Les deux mois écoulés à la recherche d’un Premier ministre, ont fait régresser la question démocratique dans la V° République. Qu’en est-il de l’action du Nouveau Front Populaire sur ce plan ? La Convention pour la 6° République en a débattu et rend publique son analyse.
La crise sans fin que nous traversons est à un moment qui ne fait que l’aggraver. La nomination d’un Premier ministre, après deux mois de tergiversations, n’entrave en rien la longue marche vers l’abime, précipitée par la dissolution de l’Assemblée nationale. Bien au contraire : à l’opposé de législatives qui ont vu deux tiers des électeurs s’opposer à l’Extrême-droite, nous en sommes à un gouvernement que celle-ci va soutenir sans y participer, accentuant ainsi sa banalisation.
Cette aberration démocratique est due au talent d’un Président erratique qui a choisi un chef de gouvernement dont la formation n’a réuni que 5,4% des voix le 7 juillet dernier. Lequel s’est fait connaître en 2021 lors des primaires de la droite par des propositions plus extrêmes encore que celle de Marine Le Pen (sur l’immigration ou un « bouclier constitutionnel » contre les droits fondamentaux reconnus par les juridictions internationales et européennes). Emmanuel Macron passera donc à la postérité comme le responsable d’une faillite politique sans précédent dans la V° République.
Mais c’est bien celle-ci qui est le socle de ce vaste désordre. Nous sommes dans une crise de régime où les institutions alimentent un dérèglement constitutionnel sans issue. L’hyper-présidentialisme qu’elles ont produit, a ruiné l’équilibre des pouvoirs, la responsabilité des gouvernants, la légitimité parlementaire. La V° République est bien cette « machine à trahir » que nous avons inlassablement combattue depuis deux décennies et plus.
Le succès électoral du Nouveau Front Populaire (NFP) aurait pu être une opportunité d’y remédier si le Président avait respecté la pratique partout en vigueur en Europe, donnant au leader de la formation arrivée en tête des législatives, la responsabilité de constituer un gouvernement de coalition. C’est l’Assemblée qui décidait si celui-ci était viable, faute de quoi cette responsabilité passait au second en nombre de sièges. Mais c’est bien la Constitution de 1958 et le mode de scrutin majoritaire qui empêchent ce processus. En situant le choix du Premier ministre en dehors du périmètre parlementaire, elle le place dans l’orbite d’un Président qui le sélectionne plus qu’il ne le nomme. Ce faisant, il n’a commis aucune forfaiture. Il a agi comme un président qui gouverne et concentre toutes les fonctions de « l’Exécutif », avec l’encouragement de la constitution.
On aurait pu espérer que le NFP dénonce d’emblée ce système. Au lieu de quoi il a ouvert une trop longue période de choix d’un ou d’une « premier-ministrable » allant jusqu’à cet ahurissant « entretien d’embauche » de sa candidate par le président, assorti d’une satisfaction publiquement exprimée de la délégation du NFP qui l’accompagnait.
L’autre voie eut été de former un contre-gouvernement pluraliste et ouvert à la société civile. Le très grand nombre d’associations et syndicats qui s’étaient efficacement mobilisés dans sa victoire contre le Rassemblement National étant un atout rare et précieux pour une mobilisation démocratique et populaire.
Entre autres mesures, actualisant celles de son « contrat de législature » adoptée le 13 juin, le NFP aurait pu retenir l’application de l’article 11 de la Constitution qui prévoit une « proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions » pour que le Président de la République soumette à référendum «un projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». En l’occurrence celui-ci porterait sur la suppression de trois articles de la Constitution : l’article 8 (le président nomme – et révoque de fait – le Premier ministre), l’article 9 (le Président « préside le conseil des ministres ») et l’article 12 (le Président a l’exclusivité du droit de dissolution).
Au lieu de cela, le Premier ministre sera choisi et investi par l’Assemblée nationale. C’est lui qui aura le droit de dissolution. C’est la possibilité d’une évolution tranquille vers un régime primo-ministériel, surtout si s’y greffe l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel, objet d’une proposition de loi votée par l’Assemblée. Si E. Macron refusait la proposition, il aurait à justifier la conservation de son pouvoir exorbitant, tel qu’il en faisait abusivement usage en ces circonstances.
Non seulement cette voie n’a même pas été évoquée mais le silence a été total sur des réformes possibles du régime et leur pertinence pour en sortir. Des solutions maximalistes (une destitution du chef de l’Etat, une convocation d’une assemblée constituante) improbables ou impraticables en regard du texte constitutionnel, ont été préférées.
La suite n’est pour autant pas écrite. Face à l’hypothèse d’une démission du Président avant le terme de son quinquennat, il faut espérer un sursaut sans délai du NFP. Le passage à une 6° République qui figure dans son programme peut s’imaginer selon deux perspectives.
D’abord celle de l’élection présidentielle elle-même, supposant que le ou la candidate, désigné-e par une Primaire, fasse entre autres, campagne sur un projet de révision. Une fois élu-e, celui-ci serait discuté à la fois par le parlement et par un comité constitutionnel participatif, avec ratification référendaire.
Ensuite et dès maintenant, celle d’une « Assemblée citoyenne » du type « Convention pour le climat » installée en octobre 2019 par le Conseil Economique, Social et Environnemental. Le champ serait ouvert à des initiatives délibératives dans tout le pays, autour d’objectifs rendant désirable un processus constituant, cheminant de manière convaincante jusqu’aux élections de 2027. La communication libre et entière des Cahiers de doléance déposés dans les mairies à la fin du mouvement des Gilets jaunes, pourrait être un premier acte de cette démarche.
Tous ces sujets (quelle proportionnelle, quel processus constituant, quel système de pouvoirs ?) méritent débat. Jamais comme aujourd’hui, une crise de régime n’aura appelé autant de réponses pour configurer une démocratie sociale et politique adéquate à une société profondément transformée. L’archaïsme de la V° République est un cancer qui la menace à travers les derniers sursauts du macronisme et la montée en puissance du lepenisme. Il importe d’avancer des solutions pour s’en défaire. La question démocratique est plus que jamais partie intégrale de la question sociale. La Convention pour la 6° République se tient prête à contribuer au mouvement de sa résolution.
Le Conseil d’Administration de la Convention pour la 6° République,
le 7 septembre 2024.
Professeur Emérite à l’Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).