l’identité familiale. Je ne peux pas me définir comme italienne, chrétienne, femme, mère. Non. Je dois être Citoyen X, Sexe X, Parent 1, Parent 2, je dois être un numéro. Parce que quand je ne serai qu’un numéro, quand je n’aurai plus d’identité ni de racines, alors je serai le parfait esclave à la merci des spéculateurs financiers. Le parfait consommateur. […] Parce que nous ne voulons pas être des numéros. Nous défendrons la valeur d’un être humain. Chaque être humain. Parce que chacun d’entre nous a un code génétique unique qui n’est pas reproductible. Et, qu’on le veuille ou non, c’est sacré. Nous la défendrons. Nous défendrons Dieu, notre pays et notre famille58.

  • 59 La différence entre les pays centraux et dépendants réapparait quand nous observons l’inexistence, (…)

71Les enjeux autour du contenu du peuple-nation s’expriment, de fait, de façon différente dans les pays centraux et dépendants. Alors qu’aux États-Unis d’Amérique et en Europe la réaction la plus répandue consiste à produire des ennemis externes et internalisés (respectivement, les immigrant·es et les descendant·es d’immigrant·es né·es dans ces pays) qui menacent la communauté nationale, dans les pays dépendants, le problème apparaît avec les ennemis internes qui, même s’ils sont déjà historiquement intégrés, sont attaqués quand ils cherchent à faire valoir leurs droits et la reconnaissance multiculturelle – les cas les plus emblématiques sont la réaction aux revendications pour des États plurinationaux et la participation d’indigènes dans le processus politique national, comme en Bolivie, et aux bénéficiaires de quotas raciaux et de programmes sociaux de combat contre la faim et la pauvreté qui vivent au Nordeste et dans les banlieues du Brésil59.

  • 60 Emilio Gentile représente peut-être la position la plus ouvertement opposée à une application plus (…)

72Les analyses qui critiquent la pertinence du concept de fascisme pour caractériser l’extrême droite dans divers pays actuellement, outre le fait de mettre l’accent sur les différences du contexte historique dans lequel le fascisme classique a surgi, valorisent la capacité des mouvements réactionnaires de s’adapter à des formes démocratiques qui absorbent des mécanismes d’exception. Bien que ce soit encore un processus en cours, nous attirons ici l’attention sur le fait que ces mouvements de masse réactionnaires, enracinés dans des couches intermédiaires, ne peuvent être vus que comme des agents passifs ou instrumentalisés par les classes dominantes. De même que dans le passé, il faut reconnaître l’autonomie de ces mouvements et leur capacité de resignification et de mise à jour d’idéologies de régénération et de purification du « corps national ». Même le militarisme typique du fascisme peut et s’est reconfiguré face à un ordre international différent de celui du début du 20e siècle et il produit de nouvelles formes de normalisation de la violence contre des ennemis internes et externes60.

73Enfin, à certains moments, en principe uniquement identifiés post festum, des points de non-retour sont atteints et les leaders eux-mêmes de ces mouvements peuvent être poussés à la radicalisation par une base sociale qui ne se satisfait plus des limites imposées par les régimes démocratiques libéraux.

74L’acceptation par plusieurs groupes et mouvements de l’extrême droite contemporaine des limites formelles de la démocratie libérale ne peut être prise de manière définitive, c’est-à-dire comme s’il s’agissait d’une caractéristique essentielle et non du résultat d’un rapport de force spécifique. Ce n’est pas un hasard si nombre des mouvements mentionnés ici (comme en Bolivie, aux États-Unis d’Amérique et au Brésil), bien qu’ils participent à des élections libres et se disputent des postes parlementaires, ne cessent de remettre ouvertement en question la légitimité du suffrage et refusent d’accepter la légitimité de la victoire de leurs adversaires.

