James Bond passe pour un valet de l’impérialisme aux idées réactionnaires. Mais une analyse plus subtile le présente comme un dandy anticonformiste qui défend des valeurs humanistes face à des puissances capitalistes. Malgré le ton léger et les scènes d’action spectaculaires, la saga des James Bond soulève de nombreux enjeux politique.
Les philosophes du cinéma et les intellectuels n’apprécient pas les films de James Bond. L’espion est perçu comme un agent de l’anticommunisme. Pourtant, derrière l’action légère, ce personnage évoque la géopolitique et réinvente les codes culturels. Les films de James Bond rencontrent un grand succès populaire. Cette saga s’amorce en 1962 pour se prolonger jusqu’à aujourd’hui.
Les aventures de James Bond évoquent les évolutions internationales. L’agent 007 émerge au cœur de la guerre froide qui oppose les États-Unis et l’URSS. Mais James Bond affronte également de nouveaux ennemis comme la cyberguerre, la propagande médiatique, les banquiers criminels et même des terroristes au service d’entreprises multinationales. Les films de James Bond sont traversés par d’autres questions comme les relations entre hommes et femmes ou les références culturelles. Le philosophe Aliocha Wald Lasowski revient sur cette saga dans son livre Les cinq secrets de James Bond.
Au cœur de la géopolitique
Le personnage de James Bond est créé par Ian Fleming en 1953. L’agent secret apparaît au cinéma en 1962. L’URSS envoie des missiles à Cuba, à portée de Miami et de la Floride. James Bond contre Docteur No évoque les dangers destructeurs de la science et de la recherche nucléaire. « Le personnage de James Bond naît au cinéma pendant que le monde tremble et retient son souffle. Alors que 007 enquête sur les expériences inquiétantes de Docteur No en matière de radioactivité, et découvre son projet de folie destructrice, le risque de guerre nucléaire à l’échelle planétaire est imminent en 1962 entre les deux superpuissances », observe Aliocha Wald Lasowski. En 1962, avec la crise des missiles de Cuba, la guerre peut éclater à tout moment.
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Dans la réalité comme dans la fiction, c’est un sentiment d’urgence qui s’impose. James Bond doit rapidement trouver l’origine d’une menace radioactive. Le cinéma compense l’affaiblissement de la puissance britannique désormais inféodée à l’OTAN. La Grande-Bretagne perd également son empire colonial. Dans James Bond contre Docteur No, l’espion ne parvient pas à joindre les bureaux du MI6 en Angleterre depuis la Jamaïque. Cette ancienne colonie britannique devient indépendante en 1962. L’ancienne puissance impériale décline et tente de se trouver un nouveau rôle sur la scène internationale.
Face aux nouvelles menaces, James Bond incarne les valeurs occidentales de démocratie et de justice. « Contre la violence, le terrorisme, la dictature et le totalitarisme, il défend l’ensemble des libertés individuelles : la culture occidentale, la liberté politique, la démocratie libérale et les droits de l’homme », décrit Aliocha Wald Lasowski. Depuis sa création, l’agent secret s’oppose au modèle de l’URSS. Il pratique l’enquête et le renseignement. Ses missions visent à sauver et à protéger des populations civiles innocentes. « Les missions internationales de l’agent secret ont toujours pour objectif de protéger l’individu et la société », indique Aliocha Wald Lasowski.
Mais il se fie davantage à son instinct et à sa sensibilité plutôt qu’aux ordres les plus stricts. Il se met en danger pour le bien commun et incarne une figure moderne de l’héroïsme chevaleresque. Ensuite, James Bond délaisse les intérêts géo-stratégiques nationaux. Il n’hésite pas à s’allier à des agents étrangers de la CIA et même du KGB pour combattre un ennemi global qui menace de détruire les populations civiles.
James Bond développe une action transfrontalière de l’espionnage qui dépasse l’opposition de la guerre froide. « Son imaginaire politique renouvelle les pactes et les stratagèmes. Son talent intuitif au service d’une cause démocratique et humaniste, sans intérêts particuliers ou nationaux, donne à son action une influence mondiale et une dimension internationale », observe Aliocha Wald Lasowski. Les ennemis de James Bond ne sont pas des agents du KGB mais des militaires en rupture avec l’URSS, comme le général Orlov dans Octopussy.