  • 61 Hobsbawn Eric, L’ère des extrêmes : histoire du court XXe siècle (1914-1991), 2e éd. révisée, actua (…)

75Dans son célèbre ouvrage The Age of Extremes, l’historien marxiste Eric Hobsbawm a souligné que la crise de la démocratie libérale dans l’entre-deux-guerres avait été fondamentalement provoquée par les mouvements et les forces de droite et d’extrême droite sous leurs différentes formes autoritaires, y compris la forme fasciste61. Autrement dit, la crise du libéralisme n’a pas été engendrée par les forces révolutionnaires et/ou réformistes. Une telle caractérisation nous semble juste pour analyser l’actualité du fascisme et le traiter comme une possibilité historique dans le cadre du capitalisme – thèse qui a été formulée par N. Poulantzas il y a plus de 50 ans.

76Traduit par Bertrand Borgo

Savio M. Calvacante et Danilo Enrico Martuscelli.


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Bibliographie

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Savio M. Calvacante et Danilo Enrico Martuscelli.


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Notes

1 Poulantzas Nicos, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, Paris, François Maspero, 1968.

2 Poulantzas Nicos, L’État, le pouvoir, le socialisme, Paris, Presses universitaires de France, 1978.

3 Poulantzas Nicos, Fascisme et dictature. La IIIe internationale face au fascisme, Paris, François Maspero, 1970.

4 Poulantzas Nicos, Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, Paris, Seuil, 1974.

5 Poulantzas Nicos, La crise des dictatures : Portugal, Grèce, Espagne, Paris, François Maspero, 1975.

6 Le concept de forme d’État est employé par N. Poulantzas pour désigner à la fois à la relation entre la bureaucratie étatique et le Parlement (forme démocratique et dictatoriale) dans le processus décisionnel, et pour se référer aux types d’intervention de l’État dans l’économie (interventionniste et libérale) qui correspondent aux différents stades du capitalisme. Dans cet article, nous n’aborderons que la première définition. Pour une analyse des deux sens que Poulantzas donne au concept de forme d’État, voir Martuscelli Danilo Enrico, « Nicos Poulantzas e a teoria política do fascismo : 50 anos depois », Revista Princípios, no 161, 2021, p. 51-58.

7 S’inspirant des analyses de N. Poulantzas au sujet du processus de fascisation, Armando Boito Jr. a tenté d’examiner la spécificité de la crise politique qui a permis l’émergence du néofascisme au Brésil dans la conjoncture postérieure au coup d’État contre le gouvernement Dilma Rousseff et qui s’est consolidé avec l’arrivée de Jair Bolsonaro au gouvernement fédéral. Nous utilisons également les réflexions de A. Boito Jr. pour aborder le phénomène de la crise politique à laquelle le processus de fascisation est lié (Boito Jr. Armando, « O caminho brasileiro para o fascismo », Caderno CRH, no 34, 2021, p. 1-23).

8 Entre la fin de 1974 et le début de 1975, l’intellectuelle marxiste italienne Maria-Antonietta Macciocchi a organisé un ensemble de séminaires sur le fascisme à l’Université de Paris VIII (Vincennes). Dans le plan de travail, figuraient les axes de discussion suivants : « Les origines du fascisme » ; « Le fascisme des années 22-43 en Italie » ; « Les années de Weimar et la montée du nazisme » ; « le “néofascisme” aujourd’hui ». N. Poulantzas enseignait dans cette institution et il a donné le séminaire « Le mouvement ouvrier face au fascisme ». Cette analyse fut publiée ultérieurement avec le titre « À propos de l’impact populaire du fascisme » dans les actes du séminaire (Maciocchi Maria-Antonietta (Éd.), Éléments pour une analyse du fascisme, Paris, UGE, 1976). Dans l’introduction de ce recueil, M. A. Macciocchi met en lumière la pertinence et l’importance que le débat sur le fascisme était en train d’acquérir en Europe au début des années 1970 : « Après 1968, les jeunes générations se sont aperçues que le fascisme n’avait pas disparu avec la guerre mondiale et la défaite militaire. La bourgeoisie capitaliste repartait à l’assaut, prête à tout oser pour arrêter le mouvement qui avait créé mai 1968 en France et l’automne chaud de 1969 en Italie. A Milan, nous avons entendu le vieux bruit de bottes, le 12 décembre 1969 dans la Strage di stato, première réaction néo-fasciste. Par la suite, il y aura, Reggio Calabria et toute une série de crimes fascistes perpétrés par des bandes armées, jusqu’au dernier massacre d’août 1974. En France se manifestèrent des formes souterraines de répression fasciste dont l’assassinat de Pierre Overney demeure, en un certain sens, le symbole. Au Chili : coup d’État. En Espagne, exécutions de militants révolutionnaires, crime qui montre à la face de l’Europe la violence d’une dictature fasciste installée en elle comme un abcès que, finalement, elle tolère même après la mort de Franco. Cette génération n’a pas vu surgir la révolution mais la contre-révolution, et le fascisme lui est apparu comme le danger du présent et non comme le spectre du passé. D’un coup, elle s’est aperçue qu’elle était démunie d’éléments d’analyse. » (Ibid., p. 7-8).

9 N. Poulantzas, Fascisme et dictature, op. cit., p. 72.

10 Ibid.

11 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 238-239.

12 Ibid., p. 226.

13 Jessop Bob, « On the Originality, Legacy, and Actuality of Nicos Poulantzas », Studies in Political Economy, no 34/1, 1991, p. 75-107.

14 Bien qu’il ne fasse aucune référence à l’œuvre de N. Poulantzas, Domenico Losurdo emploie le concept de « bonapartisme soft » pour pratiquement traiter des mêmes aspects qui caractérisent le concept d’étatisme autoritaire (Losurdo Domenico, Democracia ou bonapartismo : triunfo e decadência do sufrágio universal, Rio de Janeiro, São Paulo, UNESP, 2004).

15 Foucault Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Seuil & Gallimard, 2004.

16 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 186 [souligné dans l’original].

17 Bruff Ian, « The rise of authoritarian neoliberalism », Rethinking Marxism, no 26, 2014, p. 113-129 ; Bruff Ian et Tansel Cemal Burak, « Authoritarian neoliberalism: trajectories of knowledge production and praxis », Globalizations, no 16/2, 2019, p. 233-244 ; Gallo Ernesto, « Three varieties of Authoritarian neoliberalism: rule by experts, the people, the leader », Competition & Change, no 26/5, 2021, p. 554-574 ; Jayasuriya Kanishka, « Authoritarian Statism and the New Right in Asia’s Conservative Democracies », Journal of Contemporary Asia, no 48/4, p. 584-604 ; Jessop Bob, « Authoritarian neoliberalism: Periodization and critique », The South Atlantic Quartely, no 118/2, 2019, p. 343-361 ; Oberndorfer Lukas, « Between the normal State and an exceptional State form: authoritarian competitive statism and the crisis of democracy in Europe », in Wöhl Stefanie et al. (Éds.), The State of the European Union: fault lines in European integration, New York, Springer, 2020, p. 23-44.

18 Brown Wendy, « American nightmare: neoliberalism, neoconservatism, and de-democratization », Political Theory, no 34/6, 2006, p. 690-714.

19 Dardot Pierre et Laval Christian, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2010.

20 Hall Stuart, « Authoritarian populism : a reply », New Left Review, no 151/1, 1985, p. 115-123. S. Hall a été l’un des pionniers dans l’utilisation du concept de « populisme autoritaire ».

21 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 269.

22 Boukalas Christos, « No exceptions: authoritarian statism. Agamben, Poulantzas and homeland security », Critical Studies on Terrorism, no 7/1, 2014, p. 112-130.

23 Wacquant Loïc, Punishing the poor: The neoliberal government of social insecurity, Durham, Duke University Press, 2009.

24 Davidson Neil, « Crisis neoliberalism and regimes of permanent exception », Critical Sociology, no 43/4-5, 2017, p. 615-634.