007 affronte surtout le terrorisme international avec des sociétés secrètes infiltrées dans des pays occidentaux qui font du profit avec la destabilisation des démocraties et le soutien à des dictatures. Quantum ou le Spectre s’apparentent à des organisations criminelles internationales. Dès 1962, le Spectre devient un ennemi récurrent de James Bond. Il combat ce groupe criminel au nom des valeurs humaines de solidarité, de justice et de liberté. Dans Opération Tonnerre, le Spectre se cache derrière un organisme humanitaire et d’aide philanthropique. L’accueil semble bienveillant. Mais, derrière un rideau de fer, s’organisent extorsions, enlèvements, rackets, chantages ou pressions politiques.
Britannique et transnational
James Bond incarne l’identité britannique. Mais il voyage également dans de nombreux pays et s’adapte à d’autres cultures. Les films reprennent d’ailleurs des images de Londres reconnaissables, comme ses bus ou ses cabines téléphoniques. L’agent secret demeure un patriote. Toutes ses actions et ses missions visent à défendre les intérêts de l’Angleterre. « Qu’il soit torturé ou séduit, aimant ou violent, soumis ou volontaire, James Bond sert son pays », observe Aliocha Wald Lasowski. L’espion solitaire met ses qualités individuelles au service du collectif national britannique. Au cœur de l’action, il n’hésite pas à déployer le drapeau national de l’Union Jack. « Icône supranationale, James Bond accepte de jouer le rôle du porte-drapeau de la délégation anglaise », indique Aliocha Wald Lasowski. James Bond se montre patriote à la manière d’un supporter de foot.
James Bond incarne également l’humour britannique. « L’humour, le flegme et le détachement sont également des caractéristiques de l’esprit anglo-saxon », précise Aliocha Wald Lasowski. Son humour britannique est également lié à l’absurdité, l’excentricité et la provocation. Il pratique l’esprit de dérision et cultive un goût sophistiqué du sarcasme. Cet humour exprime également un détachement et une forme de dérision politique face à l’agitation du monde. « Les arcanes de la politique internationale ne sont qu’un jeu dont il se moque », indique Aliocha Wald Lasowski.
James Bond ironise sur le cynisme de la realpolitik et sur l’hypocrite démocratisation des pays de l’ex-URSS. « Les gouvernements changent, pas les mensonges », se moque James Bond dans GoldenEye en 1995. Mais, malgré le sarcasme et la désobéissance, l’espion reste loyal aux intérêts britanniques. « Insubordonné et insoumis en apparence, loyal et constant en profondeur, tel est l’anticonformisme de Bond érigé en règle de vie », souligne Aliocha Wald Lasowski.
James Bond, malgré son identité britannique affirmée, part à la rencontre de nouvelles cultures. Dans chaque pays, il tient à montrer sa maîtrise de la langue mais aussi des coutumes locales. « De simple sujet britannique, il s’ouvre aux différentes formes d’altérité : la langue de l’autre, la culture de l’autre, les us et coutumes par-delà les frontières. Une hybridation de soi, sensible, décentrée et multiple », observe Aliocha Wald Lasowski.
L’espion semble s’immerger dans la culture japonaise dans On ne vit que deux fois. Ce personnage semble permettre une rencontre des cultures. Il semble alors transcender la fermeture des identités nationales pour incarner une identité hybride et ouverte. « James Bond serait-il non pas tant un sujet britannique fermé sur son identité, mais davantage un citoyen du monde, ouvert sur les différences et les altérités ? », interroge Aliocha Wald Lasowski.
James Bond apparaît comme un citoyen du monde. Il ne cesse de voyager et incarne une culture cosmopolite. Il semble sensible à l’humanité commune, au-delà des coutumes singulières et des frontières fermées. « Contre le repli et l’enracinement dans une terre, une langue ou une culture, Bond participe à l’échange et à l’ouverture à d’autres pays », affirme Aliocha Wald Lasowski. Cet esprit cosmopolite s’oppose au commerce mondial comme à l’esprit nationaliste. Il refuse le repli identitaire mais aussi la mondialisation standardisée.