25 P. Dardot et C. Laval, La nouvelle raison du monde, op. cit.

26 I. Bruff, « The rise of authoritarian neoliberalism », Art. cit.

27 Traverso Enzo, « Universal fascism? A response to Ugo Palheta », Historical materialism [En ligne].

28 Levitsky Steven et Ziblatt Daniel, How Democracies Die, New York, Crown, 2018 ; Runciman David, How Democracy Ends, New York, Basic Books, 2018. Sur l’usage du concept de populisme autoritaire, voir Norris Pippa et Inglehart Ronald, Cultural Backlash. Trump, Brexit and Authoritarian Populism, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.

29 Mounk Yascha, O povo contra a democracia: por que nossa liberdade corre perigo e como salvá-la, São Paulo, Companhia das Letras, 2019 ; Krastev Ivan et Holmes Stephen, The light that failed: why the West is losing the fight for democracy, New York, Pegasus Books, 2020.

30 E. Traverso, « Universal fascism ? », Art. cit.

31 Ibid.

32 N. Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, op. cit. ; N. Poulantzas, Fascisme et dictature, op. cit.

33 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit., p. 231.

34 Ibid., p. 233 [souligné par les auteurs].

35 A. Boito Jr., « O caminho brasileiro para o fascismo », Art. cit.

36 Togliatti Palmiro, Lições sobre o fascismo, São Paulo, Livraria Editora de Ciências Humanas, 1978.

37 N. Poulantzas, Fascisme et dictature, op. cit.

38 P. Togliatti a été l’un des premiers à mettre en évidence la thèse selon laquelle l’une des caractéristiques spécifiques de la dictature fasciste est l’existence d’une base réactionnaire de masse mobilisée (P. Togliatti, Lições sobre o fascismo, op. cit.). La thèse de la petite-bourgeoisie comme base sociale fondamentale du fascisme a été formulée plus tôt dans les années 1920 à 1940 par des intellectuel·les et militant·es communistes : Gramsci Antonio, « Il popolo delle scimmie », in Gramsci Antonio, Socialismo e fascismo. L’Ordino nuevo 1921-1922, Einaudi, Turin, 1966, p. 9-12 [1921] et Gramsci Antonio, « I due fascismi », in Gramsci Antonio, Sul fascismo, Rinunitti, Roma, 1973, p. 133-136 [1921] ; Zetkin Clara, « La lutte contre le fascisme », in Zetkin Clara, Batailles pour les femmes, Éd. De Gilbert Badia, trad. par Gilbert Badia et al., Paris, Éditions sociales, 1980 [1923], p. 391-418 ; Pachoukanis Evgueni, « Para uma caracterização da ditadura fascista », in Fascismo, trad. Par Paula Vaz de Almeida, São Paulo, Boitempo, 2020 [1926] et Pachoukanis Evgueni, « Fascismo », in Fascismo, trad. Par Paula Vaz de Almeida, São Paulo, Boitempo, 2020 [1927] ; Trotsky Leon, « Le tournant de l’Internationale communiste et la situation en Allemagne », in Trotsky Léon, Problèmes de la révolution allemande, Paris, Ligue communiste, 1931 [1930], p. 31-49 ; Guérin Daniel, Fascisme et grand capital, Paris, Gallimard, 1936 ; Reich Wilhelm, « Ideology as a Material Force », in Reich Wilhelm, The Mass Psychology of Fascim, Éd. De Mary Higgins et Chester M. Raphael, trad. Par Vincent R. Carfagno, The Noonday Press, New York 1970 [1933], p. 3-33 et Reich Wilhelm, « The Authoritarian Ideology of the Family in the Mass Psychology of Fascism », in Reich Wilhelm, The Mass Psychology of Fascim, Éd. De Mary Higgins et Chester M. Raphael, trad. Par Vincent R. Carfagno, The Noonday Press, New York 1970 [1933], p. 34-74.

39 A. Boito Jr., « O caminho brasileiro para o fascismo », Art. cit., p. 12.

40 N. Poulantzas, L’État, le pouvoir, le socialisme, op. cit.

41 C. Boukalas« No exceptions », Art. cit.

42 Ce qui ne signifie pas que dans ces pays il n’existe pas de mouvements fascistes, mais plutôt qu’ils disposent d’une moindre capacité de mobilisation de masse, ce qui les empêchera d’accéder à des victoires électorales ou militaires de manière autonome.