Dandy rebelle
James Bond a longtemps incarné la masculinité hétérosexuelle. Il entretient des rapports de séduction avec les femmes. Pourtant, le personnage évolue, jusqu’à devenir une icône auprès du mouvement gay. Des hommes comme Le Chiffre ou Silva sont attirés par lui. « Loin d’une exclusive domination masculine et d’une misogynie d’un autre temps, James Bond est un homme à la fragilité assumée, capable d’incarner un corps tour à tour vulnérable et désirant, soumis et dominant », estime Aliocha Wald Lasowski.
James Bond cultive un goût pour les plaisirs de la vie, mais aussi pour la mode. Il apparaît comme un dandy élégant et reste associé à son fameux smoking. Sa défiance pour les autorités et pour sa hiérarchie renforcent cette image de dandy. « À côté des caractéristiques presque aristocratiques de 007, comme le plaisir du jeu et l’élégance vestimentaire, la relation tumultueuse que Bond entretient avec ses supérieurs hiérarchiques au MI6, notamment son chef M, figure de l’ordre et de la loi, correspond aussi à un trait du dandysme », souligne Aliocha Wald Lasowski.
L’espion refuse de se plier aux protocoles et n’hésite pas à prendre des initiatives dangereuses. Son instinct prime sur la soumission à la bureaucratie administrative. L’espion est régulièrement en conflit avec M, son supérieur hiérarchique. L’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly évoque aussi l’attitude de contestation propre au dandy rebelle : « C’est une révolution individuelle contre l’ordre établi ». James Bond apparaît comme un homme hostile à tous les conformismes.
L’agent secret revendique la liberté sexuelle et défend un mode de vie libertin. Il multiplie les conquêtes et les expériences amoureuses, parfois même avec ses adversaires directes. « La quête du plaisir charnel s’accompagne du rejet des dogmes établis et des conventions en vigueur. Si 007 est l’espion le plus anticonformiste du MI6, la sexualité participe de son goût du jeu et de son rejet des règles », observe Aliocha Wald Lasowski. La séduction reflète l’hédonisme de l’espion, mais aussi son goût pour la ruse et la manipulation.
Le personnage s’inspire de Casanova, un autre espion séducteur à la morale hédoniste. James Bond semble attiré par tous les plaisirs sensuels. C’est un fin gourmet qui apprécie également les bons vins et l’alcool. « Son esprit d’aventure, de plaisir et de curiosité est son seul et véritable guide », souligne Aliocha Wald Lasowski. Les amantes de l’espion peuvent se faire tuer. Mais ce sont aussi souvent des femmes d’action courageuses, loin du cliché de la James Bond girl passive et soumise. L’espion est d’ailleurs sauvé à plusieurs reprises par des personnages féminins.
La saga James Bond propose avant tout des films d’action. L’agent secret parvient à triompher face à des adversaires particulièrement forts et redoutables. James Bond ne s’impose pas tant par sa force physique que par son agilité. Il utilise également des objets du décor comme armes pour vaincre des adversaires qui semblent plus forts. Le plaisir de ces films repose sur un héros qui semble en difficulté mais finit par vaincre. De même, James Bond entretient un rapport à la mort omniprésent, comme le rappellent les titres des films. L’espion semble mort, mais finit par renaître. « Bond se joue continuellement de la mort, à travers des mises en scène de sa disparition ou des jeux qui simulent sa mort », observe Aliocha Wald Lasowski.
Personnage anticonformiste
Le livre d’Aliocha Wald Lasowski permet de découvrir le personnage de James Bond sous un nouvel aspect. L’espion britannique reste mal perçu et méprisé par les intellectuels de gauche. Il est réduit à un valet de l’impérialisme misogyne et raciste. En réalité, James Bond apparaît comme un rebelle et un anticonformiste. Ensuite, Aliocha Wald Lasowski prend au sérieux cette saga réduite à des films d’aventure légers et estivaux. Le philosophe analyse les dimensions géopolitiques de ce cinéma populaire. Il insiste également sur un personnage qui incarne une posture anticonformiste, loin du cinéma patriotique ou d’une version britannique du film d’action des années Reagan.