43 Un aspect signalé par Palheta Ugo, « Fascism, fascisation, antifascism », Historical materialism [En ligne].

44 Schneider Etienne et Sandbeck Sune, « Monetary integration in the Eurozone and the rise of transnational authoritarian statism », Competition & Change, no 23/2, 2019, p. 138-164.

45 Castells Manuel, Ruptura : la crisa de la democracia liberal, Madrid, Alianza Editorial, 2018 ; Streeck Wolfgang, Du temps acheté : la crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, trad. par Frédéric Joly, Paris, Gallimard, 2014 [2013].

46 N. Poulantzas, Pouvoir politique et classes sociales de l’État capitaliste, op. cit.

47 Jessop Bob. Nicos Poulantzas: Marxist Theory and Political Strategy, London, Macmillan, 1985, p. 236.

48 D. Guérin, Fascisme et grand capital, op. cit.

49 Palheta Ugo, La possibilité du fascisme : France, la trajectoire du désastre, Paris, La Découverte, 2018.

50 Cavalcante Sávio, « Classe média e ameaça neofascista no Brasil de Bolsonaro », Crítica Marxista, no 50, 2020, p. 121-130.

51 Carnes Nicholas et Lupu Noam, « The white working class and the 2016 election », Perspectives on Politics, no 19/1, 2021, p. 55-72.

52 García Linera Alvaro, « O golpe militar foi uma vingança contra os indígenas », Jacobin Brasil [En ligne] ; García Linera Alvaro, « Como o marxismo indigenista venceu o golpe na Bolívia – e é fundamental para o socialismo democrático », Jacobin Brasil [En ligne].

53 Cugnata Giuseppe, « Reconfiguração da extrema-direita: uma análise da composição eleitoral dos Fratelli d’Italia e da Lega depois das eleições nacionais italianas de 2022 », Observatório Extrema Direita [En ligne].

54 Fraser Nancy et Jaeggi Rahel. Capitalism: A conversation in critical theory, Cambridge, Polity, 2018.

55 Harvey David, A brief history of neoliberalism, Oxford, Oxford University Press, 2005.

56 Cooper Melinda, Family values: between neoliberalism and the new social conservatism, New York, Zone Books, 2017.

57 Ferrari Saverio, « Neofascismo, extrema direita e racismo hoje na Itália », Crítica Marxista, no 50, 2020, p. 143-150.

58 Meloni Giorgia, « Giorgia Meloni – Dans ses propres mots », International Family News [En ligne].

59 La différence entre les pays centraux et dépendants réapparait quand nous observons l’inexistence, dans les pays dépendants, d’une extrême droite qui questionne, même de façon diffuse, le néolibéralisme et les institutions qui lui apportent leur soutien. Cela était très évident dans la politique économique, sociale et externe appliquée par le gouvernement de J. Bolsonaro, qui a suivi à la lettre les diktats néolibéraux, et qui s’est aussi manifesté au sujet des revendications de groupes comme la Media Luna bolivienne, qui ont fait une opposition ouverte et intransigeante contre les gouvernements du MAS-IPSP.

60 Emilio Gentile représente peut-être la position la plus ouvertement opposée à une application plus large du concept de fascisme aujourd’hui. Définissant les arguments contraires comme « ahistoriques », E. Gentile limite le fascisme au mouvement qui s’est formé en Italie : « dans l’entre-deux-guerres [le fascisme est devenu] un parti de milice, un régime totalitaire, une religion politique, un enbrigadement de la population, un militarisme intégral, une préparation belliqueuse à l’expansion impériale et un modèle pour d’autres partis et régimes apparus à la même époque en Europe, avant d’être submergé et détruit par la défaite militaire en 1945 ». Les fascistes ne seraient que ceux qui revendiquent l’identité du fascisme historique italien. Pour l’auteur, l’association du racisme et de la xénophobie de l’extrême droite, ainsi que le traditionalisme catholique de certains groupes, ne suffisent pas à les comprendre à travers le concept de fascisme (Gentile Emílio, Chi è fascista, Bari, GLF editori Laterza, 2019, p. 15-16 et 112). Cet argument, qui souligne la dimension traditionaliste de l’idéologie d’extrême droite et la différencie du fascisme, se retrouve également dans Teitelbaum Benjamin, War for Eternity : The Return of Traditionalism and the Rise of the Populist Right, London, Penguin Books, 2020.