James Bond reste perçu par les gauchistes comme un agent d’une puissance impérialiste de l’OTAN. Dans le cadre de la guerre froide, il défend le camp américain. Cet espion est donc supposé porter un discours anticommuniste. Aliocha Wald Lasowski apporte un regard plus nuancé. Certes, l’agent du MI6 reste attaché aux valeurs de la démocratie libérale. Mais, plus qu’un État ou un camp, James Bond défend des principes. Son ennemi est rarement un agent du KGB. Ce sont des anciens militaires qui développent leurs sociétés privées. Des capitalistes prêts à déclencher des guerres pour engranger des profits.
La saga propose d’ailleurs un regard précurseur. Un personnage comme Prigogine, avec sa milice privée, apparaît comme un méchant presque plus terrifiant que les ennemis de James Bond. Le Spectre, adversaire récurrent de James Bond, préfigure également les pouvoirs qui se développent dans le monde actuel. Avec l’affaiblissement des États, les agences de renseignements se multiplient. La surveillance de masse passe par les services secrets, mais aussi par les collectes de données par les multinationales. Les films de James Bond parviennent à décrire cette menace diffuse et ne sont loin de s’enfermer dans le campisme de la guerre froide.
Néanmoins, les films peuvent également alimenter une forme de complotisme simpliste. Spectre apparaît comme la table des puissants qui se partagent les États et les entreprises. Cette image reste colportée par la culture populaire comme à travers Les Guignols de l’Info. Mais, dans les films, le Spectre apparaît davantage comme le comité d’administration d’une puissante multinationale prête à tous les crimes pour s’enrichir.
Ces grandes entreprises privées apparaissent comme le véritable ennemi de l’agent des services britanniques. James Bond, sans se poser comme un révolutionnaire échevelé, semble agir comme un défenseur du bien commun face aux dangers que représentent les sociétés privées et les intérêts capitalistes. James Bond reste avant tout un cadre de la fonction publique qui se conforme à l’idéologie du nationalisme de gauche. Il apparaît avant tout comme un défenseur du service public face aux menaces que représentent les intérêts privés.
Mais, contrairement à la gauche radicale, l’homme d’action sort de la figure du bureaucrate tatillon. C’est surtout un dandy et un franc-tireur qui n’hésite pas à désobéir à sa hiérarchie. Il défend des valeurs et des idées démocrates avant de défendre un État. C’est sans doute sa grande différence avec une gauche conformiste et grisâtre.
Aliocha Wald Lasowski rapproche même la figure de James Bond d’un personnage à la Edward Snowden qui s’oppose à la NSA au nom des valeurs démocratiques. Les deux hommes apparaissent également comme des héros solitaires. Ce qui représente leur plus grande faiblesse. Malgré le mythe hollywoodien du sauveur, ce sont bien les mouvements collectifs et les luttes sociales qui restent le moteur de l’histoire.
Zones subversives
Source : http://www.zones-subversives.com/2023/08/la-philosophie-de-james-bond.html
Illustration : Image par T Hansen de Pixabay
Source : Aliocha Wald Lasowski, Les cinq secrets de James Bond, Max Milo, 2020
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Pour aller plus loin :
Vidéo : Les 5 secrets de James Bond avec Aliocha Wald Lasowski, diffusé par Max Milo Éditions le 15 juin 2020
Vidéo : La culture dans tous ses états : Spéciale James Bond et Alfred Hitchcock, diffusée par Sud Radio le 4 septembre 2020
Vidéo : Aliocha Wald Lasowski, Les cinq secrets de James Bond, diffusé par le Salon du Livre du Touquet le 15 novembre 2020
Vidéo : Les cinq secrets de James Bond – Aliocha Wald Lasowski : critique littéraire, diffusée par Cana Franzo le 10 août 2021
Radio : Les cinq secrets de James Bond, conférence diffusée sur le site Com unique ? en décembre 2020
Radio : La figure de James Bond est-elle datée ?, émission diffusée sur France Culture le 27 septembre 2021
Aliocha Wald Lasowski, Pourquoi James Bond plaît-il encore aujourd’hui ?, publié sur le site du magazine L’Obs le 5 juin 2020
Aliocha Wald Lasowski, Le féminisme dans la saga James Bond,de Pussy Galore en 1964 à l’agent Nomi en 2021, publié sur le site de la revue La Règle du Jeu le 14 septembre 2021
Bertrand Guyard, James Bond, un concept philosophique à lui tout seul, publié sur le site du journal Le Figaro le 31 avril 2020
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