61 Hobsbawn Eric, L’ère des extrêmes : histoire du court XXe siècle (1914-1991), 2e éd. révisée, actualisée et complétée, trad. par Thierry Discepolo et Laure Mistral, Marseille, Agone, 2020 [1995].

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sávio M. Cavalcante et Danilo Enrico Martuscelli« Contributions théoriques de Nicos Poulantzas pour l’analyse de l’extrême droite contemporaine »Terrains/Théories [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 13 mars 2024, consulté le 02 octobre 2024URL : http://journals.openedition.org/teth/5737 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.5737

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Auteurs

Sávio M. Cavalcante

Sávio M. Cavalcante est professeur de sociologie à l’Institut de Philosophie et de Sciences Humaines (IFCH) de l’Université de Campinas (Unicamp)/Brésil. Ses recherches actuelles portent sur les classes sociales, les classes moyennes, la méritocratie, le néolibéralisme, la sociologie du travail et la théorie sociologique. Contact : saviomc@unicamp.br

Danilo Enrico Martuscelli

Danilo Enrico Martuscelli est professeur de science politique à l’Institut des Sciences Sociales (INCIS) de l’Université Fédérale d’Uberlândia (UFU)/Brésil. Ses recherches actuelles portent sur les classes sociales, les fractions bourgeoises, les crises politiques, le néolibéralisme, la politique latino-américaine contemporaine et la théorie politique. Contact : daniloenrico@ufu.br

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A LIRE.
POUR a présenté depuis plusieurs mois  divers articles et vidéos sur l’évolution,  la radicalisation et la montée en puissance  depuis plusieurs années des forces conservatrices, des forces illibéralles et des forces d’extrême-droite dans divers pays européens (Angleterre, France, Italie, Hongrie, Autriche, Espagne) et sur divers aspects soit des recompositions en cours soit  programmatiques soit de leurs usages de l’Etat. POUR continuera de présenter de tels textes. Il a paru cependant intéressant de donner à lire quelques outils plus théoriques de compréhension du phénomène que nous vivons actuellement (et qui n’est pas la replication de la montée du facisme en Italie ou du nazisme en Allemagne) au travers de divers textes utilisant l’apport de Nicos Poulantzas, décédé le 3 octobre 1979, un des derniers grands théoriciens marxistes critiques, qui s’était intéressé tant au facisme qu’aux transformations et usages de l’Etat, thème que présente la Revue “Terrains, Théories” dans sa dernière édition N°18/2024.
●”L’Etat, le contrepouvoir et le postfacisme : de Poulantzas à nos jours, entretien de Matteo Polleri avec Alvaro Garcia Linera, Vice Président de Bolivie jusqu’en 2019, et Sandro Mezzadra, professeur à l’université de Bologne, Italie”, 2024, revue “Terrains Théories”, en accès libre.
●”Facisme et dictature. La III Internationale face au facisme, de Nicos Poulantzas, Editions Maspero, Paris, 1978″, Analyse critique, Yohann Drouet, 2024, revue “Terrains Théories”, en accès libre.
●”Poulantzas, Syriza et les antinomies de la politique de gauche dans les sociétés libérales”, Peter Bratsis, 2024, revue “Terrains Théories”, en accès libre.
●”Nicos Poulantzas en tant que philosophe et politologue de l’Etat moderne”, Alexis Michaloudas, 2024, revue “Terrains Théories”, en accès libre.
●”Poulantzas, L’Etat comme rapport social”, Bob Jessop, 2024, revue “Terrains Théories”, en accès libre.